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Christine Février : cours sur le thème « La recherche du bonheur ».

Mis en ligne : 27 septembre 2005.

© : Christine Février.

Ce texte est le plan d'un cours de Philosophie fait en classes préparatoires au Lycée Chateaubriand de Rennes. Il peut faire l'objet seulement d'un usage personnel.

Christine Février est professeur de Philosophie en Classes Préparatoires Économiques et Commerciales et en Classes Préparatoires Scientifiques au Lycée Chateaubriand de Rennes.


 

 

Prépas scientifiques 2005-2006

Épreuve de français et de philosophie

 

« La recherche du bonheur »

 

La Vie heureuse /  La Brièveté de la vie de Sénèque, édition Arléa

Oncle Vania de Anton Tchekhov, édition Actes Sud / Babel

Le Chercheur d'or de Jean Marie Gustave Le Clézio, édition Gallimard collection Folio

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Plan du cours de Mme Ch. Février - Lycée Chateaubriand à Rennes

 

Ce cours combinera l'étude des questions posées par le thème « La recherche du bonheur » et l'approche plus spécifique que chacune de nos œuvres en propose.

 

 

 

 

Introduction

 

le sens et les enjeux d'une réflexion intitulée « la recherche du bonheur », s'appuyant sur les trois œuvres au programme.

 

 

I — analyse sémantique et conceptuelle des termes composant l'intitulé du thème

 

1- Définitions du terme « bonheur », des termes associés et opposés

 

1.1- La notion de bonheur s'inscrit dans le double registre de la contingence favorable et des fins de l'existence : les leçons de l'étymologie « bonum augurium ».

1.2 - Distinguons le sens faible et le sens fort de bonheur : la leçon des expressions courantes.

1.2.1 - Distinguons le bonheur des petits bonheurs : « Si un jour vous passez me voir … j'en serais heureux. » (Oncle Vania, I, p. 25)

1.2.2- Le bonheur se distingue des instants de bonheur : « Je voudrais que cet instant ne finisse pas. » (Le Chercheur d'or, p. 57)

1.2.3- Le sens fort de bonheur renvoie à un mode d'être, un genre de vie, la vie heureuse. 

1.3- On s'accorde généralement sur la définition formelle du bonheur comme un état de plénitude continue et sur les effets heureux de cette plénitude : « Liberté perpétuelle, joie immense, inébranlable et constante, paix et harmonie… » (La Vie heureuse p. 23)

1.4- Aussi doit-on s'interroger sur les rapports entre bonheur, béatitude, félicité, contentement, plaisir, perfection, joie.

1.5- Lorsqu'on définit les composantes de cette plénitude, on constate une pluralité des formules du bonheur.

1.5.1- Le bonheur dans l'amour ? Les richesses et les honneurs ? La vérité ? La vertu ? La liberté ? Le bonheur individuel ? Le bonheur collectif ?…

1.5.2- Dans les représentations collectives le bonheur varie selon les époques : de la vertu à la recherche de l'accomplissement personnel, hédoniste et consumériste, en passant par la nostalgie du paradis, l'utopie politique…

1.5.3- « Précisons que le bonheur antique n'est pas celui dont parlent les Modernes. » (Sénèque , Paul Veyne)

1.5.4- C'est pourquoi on peut comprendre la formule de Saint-Just : « Le bonheur est une idée neuve en Europe », alors même que le bonheur est la grande affaire de l'Antiquité.

1.5.5- Aussi, les différences du contexte culturel correspondant à chacune de nos trois œuvres imposent une vigilance dans la formulation des propos cherchant à convenir aux trois.

1.6- Il faut également distinguer une conception subjectiviste d'une conception objectiviste du bonheur.

  1.7- Si la conception positive du bonheur reste problématique, sa conception négative est plus consensuelle : c'est l'absence de malheur.

1.7.1- Définitions et  figures du malheur et du bonheur sont opposées.

1.7.2- Pourtant, être heureux  ce n'est pas seulement ne pas être malheureux.

1.7.3- Les  rapports entre bonheur et malheur sont plus complexes.

1.7.4- Face au malheur on peut faire preuve de fatalisme, de pessimisme, d'optimisme.

 

2- Définitions du terme « recherche », des termes associés et opposés

 

2.1- Rechercher désigne l'action insistante de chercher.

2.2- On recherche ce que l'on n'a pas mais que l'on désire acquérir, ce qui signifie soit trouver, soit retrouver, soit inventer.

2.3- La recherche suppose effort et volonté, le désir est une condition nécessaire mais pas suffisante.

2.4- La recherche peut être tâtonnante, méthodique, individuelle, collective…

2.5- La recherche aboutit quand on atteint son objectif ou quand on s'en approche, toutefois, réussir ou échouer n'est pas strictement corrélé à trouver ou ne pas trouver.

 

II — on peut en inférer que l'articulation des idées de recherche et de bonheur est pertinente, et dégager les problématiques induites par notre thème

 

1- Effectivement le bonheur fait l'objet d'une recherche

 

1.1- Car on est rarement d'emblée heureux : « je suis très malheureuse, je n'ai pas de bonheur » (Oncle Vania, II p. 54)

1.2- Or « Vivre heureux, ô frère Gallion, qui ne le désire » (La Vie heureuse p. 15)

1.3- Et même quand on connaît des moments de bonheur, on continue à chercher un bonheur durable.

1.4- Même quand le bonheur est censé être toujours là, le comprendre passe par la médiation d'une recherche.

1.5- Que le bonheur fasse toujours l'objet d'une recherche peut-il être contesté ?

 

2- Il est même ce que l'on recherche par excellence

 

2.1- « Le souverain bien c'est l'infrangible rectitude de l'âme … sa santé, sa liberté, sa concorde… Exigeras-tu encore quelque chose de plus grand qui fonde la quête de tout cela ? » (La Vie heureuse p. 36)

2.2- Peut-on ? doit-on ? rechercher autre chose que le bonheur ?

 

3- quoi qu'il en soit de la légitimité de la recherche du bonheur, elle n'est pertinente qu'à certaines conditions métaphysiques, psychologiques et ontologiques

 

3.1- Il faut penser le bonheur comme relevant de notre volonté et de notre liberté et non d'un simple fruit de la chance, sans quoi « la recherche en serait superflue » (Descartes, Lettre à Elisabeth, citée dans La Vie heureuse éd arléa p. 153)

3.2- Volonté et détermination sont indispensables, désirer le bonheur ne suffit pas pour en jouir, en rêver non plus.

3.3- Il faut avoir confiance dans la nature des choses et des hommes et ne pas surévaluer le poids du malheur.

