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Christine Février : cours sur le thème « Puissances de l'imagination ».

Première mise en ligne : 18 septembre 2006, complétée le 26 septembre, le 17 octobre, le 10 novembre et le 26 dcembre 2006.
Mise en ligne achevée le 22 février 2007.

© : Christine Février.

Ce texte est le plan d'un cours de Philosophie fait en classes préparatoires au Lycée Chateaubriand de Rennes. Il peut faire l'objet seulement d'un usage personnel : aucune reproduction n'en est permise, sous quelque forme que ce soit.

Christine Février est professeur de Philosophie en Classes Préparatoires Économiques et Commerciales et en Classes Préparatoires Scientifiques au Lycée Chateaubriand de Rennes.

 

Prépas scientifiques 2005-2006

Épreuve de français et de philosophie

 

« Puissances de l'imagination »

 

Don Quichotte de Cervantes, édition Points/Seuil

De la recherche de la vérité de Malebranche, édition GF

Un amour de Swann de Proust, édition GF

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Plan du cours de Mme Ch. Février - Lycée Chateaubriand à Rennes

Ce cours combinera l'étude des questions posées par le thème « Puissances de l'imagination » et l'approche plus spécifique que chacune de nos œuvres en propose.

 

Introduction : Le sens et les enjeux d'une réflexion intitulée « puissances de l'imagination », et s'appuyant sur les trois œuvres au programme.

I - Analyse sémantique et conceptuelle des termes composant l'intitulé du thème

1 - « Le terme imagination désigne […] une collection d'expériences faiblement apparentées » Ricœur, Du texte à l'action

1.1 - L' imagination, c'est l'acte de penser qui consiste à former des images d'objets absents ou ne correspondant à rien de réel : « Nous imaginons les objets […] en nous en formant des images. » (RV, p. 20)

1.1.1-    Imaginer c'est représenter de façon sensible des objets dépourvus de présence sensible ; imaginer se distingue de percevoir, concevoir, se souvenir.

1.1.2 -    Si l'imagination forme des images, toutes les images ne sont pas le produit de l'imagination.

1.1.3 -    La matérialité bien réelle dans laquelle peut s'exprimer le travail de l'imagination n'empêche pas l'irréalité ou l'absence de ce qui est imaginé.

1.1.4 - «  On veut toujours que l'imagination soit la faculté de former des images. Or elle est plutôt la faculté de déformer les images […]. » (Bachelard, L'Air et les songes)

1.2 - « L'imagination […] pouvoir d'écart grâce auquel nous nous distançons des réalités présentes. » (Starobinski, La Relation critique).

1.2.1 - L'imagination est l'instrument du possible : « Swann avait envisagé toutes les possibilités. » (ASW, p. 247)

1.2.2 - C'est aussi ce qui produit l'imaginaire au sens de « ce qui n'existe qu'en imagination ».

1.2.3 - Mais « les relations entre le réel et l'imaginaire sont en fait beaucoup plus voisines et intimes qu'on se le figure habituellement. » (C. Rosset, Fantasmagories, l'imaginaire)

1.3 - «  L'imagination […] c'est l'opération même de saisir le semblable. » (P. Ricœur, Du texte à l'action)

         1.3.1 - Le terme grec « eikon » qu'on traduit par image signifie « qui ressemble à  »  : imagination et imitation.

         1.3.2 - «  L'imitation est une technique ; la simulation modélisante et le simulacre sont deux usages différents de cette technique » (J.-M. Schaeffer, Pourquoi la fiction ?)

1.4- On peut aussi définir l'imagination comme activité de modélisation fictionnelle : du jeu à faire comme si au roman en passant par le mensonge.

1.5 - Une des caractéristiques constitutives de l'imagination c'est sa force motrice et pas seulement reproductrice ou créatrice : « Chrysostome subit les tourments bien réels d'une jalousie imaginaire. » (DQ, XIV p. 152)

1.6 - Par conséquent on ne s'étonnera pas de la grande dispersion des usages de ce terme ainsi que des termes associés ; ce dont témoigne d'ailleurs le lexique des langues européennes.

1.7- Même s'« il est vain d'espérer circonscrire l'imagination dans une activité unique, homogène et indépendante » (J. Wunenberger, L'Imagination), évitons un emploi trop lâche de ce terme, car trop peu discriminant.

2 - L'expression « puissances de l'imagination » désigne les pouvoirs (capacités/dispositions) de l'imagination, leur actualisation ainsi que la force, l'emprise, l'impact de l'imagination

2.1 - Le champ sémantique de « puissance »…

2.2 - … appliqué au phénomène de l'imagination

2.3 - La connotation politique ou militaire du terme «  puissances » invite à envisager dans quels rapports de force entre l'imagination, avec quelles puissances elle entre en rivalité ou en coopération ; elle peut s'avérer impuissante comme avoir une puissance irrésistible.

II – On peut donc dégager les éléments de problématisation du thème « puissances de l'imagination »

1 - Les divers pouvoirs (capacités) de l'imagination lui confèrent bien une puissance (impact).

1.1 - La variété de ce que rend possible l'imagination permet de mesurer toute l'étendue de sa puissance.

1.2 - Ainsi l'imagination est telle qu'elle peut figurer, défigurer, préfigurer, reconfigurer, transfigurer la réalité.

2 - On peut décrire objectivement, sans jugement de valeur, les puissances de l'imagination.

2.1- Dans un vocabulaire qui dénote les modalités et les finalités de son efficience.

2.2- Dans un vocabulaire qui dénote le degré de sa puissance ou de son impuissance, la force ou la faiblesse de son impact, les rapports de forces entre puissances.

3 - On est amené également à évaluer ces puissances de l'imagination.

3.1 - Dans un vocabulaire normatif (laudatif, dépréciatif).

3.2 - Ceci renvoie aux traditions qui valorisent ou dévalorisent l'imagination.

3.3 - Toutefois, tous les arguments concluant au caractère bénéfique ou maléfique des puissances de l'imagination sont réversibles.

3.4 - En fait les puissances de l'imagination sont ambivalentes. L'imagination est comme un pharmakon, à la fois poison et remède.

3.5 - On est invité à plus de subtilité encore dans notre évaluation, pour plusieurs autres raisons.

4 - Statuer sur les puissances de l'imagination suppose de prendre en compte leur ambivalence.

4.1 - Condamner les puissances de l'imagination ou en faire l'éloge, radicalement ou univoquement, n'est ni possible ni souhaitable.

4.2 - En revanche bien des attitudes face aux puissances de l'imagination vont prétendre en incarner le bon usage, et faire de l'imagination une puissance éclairée.

5 - La question de savoir quelles puissances accorder à l'imagination est surdéterminée par celle de savoir quel genre de vie on estime bon pour l'homme.

5.1 - Et s'il n'y a pas unanimité quant à la façon d'évaluer ces puissances, c'est qu'il n'y en a pas sur la question de savoir ce qui est bon pour l'homme.

