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MICRO-ÉTUDES DANS HUGO

On et je, tout et rien, parce que…

J'aime l'araignée et j'aime l'ortie,

           Parce qu'on les hait ;

Et que rien n'exauce et que tout châtie

           Leur morne souhait ;

Parce qu'elles sont maudites, chétives,

           Noirs êtres rampants ;

Parce qu'elles sont les tristes captives

           De leur guet-apens ;

[…]

Les Contemplations : III, xxvii


Le sujet de l'amour est personnel. Le sujet de la haine est impersonnel et communément humain. Il ne distingue pas entre l'ortie et l'araignée, il ne distingue pas non plus entre les hommes.

Formulant lui-même des prières, le sujet de l'amour entend les vœux les moins fervents ; l'autre oppose d'avance à ce souhait le monosyllabe de son verbe, à la troisième personne et à la rime. « Je » échappe à ce monde univoque où « tout » est sujet d'affirmations agressives, où « rien » commande toute forme négative.

Cependant, chose étrange, l'amour donne la raison de son mouvement, et laquelle ! Il ne choisit ces objets-là que parce qu'ils sont en butte à la haine. Ce système à deux forces trouve en lui-même son propre équilibre, que met en branle le mouvement de la haine. Mais qu'est-ce qui peut bien, dans l'ortie et dans l'araignée, déterminer cette haine, et partant cet amour ? La suite du poème le dira : elles appartiennent au mal, à ce qui, excédant le système de ses notions et de ses affects, met en jeu entre elles les puissances antagonistes et distinctives de l'homme.

Heureuses l'araignée et l'ortie, qui suscitèrent l'avènement d'un sujet aimant, capable de les distinguer entre elles et de distinguer entre elles toutes les choses que le monde nous oppose.

Pierre Campion

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