3.3.1- « Je me règle sur la nature…la vie heureuse c'est donc celle qui est en accord avec sa propre nature» (La Vie heureuse p. 22)

3.3.2- Les malheurs ne nous empêchent pas d'être heureux

3.4- Il n'y a pas de bonheur sans conscience d'être heureux : « On ne saurait parler de bonheur chez ce qui n'en a pas la notion » (La Vie heureuse p. 26)

3.5- En revanche « la pensée chinoise [qui] n'a guère développé l'idée de finalité, n'a pas explicité celle de bonheur, s'en est désintéressée » (François Jullien, Nourrir sa vie - se tenir à l'écart du bonheur).

 

4- Expliciter la recherche du bonheur consiste d'abord à le définir

 

4.1- La recherche du bonheur est médiatisée par une interrogation sur ce qu'est la plénitude d'une existence pleinement humaine.

4.2- La pluralité des conceptions du bonheur peut s'ordonner autour de deux problématiques.

 

5- Rechercher le bonheur c'est aussi découvrir les méthodes efficaces pour atteindre le bonheur : l'art d'être heureux

 

5.1- « Il est … difficile de parvenir à une vie heureuse … pour peu qu'on prenne la mauvaise voie. » (La Vie heureuse p. 15)

5.2- Selon la définition du bonheur retenue, la recherche ne suit pas les mêmes chemins.

5.3- Jusqu'à quel point comparer la recherche du bonheur avec la recherche d'un trésor ou avec le voyage est-il éclairant ?

 

6- Quelle place l'autre occupe-t-il dans la recherche du bonheur ?

6.1- Certaines personnes sont des alliées de notre bonheur, d'autres des ennemies.

6.2- Toutefois la recherche du bonheur reste une affaire personnelle.

6.3- Même si c'est une aventure que l'on peut (doit) partager avec autrui, et même si être heureux peut aider d'autres à l'être.

6.4- Les malheurs ou les bonheurs collectifs peuvent influencer le malheur et le bonheur individuel, mais pas nécessairement.

6.5- Être heureux peut passer par le fait de contribuer au bonheur de l'humanité.

6.6- L'articulation entre bonheur individuel et bonheur collectif est complexe .

6.7- Donc la recherche du bonheur conduit à s'interroger sur la relation de soi à l'autre, de l'individuel au collectif.

 

7- La recherche du bonheur appelle un bilan

 

7.1- Pour certaines conceptions du bonheur le bilan peut être très positif : « Ce bien solide permanent, beau, …il n'y a pas à la chercher bien loin, on le trouvera, il suffit de savoir vers quoi tendre la main » (La vie heureuse p. 21)

7.2- Mais selon d'autres conceptions du bonheur, il est plus ou moins accessible.

7.3- Cependant le caractère fructueux de la recherche dépend-il uniquement du fait que le bonheur est atteint ?

 

8- Conclusion : Mises en garde

 

III — La vie heureuse et la brièveté de la vie de sénèque abordent le thème de la recherche du bonheur en accentuant telle ou telle problématique, suivant leur cohérence interne propre.

 

1- Résumé analytique

 

1.1- La Vie heureuse (~58)

1.2- La Brièveté de la vie (~49-55)

1.3- Relations entre La Vie heureuse et La Brièveté de la vie

   

2- La réflexion de sénèque  sur le thème de la recherche du bonheur dans ses deux œuvres

 

2.1- La vie heureuse, autrement dit le souverain bien : « c'est une âme libre … inaccessible à la crainte…pour qui le mal unique [est] l'indignité morale » (La Vie heureuse pp 24-25).

2.2- La vie heureuse suppose « un jugement droit » (La Vie heureuse p. 28), rompant avec le « vulgaire, le plus mauvais interprète de la vérité » (La Vie heureuse, p. 19).

2.3- Et puisque c'est sur la nature que se règle la raison, « C'est donc la même chose de vivre heureux et de vivre selon la nature » (La Vie heureuse p. 32).

2.4- « Surgiront de la connaissance du vrai une joie immense et inaltérable. » (La Vie heureuse p. 26).

2.5- « Donc c'est sur la vertu que s'édifie le véritable bonheur », « qu'on cesse d'associer des notions incompatibles comme la volupté et la vertu » (La Vie heureuse p. 42).

2.6- Dans cette recherche du bonheur la richesse (le pouvoir, les honneurs, la beauté…) a un statut de préférable mais aussi d'indifférent.

2.7- Ce qui compte c'est de progresser en sagesse : « viser des accomplissements impossibles même aux âmes les plus grandes » (La Vie heureuse p. 60).

2.8- Comme le caractère bref de l'existence humaine rend malheureux, Sénèque s'emploie à définir un rapport au temps qui rende heureux : « Mettre à profit un loisir voué à la sagesse » (La Brièveté de la vie p. 129).

2.9- Conclusion : La conception stoïcienne du bien humain comme vie bonne et heureuse engage une philosophie, une psychologie, et une théorie de la rationalité pratique, défendant une conception objectiviste du bonheur.

 

3- traitement stoïcien d'un certain nombre de sujets de dissertation sur le thème

 

IV — oncle vania de anton tchekhov aborde le thème de la recherche du bonheur en accentuant telle ou telle problématique, suivant sa coherence interne propre.

 

1- Résumé analytique

   

2- La réflexion sur le thème de la recherche du bonheur que l'on peut dégager

 

2.1- Aucun des personnages principaux n'est heureux mais tous sont porteurs, en creux, de diverses conceptions du bonheur.

2.2- Au cœur de tous leurs dialogues on retrouve leurs jugements réciproques sur le bonheur.

2.3- On assiste à une oscillation entre une immobilité mortifère dans le malheur et des tentatives plus ou moins vaines de rechercher le bonheur.

2.4- La pièce s'achève sur un constat sombre mais pas nihiliste.

2.5- Ainsi Tchekhov, en montrant lucidement les manques et les défauts de la réalité, espère rendre la vie meilleure ; à ce titre son théâtre est une recherche du bonheur.

 

3- L'apport de cette pièce au traitement d'un certain nombre de sujets de dissertation sur le thème

 

V — le chercheur d'or de J.M.G le Clézio aborde le thème de la recherche du bonheur en accentuant telle ou telle problématique, suivant sa cohérence interne propre.

 

1- Résumé analytique

   

2- La réflexion sur le thème de la recherche du bonheur que l'on peut dégager

 

2.1- À la recherche d'un trésor censé lui permettre de retrouver le paradis perdu de son enfance, Alexis traverse des aventures heureuses ou malheureuses qui le conduisent au véritable bonheur .

2.2- Les autres personnages, excepté le timonier et le corsaire suivent un itinéraire moins heureux (ou jugé moins heureux…) leur recherche échoue.

2.3- Ainsi Le Clézio agence de manière fictionnelle des liens possibles entre bonheur rêvé et bonheur réel, bonheur des origines et bonheur futur, bonheur dans la vie naturelle et bonheur dans la société.

