© : Alain Roussel.
Ce commentaire a été publié d'abord dans la revue Europe, n° 1079, mars 2019.
Guy Benoit,
L'Anxure,
suivi de Exercices de guerre lasse, Pas tout à la fin et La Salle du bout,
couverture
et illustrations de Maya Mémin, préface de Jean-Claude Leroy,
Éditions Les Hauts-Fonds,
2018,
18 Û.
Énigmatique Guy
Benoit. Ce poète se tient à l'écart des scènes médiatiques, ne fréquente pas
les maisons de la poésie, n'utilise pas les réseaux sociaux comme tremplin pour
l'on ne sait d'ailleurs quel plongeon en eau glauque. Il ne joue pas à ce
jeu-là. Ce qui l'intéresse, c'est un autre jeu, existentiel jusqu'au fond de
l'être, à vif et loin des grimaces du paraître, celui du Grand Jeu qu'avaient
incarné, à leurs risques et périls, ses aînés, René Daumal et Roger
Gilbert-Lecomte, et dont par certains aspects il est le continuateur, y compris
dans l'intérêt qu'il porte au Vêdânta.
Il mène depuis
toujours un combat solitaire, de « guerre lasse » peut-être, comme il
l'écrit, mais un combat. Mais contre quoi ? Ce qui empêche la vie d'être
la vie, sans doute, tout le factice, tout le clinquant, toute la misère, physique
et intellectuelle de notre temps – quoi qu'on prétende –, mais
aussi ces ennemis de l'intérieur qui nous guettent du fond de la pensée et nous
rappellent à l'ordre d'une morale sociale hypocrite qui en réalité n'a plus
d'éthique. Guy Benoit n'est-il pas l'inventeur de ce beau titre de revue, mai
hors saison, qui se mit à fleurir,
soudain, après les retombées de 1968 ? De ce lieu
d'écriture, mais les griffes sorties sur le monde, il aura fait pendant plus de
quarante ans un espace de subversion permanente visant à la fois le dehors
(révolution) et le dedans (révélation), et qu'auront traversé des poètes ou des
écrivains tels que Yves Buin, Pierre Dhainaut, Francis Giauque, Jean-Louis
Giovannoni, Théo Lésoualc'h, Bernard No‘l, Serge Sautreau, Pierre Vandrepote,
pour n'en citer que quelques-uns. Il aime les astres noirs de la littérature et
les naufragés de la société, ces « suicidés » dont parle si
magnifiquement Artaud, ceux pour qui écrire c'est prendre un risque, pas
seulement dans les mots, mais aussi avec la vie.
Il y a un désespoir,
ou un désarroi, chez Guy Benoit, peut-être parce qu'il sent qu'il y a
“maldonne” avec le réel, que l'amour est “une matière
hésitante”, que tous ces mots que l'on met en avant et qui flamboient un
peu trop facilement ne sont là que pour masquer un manque, là, au fond de l'être,
dans ce vieux musée de l'être où règne la nuit et où le veilleur veille, la
“tête lointaine dans le milieu du monde”. Et surtout parce qu'il y a
la mort, implacable, là-bas et déjà ici, s'avançant subrepticement et procédant
au fur et à mesure par petits anéantissements.
Depuis quelques
années, celle-ci a pris une place prépondérante dans son Ïuvre. Cela nous aura
valu, ce corps-à-corps mental, mais chair et nerfs noués, avec la mort, matière
innommable qu'il évoque dans Ma mort,
reconnaîtra (sans qu'on sache le versant), livre publié par les éditions Les Hauts-Fonds, et tout
dernièrement dans L'Anxure, chez le
même éditeur. Si L'Anxure est un
texte nouveau, Benoit en a ajouté trois autres qui avaient été publiées
antérieurement, mais dont la tonalité est la même et s'inscrivent ainsi dans un
ensemble cohérent. Notons au passage que le titre, L'Anxure, est à double sens, désignant une rivière réelle, ou
plutôt un ruisseau, en Mayenne mais qu'on ne peut s'empêcher de relier
phonétiquement à l'anxiété et, par connotation, à la mort. Ce rapprochement
entre un ruisseau et la mort n'est pas aussi gratuit que l'on pourrait le
croire. Mallarmé le fit aussi, jadis, dans le dernier vers du sonnet, Tombeau, écrit à la mémoire de Paul
Verlaine :
Un peu profond ruisseau calomnié la mort.
Dans ce livre, l'on
est dans un silence parlant, avec des “sursauts” mais pas de
fioriture : Le choix d'une langue libérée de tous ses racontars, ses
manigances, ses cabrioles et autres verbigérations, écrit-il, en guise
d'avertissement. Et son préfacier et ami, Jean-Claude Leroy, ajoute avec grande
justesse : La voix de Guy Benoit n'avertit en rien, attaquant des pans
de mur et d'horizons bouchés où les fenêtres sont rares, quelque part entre la
mort d'ici, quotidienne et maquillée, et la mort qui prévient trop mais pas
assez.
Plutôt que d'écrire
sur son livre, laissons plutôt le livre nous écrire ou… nous désécrire. Voici
deux extraits :
et puis
il y a comment
l'infiguré change de nature
sauf que
l'occasion vient de loin
pour
combien de réel
diagonales d'orage
en charge
de
et puis
il y a comment
quel besoin
d'oiseaux proches de l'océan
nous ne possédons
que
vocables
monèmes ou
moineaux
à travers les feuillages
d'un mourir
coutumier du fait
Alain Roussel