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Laurent Albarracin : Pauvre Baudelaire, de Jules Vipaldo.
© : Laurent Albarracin.

Mis en ligne le 20 mai 2015.

Sur ce site, voir aussi notamment un texte de Laurent Albarracin, De l'image.
Aller à la page où Laurent Albarracin présente ses «  petites activités éditoriales ».


Jules Vipaldo
Pauvre Baudelaire
Les doigts dans la prose, 2015

Heureusement la fantaisie poétique a encore assez de beaux jours de pluie devant elle pour tirer de la boue son or, fût-il futile et de pacotille. Ainsi commence le livre qui est une pochade des plus burlesques :

Plume, c'est du belge ![1]

Cordes, hallebardes, lances d'incident : ça pleut et pas qu'un peu. Flic floc terrible, à mouiller son froc : ça pleut et pas qu'un peu. Cordes à nÏuds coulantes, piques, pénétrantes saillies, flèches druzes tombant drues sur nos cuirs : ça pleut et pas qu'un peu. Flaques ! flics flasques partout, partout : ça Ruy Blas dans la rue Blaes, ça ruisselle et ça coule, ça désHugoline à pleines bassines.

On ne sortira pas de ce ton outrancier à la Verheggen. Sérieux s'abstenir. On pourrait croire que Jules Vipaldo est belge, eh bien non, il vit dans le Bas-Berry. Mais, pour sûr, l'esprit surréaliste belge souffle sur ces pages, pas seulement parce que la Belgique est l'un des seuls sujets repérables du livre, mais parce que la référence à celle-ci fonctionne comme revendication d'une extraterritorialité à la « grande » littérature, si ce n'est une extraterrestralité. Vipaldo s'amuse d'ailleurs à agrémenter son texte de noms de poètes belges (Verheggen souvent, Mariën, Scutenaire, Izoard, Tholomé[2]) ou belges d'esprit (Tilman) ou pas belges du tout (Prigent, Quintane, etc.) ni poètes (et donc poètes belges par l'absurde : Michel Platini, Spirou, Platon). L'index des noms court sur huit pages et l'on pourra donc se réjouir aussi de voir mentionnés nombre de ces poètes qui font la scène poétique actuelle.

Le semblant d'intrigue, le prétexte au surtexte pourrait-on dire, est en effet une rencontre-lecture de poètes à Bruxelles à laquelle l'auteur fut convié (avec quelques-uns de ses acolytes exagérément de Marseille et qu'il est aisé de reconnaître sous leur nom modérément crypté) et qui tourna court comme de l'eau de boudin. Il se pourrait bien alors que le propos entier du livre soit une charge (assez peu légère il faut dire) contre la poésie trop sérieuse. Pour autant, l'attaque qui a ses pics et ses piques dans les calembours incessants plus ou moins heureux (« Y'a d'la chair, lettriste » ; « les brabants m'en tombent ») ne vise personne en particulier ni un courant poétique plus qu'un autre. C'est seulement l'esprit de sérieux qui est vilipendé chez les poètes de tous bords. Malgré ce que pourrait faire penser le titre, il ne s'agit pas d'un pamphlet, juste une manière de secouer le Landerneau par ses oreilles et ses sonorités, et chacun en prend pour son grade au seul tort d'avoir un nom avec des lettres dedans. Charge générale contre la « pauvre Hésie », contre la « plate poésie qui est la vôtre », contre les poètes gonflés de « métafoires » ou adeptes de la « poulésie aux je dors » des lectures publiques, Pauvre Baudelaire est aussi un récit de voyage dans la « frite fantôme » d'un Leiris ethnologue au pays des mots (le Leiris de Langage Tangage).

Laurent Albarracin



[1] Référence double à Michaux et Ivar Ch'Vavar, auteur d'un Fume, c'est du belge.

[2] Il en manque pourtant beaucoup de ces littérateurs hors-norme qui font cet esprit que vante la Belgique : de Paul Colinet et les frères Piqueray à Denys-Louis Colaux ou Hubert Antoine.

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