2.4- Les choix littéraires et stylistiques de Le Clézio sont une leçon de bonheur.

 

3- L'apport de ce roman au traitement d'un certain nombre de sujets de dissertation sur le thème

 

VI — des considérations présentées ci-dessus on déduit les quatre chapitres de ce cours.

 

 

VII — le corpus qui alimente notre réflexion.

 

 

1- Sur le thème « la recherche du bonheur.

   

2- Sur Sénèque, La Vie heureuse, La Brièveté de lavie, et sur le stoïcisme.

 

3- Sur Tchekhov, et sur Oncle Vania.

 

4- Sur Le Clézio, et sur Le Chercheur d'or.

 

 

VIII — Dossiers Constitués sur chacune des œuvres et son auteur, présentés en complément du thème.

 

 

Chapitre I

 

La recherche du bonheur : tout d'abord une recherche de définition « il faut déterminer d'abord à quoi nous aspirons » La Vie heureuse, p. 15

 

 

Préambule : Remarques préalables quant à l'esprit du chapitre et sujets de dissertation en lien avec ce chapitre.

 

I -  Pour des raisons logiques, métaphysiques… on pourrait ne pas entreprendre de démarche recherchant à définir le bonheur.

 

 1- Il serait impossible de définir le bonheur, car forger toute définition suppose une démarche rationnelle de conceptualisation.

 

1.1- « Le bonheur est un idéal non de la raison mais de l'imagination » Kant, Fondement de la métaphysique des mœurs.

1.2-  « Quand on veut aller jusqu'au bout dans l'analyse de la notion (…) on s'aperçoit qu'elle n'a aucune signification pour notre entendement normal » Cazeneuve Bonheur et civilisation.

1.3-  On ne peut donner du bonheur une définition cohérente « Puisqu'il doit répondre à des exigences incompatibles » Mauzi, L'Idée de bonheur dans la littérature et la pensée au XVIIIème.

 

2- Il serait impossible de donner une définition du bonheur, car toute définition véritable suppose une unification conceptuelle.

 

2.1- Le bonheur est un concept pluriel et contextuel..

2.2-  Chaque bonheur est singulier et incommensurable.

2.3- Dans une perspective subjectiviste, chercher à définir Le bonheur est absurde.

 

3- La question serait même peut-être sans objet.

 

3.1- Pour le pessimiste le bonheur est un mot vide de sens.

3.2- Si on décide de «pencher du côté des plus nombreux » (La Vie heureuse p. 18), la définition du bonheur va de soi, on n'a pas à la rechercher.

 

4- on pourrait se refuser à définir le bonheur pour ne pas le figer dans un cadre normatif.

 

5- Au mieux pourrait-on donner une définition négative du bonheur. la recherche définitionnelle ne pourrait pas être plus fructueuse.

 

5.1- « La satisfaction, le bonheur comme l'appellent les hommes, n'est dans son essence rien que de négatif (…) c'est l'absence momentanée d'insatisfaction. » Schopenhauer, (Le Monde comme volonté et comme représentation)

5.2- « On s'estime déjà heureux de s'être sauvé du malheur » Freud (Malaise dans la culture).

 

II -  Mais puisque tous les hommes désirent être positivement heureux ils se sont essayés par plusieurs voies à trouver la bonne définition du bonheur : « L'idée de bonheur appartient à la fois à la réflexion, à l'expérience et au rêve. On peut la rechercher au sein d'un système de morale, dans la trame d'une vie, à travers une fiction. » Mauzi, L'idée de bonheur dans la littérature et la pensée  au XVIIIème.

 

 1- La raison déduit de la nature de l'homme ce qu'est le bonheur.

 

1.1- « Je dispose d'une  (…) lumière pour distinguer le vrai du faux, c'est à l'âme qu'il incombe de découvrir le bien de l'âme» (La Vie heureuse p. 19).

1.2-  Ainsi dans la perspective objectiviste c'est la connaissance des biens humains, référents objectifs du bonheur, et non la sensation de satisfaction qui permet de savoir ce qu'est le bonheur.

 

2- La définition du bonheur peut se forger également empiriquement par constraste avec l'expérience du malheur.

 

2.1- Les idées de bonheur sont souvent le résultat d'un processus d'inversion de la réalité insupportable du malheur : « Il y a si longtemps que je dors dans la boue que le bois du pont (…) me semble le paradis. »(Le Chercheur d'or, p. 307)

2.2-  Dans Oncle Vania les personnages s'interrogent mutuellement pour savoir si l'autre est heureux : « est-ce que tu es heureuse ?  Non. » (Oncle Vania, II, p. 53)

2.3-  « Après ce qui vient d'arriver, j'ai vécu tellement de choses, j'ai tellement réfléchi, que je crois que je pourrais écrire (…) tout un traité d'art de vivre » (Oncle Vania, IV, p. 93).

 

3- Certains moments de plénitude semblent faire pressentir sur le coup ou après coup ce que serait le bonheur : Le jugement s'élabore   à partir de la sensation.

 

3.1- La sensation de l'euphorie corporelle, de la jubilation d'exister, semble une bonne voie à explorer pour savoir ce qu'est le bonheur «  Rien n'existe plus, rien ne se passe. Il n'y a que cela, que je sens, que je vois, le ciel si bleu, le bruit de la mer … et l'eau froide qui coule autour de ma peau. » (Le Chercheur d'or, p. 17)

3.2- Dans la perspective subjectiviste, la pleine satisfaction éprouvée suffit à identifier et définir pour soi le bonheur.

 

4- Les rêves, les fictions, les mythes, expérimentations imaginaires du bonheur, sont aussi un mode de recherche de définition.

 

 

III-   Les recherches de définition du bonheur débouchant sur des  conclusions parfois inconciliables, quel cap faut-il tenir pour découvrir la bonne définition ? Il ne faut pas seulement chercher si le bonheur est définissable et comment. il faut aussi chercher un critère pour distinguer le véritable bonheur des pseudo bonheurs.

 

 1- Rechercher la définition du bonheur c'est en trouver de nombreuses.

 

1.1- Le bonheur consisterait dans la satisfaction de tous les désirs.

1.1.1- Jouir de l'intensité des passions : « des jouissances débordantes » (La Vie heureuse, p. 37.

1.1.2- « Je veux vivre, j'aime le succès, la célébrité » (Oncle Vania, II, p. 34).

1.2- Le bonheur résiderait dans l'amour.

1.2.1- « Permettez-moi de vous parler de mon amour, ne me chassez pas, ce sera pour moi le plus grand des bonheurs. » (Oncle Vania, I, p. 30). 

1.2.2- « Comme nous nous envolons dans le ciel ». (Le Chercheur d'or, p. 234)

1.3-  Le bonheur résiderait dans la jouissance de sa propre existence ou dans la fusion avec le monde.

