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Christine Février : cours sur le thème « Penser l'Histoire ».

Ce cours sera mis en ligne progressivement. L'introduction est en ligne le 6 septembre 2007.

© : Christine Février.

Ce texte est le plan d'un cours de Philosophie fait en classes préparatoires au Lycée Chateaubriand de Rennes. Il peut faire l'objet seulement d'un usage personnel : aucune reproduction n'en est permise, sous quelque forme que ce soit.

Christine Février est professeur de Philosophie en Classes Préparatoires Économiques et Commerciales et en Classes Préparatoires Scientifiques au Lycée Chateaubriand de Rennes.

 

Prépas scientifiques 2007-2008

Épreuve de français et de philosophie

 

« Penser l'Histoire »

 

Horace de Corneille, édition GF

Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand, édition GF

Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte de Marx, édition Folio-Histoire

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Plan du cours de Mme Ch. Février - Lycée Chateaubriand à Rennes

Ce cours combinera l'étude des questions posées par le thème « Penser l'Histoire » et l'approche plus spécifique que chacune de nos œuvres en propose.

 

Introduction : Le sens et les enjeux d'une réflexion intitulée « Penser l'Histoire », et s'appuyant sur les trois œuvres au programme.

I - Élucidation des termes composant l'intitulé du thème

1 - Les trois sens du mot « histoire »

1.1 - « Le même mot en français […] s'applique à la réalité historique… » (R. Aron, Dimension de la conscience historique)

1.1.1 - « La réalité historique coïncide avec ce secteur de la réalité sociale où les hommes pris collectivement ou individuellement entrevoient la possibilité de la transformation des structures sociales par l'action » (G. Gurvitch, Dialectique et sociologie)

1.1.2 - L'historicité.

1.1.3 - Histoire individuelle, collective ; histoire de Rome, histoire de France, histoire de l'humanité ; histoire politique, histoire littéraire…

1.2 - « … et à la connaissance que nous en prenons » (R. Aron, Dimension de la conscience historique).

1.2.1 - Le terme « histoire » désigne aussi : « l'enquête sur les actions accomplies par les hommes » (Hérodote, Histoires).

1.2.2 - « Qu'est-ce donc que l'histoire ? Nous dirons connaissance et non pas, comme d'autres, narration » (H.I. Marrou, De la connaissance historique).

1.2.3 - « Connaissance du passé même s'il s'agit d'histoire tout à fait contemporaine » (H.I. Marrou, De la connaissance historique).

1.2.4 - On peut faire de l'histoire politique, économique, … et de « l'histoire parlementaire » (18B, p. 209) ; on peut faire l'histoire des grands hommes ou celle des classes sociales.

1.2.5 - L'histoire des historiens se double d'une historiographie.

1.2.6 - Se posent tout particulièrement les questions du témoignage, du travail de mémoire, du mémorable.

1.2.7 - L'histoire peut d'ailleurs donner lieu à des « mémoires ».

1.2.8 - Comme l'histoire peut donner lieu à une philosophie de l'histoire.

1.3 - « Mais “histoire” peut avoir un troisième sens, celui du récit […] qui peut être vrai ou faux, à base de réalité ou imaginaire » (J. Le Goff, Histoire et mémoire).

1.3.1 - Raconter l'histoire, une histoire, des histoires.

1.3.2 - Histoire, épopée, légende, mythe.

1.4- Histoire ou histoire ; l'histoire ou une histoire, histoire ou histoires ?

2 - Penser : modalités et finalités de cette activité de l'esprit (portant sur l'histoire)

2.1 - Les sens du terme « penser » et des termes de son champ sémantique.

2.1.1 - Penser c'est appliquer l'activité de son esprit aux éléments qui l'occupent pour les élaborer, les organiser, leur donner du sens.

2.1.2 - Le champ sémantique du terme « penser » : pensée, penseur, pensable, impensable, impensé…

2.2 - Pourquoi et comment pense-t-on ?

2.3 - Les règles pour bien penser.

2.4 - Quelques typologies des régimes de penser.

3 - Une méthode pour explorer au mieux sémantiquement et conceptuellement cet intitulé : « Penser l'histoire »

II – On peut ainsi dégager les axes de réflexion sur le thème « penser l'histoire »

1 - Compte tenu de la polysémie du terme « histoire », penser l'histoire doit se comprendre de diverses façons qui peuvent ou non s'entrecroiser : « Si dans les romans que j'ai écrits, j'ai touché à ma propre histoire, dans les histoires que j'ai racontées, j'ai placé les souvenirs de l'histoire vivante dont j'ai fait partie  » (MOT, IX,16 p. 84).

2 - Entreprendre de penser l'histoire est subordonné à la pensée que la réalité est histoire. Quelles dispositions d'esprit y conduisent ou y font obstacle ?

3 - La figure de l'historien revet un prestige herméneutique certain mais on ne doit pas occulter ou mésestimer qu'on peut penser l'histoire en poète, en philosophe, en mémorialiste, en moraliste…

3.1 - Certes c'est vers l'historien qu'on se tourne quand on veut connaître l'histoire.

3.2 - Mais penser ne se réduit pas à connaître, viser l'intelligibilité ne se réduit pas à établir la vérité référentielle.

3.3 - Il n'y a donc pas une seule manière légitime de penser l'histoire.

3.3.1 - Notre programme propose de penser l'histoire en historien, en poète, en philosophe, en mémorialiste, en moraliste.

3.3.2 - « Je distingue trois manières d'écrire l'histoire : l'histoire originale, l'histoire réfléchie, l'histoire philosophique » (Hegel, La Raison dans l'histoire)

3.4 - Si ces différentes façons de penser l'histoire ont chacune leur légitimité, les hiérarchiser aurait-il un sens, d'autant que chaque genre est un peu hybride ?

4 - Quelle que soit la façon de penser l'histoire, la question de bien penser l'histoire se pose.

4.1 - On soumet l'étude de l'histoire par l'historien à une réflexion épistémologique : penser penser l'histoire.

4.2 - Mais, historienne ou non, toute pensée a ses règles : « Nous nous instruisons avec certitude de ce qui est bon et de ce qui est mauvais, et tirons des règles infaillibles de ce qu'il faut suivre… » (H, épître dédicatoire à Richelieu, p. 60)

5 - On ne peut faire l'économie du récit et donc d'une mise en forme, d'une « écriture » pour penser l'histoire. Chaque façon de penser à son écriture propre.

6 - Penser l'histoire c'est également interroger la façon dont la pensée agit sur l'histoire ou dans les récits de l'histoire.

7 - Juger positivement ou non telle situation historique, trouver pertinente ou non telle façon de se représenter l'histoire, refuser ou pas de penser l'histoire font également partie d'une réflexion sur notre thème, puisque penser signifie aussi peser, évaluer.

8 - Pour bien saisir les enjeux spécifiques du thème à notre programme, on le pensera par contraste avec d'autres intitulés proches possibles.

 

III – Horace de Corneille permet d'aborder plus particulièrement certains aspects du thème « Penser l'histoire »

1 - Corneille, homme de théâtre, crée, en 1640, Horace, une tragédie « romaine »

1.1 - Corneille (1606-1684) et son temps.

1.1.1 - La vie et l'œuvre de Pierre Corneille : quelques éléments biographiques afin de retracer l'histoire de sa vie.

1.1.2 - Les événements historiques dont Corneille est contemporain.

1.1.3 - L'histoire intellectuelle, religieuse et artistique du XVIIe.

1.2 - Avec Horace, Corneille trouve une voie qui sera sienne, celle de la tragédie romaine.

1.2.1 - Résumé analytique d'Horace.

1.2.2 - Cette pièce s'inscrit dans l'histoire d'un genre théâtral : la tragédie.

1.2.3 - Chacun des personnages principaux fait face, à sa manière, au tragique de la situation historique.

