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Pierre Campion : Note pour l'étude du Mariage de Figaro de Beaumarchais.

Mis en ligne le 26 juillet 2004.

© : Pierre Campion.


LE MARIAGE DE FIGARO

Note sur quelques aspects de la société française au moment de Beaumarchais

L'esprit de cette note

Rassembler certaines références, de manière non exhaustive, sur la question de la société française et des institutions au moment de Beaumarchais. Indiquer au moins la complexité des choses, sans proposer une étude complète et en forme de l'historiographie et de la réflexion sur cette question.

Cela afin d'aider à tracer les fonds sur lesquels s'enlève la pièce. Fonds sans lesquels on comprendrait mal les partis idéologiques qu'elle prend et les raisons de certains choix dramaturgiques, ainsi que le succès de la pièce à l'époque et les ambiguïtés que portait avec lui ce succès. Envisager l'histoire de ce moment, histoire elle-même ptoblématique et en débat, afin de comprendre la spécificité d'une certaine pièce de théâtre, et non pour réduire cette pièce à ces aspects de l'histoire.

Il s'agit donc d'un travail de littéraire et non d'historien.

On attire l'attention des agrégatifs en Lettres de l'année 2004-2005 sur les croisements possibles, dans leur programme d'œuvres, entre d'une part Le Mariage de Figaro et d'autre part le Tocqueville de L'Ancien Régime et la Révolution et même celui de De la démocratie en Amérique.

Références[1]

Tocqueville, L'Ancien Régime et la Révolution, [1856], Gallimard, coll. Folio-Histoire, éd. de 1967.

Paul Bénichou, Le Sacre de l'écrivain. 1750-1830. Essai sur l'avènement d'un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne, Corti, 1985.

Roger Chartier, Les Origines culturelles de la Révolution française, Seuil, 1990, rééd. coll. Points-Histoire, 2000.

Guy Chaussinand-Nogaret, La Noblesse au XVIIIe siècle. De la Féodalité aux Lumières, Hachette, 1976, rééd. Complexe, 1984 et 2000.

Roger Furet, Penser la Révolution française, Gallimard, coll. Folio-Histoire, 1978.

Denis Richet, La France moderne : L'esprit des institutions, Flammarion, coll. Champs, 1973.

Ces références évoquent notamment la tendance de l'historiographie de la Révolution française qui, sous l'influence en particulier de François Furet et s'opposant explicitement à l'école marxiste précédemment dominante, a prévalu à partir de 1975 environ. Quant à Roger Chartier, son œuvre, plus récente et redevable plutôt à Foucault, propose une histoire des expressions culturelles et notamment du livre et de la lecture. À des littéraires, on ne présente plus Paul Bénichou.

1 — Les hommes de lettres et la Révolution

Tocqueville, L'Ancien Régime et la Révolution, livre III chapitre I : « Comment, vers le milieu du XVIIIe siècle, les hommes de lettres devinrent les principaux hommes politiques du pays, et des effets qui en résultèrent[2] ».

Ce titre dit tout. Suivant sa manière habituelle, qui est le paradoxe, Tocqueville isole d'abord le cas de la France de celui de l'Angleterre et de celui de l'Allemagne, cela pour assigner aux gens de lettres, en France, une position privilégiée dans la vie de la société :

La France était depuis longtemps, parmi toutes les nations de l'Europe, la plus littéraire ; néanmoins les gens de lettres n'y avaient jamais montré l'esprit qu'ils y firent voir vers le milieu du XVIIIe siècle, ni occupé la place qu'ils y prirent alors. Cela ne s'était jamais vu parmi nous, ni, je pense, nulle part ailleurs.

Ils n'étaient point mêlés journellement aux affaires, comme en Angleterre. jamais, au contraire, ils n'avaient vécu plus loin d'elles ; ils n'étaient revêtus d'aucune autorité quelconque, et ne remplissaient aucune fonction publique dans une société déjà toute remplie de fonctionnaires.

Cependant ils ne demeuraient pas, comme la plupart de leurs pareils en Allemagne, entièrement étrangers à la politique, et retirés dans le domaine de la philosophie pure et des belles-lettres. Ils s'occupaient sans cesse des matières qui ont trait au gouvernement ; c'était là même, à vrai dire, leur occupation propre (pp. 229-230).