1.3.1- Le bonheur existentiel, un état de suffisance intime aussi vide que plein : J.-J. Rousseau, (Rêveries du promeneur solitaire)

1.3.2- Le sentiment océanique : « Il n'y a rien entre moi et le ciel. » (Le Chercheur d'or, p. 134)

1.4- Le bonheur se confondrait avec la sagesse et la sérénité.

1.4.1- « La sagesse est la plus plaisante des activités. Elle paraîtra la seule à être aimée pour elle-même. » Aristote, Éthique à Nicomaque.

1.4.2- « Rapporter toute préférence et toute aversion à la santé du corps et à la tranquillité de l'âme puisque c'est la perfection même de la vie heureuse. » Épicure, (Lettre à Ménécée).

1.4.3- « la vie heureuse se fonde alors invariablement sur un jugement droit et assuré. Car alors, l'âme est pure et délivrée de tous les maux » (La Vie heureuse, p. 27).

1.4.4- Être heureux, c'est « vivre à propos ». Montaigne Essais.

1.5-  Le bonheur désignerait la liberté créatrice.

1.5.1- « L'homme a été doué de raison et de force créatrice pour multiplier ce qui lui était donné. ». (Oncle Vania, I, p 27).

1.5.2- Le bonheur considéré comme l'un des beaux-arts. Polin

1.6-  Le bonheur se confondrait avec la béatitude en Dieu.

1.6.1- « Dieu seul peut combler l'homme ». Saint Thomas d'Aquin, Somme Théologique.

1.6.2- « Dieu aura pitié de nous (…) nous verrons une vie lumineuse, splendide, plein de grâce, et nous nous réjouirons ». (Oncle Vania, IV, p. 99). 

 

 2- La recherche ne peut s'arrêter là, certaines de ces définitions s'avèrant inconciliables

 

2.1- Sénèque oppose le bonheur selon « la foule » et selon « le sage ».

2.2- Sénèque oppose le bonheur d'un « homme absorbé » à celui d'un « homme de loisir ».

2.3- Dans Oncle Vania, Voïnitski oppose sa conception du bonheur jusqu'à l'arrivée de Sérébriakov à celle d'après.

2.4- Dans Oncle Vania la conception du bonheur d'Astrov est incompatible avec celle de Sonia.

2.5- Dans Le Chercheur d'or, Alexis, Laure et Ouma partagent une conception du bonheur opposée à celle de Ferdinand et des Blancs de Forest Side.

 

3 - Première conséquence : Rechercher la définition du bonheur nécessite d'écarter des définitions au contenu contradictoire : « Regarde ceux qui font accourir les autres par l'image du bonheur qu'ils donnent : ils sont étouffés ». (La Brièveté de la vie p. 92) .

 

3.1- « Ils baignent dans les voluptés, mais … cela ne contribuera pas à leur bonheur. » (La Vie heureuse, p. 40 ) .

3.2- « Alors qu'on les tenait pour très heureux, ils ont porté sur eux-mêmes un témoignage véridique en exécrant tout ce qu'ils avaient fait au cours de leur vie. » (La Brièveté de la vie, p. 103).

3.3- « En se repaissant de fausses imaginations (…), tout le plaisir qui en revient ne peut toucher que la superficie de l'âme, laquelle sent cependant une amertume intérieure, en s'apercevant qu'ils sont faux. » Descartes, Lettre à Elisabeth, 6 octobre 1645.

 

4 - seconde conséquence : Il faut, au terme d'une recherche définitionnelle du bonheur, éliminer certaines conceptions indignes, en procédant à un bilan comparatif.

 

4.1- « L'homme qui n'a plus aucun plaisir, il vit comme une pierre » (Calliclès dans Gorgias de Platon).

4.2- « C'est le bien de l'homme que je cherche, et non celui du ventre qui domine surtout chez les bestiaux et les fauves. » (La Vie heureuse, p. 36).

4.2.1- « Un être pourvu de facultés supérieures demande plus pour être heureux ». J. Stuart Mill L'Utilitarisme.

4.2.2- « L'homme heureux est celui (…) pour qui le plaisir véritable est le mépris des plaisirs » (La Vie heureuse, p24).

4.2.3- « Une existence réglée, vaut mieux qu'une existence sans frein ». (Socrate dans Gorgias de Platon).

4.3- « … ceux qui se vouent à la sagesse. Ils sont les seuls à vivre. » (La Brièveté de la vie, p. 129).

4.4- « Vous voulez vivre en accord avec la nature ô nobles stoïciens ; comme vous vous payez de mots. » Nietzsche, Par delà le bien et le mal.

4.5- « Elle (Eléna) est splendide, mais (…) une vie oisive ne peut être pure .» Oncle Vania, II, p. 47.

4.6- « Jamais nous n'avons été aussi heureux depuis que nous savons que les cachettes du trésor sont vides. » (Le Chercheur d'or p. 268).

 

 

Chapitre II

 

En admettant que l'on ait trouvé sa/la définition du bonheur, il reste à savoir s'il est posssible et souhaitable de se mettre en quête du bonheur, et d'agir pour l'atteindre.

 

 

Préambule : Remarques préalables quant à l'esprit du chapitre et sujets de dissertation en lien avec ce chapitre.

 

I -  On peut se demander s'il est pertinent d'entreprendre une démarche active pour atteindre le bonheur.

 

 1-  Il y a bien des raisons (dans des perspectives différentes et parfois incompatibles entre elles) de penser que le bonheur ne se recherche pas.

 

1.1- Il est vain de chercher un bonheur qui n'existe pas ou plus.

1.1.1- « La guigne comme d'habitude. »(Oncle Vania, I, p. 24). « Notre situation… elle est désespérée. » (Oncle Vania, IV, p. 87)

1.1.2- « Tout est sombre, il n'y a plus d'avenir. » (Le Chercheur d'or p. 249).

1.1.3- « …sans but et sans fin, comme sa propre vie. » (Le Chercheur d'or, p. 249).

1.1.4- « …le bonheur ne dure pas. »(Le Chercheur d'or, p. 158)

1.2-  On n'a pas besoin d'une démarche active pour devenir heureux si on se croit déjà heureux ou si on compte sur la chance .

1.2.1- « J'éprouve un indicible bonheur. » (Oncle Vania, I , p. 16).

1.2.2- « Je peux croire au miracle. » (Le Chercheur d'or p. 269)

1.3- Il ne faut pas chercher le bonheur si on veut le trouver.

1.3.1- « Il semble que nous soyons destinés à le trouver que précisément lorsque nous renonçons à le chercher » Max Scheler, Le Sens de la souffrance

1.3.2- Il faut savourer l'idée d'un bonheur possible et ne pas entrer dans la logique déceptive de sa réalisation.

