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Pierre Campion : note sur l'édition nouvelle des Œuvres de Clémence Ramnoux.

Mise en ligne le 31 mai 2020.

© : Pierre Campion.

Ramnoux Clémence Ramnoux, Œuvres, nouvelle édition présentée par Rossella Saetta Cottone, revue et corrigée par Alexandre Marcinkowski, 2 tomes sous coffret, Les Belles Lettres, coll. Encre marine, 2020.


NOTE
sur l'édition nouvelle des Œuvres de Clémence Ramnoux

Dans sa génération, Clémence Ramnoux (1905-1997) fut la grande spécialiste de la période présocratique. Pourtant elle demeure une figure méconnue.

Normalienne, agrégée de philosophie en 1931, elle enseigna d'abord en lycée et ne passa ses thèses qu'en 1957, avant d'enseigner à la faculté d'Alger en pleine guerre d'Algérie puis à l'université de Nanterre, en participant à sa fondation avec Ricœur et Lyotard. Sans doute cette carrière atypique fait-elle qu'elle fut moins connue et qu'elle est quasiment oubliée. Joue aussi le fait qu'elle se tenait au croisement des études grecques et de la philologie, de la philosophie, de l'anthropologie et des études religieuses, disciplines malheureusement séparées en France.


Les maîtres de Clémence Ramnoux furent Georges Dumézil, Gaston Bachelard puis les Anglo-Saxons Kirk et Cherniss, lequel l'avait invitée à Princeton.

Les influences furent celles de Nietzsche, Heidegger et Freud.


Cette édition recueille :

- dans son tome I, notamment ses deux grands livres (sa thèse) de 1959, La Nuit et les enfants de la Nuit dans la tradition grecque et Héraclite ou l'homme entre les choses et les mots

- dans son tome II, ses Études présocratiques et Parménide et ses successeurs immédiats, ainsi qu'un choix de ses articles.

Elle comporte tous les index utiles et les bibliographies de l'auteur et de ses références.


Dans cette édition très riche et qu'il n'est pas question ici de commenter, j'attire l'attention sur quatre des articles : L'Ethnologue et le vieux sage (1979, sur Lévi-Strauss), Ce que je dois à Georges Dumézil (1981), Avec Gaston Bachelard vers une phénoménologie de l'imaginaire (1965) et La Fin des traditions (rédigé sur le mode de la méditation) (1977).


Enfin, je me permets de citer le récit d'une sorte de scène primitive, situé à la fin de l'Avant-propos à l'édition de l'Héraclite de 1959 (ici tome II, p. 705). Scène primitive de l'œuvre à venir, vécue à l'âge de 35 ans.

Cela se passe en juin 1940, à Tours, après trois nuits et trois jours de bombardement incendiaire. Comment remercier avec plus de grâce les savants à qui l'on est redevable de sa thèse ?

« L'armistice signé, je sortis avec les autres de la cave, et me dirigeai toute seule vers les quais de la Loire, en passant par les quartiers indemnes où j'avais été à l'école quand j'étais petite fille. La croix gammée régnait déjà sur les monuments. En arrivant sur les quais, je découvris d'abord, droit devant moi, le Fleuve, et les coteaux familiers où mon enfance avait cueilli la groseille. Puis je me retournai, et d'un seul coup j'ai découvert la ville incendiée. J'ai titubé entre les deux visions. Le Ciel était là, le Soleil, un air à l'odeur de bataille, une ville croulante et fumante. Le Fleuve coulait toujours si semblable à lui-même, et portant toujours le même nom ! Je n'avais donc besoin ni de K. Rheinhard, ni de G. S. Kirk pour apprendre que rien n'est plus immobile qu'un fleuve qui coule. Mais je dois beaucoup à K. Rheinhard et G. S. Kirk, et à quelques autres grands savants, parmi lesquels j'aimerais nommer avant tous les autres mon maître L. Robin, H. Cherniss, H. Fränkel, K. von Fritz, W. Jaeger, et B. Snell. Ils ne me reprocheront pas d'avoir mis le Fleuve avant eux. »

Pierre Campion

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