5.2 - Ainsi l'examen des puissances de l'imagination nous conduit à une réflexion globale sur l'homme : « Comprendre ce qu'est l'imagination, c'est comprendre la possibilité de l'humain. » (Ch. Bouriau, Qu'est-ce que l'imagination ?)

6 - Se dessine donc la problématique suivante : quelles bonnes puissances de l'imagination promouvoir pour quelle bonne puissance de l'homme, dans quel bon rapport au réel, aux autres et à soi-même ?

7- Le traitement des sujets de dissertation sur ce thème devra s'inscrire, directement ou indirectement, dans cette problématique.

 

III – Don Quichotte de Cervantes permet d'aborder plus particulièrement certains aspects du thème « puissances de l'imagination »

1 - Résumé analytique de cette fiction romanesque.

1.1 - Les chapitres I à XXXII de la première partie (1605).

1.2 - Brève présentation des chapitres XXXII à LII et de la seconde partie (1615).

2 - Don Quichotte est un roman où triomphe et défaite de l'imagination se mêlent. On y célèbre et critique les puissances de l'imagination selon l'emploi qu'elle fait de ses pouvoirs.

2.1 - Don Quichotte est un homme qui confond la vie et les romans, le réel et l'idéal : « comme il voulait imiter les exploits qu'il avait lus dans ses romans » (DQ, IV, p. 79). Son imagination semble dotée d'une puissance irrésistible.

2.2 - Les images de grandeur et de richesse exercent leur séduction sur Sancho et celles d'amour pur sur Chrysostome. Elles troublent leur perspicacité à distinguer le réel de l'imaginaire : « croyant très sérieusement que […] deviendrait empereur ». (DQ, XXIX, p. 328)

2.3 - D'autres personnages considèrent l'imagination comme ambivalente et qu'il faut en faire un usage lucide et circonstancié.

3 - Cervantes écrit avec Don Quichotte une œuvre d'une radicale originalité et d'une grande fécondité, qui témoigne de la puissance créatrice de son imagination.

3.1- Vie et œuvres de Cervantes, héritier des idées nouvelles des humanistes concernant les pouvoirs ambigus de la fiction.

3.1.1 -    Biographie de l'auteur et chronologie des œuvres.

3.1.2 -    Cervantès a été impliqué dans une des plus grandes aventures historiques et culturelles de l'Espagne.

3.1.3 - La notion d'imagination à la Renaissance.

3.1.4 -    Cervantès disciple d'Érasme, l'auteur de l'Éloge de la folie

3.1.5 -    La question de l'imagination dans l'ensemble de l'œuvre de Cervantes.

3.2 - Un art inédit du mélange narratif mobilise les pouvoirs d'imitation et d'invention de l'imagination.

3.3 - Un prologue qui en dénonçant « ces inventions chimériques que sont les romans de chevalerie » (p. 43), se révèle un véritable exercice de fiction.

3.4 - L'invention d'un auteur fictif est un autre tour de son imagination : « histoire de don Quichotte écrite par Sidi Ahmed Benengeli, historien arabe » (DQ, IX, p. 115).

3.5 - Une formule créative inépuisable.

3.6 - « Il faut honorer dans Cervantès le créateur du roman moderne. » (Heinrich Heine, Don Quizote, 1837)

3.7 - Cette œuvre sollicite puissamment l'imagination interprétative ou figurative des lecteurs.

3.7.1 - Une œuvre ouverte sur les possibles de l'interprétation ; toute lecture est lecture imaginative.

3.7.2 - Don Quichotte, inspirateur d'images et d'imaginaires.

4 - Cervantes mobilise aussi les puissances ludique, cathartique et heuristique de l'imagination.

4.1 - « Il prend un de ces romans […] et on l'écoute avec tant de plaisir qu'on oublie tous nos soucis. » (DQ, XXXII, p. 359)

4.2 - Se servir de son imagination romanesque pour mettre en garde contre la puissance potentiellement néfaste des romans met en œuvre une puissance paradoxale de l'imagination : « Tu conteras les aventures inspirées d'oiseuses lectures fatales. » (DQ, p. 45)

4.3 - L'imagination peut être une puissance éclairante pour mieux saisir la réalité de la condition humaine.

4.3.1 - « Des créateurs comme Cervantes savent donner aux sentiments humains une expression qui tout en étant parfaitement littéraire est si naturelle. » (A. Bellessort, Après une lecture de Don Quichotte, 1917)

4.3.2 - On peut même appréhender la réalité à l'aide de la fiction. Des personnages de romans deviennent des modèles ou des contre-modèles : le « donquichottisme ».

4.4 - Cette création littéraire, dont l'un des thèmes porte sur les rapports entre l'art et la vie, exemplifie le pouvoir de transfiguration du réel par l'imagination.

5 - Distinguer le point de vue de l'auteur sur les puissances de l'imagination et celui que chacun des personnages incarne.

 

IV – De la recherche de la vérité (Livre II, parties 2 et 3) de Malebranche, permet d'aborder plus spécifiquement certains aspects du thème « Puissances de l'imagination »

1 - Dans De la recherche de la vérité, Malebranche propose une théorie générale de la connaissance, et examine comment l'imagination est un obstacle à la vérité, fruit de « l'union avec le Verbe ou la sagesse ». (RV, p. 154)

1.1 - Malebranche : missionnaire de la raison et de la foi

1.2 - Le cadre philosophique et théologique de sa réflexion sur l'imagination : « L'état déréglé auquel le péché nous a réduits. » (RV, p. 129)

1.3 - Brève présentation de De la recherche de la vérité  : « Où l'on traite de la nature de l'esprit de l'homme et de l'usage qu'il en doit faire pour éviter l'erreur dans les sciences. » (RV, sous-titre)

1.4 - Structure du Livre II de De l'imagination.

1.5 - Quelques précisions concernant le vocabulaire de Malebranche.

2 - Malebranche propose une psycho-physiologie de l'imagination qui permet de comprendre comment et pourquoi elle est cause d'erreur le plus souvent, et pourquoi elle est contagieuse, en un mot pourquoi c'est une puissance funeste.

2.1 - « Nous n'imaginons les objets qu'en nous en formant des images. Ces images ne sont autre chose que les traces que les esprits animaux font sur le cerveau. ». (RV, p. 20, II, II, II)

2.2 - Les conditions physiologiques d'une imagination source de vérité sont rarement réunies.

2.3 - Malebranche établit une typologie des imaginations en fonction de leur propension à « nous jeter dans l'erreur » (RV, p. 81).

2.4 - Certaines « manières de vivre » (RV, p. 19) empruntent et renforcent les configurations physiologiques propices à l'erreur, et multiplient le pouvoir trompeur de l'imagination.

2.5 - De surcroît, les imaginations fortes ont un pouvoir de contagion, ce qui renforce le pouvoir de nuisance de l'imagination.

2.5.1- Malebranche constate « une certaine disposition qu'ont tous les hommes pour imiter […]. » (RV, p. 82).