1.3.3- « Son bonheur il ne s'agit pas de le faire, de le vouloir, mais de le voir ». Marcel Jouhandeau, Réflexions sur la vieillesse et la mort.

1.4- L'accablement, le manque de courage et de détermination, empêchent d'entreprendre la recherche du bonheur

1.4.1- « Ah ! la paresse et l'ennui ! ». (Oncle Vania, I , p. 29).

1.4.2- « Je n'attends plus rien du tout. » (Oncle Vania, II, p. 47). 

1.4.3- « Les rides amères…avec quelque chose de fatigué, d'affaibli. » (Le Chercheur d'or).

1.4.4- « Il n'y a pas de bonheur sans une tournure de caractère qui dispose à être heureux. » Marcel Conche, (Analyse de l'amour et autres sujets).

1.5-  Rêver du bonheur, plutôt que le rechercher : « Oh pensées merveilleuses … que c'est bon ». (Oncle Vania, II , p. 47).

 

2- Mais on peut contester ces raisons et justifier de rechercher le bonheur.

 

2.1- Même si on croit à une part de chance, de grâce, le bonheur se conquiert.

2.2- Même si rêver le bonheur rend heureux, cela ne suffit pas. Il faut prendre en charge son bonheur : « …il fallait agir ». (Oncle Vania, I , p. 23).

2.3- Certains types de bonheur ne sont jamais donnés d'emblée.

2.4- Si certains bonheurs sont définitivement compromis, cela ne signifie pas l'impossibilité de tout bonheur.

2.5- Ce n'est pas l'existence humaine qui est malheureuse, mais l'usage qu'on en fait

 

II -  il semble acquis que le véritable bonheur se conquiert. mais faut-il en faire la valeur existentielle à promouvoir par-dessus tout ? Ne peut-on chercher autre chose que le bonheur ?

 

 1- On peut refuser de faire du bonheur la fin suprème de l'existence.

 

1.1- Un parti pris pessimiste disqualifie totalement le bonheur.

1.1.1- L'existence humaine oscille entre la souffrance et l'ennui : Schopenhauer, (Le Monde comme volonté et comme représentation).

1.1.2- « Nos possibilités de bonheur sont limitées par notre constitution». Freud, (Le Malaise dans la culture).

1.1.3- Le bilan de l'existence peut être particulièrement négatif : « De rapports immédiats, purs, libres à la nature et aux hommes, il n'y en a plus, plus du tout. »(Oncle Vania, II , p. 48).

1.2-  Le bonheur est une pure duperie qui rend plus malheureux qu'heureux.

1.2.1- Rechercher le bonheur conduit à une impasse existentielle.

1.2.2- Certaines conceptions du bonheur aliènent l'homme.

1.3- On peut défendre d'autres valeurs qu'on estime existentiellement supérieures, et dont la recherche se substitue à celle du bonheur.

1.4-  On peut même aller jusqu'à faire un certain éloge du malheur.

1.5-  On renoncera alors au bonheur, résolument ou désespérément.

 

2- Toutefois ces raisons font l'objet de contestations.

2.1- La réalité du malheur ne justifie pas nécessairement le pessimisme.

2.2-  Jusque dans la négation du bonheur subsiste une exigence irréductible de bonheur, une affirmation de sa valeur.

2.3-  On peut envisager l'alliance entre lucidité et bonheur.

2.4- Une définition extensive du bonheur assimile au bonheur les valeurs soi-disant supérieures.

 

3- La vie heureuse n'est-elle pas celle qui a la plus grande valeur existentielle, car elle est la plus fidèle à l'être même de l'existence.

 

3.1- « Il y a quelque chose d'ontologique dans le bonheur, c'est un trait essentiel de l'être intime des choses ». Bernard Vergely, (Petit traité sur le devoir de bonheur).

3.1.1- La pensée stoïcienne se réfère constamment aux tendances naturelles de l'homme au bonheur.

3.1.2- « L'énergie jubilatoire de la vie ». Bernard Vergely, Petit traité sur le devoir de bonheur.

3.2- Nos trois œuvres associent constamment (vraie) vie et bonheur, malheur et mort.

3.3- La forte valeur existentielle du bonheur réside dans son pouvoir dynamisant et subversif : « Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse s'élancer ». Charles Baudelaire, (Élévation).

3.4- Être heureux est un devoir : faire hommage à la vie.

3.4.1- « La philosophie antique n'a jamais envisagé d'autre fin concevable aux activités humaines que la recherche du bonheur. » Paul Veyne, (Sénèque).

3.4.2- La joie  est  «  le passage d'une moins grande à une plus grande perfection » Spinoza (Éthique).

3.4.3- « La grande affaire et la seule qu'on doit avoir c'est vivre heureux. » Voltaire Lettre à Madame de Bernière)

3.5- Ce devoir d'être heureux au nom de la vie même, ne concerne pas, bien sûr, les bonheurs mortifères.

 

III -  Mais même si on accorde au bonheur une haute valeur existentielle, y a-t-il convergence ou divergence entre les fins humaines orientées vers le bonheur et celles orientées vers la moralité ? Quelles sont les répercussions sur la valeur à accorder au bonheur ?

 

 1- Affirmer une divergence entre faire son devoir moral et poursuivre son bonheur est un lieu commun.

 

1.1-  L'action morale et la recherche du bonheur semblent s'inscrire dans des logiques différentes.

1.2-  On peut faire son devoir et être malheureux et faire son bonheur sans être moralement bon.

 

2 -  Sénèque réfute ce lieu commun en établissant un lien analytique entre moralité et bonheur.

2.1-  Il refuse de définir la vie heureuse par « l'oisiveté paresseuse alliée aux plaisirs ». (La Vie heureuse, p. 43).

2.2- « L'homme heureux est celui pour qui il n'est rien de bon ou de mauvais hormis une âme bonne ou mauvaise. » (La Vie heureuse, p. 24)

2.3- Donc Sénèque emploie indifféremment les termes « bonheur » et « bien » (La Vie heureuse, p. 19) et « souverain bien ». (La Vie heureuse, p. 23).

2.4-  Au point que l'homme vertueux est heureux même « dans les disgrâces que nous rencontrons sur le parcours de l'existence humaine. » (La Vie heureuse, p. 51)

2.5-  Par conséquent il n'y a aucune réserve à valoriser le bonheur par-dessus tout.

 

3 - Il y a donc détermination réciproque entre la visée du bonheur et la visée de la moralité, pour autant « que la vertu prenne les devants » (La Vie heureuse, p. 45).

3.1- Pour Épicure être heureux rend vertueux.

3.2- Mais même si Sénèque refuse de caricaturer la position d'Épicure, il la rejette : « La vertu, comment gouvernera-t-elle la volupté si elle marche à sa suite » (La Vie heureuse, p. 35).