1.2.4 - Mais c'est le sublime des « sentiments romains » (II, 3, v. 514) que Corneille veut peindre ; d'où la qualification d' Horace comme tragédie romaine.

2 - Dans Horace, pièce à sujet d'histoire, Corneille pense son présent, en creux, par passé interposé : « Il y a des sympathies historiques comme il y a des affinités individuelles, certaines périodes communiquent entre elles, d'autres s'ignorent » (S. Doubrovsky, Corneille et la dialectique du héros).

2.1 - Le sujet d'Horace remonte aux premiers âges de Rome, il présente une situation extraordinaire cependant attestée par l'historien Tite-Live.

2.2 - Mais Horace est aussi une pièce d'actualité exprimant un ralliement à la politique du cardinal de Richelieu, temps fort de l'histoire de France.

2.2.1 - L'épître dédicatoire à Richelieu (p. 58 à 60) est une profession de dévouement à Richelieu.

2.2.2 - Ainsi Horace est aussi une pièce qui réfléchit (aux deux sens du terme) l'actualité de ses spectateurs tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du royaume de France.

2.2.3 - Corneille n'est pas un acteur de l'histoire mais un spectateur engagé dont le théâtre vise, en charmant et en instruisant, à rendre « service à l'État » (H, épître, p. 59).

2.3 - « Donc pour une œuvre de résurrection nationale et morale, l'esprit latin de Corneille a trouvé Rome sur son chemin » (M. Chéruzel commentant Horace dans les classiques Hachette).

3 - Mais Corneille pense l'histoire en poète et en moraliste plutôt qu'en historien : l'histoire est la « matière » travaillée par « l'artisan » (H, épître p. 60) dramaturge.

3.1 - Corneille ne pense pas l'histoire en historien.

3.1.1 - Certes Corneille se place sous l'autorité de l'historien romain Tite-Live mais il prend aussi quelques libertés par rapport à l'histoire : « Conservation et falsification sont les deux pôles de l'historicité cornélienne » (S. Doubrovsky, Corneille et la dialectique du héros).

3.1.2. - Cela n'empêche pas Corneille d'avoir un souci de cohérence historique ainsi que de préférer la vérité historique à la vraisemblance bienséante.

3.2 - « Il savait les belles lettres, l'histoire, la politique mais il les prenait principalement du côté qu'elles ont un rapport avec le théâtre » (Fontenelle, Vie de M. Corneille, 1742).

3.3 - Pour autant « il fait un théâtre dont le sens profond constitue une élucidation de l'Histoire, comme dimension de l'existence humaine » (S. Doubrovsky, Corneille et la dialectique du héros).

4- Quelles que soient les intentions de Corneille, Horace donne à penser à propos de l'histoire.

5- Cette pièce constitue également un épisode majeur dans l'histoire mouvementée du théâtre de Corneille.

5.1 - Horace tranche certaines polémiques esthétiques et en déclenche d'autres.

5.1.1 - On peut voir dans Horace « la réponse proprement théâtrale à la querelle du Cid » (M. Escola, dossier GF, p. 163).

5.1.2 - Mais en elle-même cette pièce a suscité d'autres objections au nom des canons esthétiques de l'époque.

5.1.3 - Corneille en a réfuté certaines et assumé d'autres : L'Examen de 1660 (p. 61 à 66).

5.1.4 - Mais « nous défendons Corneille créateur contre Corneille critique » (S. Doubrovsky, Corneille et la dialectique du héros).

5.2 - Cette tragédie dans laquelle les sentiments romains s'incarnent absolument est encore, plus de trois siècles plus tard, l'objet d'une réception vivante, aux interprétations divergentes.

5.3 - Avec Horace, Corneille inaugure une série de tragédies politiques qui infléchiront progressivement mais radicalement leur propos, à la mesure des évolutions du dramaturge sur le sens à donner à l'histoire politique.

 

IV – Les Mémoires d'outre-tombe de François-René de Chateaubriand permettent d'aborder plus spécifiquement certains aspects du thème « Penser l'histoire »

1 - Chateaubriand (1768-1848) : « Entre deux siècles, comme au confluent de deux fleuves » (MOT, XLII, 8).

1.1 - Quelques repères chronologiques d'une histoire mêlée à l'Histoire.

1.2 - Les événements historiques majeurs auxquels il participe directement ou indirectement.

2- « Ces Mémoires ont été l'objet de ma prédilection » (Avant-propos, p. 12)

2.1 - MOT est une œuvre qui se veut posthume : « Dépasserai-je ma tombe ? » (X, 9, p. 128).

2.1.1 - « posthume » a bien sûr une signification du point de vue éditorial.

2.1.2 - Mais il faut aussi donner une signification métaphysique à ce titre.

2.2 - « Ces Mémoires ont été composés à différentes dates. » (Avant-propos, p. 11) : « Vous vous souvenez toujours bien que je suis ambassadeur auprès de George IV et que j'écris à Londres en 1822 ce qui m'arriva à Londres en 1795 » (X, 11, p. 132).

2.3 - « Les Mémoires suivent, dans leur divisions, les divisions naturelles de mes carrières » (Avant-propos, p. 10).

2.4 - Les livres IX à XII à notre programme :

2.4.1 - Ils constituent la fin de la première partie des MOT.

2.4.2 - Résumé analytique.

3 - L'histoire y est abordée à la manière d'un mémorialiste soucieux de poésie, de spiritualité et d'épopée.

3.1 - « Je représenterais dans ma personne représentée dans mes mémoires, les principes, les idées, les événements, les catastrophes, l'épopée de mon temps » (préface testamentaire de 1833).

3.2 - Pour penser l'histoire comme pour penser son histoire, Chateaubriand affectionne les parallèles, les analogies avec des personnages réels ou fictifs.

3.3 - Ce penseur qui médite sur l'histoire en poète épique des temps nouveaux imprime au genre des mémoires un style spécifique.

3.4 - Si la vérité historique est parfois compromise, celle de Chateaubriand ressort avec éclat.

4 - Les positions de Chateaubriand, sur quelques questions majeures d'une réflexion sur l'histoire, découlent du bouleversement que la Révolution française a fait peser sur la relation de l'individu à l'histoire.

4.1 - Chateaubriand médite comment les acteurs de l'histoire sont aux prises avec l'ancien et le moderne, la fatalité et la liberté.

4.2 - Les MOT mettent en œuvre une poétique du temps qui permet aux passants de l'histoire de rester dans l'histoire.

4.3 - « En moi commençait avec l'école romantique, une révolution dans la littérature française  » (X, 11, p. 132), conjurant le poids de l'histoire.

4.4 - Donc Chateaubriand ne peut pas concevoir l'histoire comme chronologique, linéaire, prosaïque mais comme un palimpseste symbolique.

V – Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte de Karl Marx permet d'aborder plus particulièrement certains aspects du thème « Penser l'histoire »

1 - Marx (1818-1883) : une histoire personnelle et une œuvre qui se veulent en phase avec le mouvement de l'histoire. Ses années 1848-1852 et 18B ne font pas exception à la règle.

1.1 - Les principaux temps forts de son existence de journaliste, agitateur politique, et surtout d'historien, d'économiste, de philosophe.

1.2 - Les événements historiques dont il est contemporain tout au long de son existence.

1.3 - Plus particulièrement les événements qui font l'histoire politique française entre 1848 et 1851 et dont 18 B fait l'étude à chaud.

1.3.1 - De la chute de la monarchie de Juillet (24 février 1848) au coup d'État de Louis Napoléon Bonaparte (2 décembre 1851).

1.3.2 - Marx en est d'abord l'observateur engagé.

2 - Avant d'examiner comment Marx pense l'histoire de la Deuxième République en France, il faut comprendre que 18 B s'inscrit dans un projet théorique et politique : le matérialisme historique.

2.1 - « Marx lui même a résumé sa conception […] d'ensemble dans la préface à la Contribution à la critique de l'économie politique (1859) » (R. Aron, Les Étapes de la pensée sociologique).

