Cours sur le thème « Mesure et démesure ». Ce texte est le plan d'un cours de Philosophie fait en classes préparatoires au Lycée Chateaubriand de Rennes. Christine Février est professeur de Philosophie en Classes Préparatoires Économiques et Commerciales et en Classes Préparatoires Scientifiques au Lycée Chateaubriand de Rennes. Prépas scientifiques
2003-2004 Épreuve de français et de
philosophie « Mesure et démesure » Gorgias de Platon, traduction Monique Canto Sperber (édition Garnier Flammarion) Gargantua de Rabelais, édition Gérard Defaux, collection Bibliothèque Classique, Le Livre de Poche Dom Juan de Molière ----- Plan du cours de Mme Ch. Février - Lycée Chateaubriand à Rennes 35000 Ce cours combinera
l'étude des questions posées par le thème « Mesure et démesure » et
l'approche plus spécifique que chacune de nos œuvres en propose. Introduction:
Nous prendrons la mesure des
problématiques induites par notre thème, d'une part à l'aune de l'analyse
sémantique et conceptuelle des termes « mesure » et
« démesure », et de leurs rapports, d'autre part en présentant les
trois œuvres qui servent d'étalon de mesure à la réflexion. I - analyse sémantique et conceptuelle des termes
« mesure » et « démesure ». 1- Le champ sémantique du terme « mesure » est vaste. 1.1-
L'étymologie. 1.2-
Les définitions et expressions consacrées par l'usage. 1.2.1- Mesurer c'est dénombrer, quantifier, mais aussi estimer, évaluer. Il est question de proportion, de critère, d'échelle de mesure, de moyenne, de norme. 1.2.2- Le deuxième sens de mesure exprime la notion morale de modération. Agir avec mesure, avoir le sens de la mesure, être mesuré. 1.2.3- Le terme « mesure » peut désigner aussi les mesures à prendre, adaptées à une situation. 1.2.4- Le quatrième sens appartient au vocabulaire technique de l'escrime : « la distance convenable pour porter un coup ». 2- La démesure n'est pas seulement l'absence de mesure, elle implique, comme le préfixe « de » l'indique, une sortie de la mesure, un débordement, une transgression. 2.1- L'usage le plus courant de « démesure » retient surtout l'idée de dépassement de la mesure. Toutefois cela peut prendre deux sens qui ne se recoupent pas nécessairement. 2.2- Tableau récapitulatif des antonymes et des synonymes de « démesure ». 2.3- Mais on peut méditer aussi le propos de M. Haar dans La Mise en œuvre de la démesure : « La démesure n'est pas l'excès, elle est le refus des limites et non leur simple franchissement. Rejetant toute norme, elle s'affirme comme sa propre mesure unique, exceptionnelle, exorbitante. » 2.4- Et est-il si judicieux de qualifier de démesure ce qui est régi par une autre mesure ? II - Le « et », dans l'intitulé du
thème, invite à réfléchir aux diverses modalités de la mise en relation des
termes « mesure » et « démesure ». 1 - Associer (« et ») mesure et démesure situe la réflexion dans l'ordre de l'humain, et dans ce contexte la pertinence du « et » plutôt que du « ni…ni » est incontestable. 2 -
Et on peut
choisir l'une ou l'autre. 3 -
Toutefois on peut
penser la relation entre mesure et démesure en termes de réversibilité
(« et »). 4 -
Quoi qu'il en
soit, certaines distinctions logiques et certaines qualifications morales
s'appliquent à la mesure comme
(« et ») à la démesure. 5 -
L'antériorité
lexicale et logique du terme « mesure » suggère peut-être une
primauté ontologique voire une supériorité axiologique de la mesure. Ne faut-il pas
chercher une évaluation plus équilibrée (« et ») ? III -
De
quelle manière les trois œuvres abordent-elles le thème « mesure et
démesure » 1 -
Platon dans Gorgias, dialogue philosophique de la Grèce classique, oppose le philosophe Socrate,
figure exemplaire de la véritable mesure, à ses interlocuteurs qui font le
choix aberrant de mesurer l'existence à l'aune de la rhétorique et du plaisir. 2 -
Rabelais dans son
roman débordant de verve et de rire, Gargantua, se fait l'écho complexe
de la nouvelle mesure de l'homme proposée par la renaissance humaniste. Par
contre, sa satire joyeuse des « sorbonnards » et autres fanatiques,
est implacable. 3 -
Molière, se
mesurant aux libertins et aux dévots, qui s'affrontent dans le grand siècle,
écrit avec Dom Juan une comédie sombre où il est question de savoir si
la grandeur de l'homme peut excéder toute mesure. 4 -
on peut énumérer
des points communs aux trois œuvres dans leur manière d'aborder le thème. 4.1 - Elles ont en commun d'être écrites à des époques de bouleversement déstabilisant la mesure à laquelle s'adossait le jugement de leurs contemporains. Il s'agit alors de réfléchir à la bonne mesure. 4.2 - Elles s'achèvent toutes trois par une référence à une transcendance qui donne la mesure de l'humain : la sortie de la mesure constitue une faute, même si cela n'a pas la même signification dans chacune des trois œuvres. 5 -
on peut énumérer
des différences entre les trois œuvres dans leur manière d'aborder le thème. 5.1 - La diversité des genres témoigne des modalités différentes de leur engagement. 5.2 - Si Gorgias condamne radicalement toute démesure, Gargantua et Dom Juan mettent en œuvre un rapport plus complexe entre mesure et démesure. IV -
des
considérations développées précédemment on déduit les chapitres autour desquels
