Mis en ligne le 2 avril 2016.
Armelle Leclercq
Les Arbres
Le Corridor bleu, 2016
90 p., 12 €
Si
les animaux sont des métaphores sur pattes et des métamorphoses en acte parce
qu'ils semblent sauter sans cesse d'une espèce à l'autre, les végétaux et les
arbres en particulier, moins soumis à variation parce que d'une variété
moindre, sont, eux, à côté, des puits de sagesse populaire, des repères sur la
terre, des amers dans la houle, des poteaux indicateurs de constance. Tout de
même, les arbres sont assez divers d'apparence et de forme, ils ont assez de
langue en eux surtout pour qu'on puisse en tirer et dérouler des formules et
des pensées qui réjouiront les amateurs de poésie. Ni vraiment poèmes ni
vraiment aphorismes (ce n'est pas forcément la pointe qu'elles visent, ni le
trait d'esprit, encore moins une vérité définitive à leur sujet), les cinq
cents notes qu'Armelle Leclercq consacre à nos amis les arbres font preuve d'un
sens de l'observation certain, d'une fantaisie et d'une légèreté non moins évidentes et plaisantes.
Écrites
comme dans l'enfance de l'art, ces remarques semblent chuchotées à l'auteure
par les arbres eux-mêmes, par la forme qu'ils ont et qui est toujours du sens,
serait-il mystérieux (« Pourquoi cet
arbre a-t-il un creux ? Pour t'y dire un secret. »). Car la forme
des arbres, n'en doutons pas, est toujours une surprise qui les atteint
(« Le bouleau en a les bras qui
tombent. ») ou en tout cas une subtilité qui
les touche (« Depuis toujours, le
mimosa fait dans la dentelle »). De l'aspect d'un arbre, il y a
toujours à dire. Il y a là de quoi dire (« Pourquoi le chêne a-t-il des feuilles ainsi découpées avec vides et
lobes ? Parce que, vu sa longévité, il tue le temps à faire des puzzles. »).
Comme si, aux yeux du poète, l'interrogation qui naît de l'observation des
choses avait sa réponse dans leur forme – principe de téléologie qui est
une loi poétique. Mais il en est une autre, et c'est que les choses, rapportées
aux humains, ont leur mot à dire dans le concert des raisons. Les arbres à ce
titre regardent les hommes de haut. Ils sont d'abord plus calmes (« Ils ne sont mus par aucune impérieuse
nécessité. » ; « Ils
attendent la nuit, pas pour s'affaler mais pour subrepticement inverser le
cours de leur expiration. ») et surtout ils
sont là depuis plus longtemps. Ils ont vu l'eau couler sous les ponts et rester
l'eau. À l'aune de l'aulne, en effet, qu'est-ce que le changement ? Rien
que du même qui dure (« Le jeune
berger, son flûtiau, le jeune à casquette, son transistor, bah, de leur point
de vue, rien n'a changé. »). La sagesse des arbres est notre garde-fou :
« Dans certaines pentes, ils forment
les parapets du monde. ». Si « comme nous, ils se laissent parfois abattre », il n'en reste
pas moins qu'ils constituent à l'orée du monde un horizon poétique stable, sur
lequel on peut compter, avec lequel on doit s'ouvrir. Immuables et proches sont-ils
parce qu'enracinés en nous, dans l'humus et donc dans l'humain (« on a au moins un arbre en nous, celui des
bronches »). Ce à quoi ils travaillent au milieu de nos poumons
(« ils ont partie liée avec le vent »),
c'est à nous donner du souffle et, assurément, à élargir l'homme dans
l'homme : « Les arbres
élaborent du bleu dans le lointain. » Dans le lointain et dans
l'intime, c'est-à-dire au cœur de la poésie.
Laurent Albarracin