3.3- Pour Sénèque c'est être vertueux qui rend heureux.

3.4- Donc les deux modalités du lien analytique entre vertueux et heureux ne sont pas interchangeables : «  La joie, l'allégresse, la tranquillité… ne sont que des conséquences et non des accomplissements du souverain bien » (La Vie heureuse, p. 48).

 

4 - Et pour que le souverain bien ne perde pas «  son intégrité » (p. 48), il ne faut pas placer au rang de bien «  les choses extérieures » (La Vie heureuse, p. 32)

 

4.1-Selon Aristote « un homme heureux a besoin des biens du corps, des biens extérieurs et des faveurs de la fortune» (Éthique à Nicomaque).

4.2- Sénèque refuse cette thèse : « De quelle ressource extérieure peut avoir besoin celui qui a réuni en lui tous ses biens » (La Vie heureuse, p. 52).

 

5 - L'eudémonisme (entre autres stoîcien) ne rallie pas tous les suffrages : « les maximes de la vertu et celles du bonheur personnel sont tout à fait différentes…. s'entravent mutuellement » Kant ( Critique de la raison pratique)

 

5.1-La critique kantienne est radicale et refuse de faire du bonheur la valeur suprême

5.2- Néanmoins le bonheur selon Sénèque n'a rien à voir avec «  le bonheur personnel » auquel se réfère Kant.

 

Chapitre III

 

si on sait ce qu'est le bonheur (1er chapitre), si on est convaincu qu'il est à construire (2ème chapitre I) et que c'est le bien le plus précieux (2ème chapitre II/III), alors on cherchera les procédés les plus efficaces pour atteindre le bonheur.

 

 

Préambule : Remarques préalables quant à l'esprit du chapitre et sujets de dissertation en lien avec ce chapitre.

 

I -  Le temps ne sera pas un obstacle au bonheur si on apprend à cesser les jérémiades déplacées sur la brièveté de la vie, à refuser l'agitation stérile comme l'oisiveté frivole, à ne pas se complaire dans le regret, l'ennui et l'attente mortifères.

 

1- « La plupart des mortels (…) s'accordent pour se plaindre (…) nous venons au monde pour une courte vie. » (La Brièveté de la vie, p. 89)

 

1.1- Ce constat fait notre malheur.

1.2- Les tentatives d'occulter la brièveté de la vie augmentent notre malheur .

 

2- Cependant « la vie du sage s'étend très loin (…) il est délivré des lois du genre humain et tous les siècles lui sont soumis comme à un dieu ». (La Brièveté de la vie, p. 134).

 

3- La plupart des façons de vivre le passé, le présent, l'avenir, rendent malheureux « Le passé n'existe plus, il a été bêtement gaspillé en vétilles, et le présent est monstrueux d'absurdité. » (Oncle Vania, II, p. 39)

 

4- Par contre, « c'est le fait d'un esprit assuré et tranquille que de flaner parmi toutes les périodes de son existence ». (La Brièveté de la vie, p. 116).

 

5- Un rapport heureux au temps est déjà du bonheur et favorise au mieux la recherche du bonheur.

 

II -  Certaines manières d'exercer son jugement et sa volonté, d'appréhender le malheur, le désir, le plaisir, le rêve, l'enfance… offrent les conditions subjectives optimales pour l'expérience du bonheur.

 

 1- « Prendre ses malheurs avec philosophie. » ( La Vie heureuse, p. 49), en travaillant sur ses représentations, en faisant preuve de courage et de détermination.

 

1.1- On peut « refuser de croire à la prégnance du malheur » Alain (Propos sur le bonheur).

1.2-  « Ne point nous laisser troubler par ce qu'il n'est pas en notre pouvoir d'éviter. » (La Vie heureuse, p. 51)

1.3- « Il faut vouloir être heureux et y mettre du sien. » Alain (Propos sur le bonheur) : une série de conseils.

1.4-  Le bonheur requiert, donc, lucidité de l'esprit mais aussi force de caractère.

1.5-  Les personnages d'Oncle Vania, le plus souvent complaisants à l'égard de leur malheur, sont incapables d'adopter cet art de vivre.

1.6-  Et pourtant, pratiquer cette médecine de l'âme consolide toujours plus notre expérience du bonheur.

 

2- Ne pas se placer « sous l'emprise de lavolupté » ( La Vie heureuse, p. 38), ne pas se laisser emporter par le désir.

 

2.1- Certes si être heureux c'est aller jusqu'au bout de son désir, il ne faut poser aucune limite.

2.2- Mais pour des raisons pragmatiques et morales, on peut rejeter cette voie qui rend malheureux et dénoncer les biens illusoires.

2.3- Se concentrer sur les biens à notre portée rend pleinement heureux.

 

3- Conjuguer lucidement rêve et réalité.

3.1- Cultiver les effets de réalité des bonheurs imaginaires et ne pas se contenter de dire : « On vit de mirages, c'est toujours mieux que rien. » (Oncle Vania, II, p. 44)

3.2- Faire de la réalité l'alliée du bonheur.

3.3- Garder un certain esprit d'enfance sans se focaliser sur l'enfance.

 

 

4- « Heureux celui dont le jugement est droit. » ( La Vie heureuse, p. 28)

 

 

III -  La recherche du bonheur est essentiellement une quête personnelle, le plus souvent solitaire, mais on peut s'aider mutuellement à être heureux, à certaines conditions.

 

 1-  Refuser toute servitude à l'égard du jeu social est nécessaire pour être heureux.

 

1.1-  Sénèque dénonce les activités et obligations dans lesquelles « nous nous consumons les uns les autres ». (La Brièveté de la vie, p. 93).

1.2-  Par conséquent « nous guérissons à la seule condition de nous distinguer de la multitude. » (La Vie heureuse, p. 18).

1.3- Les personnages d'Oncle Vania se rendent mutuellement malheureux et sont incapables de se déprendre les uns des autres.

1.4- Alexis cultive une solitude heureuse : « Nous avons rêvé des jours de bonheur à Manava sans rien savoir des hommes. » (Le Chercheur d'or, p. 364)

 

 2- L'essentiel est donc : « d'être laissé en paix avec soi-même. » (La Brièveté de la vie, p. 93).

 

2.1-  « Pour ceux dont la vie se déroule loin de toute agitation, rien n'est livré à autrui. » (La Brièveté de la vie, p. 118), tout est consacré au « progrès de (l') âme » (La Brièveté de la vie, p. 97).

2.2- «  Réconciliez- moi d'abord avec moi-même. » (Oncle Vania, II, p. 39)

2.3- « Je suis heureux (…) il me semble que je me suis retrouvé, que je suis redevenu moi-même. » (Le Chercheur d'or, p. 310).