2.5.2 - Et quand le talent littéraire est au service de l'imagination forte, c'est pire que tout : «  Le tour de paroles de Tertullien, de Sénèque, de Montaigne […] a tant de charme qu'il éblouit l'esprit de la plupart des gens. » (RV, p. 106)

2.6 - Malebranche recense et dénonce diverses figures de la puissance d'aliénation de l'imagination : de la mode aux superstitions, en passant par les attitudes intellectuelles nuisibles à la vérité.

2.7 - Les conséquences en sont désastreuses. L'imagination « est la folle qui se plaît à faire la folle » (Malebranche, Entretiens sur la métaphysique et sur la religion).

3 - Il est donc souhaitable de chercher à ne pas subir la puissance de cette imagination trop souvent « déréglée » (RV, p. 9) afin d'éviter de « violer les lois de la raison et les lois de l'Évangile ». (RV,p. 102)

3.1 - D'abord précisons qu'il n'est pas possible d'éliminer l'imagination.

3.2 - Il n'est pas souhaitable non plus de l'éliminer quand elle est bien réglée, car « nous ne saurions guère être attentifs à quelque chose si nous ne l'imaginions ». (RV, p. 15)

3.3 - Mais l'imagination est rarement bien réglée : « Ce n'est pas de cet homme dont il faut parler, c'est des hommes du commun […]. » (RV, p. 13)

3.4 - Par conséquent une bonne connaissance des puissances de l'imagination doit nous prémunir de son impact toujours potentiellement nocif.

 

4 - Malebranche pense élaborer une théorie de l'imagination qui ne doit rien à son imagination

4.1 - Pour Malebranche cette théorie doit tout à Dieu et à la raison considérés comme des données positives.

4.2 - Ce qui est discutable et discuté : Condillac et Diderot, notamment, soulignent, l'un pour la critiquer l'autre pour l'admirer, la forte imagination de Malebranche.

 

V – Un amour de Swann de Proust permet d'aborder plus particulièrement certains aspects du thème « Puissances de l'imagination »

1 - Un amour de Swann fait partie d'À la recherche du temps perdu, création romanesque de Marcel Proust.

1.1 - Vie de Proust.

1.2 - À la recherche du temps perdu renouvelle profondément la composition romanesque : « un roman cathédrale », c'est l'image par laquelle Proust présente son projet.

1.3 - Un amour de Swann, pris dans le tissu narratif et théorique de la Recherche, en est un épisode faussement autonome, et est le miroir de l'çuvre entière.

1.4 - Résumé de Un amour de Swann.

1.5 - Un amour de Swann, hybridation du roman mondain, du roman psychologique, du roman à thèse.

2 - Le narrateur affirmant une « ressemblance » (ASW, p. 56) avec Swann, est capable d'imaginer son drame ; pour autant ce ne sont pas des doubles.

3 - L'amour de Swann : une aberration de l'imagination.

3.1 - L'amour de Swann est une pure construction de son imagination, basée sur la métamorphose d'Odette par l'imaginaire esthétique et sur le fantasme d'abandon.

3.2 - Imaginer les suppositions les plus vertigineuses est, selon l'amant jaloux, la bonne méthode d'investigation : « S'il n'y avait rien entre Odette et Forcheville, pourquoi n'avoir pas ouvert ? » (ASW, p. 157)

3.3 - Et pourtant « Swann avait envisagé toutes les possibilités, la réalité est donc quelque chose qui n'a aucun rapport avec les possibilités ». (ASW, p. 247)

3.4 - Finalement la puissance débridée de l'imagination jalouse de Swann l'a réduit à l'impuissance.

 

4 - Les mises en scène imaginaires ne sont pas toujours éloignées du réel, le rêve ultime de Swann s'avère le moyen d'un retour au réel.

5 - L'imagination est également puissamment sollicitée dans le jeu social : « désir mimétique » (René Girard) et « lois de l'imitation » (Gabriel Tarde).

5.1 - « Pour faire partie du petit clan des Verdurin […] il fallait adhérer tacitement à un credo. » (ASW, p. 49)

5.2 - Il en est de même dans le grand monde : « Elle pensait qu'elle faisait preuve de tact, en ayant l'air d'en avoir entendu parler […]. » (ASW,p. 226-227)

5.3 - « Dame, c'est une duchesse ! Il y a des gens que cela impressionne encore. » (ASW, p. 173)

5.4 - Swann, lui, témoigne de la « supériorité de ceux qui ont vécu, qui est de ne pas le transfigurer [le monde] par le désir ou par l'horreur qu'il inspire à l'imagination » (ASW, p. 66)

6 - Par l'œuvre d'art, l'imagination manifeste pleinement sa puissance révélatrice et émancipatrice, transfigurant la réalité immédiate pour permettre d'atteindre l'essence de la vie : « Le roman est une espèce d'instrument d'optique qu'il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que sans le livre il n'eût peut-être pas vu en soi-même. » (Proust, Le Temps retrouvé)

 

VI – Des considérations présentées ci-dessus on déduit les cinq chapitres de ce cours

1 - Premier chapitre :

On examinera les divers pouvoirs de l'imagination par lesquels elle peut établir sa puissance. On peut mesurer leur plus ou moins grande portée en les confrontant à d'autres puissances de l'esprit ou à la puissance du réel. On cherchera à comprendre les raisons de la force ou de la faiblesse de leur impact quand ces pouvoirs s'actualisent.

2 - Deuxième chapitre :

Quand il s'agit de distinguer le réel du fictif, de connaître et de comprendre la réalité, de saisir au mieux la réalité des autres et la sienne propre, examinons à quelles conditions l'imagination peut être une puissance efficace et/ou trompeuse. Elle semble une puissance à la fois positive et négative, sa puissance heuristique est contrastée et contestée.

3 - Troisième chapitre :

Dans la vie sociale, dans l'existence personnelle comme dans les relations interpersonnelles, dans toute action comme dans la façon de se positionner dans la réalité, se manifestent les puissances d'imitation, d'illusion, d'idéalisation, de compensation, d'anticipation de l'imagination. On peut les juger libératrices ou aliénantes.

4 - Quatrième chapitre :

Dans les mondes imaginaires que sont les çuvres d'art, l'imagination exerce sa pleine puissance figurative et inventive. On peut la considérer comme une puissance d'enchantement ou comme une puissance d'égarement.

5 - Cinquième chapitre :

Lorsqu'on veut bien prendre en compte la puissance du réel et viser la bonne puissance de réalisation de l'homme, comment les pouvoirs de l'imagination doivent-ils être mobilisés ? Les réponses varient suivant le genre de vie érigé en modèle.

 

VII – Bibliographie

1 - Sur le thème « Puissances de l'imagination »

2 - Sur Cervantes, sur Don Quichotte

3 - Sur Malebranche, et sur De la recherche de la vérité

4 - Sur Proust, et sur Un amour de Swann

Chapitre I : On examine ici les divers pouvoirs de l'imagination par lesquels elle peut établir sa puissance. On peut mesurer leur plus ou moins grande portée en les confrontant à d'autres puissances de l'esprit ou à la puissance du réel. On cherche à comprendre les raisons de la force ou de la faiblesse de leur impact quand ces pouvoirs s'actualisent.

