[ ] L'arbre saint du Progrès, autrefois chimérique, Croîtra, couvrant l'Europe et couvrant l'Amérique, Sur le passé détruit, Et, laissant l'Éther pur luire à travers ses branches, Le jour, apparaîtra plein de colombes blanches, Plein d'étoiles, la nuit. Et nous qui serons morts, morts dans l'exil peut-être, Vivront plus fiers, plus beaux, Sous ce grand arbre, amour des cieux qu'il avoisine, Nous nous réveillerons pour baiser sa racine Au fond de nos tombeaux !
Châtiments, « Lux » (dernier poème du recueil, les deux dernières strophes). De la rime en général on peut dire qu'elle trace un signe d'équivalence entre les deux termes qu'elle réunit : ici, « l'Amérique » vaut « chimérique », donc l'Amérique serait chimérique, et la richesse de la rime porterait même cette assertion à un haut degré d'insistance et de vérité. N'était que
L'Amérique, comme le Progrès, reçut son nom après coup, quand on l'eut reconnue comme n'étant ni le lieu que l'on connaissait déjà sous le nom des Indes, ni la simple inversion rêvée de nos malheurs. L'Amérique et le Progrès sont des événements assumés qui nous suggèrent que l'avenir est possible et qui, sans le décrire, nous permettent de le nommer, de le penser, de le pratiquer. Invention et création continuée de l'Europe, l'Amérique annonce objectivement un monde où il n'y aura plus de médiations, ni d'empêchement : plus d'économie, plus de politique, plus lieu de s'exiler. Parole d'un témoin. Cette rime, dans l'ordre de ce discours, telle que ses assonances la développent dans sa strophe puis dans la suivante et dernière, et telle que les images explicitent la richesse de ses cinq homophonies, les raisons poétiques de cette rime inaugurent, ici et maintenant, un processus d'immortalité. Pierre Campion |