2.4- Être en accord avec soi-même n'a pas une connotation égoïste< et peut même consister à défendre une théorie altruiste du bonheur.

2.5- Par conséquent il n'y a aucune réserve à valoriser le bonheur par-dessus tout.

 

3 - À certaines conditions, les autres peuvent contribuer à notre bonheur et nous au bonheur des autres.

 

3.1- Ainsi Sénèque est reconnaissant de la médiation heureuse des philosophes. « Parmi eux aucun ne dilapide tes années, mais tous t'apportent les leurs. » (La Brièveté de la vie, p. 132).

3.2- Certaines personnes et certains personnages de fiction sont des interlocuteurs privilégiés pour aider Alexis dans sa quête du bonheur.

3.3- Et si le bonheur se conjugue avec l'amour, il n'y a pas de bonheur sans amour partagé.

3.4- Il n'y a pas d'inconvénient à aider l'autre à être heureux ou à sympathiser à son malheur, pourvu que cela n'entraîne pas une aliénation mutuelle.

3.5- En outre, l'homme vertueux et heureux est « soucieux de ses semblables ». (La Vie heureuse, p. 24).

 

4 - Et  il est stérile de se rendre malheureux d'être heureux alors que les autres ne le sont pas.

 

 

5 - Mais il ne faut pas oublier qu'il peut y avoir solidarité entre bonheur individuel et bonheur collectif/malheur personnel et maux de la société.

 

5.1- Astrov se réjouit de contribuer un tant soit peu au bonheur des hommes « dans mille ans »  (Oncle Vania, I, p. 27).

5.2- À la guerre, Alexis n'a en rien une vie heureuse.

5.3- « Cet été est le plus beau, le plus libre (…), nous sommes à l'abri du besoin. » (Le Chercheur d'or, p. 310)

5.4- Les utopies politiques misent sur le bonheur collectif pour assurer le bonheur individuel.

5.5- Toutefois l'articulation entre bonheur privé et bonheur collectif est assez complexe, et le bonheur reste avant tout une affaire individuelle.

 

6 -  Et paradoxalement son malheur ou celui des autres peut aussi être une source de bonheur

 

IV -  Être heureux suppose de construire une relation harmonieuse avec la nature comme avec la société, avec le repos comme avec le travail.

 

 1-  Se plonger dans la nature peut être un ressourcement et une façon de fuir les nuisances de la société.

 

1.1- Ici « nature » n'a pas le sens stoïcien qu'il revêt dans «  vivre selon la nature ». (La Vie heureuse, p. 32)

1.2-  Un rapport libre et immédiat à la nature permet de jouir de sa beauté et d'une certaine euphorie corporelle : « Nous guettons les deux oiseaux parce qu'ils nous rendent heureux. » (Le Chercheur d'or, p. 366)

1.3- Ceci éloigne des maux de la société : « Ayant tout oublié du monde » (Le Chercheur d'or, p. 242).

 

2- Mais on ne peut penser être heureux en posant l'alternative : la nature ou l'histoire, du fait de « la destruction qui menace le monde. (Le Chercheur d'or, p. 247.

 

3 - Il s'agit plutôt de forger une organisation sociale « civilisée », sans s'éloigner de la nature.

 

3.1- Faire de la nature aménagée par le travail le terreau de la civilisation : « Chez eux fleurissent les sciences, les arts. » (Oncle Vania, I , p. 26)

3.2- S'inspirer de la vie naturelle des « Manafs » (Le Chercheur d'or, p. 232) pour forger la vie idéale.

3.3- Ces préoccupations ne sont pas celles de Sénèque : « Tout ce que l'univers nous astreint à souffrir, endurons-le en faisant preuve de grandeur d'âme. » (La Vie heureuse, p. 51).

 

4 - être heureux suppose de se tenir éloigné d'un repos régressif et oisif, comme d'un travail aliénant.

 

4.1- « Vous n'avez rien à faire ; de but dans la vie vous n'en avez aucun. » (Oncle Vania, IV , p. 91).

4.2- « Le travail (….) de toutes ces années je n'ai pas eu un seul jour de liberté. » (Oncle Vania, I , p. 12)

 

 

5 - Mais un travail réparateur peut permettre d'accéder au bonheur du repos mérité.

 

5.1- « Il faut vite travailler. »  (Oncle Vania, IV, p. 89).

5.2- « Nous nous reposerons. »  (Oncle Vania, IV, p. 92).

 

6 - « Seuls mettent à profit un loisir ceux qui se vouent à la sagesse. » (La Brièveté de la vie, p. 129)

 

7 - Conclusion : Le bonheur est-il  dans le pré ?

 

 

V -  « Le bonheur n'est pas de l'ordre de l'avoir mais de l'ordre de l'être. » Robert Misrahi (Le Bonheur. Essai sur la joie)

 

 1- Certes c'est un lieu commun de penser que l'argent est au moins une condition nécessaire du bonheur.

 

 

2- Et qu'il vaut mieux jouir de la beauté qu'être condamné à la laideur : « Oh comme c'est affreux que je ne sois pas belle. » (Oncle Vania, II , p. 50).

 

3 - Pourtant ces avantages sont souvent inutiles et parfois pernicieux pour atteindre le bonheur.

 

3.1- « Si vous étiez restée, la dévastation aurait été terrible. »  (Oncle Vania, IV , p. 92).

3.2- Pour plusieurs personnages d'Oncle Vania, être riche ne compenserait en rien leur malheur.

3.3- « Quelques oiseaux volent au-dessus de moi (…) j'envie leur légèreté (…) ont-ils besoin d'or, de richesses, le vent leur suffit. » (Le Chercheur d'or, p. 216).

3.4- « Pour elle le trésor ne compte pas, elle méprise l'or comme tous les Manafs. » (Le Chercheur d'or, p. 252).

3.5- « Il y a ceux que tourmente (…) la passion du commerce dans l'espoir de s'enrichir. » (La Brièveté de la vie, p. 91).

 

4 - Par conséquent on peut prôner le dénuement.

 

 

5 - À moins de proposer de jouir des richesses sans en dépendre aucunement : « Chez le sage les richesses sont serves, chez le sot elles règnent. » (La Vie heureuse, p. 77)

 

5.1- « La maison splendide, oui certes je l'aime mieux que le pont. » (La Vie heureuse, p. 74).

5.2- « La maison du riche elle-même, que d'occasions offre-t-elle de faire le bien. » (La Vie heureuse, p. 71).

5.3- Mais « Changez mon matelas, je ne serai en rien malheureux. » (La Vie heureuse, p. 74).

5.4- « Les richesses ne sont pas un bien (…) pour le reste je conviens qu'il faille les posséder et qu'elles apportent à la vie de grandes commodités. » (La Vie heureuse, p. 73).