2.2 - Commentaire de ce texte par R. Aron dans Les Étapes de la pensée sociologique.

3 - En 1852, dans 18 B, Marx cherche à penser l'histoire immédiate de la France entre le 24 février 1848 et le 2 décembre 1851.

3.1- « Le présent écrit est né sous la pression directe des événements […] sa matière historique ne dépasse pas le mois de février 1852 » (Avant-propos, p. 172).

3.1.1 - Certes Marx relate minutieusement le déroulement de la vie politique française entre 1848 et 1851, avec sa succession de majorités parlementaires jusqu'au coup d'État.

3.1.2 - Mais c'est pour mettre en évidence « la lutte de classe en France » (p. 172) que cette vie politique mouvementée exprime ; et déterminer le sens de la révolution de 1848 ainsi que le sens du coup d'État de 1851.

3.2 - « On peut distinguer trois périodes principales : Période de février… » (p. 182/ I, p. 289 : elle est étudiée par Marx p. 183 et 184).

3.3 - « Période de la constitution de la République ou de l'Assemblée nationale constituante » (p. 182 / II p. 289 : elle est étudiée p. 184 à p. 207) ; du 4 mai 1848 au 28 mai 1849.

3.3.1 - « Du 4 mai au 25 juin 1848 : lutte de toutes les classes contre le prolétariat » (p. 289 II-1 : ceci est étudié p. 184 à 186).

3.3.2 - « Du 25 juin au 10 décembre 1848. Dictature des républicains bourgeois purs […] écartée, le 10 décembre, par l'élection de Bonaparte à la présidence » (p. 289 II, 2 : ceci est étudié p. 186 à 199).

3.3.3 - « La période du 20 décembre 1848 à la dissolution de la Constituante en mai 1849 comprend l'histoire de la chute des républicains bourgeois » (p. 199 / II, 3 p. 290 : ceci est étudié p. 199 à 204)

3.4 - « Période de la République constitutionnelle ou de l'Assemblée nationale législative » (p. 183 / III p. 290 : elle est étudiée p. 205 à 291) ; du 28 mai 1849 au 2 décembre 1851.

3.4.1 - « Du 28 mai 1849 au 13 juin 1849 : lutte des petits-bourgeois contre la bourgeoisie et contre Bonaparte. Défaite de la démocratie petite-bourgeoise » (p. 290 III, 1 : ceci est étudié p. 207 à 225).

3.4.2 - « Du 13 juin 1849 au 31 mai 1850. Dictature parlementaire du parti de l'ordre » (p. 290 III, 2 : ceci est étudié p. 225 à 240).

3.4.3 - « Du 31 mai 1850 au 2 décembre 1851. Lutte entre la bourgeoisie parlementaire et Bonaparte » (p. 290 III, 3 : ceci est étudié p. 240 à 290).

3.5 - « Ainsi la révolution dut d'abord créer elle-même la forme où la bourgeoisie pouvait parvenir à son expression ultime la plus large, de manière à pouvoir être renversée sans pouvoir jamais ressusciter » (p. 294).

4 - De ces analyses concrètes et circonstanciées, on peut dégager comment Marx prend part aux débats qui traversent toute pensée de l'histoire.

4.1 - Toute pensée de l'histoire s'inscrit dans une histoire de la pensée : Marx veut opérer une révolution intellectuelle par rapport à la philosophie hégélienne de l'histoire.

4.2 - Puisque la lutte des classes est le moteur de l'histoire, le poids des « grands hommes » est à relativiser : « La lutte des classes en France a créé des circonstances […] qui ont permis à un médiocre et grotesque personnage de jouer le rôle de héros » (p. 172).

4.3 - Et on doit comprendre un événement historique non pas tel qu'il apparaît mais à partir des principes qui règlent le cours de l'histoire : ce qui paraissait inintelligible devient parfaitement compréhensible.

4.4 - Si « les conditions matérielles d'existence déterminent la conscience » (Marx, L'Idéologie allemande), les représentations idéologiques ont un rôle non négligeable.

4.5 - L'histoire a un sens immanent orienté vers un avenir meilleur : « L'Europe bondira de son siège pour lui crier dans l'allégresse : bien creusé, vieille taupe » (p. 296).

4.6 - Et donc penser l'histoire n'est pas seulement une interprétation théorique du réel mais c'est aussi une arme de transformation du réel.

4.7 - Arme d'autant plus percutante si, comme c'est le cas dans le 18 B, la confrontation de la théorie de l'histoire avec l'histoire concrète permet de penser plus efficacement.

5- La pensée marxiste de l'histoire a eu un impact mondial mais ce n'est plus « l'horizon indépassable de notre temps » (J.-P. Sartre). A-t-elle même cessé d'être pensable ?

5.1 - L'adhésion à la pensée de l'histoire a été massive, durable, profonde.

5.2 - Cette fécondité de la pensée marxiste s'est vue radicalement contestée.

5.3 - L'effondrement du marxisme libère-t-il de nouvelles lectures possibles de Marx ?

VI Des considérations présentéees ci-dessus, on déduit la problématique du cours et son plan, ainsi que les exigences méthodologiques qui l'animent.

1 - La problématique : quel(s) sens et quelle(s) valeur(s) accorder au projet de penser l'histoire ?

2 - LES CINQ CHAPITRES DE CE COURS, qui mettront en œuvre cette problématique.

2.1 - Premier chapitre : Penser l'histoire c'est se représenter la réalité comme un devenir historique, c'est caractériser l'existence humaine par l'historicité. À quelles conditions est-ce pensable ? Selon quels régimes d'historicité ? Et comment réfléchir à l'inscription des hommes dans l'histoire ?

2.2 - Deuxième chapitre : Penser l'histoire cest aussi chercher à rendre intelligible telle ou telle réalité historique. Cela peut se faire à la manière des historiens : la connaissance historique est sous-tendue par une norme de vérité. Afin de s'y conformer, s'est développée une pensée de l'histoire de second degré ; il s'agit de penser la façon de penser l'histoire. Les considérations épistémologiques se sont parfois prolongées en prises de positions plus spéculatives.

2.3 - Troisième chapitre : Mais les historiens ne sont pas les seuls penseurs de l'histoire. Il ne faut pas négliger que « le récit mythique, la dramaturgie littéraire constituent un double lumineux de la suite des temps historiquement actualisée et pensée par les historiens » (J.J. Wunenburger, Colloque de Cerisy sur l'histoire, juillet 1984). Sans oublier les philosophies de l'histoire.

2.4 - Quatrième chapitre : Penser l'histoire, que ce soit à la manière des historiens, des philosophies, des poètes…, c'est examiner dans quelles formes d'écriture restituer et /ou forger le sens de l'histoire. Raconter l'histoire en racontant des histoires, raconter l'histoire sans raconter des histoires, autant de façons de mettre en forme sa pensée de l'histoire.

2.5 - Cinquième chapitre : En convoquant la connotation évaluative du terme « penser », on comprendra que penser l'histoire c'est aussi se demander quelle valeur accorder à l'histoire (dans les trois sens du terme). Quelles appréciations est-on amené à porter sur telle ou telle situation historique ? Dans quelle mesure les raisons avancées pour entreprendre de penser l'histoire sont-elles fondées ? Et que valent les pensées de l'histoire défendues dans nos trois œuvres ?

3 - Le traitement des sujets de dissertation sur ce thème s'inscrira directement ou indirectement dans cette problématique.

3.1 - Une liste de sujets de dissertation sous la forme de questions.

3.2 - Une liste de sujets de dissertation sous la forme de « pensées sur l'histoire » (citations).

4 - Quelques règles de méthode pour aborder ce programme et les sujets de dissertation.

4.1 - À chaque emploi du terme « histoire », réduire la polysémie ou en jouer en connaissance de cause.

