Laurent Albarracin : Lecture de Christine Delcourt.
© : Laurent Albarracin.
Christine Delcourt
Le Bois des
hâtes
Pierre Mainard éditeur, 2022, 115 pages, 16 €
« Le
Bois des hâtes » : on dirait un lieu-dit. Mais ce serait un lieu-dit
où l'on ne s'arrête que pour faire courir sa passion, un endroit où l'on vient
se rafraîchir à un désir brûlant. Ici la halte est haletante. La pause,
précipitation.
Le
recueil de Christine Delcourt est composé de trois sections, la première étant
ce « Bois des hâtes » qui donne son titre à l'ensemble, les deux
autres – « Vous, comme le loup » et « Folle, l'éperdue » –
ayant été publiées une première fois, respectivement en 1996 et 1999, à
l'enseigne de la Morale merveilleuse, maison d'édition confidentielle animée
par Anne-Marie Beeckman, laquelle est également dédicataire de l'ouvrage. Cette
première partie, écrite manifestement dans les mêmes moments que les deux
autres, était donc restée inédite pendant plus de vingt ans, restée dans les
limbes d'un manuscrit retrouvé par celle à qui il fut dédié. S'il est curieux
qu'un livre qui ait mis si longtemps à trouver sa forme complète et définitive
s'intitule « Le Bois des hâtes », il n'est par contre pas étonnant
que ce soit Pierre Mainard, l'éditeur principal d'Anne-Marie Beeckman et de
Pierre Peuchmaurd, qui publie cet ouvrage à bien des
égards inspiré par les deux poètes aimés. Le livre forme dans son état achevé
un triptyque qui semble faire écho à un trio amoureux.
En
tout cas, il est clair que la poésie de Christine Delcourt relève de la lyrique
amoureuse. Et de la plus haute volée, d'une volée qu'on pourra dire l'une des
plus ascendantes qui soient. Échevelée, passionnelle, la lyrique de Christine
Delcourt puise et renvoie à toutes les traditions de poésie amoureuse que l'on
voudra : saphique, courtoise, romantique ou surréaliste. Quoi qu'il en
soit, le chant érotico-amoureux oscille ici entre la volupté, la franche
sensualité, et une manière d'idéalisation de l'aimée. Les amantes sont dites, de
la bouche même de la muse, de l'inspiratrice, « réduites et magnifiées », c'est-à-dire tenues sous le joug d'une
passion qui les porte aux nues, sous une coupe qui les contraint absolument et
les libère, qui les vassalise et les affranchit tout à la fois. Le jeu
métaphorique du poème travaille ainsi à une ambiguïté de la langue qui érotise
et qui exalte, qui fétichise et qui océanise dans un même mouvement les
caractères de l'être aimé. Le lexique dès lors explore toutes sortes de
registres et d'imaginaires : l'élémentaire, le bestiaire, le
vestimentaire, le floral et le végétal, mais aussi, et peut-être au premier
plan, l'imaginaire médiéval (la féodalité restant, qu'on le veuille ou non, le
régime politique favori de l'amour). Lices et lacets, épées et pistils sont les
jugulateurs du désir quand il monte,
car il faut toujours qu'il monte, que jamais il ne cesse. Et la langue même –
où toutes les paronomases sont permises, où toutes les sonorités concourent à
des ambivalences suggestives, où la proximité des sons favorise le
rapprochement des sens et donc la sensualité – est tout entière au service de
cette montée du désir. Celui-ci parfois s'exaspère jusqu'à l'intenable, comme
s'il siégeait (tenait son siège) à la frontière du besoin impérieux et de la
douleur insupportable : « Mais
la violence pointe sa lame, aiguise le désir sur la pierre à moudre où se
gravent, aiguës, l'attente et ses urgences. » L'attente et ses
urgences : parfaite expression oxymorique (redoublée dans l'opposition
grave/aigu) du désir amoureux, de sa tension et de son impatience, des
antagonismes qui le constituent. Et l'aimée elle-même, barbare civilisée,
sauvageonne sophistiquée, réunit en elle ces contraires qui affolent et
déboussolent le désir : « Farouche
et belle, tout en heaume et dentelles, en écumes cloutées », la voilà
donc bardée d'une armure qui la montre davantage, sise en un retrait où elle se
donne entièrement. L'auteure, on le voit, distribue la glace et le feu et ne
craint pas de hâter les contraires, de les précipiter les uns sur les autres
pour mieux les emboîter. Le résultat est dans ce Bois des hâtes où tout est possible (et même avoir, à la fin,
« extrait l'amande de ses yeux »)
parce que poétiquement avéré, parce que répondant, surtout, à l'unique et
universelle loi du désir.
Laurent Albarracin