RETOUR : Coups de cœur

 

Josette Couzigou

Un Chardin du Musée des Beaux-Arts de Rennes.
Texte mis en ligne le 21 septembre 2001.
© : Josette Couzigou.

Josette Couzigou était professeur d'arts plastiques. Elle est décédée à la mi-juillet 2011.


 Un Chardin du Musée de Rennes
Reproduit avec l'autorisation du Musée des Beaux-Arts de Rennes.

Chardin, Pêches et raisins avec un rafraîchissoir, toile, 0,380 par 0,470, Rennes, Musée des Beaux-Arts.

Un regard
sur l’un des Chardin
du Musée des Beaux-Arts de Rennes

Les historiens d’art nous apprennent que la nature morte du XVIIIe siècle est intimement liée au thème des « vanités » du XVIIe. Rien n’évoque mieux sans doute le plaisir des sens que ces fruits veloutés ou brillants, si beaux à voir, si odorants et goûteux, mais aussi tellement proches de la pourriture ou du dessèchement, signes de leur fin.

S’il y a vanité dans le tableau de Chardin Pêches et raisins, il semble n’en avoir gardé que l’essentiel : pas de petit insecte, pas d’anecdote qui pourrait distraire l’œil ou la pensée, mais un moment de concentration, de méditation.

Au dehors, l’été est chaud ; dans la pénombre de l’atelier, des objets, des fruits, des étoffes. La clarté de la fenêtre est atténuée par un rideau de lin blanc pour que la lumière soit simplement caressante.

Comme metteur en scène, Chardin arrange une étoffe sur et derrière la table et, là où la lumière est la plus belle, il dispose quelques pêches et leurs feuilles déjà fanées, des raisins noirs et blancs et un rafraîchissoir. Plusieurs fois il déplace les éléments, se recule, approche la grappe de raisin blanc du bord de la table, ôte quelques grains aux grappes afin de parfaire sa composition.

À peine quelques traits de fusain sur la toile pour la mise en place en un plan serré, et tout de suite la couleur. Peindre les fruits tout d’abord, en traduire la parfum sucré ; le pinceau effleure la toile, la caresse ou s’immobilise. Sous leur peau de peinture les pêches sont fraîches encore, pulpeuses et veloutées, les grains blancs du raisin, gorgés de jus accrochent la lumière pour mieux mettre en évidence le noir de l’autre grappe déjà trop mûre.

Quelle sensualité dans ce jaune et ce rouge, dans ces grains d’or pâle ou de jais sombre ! Pour atténuer cette opulence, le peintre habille de reflets plus froids le rafraîchissoir si net sur le fond devenu plus brun.

Les fruits irradient leur chaleur sur la table et autour d’elle : au-delà, l’ombre et rien d’autre.

Tout le mystère est là, la peinture est devenue plus vraie que la réalité.

Moment de la contemplation. Le temps est arrêté ; tout est silencieux ; captifs dans la lumière de Chardin, les fruits de la nature morte vivent éternellement pour nous raconter la magie de l’œuvre d’art.

Josette Couzigou

 


RETOUR : Coups de cœur