est constitué ce cours. Chapitre I Avant d'arpenter ce vaste
champ de réflexions que suscite ce thème, il est judicieux d'adopter une mesure
préalable : bien prendre la mesure des intentions de nos auteurs. I - Gorgias de Platon
(sous-titre : sur la rhétorique ) 1- En articulant la question initiale sur la rhétorique et la question centrale sur quel genre d'homme et de citoyen on doit être, on mesure les enjeux de ce dialogue philosophique : quelle mesure et quelles mesures adopte-t-on pour savoir si ce qui est bon pour l'homme c'est de cultiver la mesure ou la démesure ? 2- Préambule (441a-449c) : présentation du lieu de l'entretien, de son but, de ses interlocuteurs . 3- Première partie (449c-462b) : Socrate et Gorgias ; il s'agit de mesurer la valeur de la rhétorique en en précisant la nature. 4- deuxième partie (462b-481b) : socrate et polos ; socrate évalue la rhétorique, les comportements qu'elle suppose (la flatterie) et implique (la tyrannie) à l'aune du bien véritable qui se distingue de la fausse norme du plaisir. en matière de pouvoir, de justice, de morale, socrate et polos ont une échelle de mesure strictement inverse. 5- troisième partie (481b-506e) : socrate et calliclès s'opposent deux mesures de la grandeur de l'homme, deux choix de vie : la vie bien réglée et mesurée de la tempérance et de la justice versus la vie déréglée dans la démesure du plaisir et l'absence de toute contrainte. 6- quatrième partie récapitulative et conclusive (506e-527) : quasi monologue de socrate. la philosophie nous donne la mesure de l'être et nous montre ce qu'est la bonne mesure pour l'homme. même si le choix de la tempérance et de la justice contredisant les fausses mesures en vigueur (le plaisir et le désir d'avoir toujours plus que sa part) est risqué, il faut l'assumer. Au jugement dernier (qui dit la vraie mesure indiscutable de toute chose) c'est ce choix qui sera récompensé. II -
Gargantua
de rabelais 1- Le dizain liminaire et le prologue doivent permettre de mesurer le sens de l'œuvre. Cependant ce n'est pas si simple. 1.1- Le dizain oriente en négatif et en positif le projet moral du livre qui veut montrer combien le rire est une vertu. 1.2- Le prologue tient un discours ambivalent et ouvert sur la méthode de lecture à suivre. Toutefois Rabelais fixe la mesure départageant les bonnes et mauvaises manières de lire. 1.3- Le portrait du narrateur M. Alcofribas n'aide pas à lever l'ambiguïté radicale qui anime le texte. 1.4- En faisant immédiatement buter le lecteur sur une énigme (chap 2) et en terminant de même, Rabelais confirme l'ambiguïté du prologue. 1.5- La difficulté d'interprétation se reflète dans les débats théoriques contemporains tournant autour de deux concepts rivaux : polysémie et polyphonie. 2- Les divers canons esthétiques subtilement et ironiquement entremêlés font jouer de concert mesure et démesure. Cette leçon d'écriture est peut-être aussi une leçon de vie. 3- Une mesure impérative à adopter pour nous, lecteurs du XXIe siècle : ne pas se tromper d'échelle de mesure : 3.1- … Pour saisir la nature et la fonction du rire rabelaisien 3.2- … Pour ne pas ramener le texte à tel ou tel de nos parti pris idéologiques. III -
Dom
juan de molière 1- si plusieurs pièces de molière relèvent clairement de la dramaturgie de la mesure, ce n'est pas le cas de Dom Juan, pièce qui semble pousser les facultés d'interprétation du public à l'extrême. 1.1- On ne peut pas mesurer Dom Juan à l'aune des autres pièces de Molière. 1.2- « Le
choix paradoxal d'une forme si incongrue éclaire d'une lumière trouble le sens
dévolu par Molière à cet étrange monstre qu'il donna au théâtre » (Patrick Dandrey : Dom Juan ou la critique de
la raison comique). 1.3- Molière laisse donc le spectateur sur une indécision ironique autorisant les interprétations les plus contradictoires. 2-
Molière a trouvé
dans cette pièce hors norme un accomplissement à sa mesure. 2.1- Le brouillon des repères est audacieux mais volontaire. 2.2- La position mesurée est absente de la pièce, mais appelée en creux, à en juger par les impasses de toutes les formes de démesure. 3-
Une mesure
impérative à adopter pour nous, lecteurs du XXIe siècle : ne
pas se tromper d'échelle de mesure : 3.1- …Pour ne
pas surinterpréter : « Comment prendre la mesure de ce texte alors
que s'interpose entre la comédie et la lecture que nous en faisons l'ensemble
des développements philosophiques et symboliques suscités par le mythe de Don
Juan » (Patrick Dandrey : Dom Juan
ou la critique de la raison comique). 3.2- …Pour ne pas sous-estimer la portée critique de la pièce au prétexte que certaines formes de démesure nous semblent peu audacieuses. IV- Discussion et réaménagement critique de ces
analyses proposés par les élèves V- Exercice de lecture des œuvres : Parmi les
analyses ci-dessus, choisissez-en trois et cherchez-en l'illustration sous
forme de citations empruntées aux trois œuvres, afin de les ajouter à celles
déjà mentionnées. Chapitre II ce qui donne le mieux la mesure
de la reflexion sur notre thème c'est le questionnement éthique : quelle
grandeur pour l'homme ? à quelle aune mesurer son humanité ? quelle
valeur accorder à la mesure et à la démesure dans la conduite morale ?