Position paradoxale : Les hommes de lettres sont à la fois dégagés de toute responsabilité et compétents à l'égard des « matières qui ont trait au gouvernement ». Et s'ils différent entre eux sur la plupart des points, « tous pensent qu'il convient de substituer des règles simples et élémentaires, puisées dans la raison et dans la loi naturelle, aux coutumes compliquées et traditionnelles qui régissent la société de leur temps » (p. 230).

Comment cela a-t-il pu s'établir ?

Comment des hommes de lettres qui ne possédaient ni rangs, ni honneurs, ni richesses, ni responsabilité, ni pouvoir, devinrent-ils, en fait, les principaux hommes politiques du temps, et même les seuls, puisque, tandis que d'autres exerçaient le gouvernement, eux seuls tenaient l'autorité ? Je voudrais l'indiquer en peu de mots, et faire voir quelle influence extraordinaire et terrible ces faits, qui ne semblent appartenir qu'à l'histoire de notre littérature, ont eue sur la Révolution et jusqu'à nos jours (p. 231).

« Le spectacle de tant de privilèges abusifs ou ridicules », « l'éloignement presque infini où ils [les hommes de lettres] vivaient de la pratique », le fait que les Français ne prenaient aucune part à l'administration du pays, tout cela fit que « les écrivains, prenant en main la direction de l'opinion, se trouvèrent un moment tenir la place que les chefs de parti occupent d'ordinaire dans les pays libres » (p. 234). L'aristocratie leur avait laissé la place, le roi « continuait à voir dans l'aristocratie la principale rivale du pouvoir royal ; il s'en défiait comme si l'on eût été encore au temps de la Fronde. La bourgeoisie et le peuple lui paraissaient au contraire, comme à ses aïeux, l'appui le plus sûr du trône » (p. 235).

Mais ce qui nous paraîtra plus étrange, à nous qui avons sous les yeux les débris de tant de révolutions, c'est que la notion même d'une révolution violente était absente de l'esprit de nos pères. On ne la discutait pas, on ne l'avait pas conçue. Les petits ébranlements que la liberté publique imprime sans cesse aux sociétés les mieux assises rappellent tous les jours la possibilité des renversements et tiennent la prudence publique en éveil ; mais dans cette société française du XVIIIe siècle, qui allait tomber dans l'abîme, rien n'avait encore averti qu'on penchât (pp. 235-236).

[…]

Si l'on songe maintenant que cette même nation française, si étrangère à ses propres affaires et si dépourvue d'expérience, si gênée par ses institutions et si impuissante à les amender, était en même temps alors, de toutes les nations de la terre, la plus lettrée et la plus amoureuse du bel esprit, on comprendra sans peine comment les écrivains y devinrent une puissance politique et finirent par y être la première. […] Au-dessus de la société réelle, dont la constitution était encore traditionnelle, confuse et irrégulière, où les lois demeuraient diverses et contradictoires, les rangs tranchés, les conditions fixes et les charges inégales, il se bâtissait ainsi peu à peu une société imaginaire, dans laquelle tout paraissait simple et coordonné, uniforme, équitable et conforme à la raison. (pp. 238-239).


Paul Bénichou, Le Sacre de l'écrivain

Lire son Introduction et les citations qu'il y fait, entre autres celles-ci :

De Malesherbes (p. 27), dans son Discours de réception à l'Académie française (1755) :

Il s'est élevé un tribunal indépendant de toutes les puissances, et que toutes les puissances respectent, qui apprécie tous les talents, qui prononce sur tous les genres de mérite ; et, dans un siècle éclairé, dans un siècle où chaque citoyen peut parler à la nation entière par la voie de l'impression, ceux qui ont le talent d'instruire les hommes et le don de les émouvoir, les gens de lettres, en un mot, sont au milieu du public dispersé ce qu'étaient les orateurs de Rome et d'Athènes au milieu du peuple assemblé.

