RETOUR : Images de la poésie

Laurent Albarracin : Lecture de François Leperlier, Destination de la poésie.
© : Laurent Albarracin.

Mis en ligne le 24 février 2019.

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machin François Leperlier, Destination de la poésie, Lurlure, 2019.


François Leperlier
Destination de la poésie
Éditions Lurlure, 2019, 188 p., 19 €

Il se peut que l'essai de François Leperlier crée la polémique ou bien – a contrario et plus probablement – tombe dans le silence assourdissant et accéléré de la machine médiatique. Les acteurs de la scène poétique feront la sourde oreille ou s'offusqueront, cabrés sur leurs grands chevaux outrés. Peu importe. Comme son titre l'indique, l'essai traite moins de la poésie en tant que telle – encore qu'il donne nombre d'aperçus décisifs sur sa nature même – que des conditions de réception et de divulgation qui sont les siennes, institutionnelles et sociétales, mais encore symboliques. Au rebours de l'idéologie culturelle dominante qui donne allègrement dans le volontarisme et le positivisme militant, Leperlier remarque, malgré leur multiplication et leur envahissement, l'inefficacité des politiques publiques qui cherchent à la favoriser. Inefficaces sont ces dispositifs pour augmenter le lectorat de la poésie, et même contre-productifs : quand règnent la quantité et la communication, l'impératif pédagogique et spectaculaire auxquels les poètes eux-mêmes sont tenus de se soumettre, c'est la qualité du poème qui est lésée, et même son projet, ses enjeux qui sont d'ordre symbolique, qui se développent d'abord sur le plan (et dans la profondeur) de l'imaginaire. Quand s'accroît la prégnance de la société techniciste et médiatico-marchande sur la sphère privée de chacun (poète et lecteur), quelle place reste-t-il pour un usage méditatif du poème ? La question mérite d'être posée et Leperlier ne trouve guère de réponse optimiste, regrettant les groupements affinitaires qui pouvaient jadis, naguère encore, opposer une fin de non-recevoir aux mots d'ordre capitalistes parce qu'ils étaient aimantés par un horizon utopique.

Si le propos de Leperlier remonte bien quelques bretelles prétentieuses et remet les pendules de la poésie à l'heure – mais alors à l'heure de son inactualité éternelle, de son antiquité pérenne – il vaut bien plus que pour son aspect immédiatement polémique : c'est à une réhabilitation de l'imagination qu'il travaille, tant dans le domaine philosophique que dans le domaine poétique, les deux étant en fait indissociables. À l'encontre d'une vision textualiste, littéraliste, étroitement centrée sur son dispositif sémiotique désublimé (mais on pourrait y adjoindre d'autres options esthétiques qui ne sont pas non plus les siennes : celles de la « présence » ou la poésie du quotidien, les parti pris sociologisants ou descendants, etc.), il prône une poésie qui ne craint ni le métaphysique ni l'ontologie, ni le lyrisme, et avant tout il défend une poésie de l'image et de l'analogie. Celle-ci ne cherche pas tant à représenter (un réel qui lui serait purement extérieur) qu'à amplifier et renforcer les relations de l'imaginaire et du réel, à augmenter leur rapport nourricier dans un sens unitaire et ascendant. Continuum dont le poème est la trace, l'expérience, et une perspective pour la liberté individuelle.

Laurent Albarracin

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