Préambule : Remarques préalables quant à l'esprit de ce chapitre.

I - L'imagination est douée du pouvoir de faire apparaître ce qui n'est pas là. Toutefois, ce pouvoir de produire un véritable « effet de realité » n'est pas absolu.

1 - L'imagination a la capacité de donner une « réalité » sensible à l'absent et à l'irréel : « Il avait beau traverser une ville de pierre […] ce qui était sans cesse devant ses yeux c'était un parc » (ASW, p. 144).

2 - Ce pouvoir se mesure à la fois en forces et en faiblesses quand on le compare avec les possibilités de la perception et de la raison en ce domaine.

2.1 - Portées et limites respectives de l'imagination et de la perception.

2.2 - Portées et limites respectives de l'imagination et de la raison

3 - « Nous tremblons, nous palissons et nous rougissons aux secousses de nos imaginations. » (Montaigne, Essais, I, 21, « De la force de l'imagination »)

4 - La force de cette imagination productrice d'images tient à la dimension sensible des images, à la profondeur de leur ancrage dans le désir et dans le cerveau ; elle tient aussi aux mécanismes de toute représentation.

5 - Cette capacité de produire des « effets de réalité » n'est pas sans limites.

II - L'imagination est aussi le pouvoir d'imiter, de trouver des similitudes ou de faire semblant. Ceci peut prendre une ampleur considérable et troublante.

1 - « Se composer de la même manière que quelques-uns de ceux avec qui ils vivent » (RV, p.&nsbp;84), mentir, jouer à faire comme si, créer des fictions, illustrent l'étendue de ce pouvoir.

2 - Ce pouvoir peut même être poussé à l'extrême : «  En ressemblant au texte dont il est le réel analogue, don Quichotte doit […] apporter la marque indubitable qu'ils disent vrai. » (M. Foucault, Les Mots et les choses

3 - De plus, ce pouvoir d'imitation peut être jugé défaillant ontologiquement ou non.

III - « L'imagination […] crée un monde nouveau, elle produit la sensation du neuf » C. Baudelaire, Curiosités esthétiques). Cette capacité d'invention fait naître des réalités nouvelles ; mais, dans ses rapports de rivalité avec la réalité, l'imagination ne l'emporte pas toujours.

1 - « Imaginer c'est s'absenter, c'est s'élancer vers une vie nouvelle. » (G. Bachelard, L'Air et les songes

2 - La science, l'art, la politique, témoignent des forces surabondantes de l'imagination créatrice.

3 - Mais la réalité peut nuire à l'inventivité de l'imagination ou la dépasser.

3.1 - « […] son esprit désireux d'admirer la richesse d'invention de la vie ». (ASW, p.&nsbp;267)

3.2 - Certaines conditions naturelles ou sociales peuvent étouffer l'imagination : « Swann, comme beaucoup de gens, avait l'esprit paresseux et manquait d'imagination. » (ASW, p. 242).

IV - Si l'imagination est cette puissance qu'a le corps de modeler notre esprit, elle a un pouvoir considérable : « Un très grand nombre d'effets très pernicieux » (RV, p.&nsbp;33), ce qui la « met à couvert de la force de la raison » (RV, p.&nsbp;13)

1 - La force des images, imputable à la vigueur des esprits animaux, à la délicatesse des fibres du cerveau, à certaines manières de vivre, prend possession de l'esprit « ceux qui ont l'imagination forte étant […] ennemis de la raison » (RV, p. 93)

2 - Cette capacité d'envahir l'esprit ou celui des autres est toujours plus ou moins actualisée : «  Les dérèglements de l'imagination se répandent dans la plupart des esprits avec beaucoup de facilité. » (RV, p.&nsbp;53)

3 - L'imagination déréglée quasi omniprésente est aussi quasi omnipotente, elle « nous engage dans des erreurs infinies » (RV, p.&nsbp;153).

Chapitre II : Quand il s'agit de distinguer le réel du fictif, de connaître et de comprendre la réalité, de saisir au mieux la réalité des autres et la sienne propre, examinons à quelles conditions l'imagination peut être une puissance efficace et/ou trompeuse. Elle semble une puissance à la fois positive et négative, sa puissance heuristique est contrastée et contestée.

Préambule : Remarques préalables quant à l'esprit de ce chapitre.

I - Puissance trompeuse, « maîtresse d'erreur et de fausseté » (Pascal, Pensées), l'imagination est une puissance d'autant plus néfaste qu'elle a un pouvoir d'illusion considérable et qu'elle n'est pas toujours cause d'erreurs.

1 - Dans La recherche de la vérité, Malebranche explique que la puissance dangereuse de l'imagination vient de ce qu'elle envahit et obscurcit l'esprit, le privant de la capacité d'attention rationnelle nécessaire pour atteindre la vérité.

1.1 - Malebranche consacre la partie 2 du Livre II à montrer « comment notre propre imagination nous jette dans l'erreur » (RV, p. 81).

1.2 - Malebranche consacre la partie 3 du Livre II à exposer « la force que certains esprits ont sur les autres pour les engager dans leurs erreurs » (RV, p. 81), du fait que les dérèglements d'imagination sont extrêmement contagieux » (RV, p. 93).

1.3 - Ainsi sont recensées de multiples aberrations de l'imagination en complet décalage avec la réalité : « Il n'y a rien dans la lune, de ce qu'ils pensent y voir » (RV, p. 21).

1.4 - La puissance de l'imagination est particulièrement nocive chez « les trois sortes de personnes qui s'appliquent à l'étude » (RV, p. 64) et chez les auteurs dont « les paroles ont plus de vigueur que la raison » (RV, p. 106).

1.5 - Par conséquent « les hommes même les plus sages se conduisent plutôt par l'imagination […] que par les règles de la raison » (RV, p. 149).

2- Pour toute la tradition classique, la puissance cognitive de l'imagination est illusoire, mais fait illusion, c'est donc une puissance d'égarement.

2.1 - « L'imagination ne possède ni l'évidence de la sensation directe, ni la cohérence logique du raisonnement abstrait » (J. Starobinski, La Relation critique).

2.1.1 - L'imaginé n'a pas la consistance ontologique de l'objet perçu. « […] cette image d'une Odette exécrée […] commençait à s'effacer […] réapparaissait […] le visage de l'autre Odette » (ASW, p. 179).

2.1.2 - L'imagination n'a pas la puissance de démonstration de la pensée conceptuelle.

2.2 - Pourtant l'imagination instrumentalise la raison et la perception ou bien elle les subvertit ; elle triomphe doublement, mais c'est le triomphe de l'erreur.

2.3 - De plus, « L'imagination n'est rien d'autre que le sujet transporté dans les choses » (G. Bachelard, La Terre et les rêveries du repos). Cela constitue un obstacle épistémologique à l'objectivité requise par la vérité.