De Rulhière (id.), dans son Discours de réception à l'Académie française (1787) :

Ce fut alors que s'éleva parmi nous ce que nous avons nommé l'empire de l'opinion publique. Les hommes de lettres eurent aussitôt l'ambition d'en être les organes et presque les arbitres. Un goût plus sérieux se répandit dans les ouvrages d'esprit ; le désir d'instruire s'y montra plus que le désir de plaire. La dignité d'homme de lettres, expression juste et nouvelle, ne tarda pas à devenir une expression avouée, et d'un usage reçu.

De Sébastien Mercier (p. 28), dans De la littérature et des littérateurs (1778) :

L'influence des écrivains est telle, qu'ils peuvent aujourd'hui annoncer leur pouvoir, et ne point déguiser l'autorité légitime qu'ils ont sur les esprits. Affermis sur la base de l'intérêt public et de la connaissance réelle de l'homme, ils dirigeront les idées nationales ; les volontés particulières sont entre leurs mains.

De l'abbé Raynal (id.), dans son Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes (1781) :

Tout écrivain de génie est magistrat né de sa patrie. Il doit l'éclairer s'il le peut. Son droit, c'est son talent. […] Son tribunal, c'est la nation entière, son juge est le public, non le despote qui ne l'entend pas ou le ministre qui ne veut pas l'écouter.


Roger Chartier, Les Origines culturelles de la Révolution française :

Lire le passage référant au monologue de Figaro (pp. 93-98) et les chapitres I (« Lumières et Révolution. Révolution et Lumières »), II (« Espace public et opinion publique »), IV, VIII, ainsi que la potsface écrite en 1999.

2 — La noblesse en France dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle

Beaumarchais n'ignore pas la complexité de la situation puisqu'il évoque dans sa Préface, non sans ironie, « la haute, la moyenne, la moderne et l'antique noblesse ». Cependant la pièce elle-même, et la préface d'ailleurs, tendent à en donner l'idée la plus archaïque et la plus traditionnelle : il s'agit là de ce que Chaussinand-Nogaret appelle « la noblesse vassalique » ou « le reliquat féodal » par opposition à la « noblesse royale » créée par la royauté française et dévouée à elle. Mais, dans le Mariage, nous sommes en Espagne…

Alors que la situation réelle en France était évidemment plus complexe. Noter aussi, vis-à-vis du Mariage, la date de 1787 qui apparaît comme significative à plusieurs des historiens cités ici. Ainsi Denis Richet (op. cit., pp.  127-128) qui réserve le nom d'Ancien Régime à la très courte période 1787-1789 ! : « Alors naquit l'Ancien Régime : image tardive et désenchantée que se faisaient les élites d'un système qu'elles ne toléraient plus. »

Denis Richet, La France moderne : L'esprit des institutions

En réalité, […] il y eut un modèle commun à la Société des Lumières […] et la noblesse urbanisée y joua un rôle incitateur. Ce que je voudrais suggérer, c'est l'existence, dans les élites, d'un double front politico-culturel. Contre l'absolutisme et ses agents — n'oublions pas qu'ils sont de plus en plus nombreux — se mobilisent à la fois les espérances des bénéficiaires éclairés (haute noblesse de la Cour et de Paris, milieux financiers, grands robins) et les frustrations des exclus de la participation : nobles de province, évincés des hautes charges de l'armée, officiers fraîchement anoblis. Le front commun n'exclut pas un antagonisme latent qui va apparaître au grand jour après 1787 : pour les premiers l'élite doit s'ouvrir à la richesse et au talent, pour les seconds elle doit se cramponner au privilège de la naissance (p. 152).

[…]

La noblesse du XVIIIe siècle, fortement installée dans les cadres de l'état monarchique, mais atomisée et divisée n'a jamais constitué ni un ordre ni une classe homogènes (p. 160).

[…]

Ces deux années [1787-1789] qui virent à la fois naître et mourir l'Ancien Régime révèlent et cristallisent toutes les contradictions (p. 163).