quelle mesure adopter pour que l'homme donne sa pleine mesure ? I -
Se
conformer à la lettre aux normes en vigueur, voilà pour certains la bonne
mesure. 1- « un homme de bien, un homme de bon sens croit toujours ce qu'on lui dit et ce qu'il trouve écrit » (Gargantua, 5 ) Pourquoi ? 1.1- Par foi en
Dieu : « est-il possible que vous ne croyiez pas du tout au
ciel ? » (Dom Juan III, I). 1.2- Par attachement à l'harmonie sociale : « de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde » (Dom Juan I, I). 1.3- Par respect scrupuleux de l'autorité, des apparences, de l'opinion : « d'ailleurs la Sorbonne a déclaré cette proposition scandaleuse » (Gargantua, 6). 1.4- Par peur du châtiment divin : « Le ciel punit tôt ou tard les impies » (Dom Juan I, II). 1.5- Par aversion à l'égard des comportements démesurés : « un gentilhomme qui vit mal est un monstre dans la nature » (Dom Juan IV, IV). 2-
On peut opter
pour la mesure non par conformisme mais par cynisme. L'hypocrisie comme faux
mais utile éloge de la mesure. 2.1- « La
valeur fondamentale pour Polos est l'apparence de moralité, même si cette
moralité de façade excuse la plus terrible injustice » (Monique Canto Sperber, Introduction à Gorgias). 2.2- « Le personnage d'homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu'on puisse jouer aujourd'hui, et la profession d'hypocrite a de merveilleux avantages » (Dom Juan V, III). 3-
Les discours à la
mesure du conformisme sont des pseudo-argumentations, confuses et creuses chez
les conformistes scrupuleux, flatteuses chez les conformistes cyniques. 4-
Les mesures à
prendre pour vivre selon cette bonne mesure. 4.1- Faire preuve d'une croyance aveugle : « Il n'y a rien de plus vrai que le Moine bourru » (Dom Juan III, I). 4.2- Préférer l'ignorance : « Notre ancien abbé disait que c'est une chose monstrueuse de voir un moine savant » (Gargantua, 37). 4.3- Savoir sacrifier son plaisir aux convenances : « Il est vrai que je conçois que cela est fort agréable et fort diverstissant, et je m'en accommoderais assez, moi, s'il n'y avait pas de mal » (Dom Juan I, II). 4.4- Être
hypocrite avec détermination : « Il n'y a pas de honte (…)
l'hypocrisie est un vice à la mode et tous les vices à la mode passent pour des
vertus » (Dom Juan V, II). II -
Agir
avec mesure est l'aune à laquelle mesurer l'humanité de l'homme. cela signifie
à la fois être tempérant, juste, et distinguer la bonne de la mauvaise façon de
se rapporter aux normes établies. 1- « Le premier des biens est la mesure » (philèbe). « Vivre sans justice, sans tempérance, voilà quels sont les plus grands maux » (Gorgias). Pourquoi ? 1.1- Parce que
c'est la condition du véritable bonheur : « Celui d'entre nous qui
veut être heureux doit se vouer à la poursuite de la tempérance…il doit fuir le
dérèglement » (Gorgias). 1.1.1-
Selon Socrate : « le bien et le plaisir ne sont pas
une seule et même chose » (Gorgias). 1.1.2- « Ici n'est nul excès » (Gargantua, 52). 1.1.3- « Je suis revenue, grâce au ciel, de toutes mes folles pensées » (Dom Juan IV, VI). 1.1.4- Les bienfaits d'une vie mesurée sont la sagesse et la sérénité. 1.2- Parce que la mesure est dans la nature des choses : 1.2.1-
« Le tout du monde, les sages l'appellent Kosmos ou ordre du monde et non
pas désordre ou dérèglement » (Gorgias) 1.2.2- Grandgousier et Gargantua se veulent fidèles à la « paix du Christ » (Gargantua, 27). 1.3- Par conséquent, la démesure est nuisible en ce qu'elle prive l'homme de sa véritable humanité : « allez ailleurs pour vendre vos abus…quittez ce domaine Face non humaine » (Gargantua, 52). 1.4- La vie règlée n'est donc pas médiocrité mais perfection, puisque être mesuré permet à l'homme de donner sa pleine mesure. 2- être mesuré c'est aussi éviter l'excès de mesure et ne pas prendre aveuglément les normes en vigueur pour la bonne mesure. 2.1- « Ne
soyez pas plus sage qu'il ne faut, mais soyez sobrement sage »(Montaigne, Essais I, 30) 2.2- Si vouloir la mesure signifie aussi respecter des limites, ce ne doit pas être n'importe lesquelles ni n'importe comment. 2.2.1- Pour Socrate, la norme véritable n'est pas l'opinion commune. 2.2.2- Il ne
faut pas non plus se soumettre à des mesures stupides, dogmatiques,
sclérosantes : c'est une des leçons de Gargantua 3- Valoriser la mesure, c'est aussi adopter le langage de la mesure 3.1- Le dialogue philosophique est dans Gorgias l'usage du langage au service de la mesure. 3.2- Quelques exemples de discours mesurés qui font l'éloge de la mesure. 3.2.1- « J'ai tout fait pour modérer… » (Gargantua, 27) 3.2.2- «
Je ne viens point ici pleine de ce courroux que j'ai tantôt fait