4.2 - Savoir, sans anachronisme, saisir ce qu'il y a de vivant dans la pensée de nos trois auteurs sur l'histoire : « Ne serai-je pas un homme d'autrefois inintelligible aux générations nouvelles ? » (MOT, X, 9, p. 129)

4.3 - Se demander comment nos trois œuvres pensent l'histoire doit tenir compte de la pluralité des voix qui s'y font entendre.

4.4 - Mettre en évidence systématiquement les points communs et les différences dans la manière dont nos trois œuvres pensent l'histoire.

4.5 - Ne pas sous-estimer l'intérêt d'une réflexion sur le thème « Penser l'histoire » même (surtout) à notre époque où l'instant présent et le court terme semblent la seule dimension temporelle qui compte.

VII Bibliographie

1 - sur le thème « Penser l'histoire ».

2 - sur Corneille, sur Horace.

3 - sur Chateaubriand, et sur les Mémoires d'outre-tombe.

4 - sur Marx, et sur Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte.

Chapitre I : Penser l'histoire c'est se représenter la réalité comme un devenir historique, c'est caractériser l'existence humaine par l'historicité. À quelles conditions est-ce pensable ? Selon quel régime d'historicité ? Comment réfléchir à l'inscription des hommes dans l'histoire ?

Préambule : Remarques préalables quant à l'esprit de ce chapitre.

I - « La notion d'histoire exige une élaboration intellectuelle » (P. Veyne, Comment on écrit l'histoire). Le concept d'histoire n'est pas naturellement donné, il est culturellement construit. Ressentir la réalité comme devenir historique n'est pas toujours pensable.

1 - À quoi penser pour avoir « une idée de la vraie nature de l'histoire » (Cournot, Considérations sur la marche des idées et des événements).

1.1 - « S'il n'y a pas d'histoire proprement dite là où tous les événements dérivent nécessairement les uns des autres, […] il n'y a pas non plus d'histoire pour une suite d'événements qui seraient sans liaison aucune » (Cournot, Essai sur les fondements de la connaissance).

1.2 - La réalité historique est « devenir » ; à l'ancien succède le nouveau : « Rien n'avait plus en 1792 la physionomie de 1789 […] le vieux monde s'effaçait » (MOT, IX, 9, p. 26).

1.3 - « Il y a histoire à condition que l'avenir pénètre dans le présent d'une manière médiatisée par le passé » (A. Kojève, Introduction à la lecture de Hegel).

1.4 - L'événement historique est l'événement qui modifie le cours de l'histoire, moment décisif et mémorable : « dans deux heures au plus […] le sort de nos guerriers règlera notre sort » (H, I, 3, v. 330).

1.5 - Enfin, ce qui rend pensable la réalité comme histoire c'est sa nature conflictuelle : « L'ambition de commander aux autres fait marcher aujourd'hui vos troupes et les nôtres » (H, I, 3, v. 303/304).

2 - Ce concept d'histoire n'est pas universellement partagé.

2.1- Plutôt que penser l'histoire, les sociétés traditionnelles ont adopté une pensée mythique, cyclique : « refus de l'homme archaïque de s'accepter comme être historique » (M. Eliade, Le Mythe de l'éternel retour).

2.2 - Les valeurs de « l'univers pastoral » (M. Prigent, Le Héros et l'État dans la tragédie de Pierre Corneille) sont un refus de l'histoire.

2.3 - « Rien n'avait passé, rien n'était advenu, cette fixité de l'idée… » (MOT, XI, 6, p. 167), voilà une autre forme de pensée anhistorique et du coup anachronique.

2.4 - Concevoir que « tout est pareil » (Marc-Aurèle) ou que « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » (Héraclite) empêche tout autant de penser l'histoire.

2.5 - On peut penser se situer par-delà l'histoire :

2.5.1 - Le devenir historique n'est pas vraiment la loi de l'être, c'est « le retour éternel » (Ballanche, Essais de palingénésie sociale).

2.5.2 - « La tentation de naturaliser l'histoire est caractéristique de toutes les idéologies de la transcendance » (J. Bouveresse, Savoir absolu et théologie de l'histoire, dans Recherches et débats, 1964).

2.5.3 - La croyance en une « fin de l'histoire », en un temps post-historique.

3 - Certaines conditions sont requises pour accéder à la représentation de la réalité comme histoire.

3.1 - Face à la pensée mythique a été nécessaire : « une révolution qui modifia les fondements mêmes de la pensée  » (A. Koyré, Du Monde clos à l'univers infini).

3.2 - On peut prendre conscience de l'historicité sous la pression des événements introduisant un changement radical : « En 1792 la fidélité au serment passait pour un devoir ; aujourd'hui elle est devenue si rare, qu'elle est regardée comme une vertu » (MOT, IX, 8, p. 57).

3.3 - Pour penser la réalité comme histoire, il faut mobiliser une pensée vivante se déployant dans la durée : « Lorsque j'écrivis pendant mon séjour à Londres en 1822 mes sentiments sur Lord Byron, il n'avait plus que deux ans à vivre sur terre, il est mort en 1824 » (MOT, XII, 4, p. 190).

4 - L'histoire peut même être considérée comme la modalité fondamentale de l'existence humaine.

4.1 - « Ce qu'on appelle histoire n'est rien d'autre que la production de l'homme par lui-même » (K. Marx, Manuscrits de 1844).

4.2 - « La mutation romantique a découvert l'historicité de l'existence » (G. Gusdorf, Fondements du savoir romantique).

II - La façon de penser la réalité comme devenir historique varie selon les régimes d'historicité (« ce mode d'articulation du passé, du présent et de l'avenir dont un individu, une collectivité se dote pour réfléchir sa propre expérience de l'histoire » F. Hartog, Les Régimes d'historicité).

1 - Penser la réalité comme histoire se colore de nostalgie, de curiosité, d'enthousiasme, d'affliction en fonction de notre perception du temps.

1.1 - « … France du dix-neuvième siècle, apprenez à estimer cette vieille France qui vous valait. Vous deviendrez vieille à votre tour…  » (MOT, IX,10, p. 63-64).

1.2 - « Ainsi la révolution dut créer elle-même la forme où la classe bourgeoise pouvait parvenir à son expression ultime… de manière à pouvoir aussi être renversée, sans jamais ressusciter » (18B, p. 294).

1.3 - « Madame Lindsay … la dernière des Ninon  (MOT, XI,2, p. 144).

2 - Chateaubriand : « entre deux régimes d'historicité, l'ancien et le moderne » (F. Hartog, Régimes d'historicité).

3 - On peut explorer activement le fonctionnement temporel de la conscience : « la distention de l'âme » (saint Augustin, Confessions).

3.1 - Corneille revisite les oracles à la mode de son temps : « Ces mêmes Dieux … descendent… dans l'âme des Rois, leurs vivantes images/ de qui l'indépendante et sainte autorité est un rayon secret de leur divinité  » (H, III, 4 v. 840 à 846).

3.2 - Le discours de Tulle institue, à partir du présent, une certaine mémoire de ce qui est arrivé plutôt qu'une autre : « que Rome dissimule ce que… » (H, V, 3, v. 1755-1756).

III - Penser la réalité comme historique implique de se représenter les hommes faisant l'histoire

1 - Ce sont bien les hommes qui agissent dans l'histoire, mais quels sont les acteurs influents ?

1.1 - Un grand homme, un héros, par exemple Horace : « qui me fait aujourd'hui maître de deux États » (H, V, 3, v. 1742) ?

1.2 - Ou bien : « trois cent mille Hercule de charrue » (MOT, XI, 3, p. 153) ?

1.3 - Les acteurs déterminants de l'histoire seraient les hommes et pas les femmes : « Mon père, retenez des femmes qui s'emportent et empêchez surtout qu'elles ne sortent » (H, II, 8, v. 695-696) ?

1.4 - À moins que la lutte des classes ne soit le véritable moteur de l'histoire : « Je montre au contraire comment la lutte des classes en France a créé des circonstances et des conditions […] » (18B, p. 294) ?

