Un regard
sur l’un des Chardin
du Musée des Beaux-Arts de Rennes
Les historiens d’art nous
apprennent que la nature morte du XVIIIe siècle est
intimement liée au thème des « vanités »
du XVIIe. Rien n’évoque mieux sans doute le plaisir des
sens que ces fruits veloutés ou brillants, si beaux à voir, si
odorants et goûteux, mais aussi tellement proches de la pourriture ou du dessèchement,
signes de leur fin.
S’il y a vanité dans le
tableau de Chardin Pêches et raisins, il semble n’en avoir gardé que l’essentiel :
pas de petit insecte, pas d’anecdote qui pourrait distraire l’œil
ou la pensée, mais un moment de concentration, de méditation.
Au dehors, l’été
est chaud ; dans la pénombre de l’atelier, des objets, des fruits,
des étoffes. La clarté de la fenêtre est
atténuée par un rideau de lin blanc pour que la lumière
soit simplement caressante.
Comme metteur en scène,
Chardin arrange une étoffe sur et derrière la table et, là
où la lumière est la plus belle, il dispose quelques pêches
et leurs feuilles déjà fanées, des raisins noirs et blancs
et un rafraîchissoir. Plusieurs fois il déplace les
éléments, se recule, approche la grappe de raisin blanc du bord
de la table, ôte quelques grains aux grappes afin de parfaire sa
composition.
À peine quelques traits de
fusain sur la toile pour la mise en place en un plan serré, et tout de
suite la couleur. Peindre les fruits tout d’abord, en traduire la parfum
sucré ; le pinceau effleure la toile, la caresse ou s’immobilise.
Sous leur peau de peinture les pêches sont fraîches encore,
pulpeuses et veloutées, les grains blancs du raisin, gorgés de
jus accrochent la lumière pour mieux mettre en évidence le noir
de l’autre grappe déjà trop mûre.
Quelle sensualité dans ce
jaune et ce rouge, dans ces grains d’or pâle ou de jais sombre !
Pour atténuer cette opulence, le peintre habille de reflets plus froids
le rafraîchissoir si net sur le fond devenu plus brun.
Les fruits irradient leur chaleur sur la table
et autour d’elle : au-delà, l’ombre et rien d’autre.
Tout le mystère est
là, la peinture est devenue plus vraie que la réalité.
Moment de la contemplation. Le temps
est arrêté ; tout est silencieux ; captifs dans la lumière de
Chardin, les fruits de la nature morte vivent éternellement pour nous
raconter la magie de l’œuvre d’art.
Josette Couzigou