éclater… » (Dom Juan IV, VI). 4- Les mesures à prendre pour vivre selon cette bonne mesure. 4.1- Si bien des sages de l'Antiquité se reconnaissent dans cette mesure : « rien de trop », ce n'est pas la position platonicienne. 4.1.1- « L'excès et le défaut détruisent la perfection, tandis que la médiété la préserve ». (Aristote, Éthique à Nicomaque, II, 5) 4.1.2- La conception platonicienne de la mesure n'insiste pas tant sur cette approche quantitative que sur l'évaluation qualitative distinguant entre l'agréable et le bon. 4.1.3- Quoi qu'il en soit, tous seraient d'accord avec Héraclite : « Il faut éteindre la démesure, plus encore que l'incendie » (Fragments,48) 4.1.4- Ce qui suppose du discernement « Connais-toi toi-même » autrement dit, connais ta propre limite. 4.2- Thélème expose un idéal de mesure et peut être pensé comme la mesure de l'idéal. 4.3- « La
mesure séduit peu les modernes, elle ennuie, c'est un préjugé qu'il faut
comprendre et vaincre » (André Comte-Sponville, Dictionnaire philosophique). III -
D'autres
estiment que l'homme ne donne sa pleine mesure que dans la démesure ; dans
le refus de la modération et /ou la transgression des normes en vigueur,
ou plus radicalement dans le refus de l'idée même de limite. 1- La démesure est la seule mesure digne de l'humain 1.1- Dans Gorgias, Calliclès rejette la tempérance mortifère, les normes des « faibles », la « masse des gens », au nom d'une norme véritable, le droit de la nature : c'est la condition du bonheur. 1.1.1-
« Socrate… voici la vérité… le dérèglement, la
liberté de faire ce qu'on veut…font la vertu et le bonheur ». (Gorgias) 1.1.2- Ce principe de vie de chercher à avoir toujours plus est contraire aux lois faites par « les faibles ». Il exprime donc la démesure au sens de non respect des normes en vigueur. 1.1.3- Pour autant, c'est cet éloge de la mesure qui est « monstrueux » : « l'homme qui a fait le plein en lui même n'a plus aucun plaisir…il vit comme une pierre » (Gorgias) 1.1.4-
Et d'ailleurs la véritable norme à respecter est celle
de la nature, et c'est de n'accepter aucune limite : « si on veut
vivre comme il faut, on doit laisser aller ses propres passions, si grandes
soient-elles, et ne pas les réprimer ». (Gorgias) 1.2- Dom Juan par le refus de toute limite, par la transgression des normes en vigueur, affirme la souveraineté de sa liberté : « Il n'y a rien qui puisse arrêter l'impétuosité de mes désirs » (Dom Juan I, II) 1.2.1- Certains contestent ce portrait que les partisans de la démesure trouveraient flatteur ; Dom Juan ne serait qu'un grand seigneur, débauché, désinvolte, animé d'une sorte de cruauté d'esthète. 1.2.2- Mais on peut adresser quelques objections à cette interprétation du personnage. 1.2.3- En tous cas réduire Dom Juan à la démesure de la séduction serait donner une mesure inadéquate du personnage, c'est la radicalité de ses défis qui le caractérise le mieux. 1.2.4-
« Rien de plus joyeux que Dom Juan, rien aussi de
plus souverain, c'est vraiment un héros superbe ». (M. Blanchot, L'Entretien infini) 1.3- « La mesure nous est étrangère, avouons-le, ce qui nous excite, c'est l'attrait de l'infini, de la démesure ».(Nietzsche, Par delà le bien et le mal). 1.3.1- Avec Nietzsche, on assiste à un renversement des valeurs, ce que la morale ordinaire appelle démesure est en fait la véritable mesure. 1.3.2- Le « surhomme », incarnant la vraie mesure de l'homme (qui est la mesure même de la vitalité de la vie), suit une seule règle: «l'expansion joyeuse de soi » ».(Nietzsche, La Généalogie de la morale). 1.3.3- Par conséquent la morale (celle du sens commun comme celle des « sages ») est « une anti-nature ».(Nietzsche, Le Crépuscule des idoles). 1.3.4- Par conséquent « j'ai reconnu en Socrate et Platon des symptômes de déclin » (Nietzsche, La Naissance de la tragédie). 1.3.5- Précisons que Dom Juan n'est pas un nietzschéen avant la lettre. 1.4 - « La
démesure séduit, exalte, fascine, la mesure ennuie » (Comte-Sponville Dictionnaire philosophique) 1.4.1- La démesure, affirmation exaltante d'un dépassement permanent. 1.4.2- La démesure, expression fascinante de la transgresssion : La Part maudite de Georges Bataille. 2- Toutefois maîtrise de soi et discernement, habituellement associés à la mesure, peuvent être compatibles avec la mesure pourvu qu'ils soient à son service. 2.1-
« Faire de la philosophie c'est un bien, aussi longtemps qu'il s'agit de
s'y former ». (Gorgias.) 2.2- Grâce à
son sang-froid et à sa perspicacité, Dom Juan élabore des stratégies
appropriées à ses desseins : « C'est ainsi qu'il faut profiter des
