Laurent Albarracin : Lecture de Jonas Fortier, Chansons transparentes.
© : Laurent Albarracin.
Mis en ligne le 17 juin 2019.
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Jonas
Fortier
Chansons transparentes
L'Oie de
Cravan (Montréal), 2018, 16 $
Poésie limpide, transparente,
d'une transparence – rare dans le champ contemporain – qui confère
une fluidité un peu coupante au ton élégiaque qu'elle adopte, la poésie de
Jonas Fortier semble essentiellement une poésie de la résilience. Les poèmes de
ce recueil sont comme des fêtes de la patience : la durée s'y déploie
comme une dureté qu'on finit par lentement assimiler. Le chagrin est comme rendu
nécessaire et vital par son acceptation et les regrets paraissent lavés par le
poème, devenus autant de sources dans lesquelles étancher son besoin de
consolation.
Si
ce sont des chansons, c'est parce que la tristesse qui s'y exprime trouve là une
issue heureuse, fortifiante. La difficulté à vivre semble se résoudre dans le
poème : Ç seul au monde je me nettoie / comme toute bonne chose : /
avec la langue. » L'écriture de soi, introspective et nostalgique, explore la
matière psychique comme un élément mélancolique où se réfracte et s'écoule
la tristesse des choses :
caressait-on mon visage ou ma main
on caressait du désert
traversant une vallée
on me traversait moi
moi l'ami du contraire
Ainsi
va le regret : on croyait n'avoir pas été au monde lorsqu'il était
temps, et c'est par le regret qu'on s'aperçoit qu'on y était malgré tout. Tout
est voué à disparaître, mais c'est la voie normale pour reconnaître et
retrouver maintenant ce qui fut, et la voie à laquelle on agrée, que l'on
souhaite, même, pour l'avenir (Ç vivement / cette temporalité »). Le
passé a passé mais il n'est pas passé Ç car le passé adhère à tout ».
Le passé reste comme Ç une averse d'été » et il nous traverse comme
de la lumière passée dans l'eau et devenue du temps.
C'est
alors que le cœur – Ç crypte ensoleillée » – consent à
son attente et patiente entre l'irrémédiable et l'acceptation, entre la
tristesse et l'assentiment, dans une sorte de balancement, Ç au bord de la
maladie de la mer », entre l'impossible retour et le ressac permanent. Il
y a chez ce poète une sorte d'allégresse de la douleur et de stoïcisme amoureux
(« s'il pleut j'ai à boire / si je souffre j'en ris »), et une manière de
résignation qui est véritablement le changement du signe des choses, leur
retournement qui s'accomplit en un mouvement qui va de l'absurde et du tragique
vers la chance et le bonheur :
si les melons avaient un sens
je n'emploierais pas des mots
mais des melons
et pourtant ils ont un sens
ils en ont même plusieurs :
la couleur, la fraîcheur
ils ont des pépins
ils font nos miracles
La
résilience dans ces poèmes n'est pas simple réparation, elle est la persistance
de ce qui fut et qui n'est plus, mais que l'on garde néanmoins comme un
viatique douloureux pour apprendre à vivre et qui est tout le métier de vivre.
Laurent Albarracin
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