2.4 - Sans compter que la puissance cognitive de l'analogie est très limitée :« La disposition particulière qu'il avait toujours eue à chercher des analogies entre les êtres vivants et les portraits de musée… » (ASW, p. 201) conduit Swann à se tromper sur Odette.

2.5 - Et puisque l'impuissance de l'imagination à produire la vérité est réelle mais totalement occultée, l'imagination est une puissance d'illusion.

3- La puissance de l'imagination est « d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours ». (Pascal, Pensées).

3.1 - L'imagination n'est pas systématiquement envahissante, déréglée au point d'empêcher toute lucidité « et souvent quand c'était l'intelligence positive qui régnait seule en Swann, il voulait cesser de sacrifier tant d'intérêts intellectuels et sociaux à ce plaisir imaginaire ». (ASW p. 105).

3.2 - « Ce n'est pas un défaut pourvu que l'âme demeure toujours la maîtresse de l'imagination […] mais lorsque l'imagination domine sur l'âme […] il est visible que c'est […] une espèce de folie. (RV, p. 87).

II - Mais on a bien des raisons de donner à l'imagination une véritable puissance cognitive, à certaines conditions.

1- « L'assimilation de l'imagination à l'irréalité et à la fausseté peut faire méconnaître ou sous-estimer le rôle qu'elle joue partout dans de nombreux processus cognitifs » (J. Wunenburger, L'Imagination)

1.1 - L'imagination contribue à la constitution et à l'extension des connaissances au point de dire : «  L'imagination est plus importante que le savoir » (A. Einstein, Comment je vois le monde).

1.2 - De plus on doit souligner le pouvoir pédagogique de l'imagination : forger des images afin d'aider à l'intelligibilité du réel comme du savoir.

2 - La recherche de la vérité passe par des rapports de coopération entre les pouvoirs de l'imagination et ceux de la perception et de la raison.

3 - Mobiliser les pouvoirs de l'imagination dans une entreprise herméneutique semble « d'une véritable valeur intellectuelle et appropri(é) à la recherche de la vérité » (ASW, p. 148).

4 - L'imagination a également un pouvoir de cognition mimétique : « Des processus mimétiques ont une fonction cognitive et la simulation imaginative est un opérateur cognitif » (J.-M. Schaeffer, Pourquoi la fiction ?)

5 - Si on refuse une conception platement réaliste de la réalité et de la vérité on pourra avancer que «  La vérité ne réside que dans l'imagination » (R. Kearney, La Poétique du possible) ou que «  le possible est l'une des provinces du vrai » (C. Baudelaire, Curiosités ésthétiques).

6 - On peut même recourir à l'imagination pour connaître ce qu'est l'imagination ; Cervantès comme Proust, chacun à leur manière, expérimentent cette voie.

III- Le pouvoir fictionnel de l'imagination peut avoir cette puissance néfaste de confusion entre le réel et l'imaginaire. Mais l'abolition de la distance fictionnelle n'est pas imputable à l'imagination, et quand la compétence fictionnelle est maîtrisée, la puissance heuristique des fictions est bien réelle.

1 - Certes l'imagination a le pouvoir funeste de nous faire prendre la fiction pour de la réalité.

1.1 - « Il se la représentait comme cette princesse […] et tel était l'aveuglement de notre pauvre gentilhomme que ni […] ni […] ne pouvaient lui ôter ses illusions ». (DQ, p. 173).

1.2 - Les scenarii imaginaires du jaloux révèlent un « névropathe » et sont si torturants « qu'il lui arriva souvent, sans se l'avouer, de désirer la mort » (ASW, p. 195).

2 - Mais prendre la fiction pour la réalité est le résultat de la défaillance de la compétence fictionnelle, plutôt qu'un pouvoir retors de l'imagination.

2.1 - La compétence fictionnelle consiste à bien réaliser qu'« il n'y a pas véritablement de différence entre le fonctionnement d'un texte fictionnel et le fonctionnement d'un texte référentiel  ». (G. Genette, Fiction et diction)

2.2 - Donc « il semblerait qu'il soit nécessaire de recourir à un hors texte pour identifier le statut du texte. La définition du caractère fictionnel d'un texte passerait alors obligatoirement par la considération du contexte pragmatique » (L. Menoud, Qu'est-ce qu'une fiction ?).

2.3 - La compétence fictionnelle consiste aussi à ne pas abolir la distance fictionnelle : « On prétend que dans les champs et les forêts on rencontre des bergers avec des voix admirables, mais cela se passe dans l'imagination des poètes et c'est loin d'être vrai ». (DQ, p. 292).

2.4 - On peut même aller jusqu'à dire que : « le sens des réalités est fonction du développement des capacités imaginatives » (J.-M. Schaeffer, Pourquoi la fiction ?).

3 - Et même cette capacité qu'a l'imagination de fabriquer des fictions est un facteur important dans le processus de compréhension, voire de révélation, de la réalité ; c'est la puissance éclairante de l'imagination.

3.1 - Certes, le but visé par un récit de fiction n'est pas d'affirmer l'existence d'objets, de personnes, d'événements. La question de la vérité référentielle ne devrait pas se poser

3.2 - Mais une fiction peut avoir une force de vérité de second degré : « Je ne veux pas te vanter le service que je te rends en te faisant connaître… ». (DQ, p. 44).

3.3 - « Certaines représentations fictionnantes peuvent être appréhendées comme des modes de manifestation de ce qui excède nos sens et nos concepts ». (J. Wunenburger, L'Imagination).

3.4 - « Swann n'avait donc pas tort de croire que la phrase de la sonate existât réellement. Certes humaine, elle appartient pourtant à un ordre de créatures surnaturelles que nous n'avons jamais vues mais que nous reconnaissons avec ravissement quand quelque explorateur de l'invisible arrive à en capter une. » (ASW, p. 233-234).

Chapitre III : Dans la vie sociale, dans l'existence personnelle comme dans les relations interpersonnelles, dans toute action comme dans la façon de se positionner dans la réalité, se manifestent les puissances d'imitation, d'illusion, d'idéalisation, de compensation, d'anticipation de l'imagination. On peut les juger libératrices ou aliénantes.

PRÉAMBULE : Remarques préalables quant à l'esprit de ce chapitre

I - L'imagination a cette capacité d'imitation déterminante pour la conservation de l'espèce, dans la constitution de soi ou la régulation des relations sociales. C'est une puissance dynamisante ou stérilisante.

1 - « Vouloir imiter nos parents et nos nourrices […] était […] nécessaire. » (RV, p. 153)

1.1 - Les psychologues soulignent le rôle très positif de l'imitation dans le développement de l'enfant.

1.2 - Toutefois, selon Malebranche, cela « ne laisse pas de nous faire beaucoup de mal » (RV, p. 154).

2 - S'identifier à un modèle fait de l'imagination une puissance de réalisation de soi pour le meilleur comme pour le pire.

2.1 - L'imagination, sous la forme du désir mimétique » pousse don Quichotte à « se faire chevalier errant […] comme l'avaient fait […] ses modèles » (DQ p. 57) ; elle a une puissance de transfiguration que Cervantès qualifie tour à tour de « noble » p. 116 ou de « folie » p. 51.

