Laurent Albarracin. Lecture de Jan Zábrana : Le Mur des souvenirs, éd. fissile.
© : Laurent Albarracin.
Article
paru dans la revue Dissonances n° 39, octobre 2020.
Mis en ligne le 26 octobre 2020.
Jan Zábrana
Le Mur des souvenirs
Traduit
du tchèque par Petr Zavadil et Cédric Demangeot
éditions
fissile, 2020, 110 p. 18 €
Né
en 1931, Jan Zábrana a 17 ans lors du « coup de
Prague ». Ses parents sont emprisonnés, victimes de l'épuration politique,
et lui-même est empêché de poursuivre ses études. D'abord ouvrier puis
traducteur du russe et de l'anglais, il se voit interdit de publication juste
après le Printemps de Prague et jusque à sa mort en 1984.
Le
ton de sa poésie est écartelé entre un lyrisme désespéré et le prosa•sme de la
réalité oppressante qui l'entoure. De ce tiraillement naissent les poèmes les
plus sombres qui soient, éclairés par de constantes lueurs de rage. Comme si la
pratique de la poésie l'aidait à tenir bon quand tout s'acharne, et comme si
elle était en même temps un exercice de lucidité âpre, acerbe, caustique
parfois. Il est bien évident que la beauté des vers de Zábrana
n'est pas là pour édulcorer une réalité misérable, ni même pour clarifier une
situation passablement embrouillée, mais elle vient éclairer vivement et
violemment tel détail frappant afin de lui redonner son éclat de contusion,
d'hématome symbolique. « Je ne supporte que les fous. Ils sont la moutarde
de la terre. » ; « Elle a les cheveux attachés avec une rondelle
à bocaux. »
C'est
la vie du poète qui est en jeu dans le poème : sa biographie dans son
factuel le plus circonstancié, mais aussi la vie dans sa dimension
existentielle qu'il s'agit de sauver, d'extirper de ce qui la rabaisse et
parfois la révèle. Le recueil est alors un « livre des jobs ». Soit
une chronique des maigres solutions qui permettent de continuer, de ces
expédients qui rendent la vie supportable, de ces peu glorieuses débrouillardises
souvent sordides qui ponctuent le quotidien. Mais « livre de Job »
tout autant, puisque le poème, empreint de la révolte la plus définitive, n'ouvre
guère d'autre horizon que celui de la résignation, de l'acceptation d'un sort
joué dès l'origine, avec cette habitude contractée dans le malheur d'en noter
les ironies, comme si précisément l'ironie du sort était l'un des paramètres de
la condition humaine. Au « mur des souvenirs » tout est d'avance
condamné mais il est encore possible d'en remarquer les pierres les plus
saillantes, brillant d'un éclat noir, coupant, déchirant.
Laurent Albarracin