1.5 - Ou la Providence: « Une preuve cachée de la Providence quand elle veut changer la face des empires » (MOT, IX, 3, p. 29) ?

1.6 - Quelle que soit la manière de s'inscrire dans l'histoire, les acteurs de l'histoire laissent à penser leurs traces dans l'histoire : « Nos noms ne sauraient plus périr » (H, II, 3, v. 453).

2 - Sujets de l'histoire (faisant et subissant à la fois l'histoire), les hommes combinent diversement liberté et déterminisme.

2.1 - Certes ils peuvent se sentir écrasés : « Vit-on jamais une âme […] asservie en esclave à plus d'événements et le piteux jouet de plus de changement ? » (H, IV, 4, v. 1207-1210).

2.2 - Certes ils peuvent être déterminés : « Les hommes […] ne font pas [l'histoire] de leur plein gré, dans des circonstances librement choisies […] » (18B, p. 176).

2.3 - Mais une part d'initiative (plus ou moins grande) leur revient : « Le sort qui de l'honneur nous ouvre la barrière, offre à notre constance, une illustre matière » (H, II, 3 v. 431-432) / « nous voulions rétablir les monuments de Saint-Louis » (MOT, IX, 9 p. 60).

2.4 - Si on croit que la volonté peut s'articuler à la logique de l'histoire, chercher, par son intelligence et sa détermination, le succès de l'action est une démarche sensée : « cette prompte ruse… » (H, IV, 2, v. 1107).

2.5 - Quoi qu'il en soit, représentions idéologiques, symboles, valeurs sont autant de pensées qui contribuent à façonner le cours de l'histoire : « Ils avaient fait passer comme mot d'ordre dans leur armée, les mots fétiches de l'ancienne société “propriété”, “famille”, “religion”, “ordre” […] » (18B, p. 187).

3 - Les acteurs de l'histoire ont de l'histoire une intelligibilité variable.

3.1 - Le devenir historique n'étant pas pure juxtaposition d'événements fortuits et de décisions arbitraires, il est bien intelligible, objet de pensée.

3.2 - Et même si l'avenir est relativement indéterminé, il n'est pas totalement impensable : « Le propos final de mon étude […] s'est déjà réalisé » (18B, p. 172).

3.3 - Toutefois les acteurs de l'histoire peuvent s'aveugler, ne pas comprendre ce qui arrive : « Aucun parti ne s'exagère ses moyens plus que le parti démocrate, aucun ne s'illusionne sur la situation avec plus de légèreté » (18B, p. 218).

3.4 - Mais la lucidité et la clairvoyance ne sont pas impossibles : « Dieu sait aussi la politique qu'on y entendait » (MOT, X, 7, p. 116).

IV - « Il faut penser que le récit historique apparaît en même temps que les actes et les événement proprement dits : c'est comme un fondement interne qui les fait surgir ensemble » (Hegel, La Raison dans l'histoire).

1 - « L'homme n'a vraiment un passé que s'il a conscience d'en avoir un » (R. Aron, Dimensions de la conscience historique) : « Ignorez-vous encore la moitié de l'histoire ? » (H, IV, 2, v. 1096).

2 - L'histoire de l'existence de chacun se révèle à elle-même en se racontant dans une histoire : « L'identité personnelle est une identité narrative » (P. Ricœur, Soi-même comme un autre).

3 - « Avec le régime d'historicité, on touche à l'une des conditions de possibilité de la production d'histoires ; selon les rapports respectifs du présent, du passé, du futur, certains types d'histoire sont possibles et d'autres non » (F. Hartog, Régimes d'historicité).

4 - En observant l'impact de ce qui arrive dans l'histoire sur les récits ainsi que l'impact des récits sur ce qui arrive dans l'histoire, on peut estimer que : « l'ambiguïté du terme “histoire” paraît bien fondée » (R. Aron, De la conscience historique).

5 - Il peut y avoir également influence du présent du récit sur le récit du passé : « cette date est celle d'une transformations de ma vie » (MOT, XI, 2, p. 141).

6 - Chaque rythme de l'histoire (réalité qui change lentement, agitation de surface…) trouve la forme de récit adéquate.

7 - Pour conjurer la douleur ressentie en représentant la réalité comme historique, on peut concevoir le récit de l'histoire à la manière d'un monument : « temple monolithe de siècles pétrifiés » (MOT, XI, 5, p. 109).

V - Tout en se représentant le réel comme un devenir historique, il n'est pas impensable de postuler l'existence du trans-historique. On questionnera plus particulièrement le statut de la répétition et de la ressemblance en histoire.

1 - Dans l'histoire, on peut penser qu'il y a, massivement ou marginalement, du trans-historique : « eadem sed aliter » (les mmes choses mais autrement, A. Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation).

2 - Estimer que des événements puissent se répéter, établir des ressemblances entre passé et présent relèvent d'un schéma de pensée dont on examinera les manifestations, les raisons, les implications.

2.1 - On peut penser ce qui arrive en termes de répétition : « Hegel note […] que tous les grands événements et personnages historiques surviennent pour ainsi dire deux fois » (18B, p. 175) .

2.1.1 - « Les jacobins étaient des plagiaires » (MOT, IX, 4, p. 36).

2.1.2 - Se représenter le devenir historique ainsi s'explique peut-être par le fait que : « la tradition de toutes les générations mortes pèse […] sur le cerveau des vivants » (18B, p. 176).

2.1.3 - Produire des répétitions crée de la continuité historique et permet d'assimiler la nouveauté.

2.2 - On peut penser ce qui arrive en termes de ressemblance.

2.2.1 - « J'étais là comme Falkland » (MOT, IX, 11, p. 65). / « […] la Montagne. C'est le parti social démocrate qui s'était donné ce nom » (18B, p. 208).

2.2.2 - Ce peut être une méthode heuristique et pédagogique : « Ce que les ateliers nationaux furent pour les ouvriers socialistes […] la société du 10 décembre le fut pour Bonaparte » (18B, p. 244).

2.2.3 - Mais aussi on peut trouver des ressemblances pour servir de modèle « Bonaparte cherche son modèle […] dans les annales de la société du 10 décembre » (18B, p. 288).

2.3 - La prégnance de ce schéma de pensée n'empêche pas de le critiquer.

2.3.1 - Il peut être grotesque, absurde, inapproprié : « Parler de césarisme est une analogie historique superficielle, on oublie la chose principale » (18B, p. 173) .

2.3.2 - Toutefois on peut aussi inventer « une répétition qui sauve et qui sauve d'abord de la répétition » (G. Deleuze, La Logique du sens) : « Camille Desmoulins, Danton, accomplirent sous le costume romain la tâche de leur temps » (18B, p. 176).

Chapitre II : Penser l'histoire c'est aussi chercher à rendre intelligible telle ou telle réalité historique. Cela peut se faire à la manière des historiens. La connaissance historique est une activité sous-tendue par une norme de véracité. Afin de s'y conformer, s'est développée une pensée de l'histoire au second degré : il s'agit de penser la façon dont on pense l'histoire. Les considérations épistémologiques peuvent s'accompagner de prises de position plus spéculatives.

Préambule : Remarques préalables quant à l'esprit de ce chapitre.

I - Penser l'histoire en historien, c'est chercher à rendre compte avec exactitude du cours des choses. Comment l'historien conduit-il sa pensée afin de connaître son objet d'étude ?

1 - « L'histoire est une connaissance objective mue par la curiosité désintéressée » (P. Veyne, article « Histoire » dans l'Encyclopaedia Universalis).

2 - Les étapes de la démarche de pensée historienne. On peut les trouver à l'œuvre dans 18B, même si 18B relève également d'autres démarches de pensée.

