RETOUR : Images de la poésie

 

Laurent Albarracin : Lecture de Christine Delcourt.
© : Laurent Albarracin.

Mis en ligne le 23 novembre 2022.

Sur le même recueil, voir la lecture de Pierre Gondran dit Remoux

Aller à la page où Laurent Albarracin présente ses « petites activités éditoriales ».


Christine Delcourt
Le Bois des hâtes
Pierre Mainard éditeur, 2022, 115 pages, 16 €

« Le Bois des hâtes » : on dirait un lieu-dit. Mais ce serait un lieu-dit où l'on ne s'arrête que pour faire courir sa passion, un endroit où l'on vient se rafraîchir à un désir brûlant. Ici la halte est haletante. La pause, précipitation.

Le recueil de Christine Delcourt est composé de trois sections, la première étant ce « Bois des hâtes » qui donne son titre à l'ensemble, les deux autres – « Vous, comme le loup » et « Folle, l'éperdue » – ayant été publiées une première fois, respectivement en 1996 et 1999, à l'enseigne de la Morale merveilleuse, maison d'édition confidentielle animée par Anne-Marie Beeckman, laquelle est également dédicataire de l'ouvrage. Cette première partie, écrite manifestement dans les mêmes moments que les deux autres, était donc restée inédite pendant plus de vingt ans, restée dans les limbes d'un manuscrit retrouvé par celle à qui il fut dédié. S'il est curieux qu'un livre qui ait mis si longtemps à trouver sa forme complète et définitive s'intitule « Le Bois des hâtes », il n'est par contre pas étonnant que ce soit Pierre Mainard, l'éditeur principal d'Anne-Marie Beeckman et de Pierre Peuchmaurd, qui publie cet ouvrage à bien des égards inspiré par les deux poètes aimés. Le livre forme dans son état achevé un triptyque qui semble faire écho à un trio amoureux.

En tout cas, il est clair que la poésie de Christine Delcourt relève de la lyrique amoureuse. Et de la plus haute volée, d'une volée qu'on pourra dire l'une des plus ascendantes qui soient. Échevelée, passionnelle, la lyrique de Christine Delcourt puise et renvoie à toutes les traditions de poésie amoureuse que l'on voudra : saphique, courtoise, romantique ou surréaliste. Quoi qu'il en soit, le chant érotico-amoureux oscille ici entre la volupté, la franche sensualité, et une manière d'idéalisation de l'aimée. Les amantes sont dites, de la bouche même de la muse, de l'inspiratrice, « réduites et magnifiées », c'est-à-dire tenues sous le joug d'une passion qui les porte aux nues, sous une coupe qui les contraint absolument et les libère, qui les vassalise et les affranchit tout à la fois. Le jeu métaphorique du poème travaille ainsi à une ambiguïté de la langue qui érotise et qui exalte, qui fétichise et qui océanise dans un même mouvement les caractères de l'être aimé. Le lexique dès lors explore toutes sortes de registres et d'imaginaires : l'élémentaire, le bestiaire, le vestimentaire, le floral et le végétal, mais aussi, et peut-être au premier plan, l'imaginaire médiéval (la féodalité restant, qu'on le veuille ou non, le régime politique favori de l'amour). Lices et lacets, épées et pistils sont les jugulateurs du désir quand il monte, car il faut toujours qu'il monte, que jamais il ne cesse. Et la langue même – où toutes les paronomases sont permises, où toutes les sonorités concourent à des ambivalences suggestives, où la proximité des sons favorise le rapprochement des sens et donc la sensualité – est tout entière au service de cette montée du désir. Celui-ci parfois s'exaspère jusqu'à l'intenable, comme s'il siégeait (tenait son siège) à la frontière du besoin impérieux et de la douleur insupportable : « Mais la violence pointe sa lame, aiguise le désir sur la pierre à moudre où se gravent, aiguës, l'attente et ses urgences. » L'attente et ses urgences : parfaite expression oxymorique (redoublée dans l'opposition grave/aigu) du désir amoureux, de sa tension et de son impatience, des antagonismes qui le constituent. Et l'aimée elle-même, barbare civilisée, sauvageonne sophistiquée, réunit en elle ces contraires qui affolent et déboussolent le désir : « Farouche et belle, tout en heaume et dentelles, en écumes cloutées », la voilà donc bardée d'une armure qui la montre davantage, sise en un retrait où elle se donne entièrement. L'auteure, on le voit, distribue la glace et le feu et ne craint pas de hâter les contraires, de les précipiter les uns sur les autres pour mieux les emboîter. Le résultat est dans ce Bois des hâtes où tout est possible (et même avoir, à la fin, « extrait l'amande de ses yeux ») parce que poétiquement avéré, parce que répondant, surtout, à l'unique et universelle loi du désir.

Laurent Albarracin

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