2.2 - « Tel n'aurait pas fait l'apothéose de son auteur s'il ne s'était imaginé comme enveloppé de la même gloire » (RV, p. 48) : « Voici l'état de l'imagination des personnes d'étude qui donnent tout à l'autorité de certains auteurs » (RV, p. 59).

2.3 - « Comme Dieu nous a créé à son image et à sa ressemblance et que notre bonheur est d'être semblable à Dieu » (RV, p. 123).

2.4 - « Il ne connaît pas par lui-même la valeur des choses et il s'en rapporte à ce que nous lui en disons » (ASW, p. 65).

3 - Puissance de cohésion et puissance de distinction, l'imagination à l'œuvre dans le jeu social est une puissance positive comme négative.

3.1 - « Lorsqu'un homme n'a pas cette disposition du cerveau pour entrer dans nos sentiments […]il est incapable […] de se lier avec nous […] il ressemble à ces pierres irrégulières qui ne peuvent trouver leur place dans un bâtiment (RV, p. 83).

3.2 - Par contre « La communication d'imagination » (RV, p. 94) ainsi que l'invention de rites et de marqueurs sociaux forgent une identité collective.

3.3 - Cela favorise également la diffusion des préjugés, des caprices de la mode et le conformisme le plus plat : « Il y a des hommes qui jugent de ce qui ne paraît point par ce qui paraît » (RV, p. 96).

3.4 - L'imagination et son désir mimétique produit aussi de la distinction sociale : « Elle observait la mimique de sa voisine mélomane mais ne l'imitait pas » (ASW, p. 211).

II- Des mises en scènes imaginaires donnent une consistance, plus ou moins pertinente, plus ou moins illusoire, à nous-même, comme aux relations intersubjectives.

1 - Fantasmes, idéalisation, rêverie, rêve, échafaudage de suppositions sont des productions de notre imagination qui façonnent la conduite réelle de notre existence.

1.1 - « Lorsque dans les siècles à venir, on publiera la véritable histoire de mes prouesses » (DQ, p. 62).

1.2 - « Alors qu'est-ce que ce sera quand j'aurai sur le dos un manteau doublé d'hermine et que je serai habillé d'or et de perles […] ». (DQ, p. 229).

1.3 - « Quel rêve ce serait d'être mêlé à vos travaux » (ASW, p. 61).

1.4 - « Il se plaisait à pousser de plus en plus loin ses imaginations mauvaises » (ASW, p. 177).

2 - Les relations intersubjectives (amoureuses ou autres…) sont tissées de projections imaginaires ; ces jeux de miroir et jeux de dupe signent la puissance ambivalente de l'imagination.

2.1 - L'imagination amoureuse de Chrysostome, de Swann forge un amour imaginaire : « […]faire pénétrer l'image d'Odette dans un monde de rêves […] où elle s'imprègne de noblesse » (ASW p. 91) ; « cet amour […] assuré quand il eut pour base les données d'une esthétique certaine » (ASW, p. 91)

2.2 - Les interactions sociales reposent sur des constructions imaginaires : « Il leur fit une excellente impression dont, à leur insu, sa fréquentation de la société élégante était une des causes indirectes » (ASW, p. 63) / « Quel charmant milieu, se disait-il, comme c'est au fond la vraie vie qu'on mène là » (ASW, p. 117).

2.3 - « Tous les différents airs […] ne sont que des effets que les différents degrés d'estime que l'on a de soi et de ceux avec qui l'on converse, produisent sur notre visage[…] » (RV, p. 37) .

3- Si les mensonges (« composition d'un fait faux qu'on invente » ASW, p. 152) sont des fictions qui semblent souvent bien utiles, l'imagination qui les produit est aussi un pouvoir de manipulation et d'illusion.

3.1 - « Vivaldo, qui avait l'esprit vif et l'humeur joyeuse décida de se divertir aux dépens de notre chevalier » (DQ, p. 141).

3.2 - « Ils avaient besoin de ce déguisement pour le faire sortir de la montagne » (DQ, p. 290).

3.3 - Sancho prend l'initiative de tromperies ou invite à quelques pieux mensonges pour tirer de petits bénéfices ou éviter de nouvelles mésaventures : « Je serais d'avis que vous donniez des coups dans l'eau […] ce qui ne m'empêchera pas de dire à Madame Dulcinée que votre tête a frappé contre la pointe d'un rocher » (DQ, p. 272).

3.4 - Les mensonges d'Odette comme moyen de se libérer de la tyrannie de son amant jaloux en ne le contrariant pas : « Je t'ai dit que je venais de la Maison d'or parce que j'avais peur que cela [être avec Forcheville] ne t'ennuie » (ASW, p. 255).

3.5 - « […] ce résumé fictif de leur vie domestique que les maîtresses de maison prétendent offrir à leurs invités […] » (ASW, p. 201).

3.6 - « Son amour de la sincérité n'était pas désintéressé […] lui-même, pour obtenir cette vérité, ne craignait pas de recourir au mensonge » (ASW, p. 243).

3.7 - Mobiliser le pouvoir qu'a l'imagination d'imiter ou d'inventer des vraisemblances est nécessaire pour le bien de tous.

3.8 - Pour autant le mensonge révèle aussi la puissance d'illusion et de manipulation de l'imagination, ce qui heurte l'exigence de lucidité et de respect : «  à force de dire […] elle avait fini par croire […] » (ASW, p. 209).

III- Les pouvoirs de l'imagination nous rendent le monde disponible et habitable avec plus ou moins d'efficacité et de bonheur.

1 - Refus du réel, refuge loin du réel, métamorphose du réel, sublimation, compensation […] autant de manifestations de cette puissance de l'imagination d'être un anti-destin : « Il ne faut pas pleurer, monsieur, je vais vous raconter des histoires » (DQ, p. 207).

2 - Et plus particulièrement, l'imagination a cette puissance de confronter le réel au possible : sa puissance d'anticipation peut être une puissance de libération.

2.1 - « L'imagination a une fonction projective qui appartient au dynamisme même de l'agir » (P. Ricœur, Du texte à l'action).

2.2 - En étant capable d'inventer des formes nouvelles, l'imagination est une puissance réformatrice et révolutionnaire : « L'imagination nous donne le pouvoir de sculpter le monde » (C. Bouriau, Qu'est-ce que l'imagination ?).

2.2.1 - « Le ciel m'a fait naître dans ce siècle de fer pour que j'y fasse revivre l'âge d'or » (DQ, p. 214).

2.2.2 - Le projet imaginaire d'une société idéale (utopie) témoigne du pouvoir de subversion et de reconfiguration de l'imagination : « Le sens fondamental de notre monde est le possible d'un autre monde » (C. Castoriadis, L'Institution imaginaire de la société).

2.2.3 - « L'imagination créatrice est bien le fondement de l'évolution humaine » (H. Laborit, L'Homme imaginant).