2.1 - Délimiter son objet d'étude : « l'histoire du coup d'État » (18B, p. 171)

2.2 - Décider d'une périodisation précise : « du 24 février au 4 mai 1848 … du 28 mai au 13 juin 1849 … du 9 octobre 1851 au 2 décembre 1851 » (18B, p. 290)

2.3 - S'appuyer sur des documents validés : « Le Moniteur annonça que la démission collective du ministère était acceptée. » (18B, p. 261)

2.4 - Établir les faits : « voici les faits » (18B, p. 207) / « Thiers, Anglès … après leur vote … furent publiquement morigénés par leurs mandants des régions industrielles. » (18B, p. 275)

2.5 - Prendre en considération les représentations des acteurs de l'histoire : « La tradition historique a fait naître chez les paysans français la croyance au miracle selon lequel un homme du nom de Napoléon leur ramènerait la gloire. » (18B, p. 300)

2.6 - Tenter une mise en ordre explicative, en démêlant, pesant, hiérarchisant les causes : « La bourgeoisie industrielle, dans son fanatisme de l'ordre, s'irritait des disputes du parti parlementaire de l'ordre avec le pouvoir exécutif. » (18B, p. 275)

2.7 - Justifier la pertinence de son interprétation face à d'autres interprétations de la période étudiée : « Il n'y décèle que l'action violente d'un seul individu. Il ne s'aperçoit pas que… » (18B, p. 172)

2.8 - Le tout en mobilisant certaines vertus épistémiques : « les armes de la recherche historique et de la critique » (18B, p. 173)

3 - Compte tenu des exigences du métier d'historien, on peut penser qu'Horace et les Mémoires d'outre-tombe ne relèvent pas d'une démarche d'historien.

3.1 - Corneille, dans L'Examen (p. 61 à 66), s'interroge plus sur les règles d'une bonne tragédie que sur les règles d'un discours historique pertinent : « Si c'est une règle de … elle n'est pas du temps d' Aristote » (H, p. 60).

3.2 - Corneille admet que l'on puisse prendre certaines libertés par rapport à la vérité historique : « le personnage de Sabine est assez heureusement inventé » (H, p. 64).

3.3 - Ni H, ni MOT ne proposent une périodisation minutieuse ou une documentation raisonnée.

3.4 - Chateaubriand affiche et assume des partis pris bien éloignés du souci d'objectivité attendu des historiens : « l'ignoble désignation de sans-culotte était devenue populaire » (MOT, IX, 1 p. 17)

4 - Cela n'empêche pas, bien sûr, de repérer, à la marge, dans une tonalité mineure, des procédés d'historiens : « Voici la pièce authentique, je la copie fidèlement. » (MOT, X, 8 p. 122)

II- Mais aucune de ces procédures intellectuelles ne peut se passer, sous peine de ne pas parvenir à bien penser l'histoire, d'une réflexion sur les précautions méthodologiques à adopter : l'historiographie est nécessaire à la pensée de l'histoire en historien.

1 - L'historien doit faire la critique interne et externe des documents et même il doit assumer le fait qu'il participe à l'élaboration du document.

2 - « Pour la plupart des historiens, le fait historique est une donnée brute. Qu'il soit construit en réalité par eux-mêmes sans qu'ils s'en rendent compte, ils refusent de le penser » (L. Febvre, L'Ignorance au XVIIe siècle) ; bien penser l'histoire suppose cette prise de conscience : la construction des faits est nécessaire à leur intelligibilité.

3 - Il faut éviter tout positivisme naïf dans l'emploi de « ces étranges outils que sont les concepts historiques » (P. Veyne, Comment on écrit l'histoire).

4 - L'historien doit lucidement admettre sa partialité tout en visant l'objectivité, car il faut comprendre que : « Partialité et objectivité ne caractérisent pas les mêmes moments de la recherche historique. » (P. Ricœur, Histoire et vérité).

5 - Certes l'historien doit chercher à expliquer (et éviter la compréhension empathique) mais c'est à condition de renoncer à l'explication de type nomologique.

6 - Dans sa recherche des causalités, l'historien doit se méfier de l'illusion rétrospective de la nécessité en respectant le caractère non prévisible, non prédictible de l'événement.

7 - La méthode du comparatisme doit être employée avec précaution.

8 - L'historiographie, histoire de la façon d'élaborer et d'écrire l'histoire, constitue un enrichissement épistémologique qui fait gagner toujours plus de crédibilité à la pensée historienne.

9 - Ces considérations épistémologiques peuvent conduire aussi à des débats plus spéculatifs

9.1 - Matérialisme historique, positivisme, structuralisme, histoire événementielle… autant de paradigmes pour penser l'histoire ; la question de leur pertinence respective suscite des polémiques.

9.2 - L' histoire est-elle une science ?

III - Le 18 Brumaire est l'analyse d'une conjoncture historique dans laquelle la politique est traitée du point de vue de la lutte des classes : « Tentative d'explication d'un fragment d'histoire contemporaine … cette brochure n'a rien perdu de sa valeur » (F. Engels, Préface de 1885 au 18B).

1- « Des études historiques comme le 18 Brumaire… » (R. Aron, Les Étapes de la pensée sociologique) souhaitent offrir un gain d'intelligibilité.

1.1 - Sa grille d'analyse veut permettre de bien saisir le rôle des acteurs politiques en France entre février 1848 et décembre1851. Marx prétend ne pas se tromper sur le sens à donner aux événements : derrière des partis et des personnalités politiques, des classes en lutte.

1.2 - Sur le cas concret de la Révolution de 1848 et de son échec, Marx fait notamment comprendre comment l'imaginaire social joue un rôle politique : « La bourgeoisie maintenait la France dans la peur haletante des horreurs futures de l'anarchie rouge. » (18B, p. 173)

1.3 - Face à un événement (le coup d'État) objet d'étonnement pour tous, « Marx explique toute la marche des événements dans leurs rapports internes, montrant que le « miracle » du 2 décembre n'était que le résultat naturel et nécessaire de ces rapports » (F. Engels, Préface de 1885 au 18B).

2 - Ainsi dans le 18B, « Marx esquisse une histoire des conditions de constitution de la bourgeoisie française en classe politique dominante ; et même si son expérience de la domination politique effective est limitée, elle bénéficiera de la centralisation bureaucratico-administrative du pouvoir » (A. Artous, Marx, l'État et la politique).

3 - On notera que Marx, au contact des luttes politiques en France, a été amené à affiner l'emploi des concepts du matérialisme historique ; il ne fait pas une lecture économiste mécaniste de la situation et accorde une relative autonomie à la superstructure politique.

4 - Le 18 B est une œuvre de pensée qui se veut aussi, à la différence d'une pensée historienne pure, un engagement politique : « Pour Marx, l'analyse du réel suggère irrésistiblement la volonté révolutionnaire ; il lie l'interprétation de l'histoire et la volonté politique. » (R. Aron, Les Étapes de la pensée sociologique)

Chapitre III : Mais les historiens ne sont pas les seuls penseurs de l'histoire. Il ne faut pas négliger que « le récit mythique, la dramaturgie littéraire constituent un double lumineux de la suite des temps historiquement actualisée et pensée par les historiens » (J.-J. Wunenburger, Colloque de Cerisy sur l'histoire, juillet 1984). Sans oublier les philosophies de l'histoire.

Préambule : Remarques préalables quant à l'esprit du chapitre

I - Quand le dramaturge Corneille s'intéresse à l'histoire, il pense par histoires. Son théâtre est un jeu de miroir avec « l'Histoire » (H, p. 59).

1 - L'histoire romaine est un réservoir de bonnes histoires à raconter au théâtre. Et la fonction esthétique et ludique de l'histoire se trouve bien relayée par le théâtre, destiné à « plaire et divertir » (H, p. 60).

2 - Recourir à la forme théâtrale conduit nécessairement à penser l'histoire et réciproquement : « le théâtre de la guerre […] songea Grange ; le mot n'est pas si mal choisi » (J. Gracq, Un balcon en forêt).

3 - « La tragédie est politique parce que la politique est tragique » (M. Prigent, Le Héros et l'État dans le tragédie de P. Corneille).

