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MICRO-ÉTUDES DANS HUGO

Un vers, une ligne !
« Toujours mettre le vers dans toute sa longueur. »

[Hugo a demandé et reçu un spécimen des pages futures des Châtiments. Il répond à Hetzel, son éditeur.]

J'ai quelques objections sur le spécimen des caractères. Le caractère est trop fin, et trop large, ce qui amène des vers rentrant leurs queues. Chose horrible et inadmissible, et qui doit vous faire frémir, vous l'éditeur d'élégance et de bon goût. — Il faut un caractère plus long et plus étroit, partant plus lisible, et que, dans tous les cas, il soit bien entendu qu'on entaillera la garniture pour les vers longs et qu'il n'y aura pas de pauvres hexamètres pliés en deux. Je ne veux pas plus de vers rentrants que de proscrits rentrants. Au reste, je vois que tout n'est pas terminé avec les co-traitants, et si c'est Briard, il aura peut-être le caractère dont je parle.

Victor Hugo à Hetzel, 24 février 1853, éd. Massin du Club Français du Livre, tome VIII, p. 1045. L'expression « Toujours mettre le vers dans toute sa longueur » est dans une lettre à l'imprimeur du 7 juin 1853 (citée dans V. Hugo, Œuvres poétiques, Pléiade II, p. 902).



Pour les Châtiments, Hugo négocie âprement les coûts, le choix des lieux d'impression et des imprimeurs, le format du volume et de la page, le nombre de vers par page, la typographie… Surtout il veut un tout petit format, propice à la circulation sous le manteau, mais en même temps il refuse qu'on replie les vers en bout de ligne. Il exige donc un petit caractère, le perle, « peu usité et qui ne servira guère que pour cela », dont il envoie à Hetzel un spécimen le 15 mai. Et il lui donne un exemple :

« Voici un vers long :

Tandis qu'en bas dans l'ombre on souffre, on râle, on pleure.

Même avec le caractère perle, il faudra entamer la garniture pour ne pas le replier (je m'oppose carrément au repli ; un vers replié n'est plus un vers, et plus il est beau, plus il est laid) » (éd. Massin, p.  1062-1063).

Il faudra donc que l'ouvrier taille des indentations ad hoc dans la garniture de métal qui, au sein de la forme contenant plusieurs pages, délimite chacune et ménage les marges !

Mais c'est au prix de ce travail et des coûts qu'il représente, au prix de cette hérésie d'imprimeur et d'éditeur, que le vers sera effectivement ce qu'il est : l'unité typographique représentant un certain trait de la parole prophétique.
Autant de vers, autant de flèches pressées, chacune portant distinctement son coup et ouvrant sa plaie.

Pierre Campion

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