5.5- Mais Sénèque est bien obligé de constater qu'il est difficile de posséder le pouvoir sans qu'il ne vous possède.

 

6 - Conclusion : Le bien véritable est dans la plènitude de l'être.

 

 

VI - « L'activité de philosopher a le caractère d'une activité transitive puisqu'elle est recherche de la sagesse, elle a aussi le caractère d'une activité satisfaisante pour elle-même. » Marcel Conche (Analyse de l'amour et autres sujets).

 

1-  Sénèque fait de la philosophie le moyen d'accéder au bonheur : « Pour lutter contre les égarements des hommes, il faut les instruire et non se lamenter. » (La Brièveté de la vie, p. 114).

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1.1-  La philosophie permet de « savoir ce que sont l'essence de la divinité, sa volonté, quelle destinée attend ton âme. » (La Brièveté de la vie, p. 144).

1.2-  Et par conséquent, la philosophie permet d'être heureux.

 

2- Mais c'est aussi une forme de bonheur en acte : « dans une vie de ce genre t'attendent quantité de belles occupations pour ton esprit, l'amour des vertus et leur pratique … un grand détachement à l'égard de tout. » (La Brièveté de la vie, p. 145).

 

2.1- « Fais retraite vers ces activités plus tranquilles, plus sûres, plus élevées. » (La Brièveté de la vie, p. 144).

2.2-  Cette position stoïcienne s'inscrit dans une tradition qui fait de la philosophie une pensée heureuse autant qu'une pensée du bonheur.

 

3 - C'est pourquoi Sénèque condamne sévèrement les critiques de la philosophie. Non seulement elles sont basses et inadéquates, mais elles privent du bonheur ceux qui seraient sensibles à ces critiques.

 

VII -  On peut aussi pour accéder au bonheur choisir la voie de l'écriture (matériau de la création littéraire ou mode d'expression), et/ou la voie des mythes et celle des légendes.

 

1- L'écriture peut contribuer au bonheur

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1.1- Pour Sénèque l'écriture philosophique n'est pas seulement une mise au point doctrinale, c'est un exercice spirituel par lequel on progresse en vertu et donc en bonheur.

1.2-  « J'aurais pu faire un Schopenhauer, un Dostoïevski. » (Oncle Vania, III, p. 78).

1.3- « Je prends des notes sur les cahiers(…) pour qu'il reste une trace du temps qui passe. » (Le Chercheur d'or, p. 198).

 

2 - Jason et les Argonautes, Robinson Crusoe, Paul et Virginie, Nada The lily, Les corsaires : autant de personnages de fiction ou de légende qui permettent d'explorer, sur le mode imaginaire, diverses voies du bonheur.

 

3 - Même si Tchekhov met en scène le malheur plutot que le bonheur, son théâtre est une médecine des affects, une école de lucidité nécessaire au bonheur.

 

3.1- Dans le théâtre de Tchekhov, on éprouve le bonheur de la compréhension de l'existence, à défaut du spectacle de l'existence heureuse.

3.2- Qui plus est, même si  « La vie n'est pas belle, la représentation de la vie est belle » Arthur Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation

 

4 - Le Chercheur d'or combine le bonheur de l'écriture avec l'écriture du bonheur

 

4.1- Les motifs littéraires du Chercheur d'or comme la structure du roman exemplifient la vie heureuse.

4.2- L'écriture du roman offre une expérience heureuse à l'auteur comme au lecteur.

4.2.1- « Vivre comme un écrivain c'est un peu vivre comme un adolescent… qui cherche à garder ces privilèges de l'adolescence que sont le rêve et l'illusion. » JMG Le Clézio (Le Magazine littéraire, 1998)

4.2.2- Le chercheur d'or, c'est aussi le lecteur du roman en quête de ce trésor que lui promet le livre.

 

Chapitre IV

 

Même si on peut définir et expérimenter des procédures pour s'approcher du bonheur, l'atteindra-t-on ? La recherche du bonheur peut-elle s'achever ? Si on répond non, est-on malheureux ?

 

 

Préambule : Remarques préalables quant à l'esprit du chapitre et sujets de dissertation en lien avec ce chapitre.

 

I -  Bien des obstacles subjectifs et objectifs semblent compromettre la conquète comme la jouissance d'une vie heureuse.

 

 1- Indépendamment de tout a priori pessimiste, on constate souvent une incapacité psychologique profonde à ne pas être malheureux.

 

2- La condition humaine ordinaire  semble vouée au malheur.

 

2.1- « Quel est cet instinct ennemi des Dieux et des hommes qui fait diffamer les vertus ? » (La Vie heureuse, p. 82).

2.2- « L'état normal de l'homme c'est d'être (…) un bouffon de bas étage. » (Oncle Vania, IV, p. 86)

 

3- « Il y a des maladies qui ôtent tout pouvoir de raisonner, et par conséquent de jouir d'une satisfaction raisonnable ». Elisabeth à Descartes, 16 aôut 1645.

 

4- Les maux d'origine sociale qui empèchent d'être heureux sont également trés difficiles à vaincre.

 

5- L'échec de la recherche du bonheur semble annoncée.

 

5.1- Une vie heureuse semble hors d'atteinte.

5.2-  Le bonheur ne pourrait qu'être rêvé.

5.3- Tout au plus, pour ceux qui y croient, le bonheur pourrait se vivre dans un autre monde.

 

II -  Pourtant la recherche du bonheur n'est jamais totalement vaine.

 

1- Soit parce qu'on s'approche toujours plus du bonheur visé : «  Essayer de monter au plus haut » ( La Vie heureuse, p. 60).

 

2- Soit parce que même sans parvenir au résultat recherché, la recherche a atteint le bonheur sous une forme insoupçonnée.

 

2.1- La quête de l'or a conduit Alexis à un autre trésor.

2.2- « Il s'agit de comprendre que le bonheur ne nous manque que parce que nous nous en faisons une idée erronée ». André Comte Sponville, (Vivre)

 

3- Soit parce qu'une forme de vie heureuse s'instaure durant cette recherche du bonheur.

 

III -  Les trois œuvres offrent (explicitement ou en creux) un portrait de l'homme heureux qui n'a rien de chimérique ; convaincant, par là même, des effets bienheureux d'une réflexion sur la recherche du bonheur menée à la manière philosophique ou dans le laboratoire de la fiction.

 

1- Les trois auteurs par des voies pourtant bien différentes convergent, dans une certaine mesure, lorsqu'il s'agit de cerner ce qu'est une vie heureuse.

 

2- La diversite de ces chemins vers le bonheur (ainsi que les leçons qu'ils apportent) offerts au lecteur enrichissent sa propre recherche.

 

Conclusion générale (sous la forme de quelques plans de dissertation)

 

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