4 - En mettant en scène le combat d'Horace, le meurtre de Camille, les discours de Tulle au « procès » d'Horace, les rapports du héros et du pouvoir, Corneille s'inscrit dans une longue histoire de réflexion sur l'histoire.

5 - Et ainsi Corneille peut concevoir son théâtre comme un instrument de prise de conscience de l'histoire concrète où lui et ses spectateurs se trouvent engagés.

6 - Penser théâtralement l'histoire invite à saisir qu'« à travers la beauté des mots et la rigueur de la construction, un homme parle de l'homme aux hommes » (S. Doubrovsky, La Dialectique du héros dans le théâtre de Corneille). À l'image d'une pensée de l'histoire qui « n'est pas connaissance du singulier des événements mais de leur spécificité » (P. Veyne, article « Histoire » dans l'Encyclopaedia Universalis).

II - Ni simple autobiographe, ni pur historien, Chateaubriand, dans les Mémoires, déploie un espace mental atemporel dans lequel les anecdotes les plus singulières se haussent au rang de l'épopée.

1 - « Le portrait de l'homme des Mémoires n'est pas tant un portrait psychologique qu'un portrait symbolique de l'histoire des hommes aux prises avec leur destinée » (J.-C. Cavallin, Chateaubriand mythographe).

1.1 - Racontant son arrivée à Tournai, première étape de son émigration en 1792 (MOT, IX, 7, p. 50 et 51), le mémorialiste convoque Clovis, Lucrèce, Cérès.

1.2 - Chateaubriand fait d'Énée, de Moïse, de Noé, de Didon et autres figures mythologiques, des clés de lecture de son histoire personnelle ; le récit de son amour pour Charlotte (X, 9 et 10), le récit de son amitié avec Fontanes (XI, 3) en offrent deux illustrations.

1.3 - Chateaubriand, pour penser son histoire, analyse parfois (XI, 1) son caractère, mais pratique surtout une identification idéalisante à de grands modèles : « Ces génies-mères semblent avoir enfanté et allaité tous les autres » (MOT, XII, 1, p. 174).

2 - « Il y a, dans les Mémoires, un constant regard sub specie aeterni qui impose de considérer les faits non comme des entités en soi mais comme des symboles d'ordre supérieur » (J.-C. Cavallin, Chateaubriand mythographe).

2.1 - Bien que conscient de la profonde fracture intervenue dans la continuité du devenir historique, Chateaubriand pense un présent auréolé de vers anciens et d'aventures du temps passé : « Cologne me remit en mémoire Caligula » (MOT, IX, 8, p. 56).

2.2 - Chateaubriand forge, de son histoire comme de l'histoire de son temps, une pensée narrative et descriptive mais aussi méditative et métaphysique, empreinte de théâtralité : « la nouvelle France glorieuse de ses nouvelles libertés, fière même de ses crimes » (MOT, X, 8, p. 123), « rencontre extraordinaire » (MOT, X, 11, p. 132).

2.3 - « Les Incidences scandent le parcours [des Mémoires] comme […] des haltes symboliques » (P. Berthier, Chateaubriand, le tremblement du temps) : XII, 1 « Incidences » p. 169.

3 - La pensée poétique et allégorique à l'œuvre dans MOT donne sens et ampleur à l'histoire personnelle de Chateaubriand comme à l'Histoire.

4 - Ainsi les Mémoires déportent, par leur recherche du symbolique, ce qu'ils ont constitué comme historique vers le domaine de l'épique ; toute forme de vérité n'est pas pour autant exclue.

III - La démarche de pensée philosophique à propos de l'histoire s'interroge sur le sens de l'histoire.

1 - Penser l'histoire en philosophe qui conçoit une philosophie de l'histoire.

1.1 - « Une philosophie de l'histoire suppose que l'histoire humaine n'est pas une simple somme de faits juxtaposés […] mais qu'elle est une totalité en mouvement vers un état privilégié qui donne sens à l'ensemble » (M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception). Continuité, totalité, téléologie, universalité sont les catégories de pensée de toute philosophie de l'histoire.

1.2 - Un exemple de philosophie de l'histoire élaborée au cours de l'histoire de la philosophie : « L'histoire universelle est la manifestation du processus divin de la marche graduelle par laquelle l'Esprit connaît et réalise sa vérité » (Hegel, La Raison dans l'histoire).

2 - Les trois œuvres, chacune à leur manière, proposent des « philosophies » de l'histoire, si on admet un usage peu rigoureux de cette appellation.

3 - Penser l'histoire en philosophe peut se donner pour objectif d'évaluer le principe même de la philosophie de l'histoire.

3.1 - « De toutes ces idées [qu'il nous plaît de nous faire des destinées du genre humain ], aucune ne donne la clé universelle » (Cournot, Considérations sur la marche des idées et des événements dans les temps modernes).

3.2 - « L'histoire n'a pas de grandes lignes qu'il faudrait savoir discerner sous la superficialité des choses » (P. Veyne, Comment on écrit l'histoire).

3.3 - « La question est de savoir si on peut se faire une conception dégrisée de l'histoire après le crépuscule de l'idole hégélienne » (V. Descombes, Le Même et l'autre).

Chapitre IV : Penser l'histoire que ce soit à la manière des historiens, des philosophes ou des poètes, c'est examiner comment l'écriture restitue et/ou forge le sens de l'histoire. Raconter l'histoire en racontant des histoires ? Raconter l'histoire sans raconter d'histoires ?

Préambule : Remarques préalables quant à l'esprit du chapitre.

I - Penser l'histoire (la réalité historique tout comme l'histoire personnelle, et quelle qu'en soit la manière), c'est faire l'expérience des rapports nécessaires et complexes entre écriture et histoire.

1 - En examinant « les diverses modalités de la fabrication et de la perception de l'événement à partir de sa trame textuelle » (F. Dosse, L'Histoire), on comprendra que penser l'histoire c'est nécessairement procéder à une « écriture » de l'histoire (au sens strict ou lâche de ce terme).

2 - Mais écrire l'histoire peut menacer jusqu'à la possibilité même de rendre compte de la réalité dans sa dimension historique.

3 - Et dans le cadre d'une pensée historienne de l'histoire : « les ravages d'une fallacieuse esthétique ont été dénoncés » (M. Bloch, Apologie de l'histoire).

4 - Néanmoins les ressources de l'écriture peuvent pallier les pièges de l'écriture et peuvent même être mises au service de la pensée historienne.

5 - Surtout, l'histoire et l'écriture de l'histoire, quelle que soit la manière d'envisager l'une et l'autre, sont dans des rapports de fécondation mutuelle.

5.1 - « Les souvenirs de ma vie militaire se sont gravés dans ma pensée, ce sont eux que j'ai retracés au sixième livre des Martyrs » (MOT, IX, 14, p. 76).

5.2 - Hériter de l'histoire (de telle situation historique, de tel patrimoine culturel) peut permettre d'en faire le sujet de son histoire (sa vie, comme son récit).

5.3 - Tout texte (même non historique dans son projet) charrie matière à histoire.

5.4 - L'écriture a des effets de réalité… sur la suite de l'histoire.

6 - Ainsi, on ne peut penser l'histoire sans l'écrire et même on n'a jamais fini d'écrire et de réécrire l'histoire : « revu en février 1845 » (MOT, X, 1, p. 86)

II - « La narration historique diffère-t-elle vraiment par une pertinence indubitable de la narration imaginaire ? » (R. Barthes, « Le Discours de l'histoire », article paru dans Poétique, Le Texte de l'histoire, fév. 1982).