3 Par conséquent le dualisme métaphysique de l'imagination et du réel est irrecevable ; une logique morale du tout ou rien, jugeant l'imagination puissance d'émancipation ou puissance d'aliénation, n'est également pas plus pertinente.

Chapitre IV : Dans les mondes imaginaires que sont les œuvres d'art, l'imagination exerce sa pleine puissance figurative et inventive. On peut la considérer comme une puissance d'enchantement ou comme une puissance d'égarement.

Préambule : Remarques préalables quant à l'esprit du chapitre

I - Les formes artistiques exemplifient tout particulièrement le pouvoir créateur de l'imagination.

1 - Les œuvres d'art sont le champ privilégié de l'imagination, parce que :

1.1 - « Avec les œuvres d'art, on entre dans le royaume de l'imagination créatrice » (Jean Starobinski, La Relation critique).

1. 2 - L'imagination créatrice en art n'est ni débridée ni purement fantaisiste, car elle maîtrise des contraintes formelles et matérielles.

1.3 - On peut repérer une double supériorité de l'art sur n'importe quelle rêverie fantasmatique : « Le créateur littéraire nous met en mesure de jouir de nos propres fantaisies sans reproche ni honte » (Freud, Le Mot d'esprit) / « Les œuvres d'art à l'inverse des productions narcissiques du rêve […] sont capables de satisfaire chez les hommes les mêmes inconscientes aspirations du désir » (Freud, Ma vie et la psychanalyse).

2 - L'imagination artistique met à profit, de façon complexe et riche, la logique d'organisation des images : « Quelque fougueuse et déréglée que paraisse cette faculté, elle observe pour l'ordinaire certaines règles générales. »

2.1 - La grammaire des images avec sa sémantique et ses lois syntaxiques configure notre imaginaire.

2.2 - Gilbert Durand, dans Les Structures anthropologiques de l'imaginaire, montre comment l'imaginaire s'organise selon une logique propre ; sa cohérence amplifie sa puissance.

3 - « Elles agissent toutes à la fois sur nous, les puissances d'un genre littéraire que le génie de Cervantes a porté, du premier coup, à la perfection » (Paul Hazard, Don Quichotte, 1949)

4 - L'imagination est une composante fondamentale de l'écriture proustienne.

4.1 - La métaphore, équivalence textuelle de l'image, multiple les interprétations de l'expérience vécue, recompose le monde en abolissant les séparations habituelles.

4.2 - L'inventivité littéraire de Proust se manifeste aussi dans le choix des longues phrases : « les phrases au long col sinueux et démesuré […] » (ASW).

5 - La fécondité sans limites des univers imaginaires littéraires se manifeste également dans le fantastique, le féerique, le romanesque.

5.1 - Avec la « fantasy », l'imagination est au sommet de son art.

5.2 - « Le genre chevaleresque fait vivre des mondes chimériques où l'imaginaire naît en quelque sorte à l'état pur » (Marthe Robert, L'Ancien et le nouveau).

6 - Cette puissance expressive des œuvres d'art est incontestable mais pas irrésistible.

6.1 - « Certaines métaphores sont plus réelles que les gens qu'on voit marcher dans la rue. Certaines images, au détour de certains livres, vivent avec plus de netteté que bien des hommes et des femmes » (Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité).

6.2 - « Cette musique lui causait trop d'impression » (ASW, p. 51).

6.3 - Mais le réalisme trivial peut l'emporter : « Swann cherchait à lui apprendre en quoi consistait la beauté artistique, comment il fallait admirer les vers ou les tableaux, au bout d'un instant elle cessait d'écouter » (ASW, p. 110).

II - Séduction, évasion, révélation, transfiguration, autant de pouvoirs qu'a l'imagination artistique de métamorphoser nos existences.

1 - « Certains auteurs nous charment et nous enlèvent comme malgré nous » (RV, p. 132).

2 - « Tâchez aussi qu'en lisant votre histoire, le lecteur mélancolique ne puisse s'empêcher de rire… » (DQ, p. 43) / « Lire Montaigne pour se divertir à cause du plaisir qu'on n'y prend » (RV, p. 131).

3 - « La petite phrase […] y voyait quelque chose non pas de moins sérieux que la vie positive mais au contraire de si supérieur à elle que seul il valait la peine d'être exprimé » (ASW, p. 231).

4 - Donc l'art, parce qu'il livre des images portées à l'épure sur le plan formel, donne accès à un bonheur inédit, une jouissance des sens et de l'intellect, une plénitude d'existence.

III - Examinons plus particulièrement les puissances de l'imagination dans le contexte de réception de l'imagination littéraire qu'est la lecture.

1 - Certes lire mobilise les puissances de l'imagination : « Le lecteur doit avoir de l'imagination » (Vladimir Nabokov, Littératures I).

1.1 - L'immersion dans les livres suppose de pouvoir se faire une représentation sensible de ce qui n'a pas de présence sensible et de s'installer dans cette distance par rapport au réel : « Le seul moment où j'ai la paix chez moi c'est quand on te fait la lecture » (DQ, p. 359-360).

1.2 - L'imagination du lecteur est requise pour faire vivre l'imagination de l'auteur.

1.3 - L'imagination, telle que la conçoit Malebranche, a une puissance active dans la lecture : « L'esprit ne peut se plaire dans la lecture d'un auteur sans en prendre les sentiments » (RV, p. 131).

2 - Mais l'imagination déréglée a la puissance de produire des manières de lire « fort inutiles et dangereuses » (RV, p. 34).

2.1 - Car le pouvoir fictionnel de l'imagination (celui de l'auteur comme celui du lecteur) peut être mal employé : « Il finit par perdre la raison […] il crut si fort à ce tissu d'inventions » (DQ, p. 57).

2.2 - Car l'imagination déréglée d'un auteur a un pouvoir de contagion sur ses lecteurs : « Les livres des auteurs que je viens de nommer sont très propres pour faire remarquer la puissance que les imaginations ont les unes sur les autres » (RV, p. 106).

2.3 - Car l'imagination du lecteur peut supplanter toutes les autres qualités requises pour une bonne lecture : « Mais il est dangereux de lire ce qu'on lit quand on ne l'examine pas assez pour bien juger » (RV, p. 34).

2.4 - Car l'attention au style, au talent littéraire peut l'emporter sur tout le reste.

2.5 - Donc l'imagination des lecteurs de romans peut être un pouvoir de perversion pour l'esprit comme pour le cœur : « Il y a une manière de lire qui diminue l'étendue de l'esprit, le rend faible, obscur, confus » (RV, p. 35).

3 Se dessinent alors les conditions d'un bon usage des puissances de l'imagination afin que la lecture soit fructueuse et plaisante.

3.1 - Choisir de bons auteurs afin de ne pas induire quasi automatiquement de mauvaises lectures.

3.2 - « Il y a une manière de lire qui éclaire l'esprit, le fortifie, en augmente l'étendue » (RV, p. 35).

3.3 - Quand le lecteur ne se méprend pas sur le statut de la lecture, il peut épanouir au mieux les puissances de son imagination.