faiblesses des hommes et qu'un sage esprit s'accommode aux vices de son
siècle » (Dom Juan V, II). 3- La grandeur de la démesure se mesure aussi à la sophistication du langage engagé à son service. 3.1- « La rhétorique contient toutes les capacités humaines, et les maintient toutes sous son contrôle » (Gorgias). 3.2-
« Vous parlez tout comme un livre, vous tournez les choses d'une manière
qu'il semble que vous ayez raison…vos discours m'ont brouillé » (Dom Juan I, II). 4- Il faut du courage et de la fermeté d'esprit pour opter pour la démesure 4.1- « Il faut être capable de mettre son courage et son intelligence au service de si grandes passions…tout le monde n'est pas capable de vivre comme ça. » (Gorgias) . 4.2- « Non, non, rien n'est capable de m'imprimer de la terreur » (Dom Juan V, VI). 4.3- Cela
suppose un homme qui « eût la nature qu'il faut pour secouer tout ce
fatras, fouler aux pieds nos
grimoires… nos enchantements » (Gorgias
). IV -
Pour
faire bonne mesure et avoir la conduite la mieux proportionnée au propre de
l'homme, il faut plutôt allier selon une combinaison subtile mesure et
démesure. 1- le jeu complexe de Rabelais dans Gargantua fait mesurer comment cette option audacieuse peut se défendre. 1.1- Rabelais explore la force dynamique de la mesure comme de la démesure afin qu'elles se consolident mutuellement et qu'elles neutralisent la force dangereuse de la mesure comme de la démesure. 1.2- La bonne mesure et la bonne démesure, comme la mauvaise mesure et la mauvaise démesure, ont leur langage taillé sur mesure. 1.2.1- On mesure l'humanité accomplie à un usage raffiné de la parole : le discours d'Eudemon, la lettre de Grandgousier, la harangue de Gallet, le discours que Gargantua adresse aux vaincus. 1.2.2- On mesure aussi l'humanité accomplie à l'aptitude à produire un usage jubilatoire et ludique de la parole. 1.2.3- En revanche c'est par l'emploi sophistique de l'éloquence que se manifeste l'outrance d'une mesure trop rigide et mal assimilée. 1.2.4- L'inhumanité ou la surhumanité est le tombeau de la parole véritable. 1.3- Prendre des mesures qui soient une « dé-mesure » pour construire une bonne mesure. 1.3.1- Mesure et démesure sont à employer chacune comme antidote aux effets pervers de l'autre. 1.3.2- Prendre le parti de rire. 2- Pour des hommes hors-norme pouvant toutefois servir de modèle aux hommes ordinaires, la bonne mesure est de s'affranchir des formes closes de mesure, d'ouvrir d'autres voies renouvelant la conception même que l'on se fait de la mesure, expose Bergson dans les deux sources de la morale et de la religion. V -
Discussion
et réaménagement critique de ces analyses proposés par les élèves VI -
Exercice
de lecture des œuvres : Parmi les analyses ci-dessus, choisissez-en trois
et cherchez-en l'illustration sous forme de citations empruntées aux trois
œuvres, afin de les ajouter à celles déjà mentionnées Chapitre III Faut-il socialement et
politiquement se mettre ou non à la mesure des autres ? On peut sur ce
point aussi énumérer diverses
options. De même en matière de dogme religieux, savoir quelle est la bonne
mesure à adopter suscite des reponses différentes. I - établir
le juste equilibre au sein de la Cité et viser à la concorde constitue le
programme de ceux qui cherchent la mesure. l'horizon idéal de ces mesures
pourrait être le philosophe roi ou la sociabilité harmonieuse des thélèmites. 1- Si on veut faire preuve de mesure, socialement et politiquement, il faut se préoccuper de justice. On examinera plus particulièrement la thèse de Platon dans le Gorgias. 1.1- Certes, la justice socratique définit avant tout la nature morale de l'agent, elle est un principe d'harmonie intérieure en relation avec l'ordre du « Kosmos ». 1.2- Donc la justice sera définie par la construction d'une relation d'ordre sur l'échelle du Bien : « le plus grand mal c'est l'injustice. S'il était nécessaire soit de commettre l'injustice, soit de la subir, je choisirais de la subir plutôt que de la commettre » (Gorgias). 1.3- Mais la justice a aussi une expression politique : « Dans l'âme, l'ordre et la bonne disposition s'appellent loi et conformité à la loi. De là il résulte que les citoyens se comportent selon l'ordre et la loi ». (Gorgias). 2- Si on veut faire preuve de mesure, socialement et politiquement il faut aussi viser à la paix : on examinera plus particulièrement la méditation de Rabelais dans Gargantua. 2.1- Être pacifique c'est être mesuré, et réciproquement. 2.2- La paix véritable et durable suppose de casser la logique de la vengeance (« mesure pour mesure »). 2.3- La guerre n'est légitime qu'en dernière extrémité. 2.4- Les motifs invoqués pour faire les guerres et la démesure de la catastrophe qu'elles provoquent semblent toujours disproportionnés. 3- Respecter la mesure doit donc être la règle de l'action politique. 3.1- Socrate se