Guy Chaussinand-Nogaret, La Noblesse au XVIIIe siècle

L'idée générale de ce livre : « Loin d'être un obstacle à l'évolution des institutions et des structures fondamentales de l'économie et de la société, la noblesse, classe jeune, dynamique, moderne, a initié la réflexion des Lumières, entamé, bien avant le tiers état, la critique du pouvoir, ouvert le débat fondamental entre naissance et mérite, revendiqué avec passion la liberté » (quatrième de couverture).

La noblesse s'insère dans le développement des forces productives, intègre le capitalisme à son éthique, annexe des activités communément bourgeoises (p. 13).

[Le conflit principal] est antérieur au règne de Louis XVI, antérieur même au XVIIIe siècle, et ceux qu'il intéresse ne sont pas ceux que l'on croit.Sa naissance est contemporaine de celle de l'absolutisme, et il est intranobiliaire. Il n'oppose pas bourgeoisie à noblesse, mais noblesse à noblesse. C'est à l'intérieur de l'ordre que tout se joue, dans une guerre intestine qui traverse tout l'Ancien Régime, du XVIe au XVIIIe siècle, et qui ne se résout que dans la crise de l'absolutisme, après 1787, lorsque les noblesses se réconcilient sur le dos de la monarchie. Ce n'est qu'après cette réconciliation que le conflit pourra se déplacer, opposer tiers état à noblesse, dresser l'un contre l'autre le privilège et l'égalité (p. 17).


François Furet, Penser la Révolution française :

Ces élites du XVIIIe siècle sont inséparablement gouvernantes et révoltées. En réalité, elles règlent leurs conflits internes sur le dos de l'absolutisme, que Loménie de Brienne finit par enterre en 1788. […] Dans cette crise des élites, resterait à voir le rôle joué par les différenciations — ou l'unification — culturelles. C'est un immense problème, encore mal exploré, comme tout le domaine de la sociologie historique de la culture[3]. Ce qui est clair, au moins, c'est que la noblesse de Versailles et des villes lit les mêmes livres que la bourgeoisie cultivée, discute Descartes et Newton, pleure sur les malheurs de Manon Lescaut et fête les Lettres philosophiques ou La Nouvelle Héloïse ; ce n'est pas aux frontières sociales des ordres, mais à l'intérieur de la société cultivée que prend corps, peu à peu, l'alternative politique du siècle. […] Une société des élites […] qui exclut non seulement les classes populaires mais la plus grande partie de la noblesse du royaume. Mélange instable et séduisant de l'intelligence et du rang, de l'esprit et du snobisme, ce monde est capable de critiquer tout, y compris et surtout lui-même ; il préside sans le savoir à un profond remaniement des élites et des valeurs (pp. 181-182).


Tocqueville, L'Ancien Régime et la Révolution, livre II chapitre VIII : « Que la France était le pays où les hommes étaient devenus le plus semblables entre eux »

L'éducation et la manière de vivre avaient déjà mis entre ces deux hommes [le bourgeois et le gentilhomme] mille autres ressemblances. Le bourgeois avait autant de lumières que le noble, et, ce qu'il faut bien remarquer, ses lumières avaient été puisées précisément au même foyer. Tous deux étaient éclairés par le même jour. Pour l'un comme pour l'autre, l'éducation avait été également théorique et littéraire. Paris, devenu de plus en plus le seul précepteur de la France, achevait de donner à tous les esprits une même forme et une allure commune (p. 157).

3 — La complaisance de la noblesse à l'égard des idées nouvelles

Citations de Guy Chaussinand-Nogaret, La Noblesse au XVIIIe siècle :

De Ségur (pp. 15-16), dans ses Mémoires :

Nous respections extrêmement les vieux débris d'un antique régime dont nous frondions en riant les mœurs, l'ignorance et le préjugés… Nous nous sentions disposés à suivre avec enthousiasme les doctrines philosophiques que professaient les littérateurs spirituels et hardis. Voltaire entraînait nos esprits, Rousseau touchait nos cœurs, nous sentions un secret plaisir à les voir attaquer un vieil échafaudage qui nous semblait gothique et ridicule. Ainsi quoique ce fussent nos rangs, nos privilèges, les débris de notre ancienne puissance qu'on minait sous nos pas, cette petite guerre nous plaisait. Nous n'en éprouvions pas les atteintes, nous n'en avions que le spectacle. […] Nous goûtions tout à la fois les avantages du patriciat, et les douceurs d'une philosophie plébéienne.

