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Anne Ansquer

Suite animalière.

Mis en ligne le 4 décembre 2004, le 29 avril 2005, le 8 juillet 2005, le 7 décembre 2005, le 12 février 2006, le 5 juin 2006, le 15 décembre 2006, le 19 mars 2007, le 10 octobre 2007, le 18 novembre 2007, le 15 décembre 2007, le 17 janvier 2008, 2 février 2008, le 6 mars 2008 et le 28 mai 2008, — puis le 8 janvier 2011.

© : Anne Ansquer


Suite animalière

La vie en rose

 

Sur la route

Le retour de la nuit

Les cochons

 

Les cochons sont serrés

Les compagnons

 

L'air comme une avalanche

Soulève un destin de frisson

Et de sang

Nous doublons le camion

Mon compagnon me dit dans la nuit ils ne sauront pas

 

La leçon de choses

Une arme blanche :

« le corps est limité par la peau »

 

sous la pluie fine

mes compagnons

 

Nov. 2004

 


 

Les moutons

 

Ici,

Quelques moutons

Et aussi un berger

Des blancs, des noir et blanc, et peut-être

Un tout noir

 

 

Le dos herbu de la terre qui les porte, et le souffle du vent,

Gris ou fauve

Étrange familier le manteau rouge

Désigne-t-il une bergère ?

                         Moutons à garder, à carder, à tondre (s'ils veulent bien)

Animaux

Leurs pensées-pupilles

De cosmos

Leurs caresses dans le vent et leurs cheveux si près du vent

Si près de tout.

 

Avril 2005

 


 

Les ours blancs

 

Les ours blancs

Le pelage plein de neige

Se rassemblent près du feu de camp

Laissé par les hommes

 

Le chien

Sur le sentier bombé

Flaire la trace d'un sanglier

 

La petite chèvre blanche

Se confond

Avec le talus de la campagne

 

 

 

« Sans eux », novembres.

 

Juillet 2005

 


 

Le petit rapace

 

Dans l'ombre de la contremarche

palpitait le petit rapace

bec

et l'œil au ras

un jeune oiseau tombé du nid

 

contre moi, ses doigts

minuscules et son regard

qui ne cille pas

 

 

de quel nid la solidaire tragédie

fut le seul événement ?

 

 

28 mai 2006

 


 

Air-France

 

Une girafe tend

— inattendue tantine —

son profil gauche

 

 

De l'ocre

 

l'esprit de connaissance,

 

un poil apaisé

 

 

4 décembre 2006

 


 

Triptyque

 

 

Cochon de travail

En contre-bas, gosier rougi

Ou bien sourd de la roche

Le sang

 

Dans la faille

Perdu à pic et la rocaille

 

 

Qu'il ne fût pas

 

 

Ou qu'il crève : jambon sous l'éboulis —

Son regard pâle et rose

Museau et groin fouissant

Le ciel à jamais finissant

 

 

 

 

Les rouges-gorges font, eux, le procès des cailloux

 

 

 

 

 

 

Cochon (avec lapidation)

Le cœur a manqué

 

 

 

 

 

 

Petit cochon (avec chance)

C'était un petit porte-bonheur

Un petit cochon avec un cœur

 

 

N'ayant pas dans son baluchon

De trilles pour les cochons

 

Il va par les chemins de feux

De pierres

Et de couteaux tirés

Quête

Et puis de cheminée

 

 

La pluie des nues peut bien lui battre les jarrets

Sa route est la chair à souhaits

Son moulin de sincérité

Sa fabrique de sel

 

 

Dans sa raison réelle

 

 

 

 

Pour mon grand-pre, le 4 décembre 2006

 


 

C'est un couple de canards

 

                                  poème pour Françoise

 

Un couple

de canards

sur un quai de pierre

accotés au soleil

 

 

le mâle est, cou bleu de bleu

et bleu

de matin levé tôt et de froid veillé

de nuit verte de plumes peignées de jour

lumineux et gardé d'un œil rond

et parfait

 

la femelle, compagne d'aile et de rosée

de palmes acceptées

d'un trait de parme se fond à l'eau

comme un sourire

 

 

dans la caresse un temps encore pissenlits et jonquilles

 

 

sous les piles du pont passe

l'iris

de leur amour

 

Un œuf gris sur la pierre

déposé

 

au bord de nous, rivière aveugle

 

 

le 14 mars 2007

 


 

Le loup blanc

 

Gravir

la lente pente

en compagnie de quelque humain

ici un engin de chantier

là, une terre excavée,

la pèlerine aux épaules

on frôle un gouffre

immobile

et l'empesée d'un ciel d'Islande

 

J'ai marché

 

 

D'un repos de Soudan

le loup s'arrache,

son âme en volte me montre les dents

et dans l'éclair d'un mal je suis un appât vif

pour la cruelle griffe

 

Combat

 

Et ma terrible gaffe,

marcher nue

sur cette terre grise et noire

où les loups blancs sont bien connus.