présente comme le critère de mesure de la bonne politique : « de mes
contemporains je suis le seul à faire de la politique » (Gorgias). 3.1.1- Car on mesure la véritable politique à l'amélioration morale des citoyens : « auras-tu un autre souci que celui de faire de nous les meilleurs citoyens qui soient » (Gorgias). 3.1.2- Le philosophe est donc celui qui peut prendre les meilleures mesures. 3.1.3- Par conséquent « la rhétorique est une contrefaçon… de la politique » (Gorgias). 3.1.4-La politique démocratique de Périclès est également une contrefaçon de la politique. 3.1.5- Cette
mise au point permet de ne pas se tromper de mesure pour apprécier ce qu'est
avoir du pouvoir : « Il est possible qu'un homme qui fait ce qui lui
plait dans la Cité n'y eut en fait presque pas de pouvoir ». (Gorgias). 3.2-
« C'est, dit Gargantua, ce que dit Platon…les États seraient heureux
lorsque les rois philosopheraient ou que les philosophes règneraient » (Gargantua, 43) 3.2.1- Le monarque, figure régulatrice de la politique pour Rabelais. 3.2.2- Dans ses actes et ses paroles un bon roi est mesuré, c'est-à-dire sage, juste et humble, faisant de l'Évangile sa mesure. 4- Thélème semble cette mesure, imaginaire et idéale, d'une sociabilité harmonieuse. 4.1- Dans les chapitres consacrés à Thélème la fiction se dédouble. Même en marge de la fiction romanesque, la méditation sur la mesure et la démesure demeure. 4.2- « Frère Jean demande à Gargantua de pouvoir organiser son ordre à l'inverse de tous les autres ». (Gargantua, 50) 4.3- Là tout n'est que beauté, amour, spiritualité… 4.4- « Et
les thélèmites, en ce qu'ils agissent selon leur thelema, c'est-à-dire selon un
vouloir spontané dans lequel instinct et sagesse se confondent, se conduisent
de manière naturellement vertueuse puisque leur volonté, pétrie par leur désir,
se confond à chaque instant avec la volonté de Dieu » (Emmanuel Naya, Rabelais, anthropologie
humaniste des passions.) 5- Si Platon adhère totalement au modèle politique du philosophe-roi, Rabelais suggère qu'il faut mesurer notre enthousiasme pour l'utopie thélèmite. II - Imposer
sa mesure aux autres (par flatterie, hypocrisie, violence, esprit de
supériorité ou en se soustrayant aux règles de l'échange et à la justice des
lois) est le programme de ceux qui vivent selon la démesure de leur bon
plaisir. cela peut aller jusqu'à la guerre ou la tyrannie. et pour certains
cela ne disqualifie en rien le choix en faveur de la démesure. 1- La démesure peut consister à se moquer de tout équilibre dans l'échange, à faire croire par flatterie ou hypocrisie, qu'on vise une mesure commune, afin de s'affranchir de toute limite. 1.1- Certes, les partisans de la mesure considèrent qu'au fondement de toute société est le fondement de la parole donnée, l'égalité dans l'échange, la sincérité. 1.2- Mais on peut refuser ces mesures en les considérant comme des contraintes. 1.3- Par la flatterie et l'hypocrisie on se met faussement à la mesure des autres afin de mieux les dominer. 1.3.1- « L'orateur n'est pas l'homme qui fait connaître aux tribunaux…ce qui est juste et ce qui est injuste, en revanche c'est l'homme qui fait croire que « le juste c'est ceci », et « l'injuste c'est cela », rien de plus » (Gorgias). 1.3.2- L'hypocrite imite la mesure pour mieux la transgresser. 2- « Que le meilleur ait plus »/ « commettre l'injustice plutôt que la subir » / « échapper au chatiment » : voilà la mesure de la véritable justice selon Polos et Calliclès. 3-
La tyrannie et la
guerre sont le théâtre des opérations de la démesure. 3.1- « Avoir le pouvoir de faire ce qu'on veut, pouvoir tuer, exiler, et faire tout ce dont on a envie » (Gorgias). 3.1.1- Le tyran Archelaos est la figure de la démesure en politique que Polos admire et envie. 3.1.2-
Picrochole… « sa colère tyrannique » (Gargantua, 27) 3.1.3- La rhétorique confère un pouvoir sans limite, si faire ce qu'on a envie est la mesure du pouvoir. 3.2- La guerre menée par Picrochole : « des excès inouïs … déployant tous les exemples de cruauté » (Gargantua, 29) 3.2.1- La démesure de la violence dans une guerre absurde : « sans ordre ni mesure … dans un désordre comme on n'en avait jamais vu » (Gargantua, 24) 3.2.2- La déraison raisonnante de Toucquedillon et des conseillers de Picrochole. III - Les
normes religieuses suscitent aussi des positions contrastées sur la question de
savoir s'il est de bonne mesure pour l'homme de les suivre ou pas, de les
