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OÙ EN ÊTES-VOUS AVEC HUGO ?

Mon sentiment quant à Hugo ?
Premièrement : j'attendais cette célébration du bicentenaire car j'en espérais quelque nouveauté.
Mais rien de cela.
Il faut « déchanter ». Voilà un verbe que Victor Hugo n'aurait pas aimé. Lui qui chantait, et si bien. Alors voilà. Une déception. Cependant. Affirmer cela. Que Hugo va plus loin que toutes les célébrations. Que non pas « Hugo hélas ». Rien n'excuse une si petite phrase. Sinon le microcosme, hélas, toujours contemporain.
Cela pour dire combien je suis triste à la vision de cette célébration où Hugo sert aux sauces de différentes puissances, conformistes, par définition, d'intérêts particuliers, mais jamais à la poésie, jamais à l'espoir, jamais à la littérature.
J'ai vécu quelques années en Pologne (alors régnait ce qu'on a appelé « l'état de guerre »). Il y avait, dans la bibliothèque du département de français auquel j'appartenais, un livre obscur d'un non moins obscur écrivant, qui voulait prouver que l'œuvre de Victor Hugo annonçait l'avènement de Staline : « Merveille que fit pour nous le Seigneur ! »
Le bicentenaire actuel me fait penser à ce livre. Victor comme ancêtre de la citoyenneté, Victor comme fondateur de notre époque, c'est-à-dire, dans le cadre de la « bien-pensance », politiquement correct, Victor comme ciment des certitudes des ambitieux ; lui qui finit à l'extrême gauche, c'est-à-dire non où les extrêmes se rejoignent (selon le langage partisan du contemporain), mais là où l'esprit « inquiet » sait rester toujours en éveil.
Comment en est-on arrivé là ?
Je ne comprends pas. Sinon que la « mélecture » est toujours en marche qui consiste à réduire le géant au niveau des nains qui prétendent le célébrer.
D'où ma « réaction », sans doute abusive.
Je vous invite à méditer sur ce livre que plusieurs éditeurs ont refusé de rééditer (et pour cause) : L'Âne.
Prodigieux recueil que Zola dénonça en son temps dans Le Figaro (mais que pouvait-il comprendre à Hugo ?), et qu'il croyait écrit par un Hugo très âgé, alors qu'il avait été rédigé juste avant Les Quatre vents de l'esprit. Pourtant L'Âne est un ouvrage extraordinaire, où Hugo traite des rapports de la poésie avec la société, de l'éducation, du savoir, et de tout, puisque l'ambition de Hugo était bien la « totalité ».
Le début à titre d'exemple :

Un âne descendait au galop la science.

— Quel est ton nom ? dit Kant. — Mon nom est Patience,

Dit l'âne. Oui, c'est mon nom, et je l'ai mérité,

Car je viens de ce faîte où l'homme est seul monté

Et qu'il nomme savoir, calcul, raison, doctrine.

Lire L'Âne parce qu'il faut bien un jour ne plus consentir à tous les conformismes, ne plus consentir jusqu'au conformisme de soi. Aller toujours, même à rebours, surtout à rebours de tous les consensus.
Plus qu'aucune autre création de Hugo, L'Âne est une force qui va, c'est-à-dire une force qui consent même à se brûler au feu de son propre désir. Aller toujours, nous dit Hugo, cela signifie accepter d'avoir tort.
Est-on capable d'entendre tel langage aujourd'hui ? Sera-t-on jamais capable d'entendre tel langage ? Par optimisme je préfère ne pas répondre à cette dernière interrogation. Quel autre sens donner à la générosité ?
Et si, pour une fois, c'était cela qu'on célébrait ? Hugo ou la générosité.

Benoît Conort

 

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