D'Argenson (p. 34), dès 1739 :

Que tous les citoyens fussent égaux entre eux, afin que chacun travaillât suivant ses talents et non par le caprice des autres. Que chacun fût fils de ses œuvres et de ses mérites : toute justice serait accomplie et l'État  serait mieux servi. […] Quoi de plus cruel que de se voir primé par des gens qui n'ont d'autre talent que d'être nés nobles et riches ? […] Il faut enfin se rapprocher de ce but d'égalité où il n'y aura d'autre distinction entre les hommes que le mérite personnel.


Et à nouveau Tocqueville, L'Ancien Régime et la Révolution, livre III chapitre I : « Comment, vers le milieu du XVIIIe siècle, les hommes de lettres devinrent les principaux hommes politiques du pays, et des effets qui en résultèrent ».

Bien plus, cette aristocratie elle-même, dont ils [les écrivains] prenaient la place, favorisait leur entreprise ; elle avait si bien oublié comment des théories générales, une fois admises, arrivent inévitablement à se transformer en passions politiques et en actes, que les doctrines les plus opposées à ses droits particuliers, et même à son existence, lui paraissaient des jeux fort ingénieux de l'esprit; elle s'y mêlait elle-même volontiers pour passer le temps, et jouissait paisiblement de ses immunités et de ses privilèges, en dissertant avec sérénité sur l'absurdité de toutes les coutumes établies.

On s'est étonné souvent en voyant l'étrange aveuglement avec lequel les hautes classes de l'ancien régime ont aidé ainsi elles-mêmes à leur ruine ; mais où auraient-elles pris leurs lumières ? (pp. 234-235)

4 — Les notions de nation, de citoyen, de public… (cf. aussi les textes de Raynal et Malesherbes cités ci-dessus)

Guy Chaussinand-Nogaret, La Noblesse au XVIIIe siècle :

Il retrace (p. 29-38) l'étrange cheminement de la notion de nation. Vers 1730 et contre l'absolutisme royal, le comte de Boulainvilliers soutenait la suprématie de la noblesse, comme héritière de la nation franque, légitimée par la conquête de la Gaule et porteuse, dans le royaume, des valeurs de la nation.

La prise de conscience de la nation noble, souvent considérée à tort comme une réaction féodale, fut à la fois ferment et embryon de Nation : face au pouvoir, antérieur à lui, se définissait quelque chose aux droits inaliénables que les Lumières recevront de l'aristocratie et qu'elles métamorphoseront (pp. 29-30).

Et il suit, à travers Montesquieu, Saint-Simon, Mably, d'Argenson et d'Antraigues comment, pour finir et par un retournement dans lequel la noblesse joua elle-même un rôle, la Nation désigna l'ensemble des citoyens libres et égaux[4].

Ainsi la pensée nobiliaire a cheminé sur deux voies complémentaires. Dans la recherche de son identité, elle a d'abord essayé de justifier sa « différence », de poser le principe de son altérité : pour mieux se distancer de la Nation asservie, pour combattre l'absolutisme au nom de ses libertés primitives. Dans un deuxième temps, refoulant le concept de singularité, elle a tenté de s'intégrer à la Nation en formation. […]  (p. 37).

 

Pierre Campion


NOTES

[1] Toutes les indications de pagination pour un ouvrage renvoient à l'édition citée ici en référence.

[2] Lire un commentaire sur ce chapitre de Tocqueville par Roger Chartier : Les Origines culturelles de la Révolution française, 1990-2000, Seuil, Points-Histoire, pp. 23-32.

[3] Depuis, ce domaine a été travaillé, notamment par Roger Chartier, op. cit.

[4] Si l'on veut approfondir les détours de ces notions, on peut lire l'analyse de F. Furet et M. Ozouf, « Deux légitimations historiques de la société française au XVIIIe siècle : Mably et Boulainvilliers », dans François Furet, L'Atelier de l'histoire, Champs-Flammarion, 1982, pp. 165-183.

 


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