suivre dogmatiquement ou pas. 1- D'une part la polémique est vive entre les partisans d'une référence au divin comme mesure de l'homme et ceux qui refusent d'y voir la norme absolue à ne pas transgresser. 1.1- « Je vais te raconter une histoire qui t'explique ce qui se passe dans l'Hadès »/ « tu n'as que mépris pour cela » (Gorgias). 1.2- « Ils priaient Dieu le créateur » (Gargantua, 21)…/ « il n'y a rien de saint ni de sacré pour eux qui se sont affranchis de Dieu et de la Raison » (Gargantua, 24) 1.3- « Je crois que deux et deux sont quatre » (Dom Juan III, I) / « l'endurcissement au péché trouve une mort funeste » (Dom Juan V, VI) 2- D'autre part, tout en admettant un fondement religieux de la mesure, on peut contester les excès et débordements de certaines pratiques religieuses, et proposer de mesurer la foi autrement : c'est la perspective de rabelais. 2.1- « Hé mon fils, tu nous a donc apporté jusqu'ici des charognards de Montaigu » (Gargantua, 35). 2.2- « Bienheureux celui qui…tendra toujours au but que Dieu par l'entremise de son cher Enfant nous a fixé pour toujours » (Gargantua, 56). IV- Discussion et réaménagement critique de ces
analyses proposés par les élèves V- Exercice de lecture des œuvres : Parmi les
analyses ci-dessus, choisissez-en trois et cherchez-en l'illustration sous
forme de citations empruntées aux trois œuvres, afin de les ajouter à celles
déjà mentionnées. Chapitre IV l'art est peut-être le domaine ou
l'accord est le plus grand pour envisager favorablement un subtil
équilibre entre mesure et demesure, d'ailleurs gargantua et dom juan
chacun à leur manière interrogent la valeur esthétique respective de la mesure
et de la demesure. Pourtant ils font l'objet d'une réception contrastée
témoignant d'une pluralité d'échelles de valeur I - on
peut mesurer de plusieurs façons combien la mesure et la demesure s'harmonisent
quand on se place dans le registre esthétique. 1- Nietzsche dans la Naissance de la tragédie postule que combiner la mesure appolinienne et la demesure dionysiaque est le propre de l'art. 2- Malraux suggère que l'art nous ouvre un monde à notre mesure : « par l'art on sort d'un monde qu'on subit pour entrer dans un monde qu'on gouverne ». Les Voix du silence 3- La mise en œuvre artistique de la demesure a des vertus cathartiques dans l'esthétique du grotesque comme dans l'esthétique du sublime ou dans les formes romanesques de la modernité 4- « La littérature ne peut vivre que si on lui assigne des objectifs démesurés ». Italo Calvino, Leçons américaines. II - Rabelais
bouleverse tous les codes esthétiques en vigueur, toutefois à l'énormité de
l'invention s'allie la maîtrise formelle : tout oser, donc, mais au
service d'une sagesse. 1- Rabelais brouille les critères de la mesure esthétique de son époque. 2-
L'esthétique de
l'abondance semble illustrer un goût immodéré pour la démesure. 3- Mais « la belle démesure de Rabelais n'est artistique que par la mesure qui la domine et la surmonte ». Comte-Sponville, Dictionnaire philosophique. 4- Quoi qu'il en soit, l'œuvre de Rabelais fut située en bas et en haut des échelles esthétiques : « c'est un monstrueux assemblage d'une morale fine et d'une sale corruption » La Bruyère / « son éclat de rire énorme est un des gouffres de l'esprit » Victor Hugo. III - Dom
Juan est une pièce atypique qui se soustrait au carcan de l'orthodoxie
esthétique en vigueur pour mieux proportionner la forme et le fond. 1- Dom Juan ne se conforme pas aux règles de l'esthétique classique, il forge une autre esthétique davantage à sa mesure. 2-
Cela n'empêche
pas de retrouver dans Dom Juan certaines des règles traditionnelles
auxquelles les préoccupations théatrales et éthiques de Molière soumettent son
œuvre. IV- Discussion et réaménagement critique de ces
analyses proposés par les élèves V- Exercice de lecture des œuvres : Parmi les
analyses ci-dessus, choisissez-en trois et cherchez-en l'illustration sous
forme de citations empruntées aux trois œuvres, afin de les ajouter à celles
déjà mentionnées. Chapitre V Face à cette pluralité de
réponses (Chapitres II, III et IV), on peut vouloir trancher et chercher, par
la mesure du réel et un usage réglé du langage, les normes vraies . cette
démarche essentialiste rencontrera des contradicteurs. Pourra-t-on clore la
question de savoir si la mesure et la démesure sont des valeurs absolues ou
relatives ? I - On
peut atteindre la verité sur la nature des choses. Et comme le devoir-être se
mesure à l'être, on peut départager de façon indiscutable les normes vraies
des fausses, et savoir dans quelle forme de vie la grandeur de l'homme doit