 

 

le 9 octobre 2007

 

 


L'oiseau gris

 

Un oiseau gris se tient debout

l'oiseau

se tient

 

le monde est vert de gris

au fil de l'eau

qui file un coton gris

 

 

immobile

dans les joncs de son corps

patte levée, cou avancé

la plume est en arrêt

le bec pointé vers l'horizon

 

de ce teint

pas de cendre pas de bruit

 

perfection de sa vie

qu'il retient

dans l'Aven et la savane

le silence abondant de ses plumes fermées

m'adonne à la cigogne, aux retrouvailles

et à la cheminée

 

ici

 

dans les joncs

 

 

Pour Frank
le 13 novembre 2007

 

 


Le cheval

 

remonter le cours du ruisseau

quitter le sentier et l'haleine des champs

lenteur d'eau

sur le bassin

le saule ancien

ses coudes sont revenus

près de ses eaux, mortes

 

prié

 

par la découpe du l-bas

le ciel au bord des champs

les champs

plumes et feuilles oscillent dans l'osée

pensée de l'oiseau sous la canopée

 

un souffle

 

regard tendu vers la trouée

terrible de la joie

la toile reposoir

un cheval est couché dans l'enclos de sa vie

son poil, son dessein,

son pas, la source des sabots

 

 

de l'air blessé

 

le vol enclos des pigeons de mémoire

au colombier

le silencieux de pierre, l'espoir de la rivière

quand midi sonne

 

le cheval

 

cœur serré dans les arbres

 

 

Lestremeur, 2 déc. 2007

 

 


Un écureuil

 

Il fait tempête

je sèche

 

 

à cté de la ville et ses vallées,

un champ de praires

— peut-être brassé d'eau du matin,

une brèche

 

le pied gauche précaire

et le soupir dans l'escalier

la rivière à la main

 

j'ai pris la hampe de cet air

et là, sur la rampe de rien

l'écureuil marcha sur du vent

bien avant

bien avant

 

mon écueil

dans l'océan du sens et ses coquilles

 

ne fut plus rien que sien

son visage précis

les tempes d'une tendresse en perce

de partout

 

j'ai bougé

 

l'écureuil coula sur le tronc

et les branches

— le paysage

glissait déjà d'un sentiment

mes pas

dans le lointain

 

et son accueil

 

15 janvier 2008

 

 


Deux singes

 

Un jour d'inondation

un ruisseau coule en travers de l'allée

le salon de jardin a les pieds dans un lac

 

et l'on ne peut marcher vers les lieux de contemplation,

petits lopins au bas du pont

plaies d'herbes

petites portes haies de bois

cabanes de lapins

 

je remontai cet autre temps

vers les raz-de-pavés

 

dans la vitrine,

deux singes offerts sous la vote de pierre

 

dans l'ouvrance du port,

l'infini de la liberté

et son ciel

 

l'animal est aux fers

la tête

au-dedans de lui-même

le compagnon morfond

au dehors de son corps

d'attache

 

son regard me saisit dans l'ailleurs

 

toison, main

 

 

un son de pierre

en un gouffre pastel

 

1er février 2008

(à Bruegel)

 

 


Deux pigeons

 

Au détour de la place

les tourbillons du vent sont comme les courants

autour d'un phare

 

 

bravant cet océan dans un souffle d'esprit

j'entrai

 

l'air gris tendu par les arcades

trouées de la lumière

rares chandelles aux commissures des nefs

un peu du jour d'hier

versé par l'embrasure et les bruits

de la vie amortie

 

désert

 

en un coup d'aile

deux oiseaux

 

un vivant mouvement

la rose de leur cœur

battant

le va et vent

brassé de plumes

et d'espérance

où se poser

 

leur élégance de là-haut

dans l'immense

 

le plein vole

le vide

 

dans la rosace d'un instant

baptistère

 

les oiseaux de l'amour

tournent le cœur des hommes

vers la folie

de ce vitrail

 

25 janvier 2008

 

 


Le faon

 

Le grand ciel de l'après-midi

trop profond

le faon

 

les boutons d'or

affleurent ses épaules

 

le lointain

se déplie

et verse la prairie

 

un homme non loin, le front contre la vitre,

une femme caressant sa vie que ses pensées évitent -

 

le bichet, sur le quai de son champ

ne sait pas

ce ruisseau bleu de train

qui gronde

 

le roux, le familier, le tremblement

et ses oreilles

attirent le murmure

de l'aube tendre

et sa jeunesse interrogée

sous le frisson du hêtre

 

tel

rêve en sa nuit d'enfant biche

son berceau de talus

et la prairie d'un sentiment :

seul

 

le tressaut immobile de nous

sous la voûte d'un ciel éteint

 

- je ne fus rien

qu'une idée

passant dans ses genêts…

 

 

des animaux, le cœur bout portant

font confiance au printemps

 

7 Mai 2008

 

 


Taureau (de combat)

 

Rouge douleur

 

les étocs fichés rouges

tracent de sang

qui te regarde

voit

la robe noire de beauté

 

 

mon animal

j'ai sur la tête un chapeau de journal

 

 

toi seul

entravé d'innocent

veille ma nuit d'enfant

 

ton sang

bat plus fort que le mal

de mort

 

(Un taureau de combat, pour Goya.)

 

Été 2010

 

 




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