Chapitre V : Lorsqu'on veut adéquatement prendre en compte la puissance du réel et viser la bonne puissance de réalisation de l'homme, comment les pouvoirs de l'imagination doivent-ils être mobilisés ? Les réponses varient suivant le genre de vie érigé en modèle.

Préambule : remarques préalables quant à l'esprit du chapitre

I - Il y a des qualifications de l'imagination et donc des recommandations quant à son emploi qui sont de pures fictions, car ne prenant pas en compte la réalité de la condition humaine ni la spécificité de cette faculté.

1 - Affirmer radicalement que l'imagination est mère de tous les vices, puissance d'ensorcellement, folie ordinaire, obstacle majeur à la vérité et la sagesse… ou considérer tout aussi radicalement que ce tableau est complètement négligeable, relèvent également du fantasme.

1.1 - Certes l'imagination peut être puissance d'illusion, d'erreur, d'égarement, puissance d'autant plus nocive qu'elle est contagieuse et retorse.

1.2 - Certes l'imagination peut être une puissance cognitive, ludique, cathartique, créatrice, puissance de réalisation de soi et de cohésion sociale.

1.3 - Mais conclure que c'est nécessairement le cas puisque c'est intrinsèquement possible est une extrapolation abusive qui défigure la réalité de l'imagination : un ensemble de capacités se prêtant aux usages les plus contradictoires.

2 - Renoncer totalement à l'imagination ou lui laisser totalement libre cours sont deux injonctions également imaginaires car ni possibles ni souhaitables.

2.1 - « Abolis l'imagination. Arrête cette agitation de pantin » Marc-Aurèle, Pensées par moi-même. Admettons… Mais réduire au maximum la puissance de l'imagination serait substituer une impuissance à une autre.

2.2 - « Ce n'est pas la crainte de la folie qui nous forcera à laisser en berne le drapeau de l'imagination » André Breton, Manifeste du surréalisme. Admettons… Mais cet éloge inconditionnel de l'imagination reviendrait à substituer une impuissance à une autre.

II- Notre puissance de réalisation de nous-même doit passer par un usage maîtrisé des puissances de l'imagination. Chacune des œuvres au programme décline cette recommandation à sa manière.

1 - Cervantès recommande explicitement de ne pas se laisser séduire par la puissance d'illusion de l'imagination mais cela ne doit pas empêcher d'exploiter, avec beaucoup d'imagination, toutes ses puissances qui nous charment et nous instruisent, améliorant ainsi notre existence.

1.1 - En créant une fiction dénonçant les méfaits d'une imagination romanesque pervertie, Cervantès discrédite subtilement les discours hostiles à l'imagination.

1.2 - Et son imagination littéraire illustre combien les puissances de l'imagination sont libératrices, jubilatoires, éclairantes : un véritable anti-destin.

2 - « Tâchons de nous délivrer […] des visions de notre imagination et de l'impression que l'imagination des autres hommes fait sur notre esprit » (RV, p. 154). Car sa trop grande puissance signe notre malheur et notre impuissance, en nous éloignant de « la sagesse et de la vérité éternelle » (RV, p. 154).

2.1 - Reconnaître que l'imagination est nécessaire à notre condition d'homme déchu n'empêche pas de dire : « Que toutes les pensées qu'a l'âme par le corps […] sont toutes fausses ou obscures » (RV, p. 153).

2.2 - Donc il faut comprendre et dénoncer les puissances funestes de l'imagination.

2.3 - Malgré tout, on doit s'appuyer sur l'imagination « pourvu que l'âme demeure toujours la maîtresse de l'imagination » (RV, p. 87).

2.4 - Mais surtout on ne doit pas se leurrer sur les puissances apparemment bénéfiques de l'imagination ni sur notre capacité à ne pas en dépendre : « Nous ne devons point espérer d'être heureux en cette vie, en nous imaginant que nous ne dépendons point de toutes choses, desquelles nous sommes naturellement esclaves » (RV, p. 129).

2.5 - Voici les moyens toujours fragiles et toujours provisoires de résister aux puissances de l'imagination, que nous ne pouvons vaincre que « si nous sommes soutenus par la grâce que Jésus- Christ nous a méritée » (RV, p. 129).

3 - Selon Proust, l'imagination créatrice artistique a cette puissance d'éclaircissement qui nous révèle à nous-même et grâce à qui « la mort a quelque chose de moins amer […] de moins probable » (ASW, p. 233). Elle doit donc être développée, stimulée absolument, en veillant à ce que l'imagination amoureuse ou mondaine ne vienne pas la compromettre.

3.1 - L'imagination, disposition affective et intellectuelle qui anime chaque existence, rejaillit sur chaque rencontre et sur toute la vie sociale, est une donnée irrécusable, indépendamment de tout jugement de valeur.

3.2 - Par contre quelque chose de l'ordre du devoir la concerne bien : l'imagination mondaine, l'imagination amoureuse et jalouse doivent être placées sur un plan inférieur à l'imagination poétique et ne pas la perturber.

3.3 - On doit même viser à l'épanouissement des puissances créatrices de l'imagination puisque c'est la condition requise pour donner à son existence « une valeur plus grande » (ASW, p. 75) comme pour découvrir en soi « la présence d'une de ces réalités invisibles » (ASW, p. 75) qui nous font saisir ce qu'est la vraie vie.

III- Et puisque nos œuvres nous invitent à être des lecteurs réfléchis et imaginatifs (« Tu as ton libre-arbitre » DQ, p. 38), pourquoi ne pas tirer quelques leçons plus ou moins (in)fidèles qui nous conduiront à surtout nous réjouir des puissances de l'imagination ?

1 - Première leçon

1.1 - En lisant DQ, RV, ASW, on comprend que l'imagination est une puissance ambivalente ; cela ne signifie pas que ses avantages et ses inconvénients s'équivalent ; le poids respectif accordé aux uns et aux autres par nos trois œuvres diffère en fonction de la conception du réel et de l'homme défendue.

1.2 - Donc si on pense que « la soi-disant réalité des choses n'est pas un fait mais à faire » (P. Kearney, La Poétique du possible) et si on pense que « la fonction de l'irréel est psychiquement aussi utile que la fonction de réel » (G. Bachelard, La Terre et les rêveries de la volonté), on défendra surtout les avantages d'une imagination aux puissances variées et étendues.

2 - Deuxième leçon

2.1 - On comprend également que discipliner les puissances de l'imagination en en tirant profit au maximum est la meilleure solution. Chaque œuvre propose un équilibre particulier, lui-même modulé selon les sphères de l'expérience.

2.2 - Donc l'équilibre pourrait prendre la forme d'une optimisation des puissances de l'imagination dans le cadre d'une coopération avec les autres puissances de l'esprit et avec la puissance du réel.

3 Par conséquent, tout en étant lucide et vigilant, mais sans méfiance platement réaliste ou dogmatiquement rationaliste, on doit imaginer pouvoir célébrer les puissances de l'imagination : elles accroissent notre puissance et notre liberté.

Conclusion générale (sous la forme de dissertations)



Christine Février

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