nécessairement se réaliser. S'en déduit toute l'importance de l'éducation. 1- Deux remarques préalables 1.1- Le plus souvent, la référence à une norme absolue conditionne le choix en faveur de la mesure, mais pas nécessairement. 1.2- Le plus souvent, opter pour un critère de légitimité c'est imposer à tous le même type de comportement, mais pas nécessairement. 2- Dans la perspective essentialiste, dont la philosophie platonicienne est représentative, on postule l'existence d'une norme absolue et vraie… 3- … qu'on peut connaître en suivant une méthode particulière 3.1- La méthode préconisée par Platon. 3.1.1- Ce ne peut être que la démarche philosophique dialectique, car la rhétorique est une contrefaçon du savoir. 3.1.2- Ainsi on dispose d'un critère pour distinguer savoir et croire. 3.1.3- On peut distinguer également un art véritable d'un « savoir-faire, une routine » (Gorgias). 3.1.4- Et
ainsi, connaître c'est savoir en toute chose repérer les bonnes
proportions : « tu ne fais pas attention à la géométrie » (Gorgias). 3.2- La méthode préconisée par Rabelais. 3.2.1- Se débarrasser du dogmatisme religieux qui brouille les repères de la véritable foi. 3.2.2- Adopter le principe d'analogie (principe régulateur de l'épistémologie de la Renaissance). 3.2.3- Éliminer les raisonnements inconséquents aboutissant à une science stérile, faire reculer par une curiosité universelle les frontières du vieux monde, éviter le dévoiement du langage. 4- S'il y a des normes ontologiquement vraies, alors les normes concurrentes ne sont pas d'autres normes mais de fausses normes. 5- Par conséquent l'être est la mesure du devoir-être, la connaissance joue un rôle moral et politique. 6- Les méthodes et les finalités de l'éducation doivent donc se proportionner à cette mesure de l'être. 6.1- Refuser
l'éducation sophistique et fonder l'éducation sur la philosophie, garante de la
justesse du savoir et de son usage : « Je ne cesse de m'examiner afin
de faire paraître devant le juge l'âme la plus saine qui soit ». (Gorgias). 6.2- Rabelais condamne sans équivoque les méthodes des précepteurs « sorbonagres », mais s'il se fait le porte-parole de la pédagogie humaniste, c'est avec cette distance critique qui est le meilleur de l'éducation. 6.2.1- Les méfaits d'une pédagogie inepte, animée par des maîtres bêtes, aux méthodes abrutissantes. 6.2.2- Ponocrates leur oppose une éducation humaniste baignée de lumière divine, alliant savoir livresque et observations pratiques. 6.2.3- L'éducation à la mesure véritable de l'homme concerne à la fois l'esprit et le corps, avec toutefois moins de sérieux que ne le recommande Ponocrates. II - Cette
perspective essentialiste est contestée par la perspective relativiste :
« qui peut encore se passionner pour de millénaires bavardages sur le
bien et le mal quand on a établi que ce ne sont pas des constantes mais des
valeurs fonctionnelles ? » (Robert Musil, l'Homme sans qualités) 1- trois remarques préalables 1.1- Aucune de nos trois œuvres ne défend cette position. 1.2- Défendre cette position ne signifie pas qu'on est nécessairement partisan de la mesure, pas plus que de la démesure, ni qu'on abandonne la distinction entre mesure et démesure. 1.3- On peut essayer d'examiner cette position sans le filtre disqualifiant de la position essentialiste. 2- On peut adresser certaines objections au postulat des normes transcendantes, comme au postulat d'un langage qui puise dans la réalité sa mesure. 3- On peut considérer le « polythéisme des valeurs » (Max Weber), sur la mesure et sur la démesure comme indépassable. 4- On peut ne pas considérer que l'être est la mesure du devoir-être, et radicalement dissocier l'approche cognitive de la mesure et l'approche morale : le savoir n'a pas de dimension éthique. III - Toutefois,
au delà du désaccord sur le fait de mesurer la pluralité des échelles de
valeurs en termes relativistes ou essentialistes, quelques points d'accord. 1- C'est une vérité anthropologique que l'homme ne peut s'affranchir de toute limite. 2- Il y a quelques constantes dans la manière de mesurer les enjeux philosophiques, moraux, politiques et esthétiques du thème « mesure et démesure ». IV- Discussion et réaménagement critique de ces
analyses proposés par les élèves V- Exercice de lecture des œuvres : Parmi les
analyses ci-dessus, choisissez-en trois et cherchez-en l'illustration sous
forme de citations empruntées aux trois œuvres, afin de les ajouter à celles
déjà mentionnées. conclusion générale (sous la forme de quelques plans de dissertation) © Copyright Ch-Février-Rennes-Août- 2003 |