1 - H. White, dans Metahistory, estime qu'il n'y a pas de différence essentielle entre récit historique et récit fictif : « Il faut démystifier les historiens qui abusent la confiance du lecteur en présentant comme vérité ce qui n'est que discours. »

2 - Pourtant raconter des histoires et faire de l'histoire ne s'inscrivent pas dans le même horizon d'attente : « Autant il m'a paru légitime de voir dans l'intelligence narrative la matrice de l'explication historique, autant il m'a paru nécessaire de prendre en compte les traits par lesquels l'histoire s'est affranchie de la simple narrativité. » (P. Ricœur, Réflexions faites).

3 - Donc, bien penser l'histoire et quelle qu'en soit la manière, suppose de ne pas tout confondre : « [Walter Scott] me semble avoir créé un genre faux : il a perverti le roman et l'histoire, le romancier s'est mis à faire des romans historiques et l'historien des histoires romanesques. » ( MOT, XII, 2, p. 177-178)

4- Mais cela ne doit pas masquer les multiples relations entre histoire et fiction.

4.1 - Pour raconter son histoire, Chateaubriand mêle personnages historiques et personnages fictifs : « Je ne rencontrai pas sire Enguerrand venant d'Espagne mais […] de petits marchands forains » (MOT, X,1, p. 88).

4.2 - Horace comme les Mémoires d'outre tombe exemplifient l'irruption de l'histoire dans la littérature et de la littérature dans l'histoire.

4.3 - La fiction peut être une autre voie d'accès à la vérité de l'histoire : « auprès de l'analyste […] le poète » (MOT, XI, 2, p. 142).

4.4 - Roman et histoire ont une parenté formelle, le récit en prose, la mise en intrigue : « la narration que je reprends aujourd'hui » (MOT, X,11, p. 132).

4.5 - L'histoire : « un roman vrai » (P. Veyne, Comment on écrit l'histoire).

III - Chacun des auteurs du programme choisit « un régime d'écriture » de l'histoire pour exprimer au mieux sa manière de penser l'histoire.

1 - Le genre de la tragédie offre une noblesse de ton et d'esprit que Corneille veut voir se manifester dans l'histoire : « On pleure injustement des pertes domestiques/ Quand on en voit sortir des victoires publiques » (H, IV, 3, v. 1175-1176).

2 - Chateaubriand donne à ses Mémoires un souffle épique et communique ainsi une pensée lyrique de l'histoire. De plus sa poétique de l'anecdote donne « à partir d'un détail futile et pourtant significatif, la vérité d'un être, le sens d'une vie » (J.-P. Richard, Études sur le romantisme).

3 - L'esprit pamphlétaire du 18B, son style ironique et mordant, dégage une énergie au diapason d'une pensée de l'histoire que Marx veut lucide et combative : « remplacer sa devise “liberté, égalité, fraternité” par les termes sans ambiguïté : Infanterie, Cavalerie, Artillerie » (18B, p. 225).

Chapitre V : En convoquant la connotation évaluative du terme « penser », on comprendra que penser l'histoire c'est aussi se demander quelle valeur accorder à l'histoire : quelles appréciations est-on amené à porter sur telle ou telle situation historique ? dans quelle mesure les raisons avancées pour entreprendre de penser l'histoire sont-elles fondées ? et que valent les pensees de l'histoire défendues dans nos trois œuvres ?

I - Penser/peser l'histoire

1 - Comment les trois auteurs au programme évaluent-ils l'histoire : a) celle qu'ils racontent ? b) la manière dont ils la racontent ?

1.1 - a) « Ce généreux Romain que je mets aux pieds de Votre Éminence » (H, p. 58) ;
b) « Comme je n'ai point accoutumé de dissimuler mes défauts, j'en trouve ici deux ou trois » (H, p. 62)

1.2 - a) « Cette émigration fate m'était odieuse » (MOT, IX, 8 p. 54) ;
b) « Nous autres auteurs, nous avons la prétention d'entretenir des intelligences avec les races futures ; mais nous ignorons […] la demeure de la postérité » (MOT, XI, 2, p. 140)

1.3 - a) « S'il existe une période historique peinte tout en grisaille, c'est bien celle-ci » (18B, p. 207)
b) « Le propos final de mon étude […] s'est déjà réalisé » (18B, p. 172).

2 - Chaque personnage, mis en scène dans les œuvres au programme, évalue, à sa manière, la situation historique à laquelle il est confronté : d'Horace à Tulle en passant par Curiace ou Camille ; de M. de Malesherbes à Fontanes en passant par les « camarades » d'infortune ; des Républicains bourgeois à Bonaparte en passant par le parti de la Montagne ou les paysans.

3 - « L'histoire du monde comme tribunal du monde » (Hegel, Principes de la philosophie du droit).

II - Si la réalité historique fait l'objet d'une évaluation, le projet de penser l'histoire aussi : à quoi bon penser l'histoire ?

1 - Cela vaut vraiment la peine de penser l'histoire : « L'Histoire : témoin des siècles, flambeau de la vérité, âme du souvenir, école de vie, interprète du passé » (Cicéron, De l'orateur, II, IX ).

1.1 - L'intelligence du passé nous éclaire, nous instruit et donc nous libère : « Le renversement de la république parlementaire contient en germe le triomphe de la révolution prolétarienne » (18B, p. 295)

1.2 - Le goût d'admirer, le besoin de se savoir inscrit dans une aventure collective, le devoir de mémoire, la visée d'une forme d'éternité et même la volonté de se soustraire au temps historique, s'expriment au mieux dans une méditation sur l'Histoire et/ou sur l' histoire personnelle articulée à l'Histoire.

1.3 - Agencer des histoires peut avoir ces mêmes effets bénéfiques de libération et de réconfort : « Aussitôt que nous le [Dinarzade] voyions, nous courions à lui, nous nous le disputions » (MOT, IX,13, p. 73).

1.4 - Penser l'histoire permet « d'enrichir la culture présente des valeurs du passé » (Henri-Irénée Marrou, De la connaissance historique).

1.5 - On recommandera donc de penser l'histoire de toutes les façons possibles : « En dehors même des questions d'éducation où son rôle devrait être capital […], il y a un profit général de l'Histoire » (Régine Pernoud, Pour en finir avec le Moyen Âge).

2 - Mais ces raisons avancées pour justifier et recommander de penser l'histoire sont toutes contestables, au point qu'on pourrait/devrait plus ou moins s'en désintéresser.

2.1 - Aucune façon de penser l'histoire ne peut garantir la vérité de ce qui est raconté ; les bienfaits de la croyance selon laquelle penser l'histoire apporterait la vérité sont donc illusoires. Du coup « l'histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l'intellect ait élaboré » (P. Valéry, Variétés).

2.2 - Et même si on pouvait avoir l'assurance de penser adéquatement l'histoire, cela n'empêcherait pas de la subir : « Je sais que ton État encore à sa naissance// Ne saurait sans la guerre affermir sa puissance » (H , I, 1, v. 39-40).

2.3 - Paradoxalement l'histoire qui se penserait répétition et se voudrait magistra vitae (maîtresse de vie) se nierait elle-même et disqualifierait donc tout projet de penser l'histoire ainsi motivé.

2.4 - « L'histoire ne peut nous indiquer ce qu'il faut faire » (Karl Popper, La Société ouverte et ses ennemis) : « Presque toujours en politique le résultat est contraire aux prévisions » (MOT, IX, 3, p. 28).

2.5 - Penser l'histoire afin de maintenir vivant le passé est vain ; la mémoire est nécessairement lacunaire, sélective, manipulée.

2.6 - « Le savoir historique, quand il règne sans frein, nous détourne de la vie » (Nietzsche, Secondes Considérations intempestives).

2.7 - Par conséquent, consacrer ses efforts à penser l'histoire serait inepte.

3 - Néanmoins ce projet de penser l'histoire (re)trouve toute sa valeur quand on réexamine certaines des raisons conduisant à dévaloriser absolument ce projet ; mais aussi quand on considère d'un autre point de vue sa valorisation.

3.1 - Certaines des raisons censées disqualifier le projet de penser l'histoire pourraient le justifier pleinement.

3.2 - Penser l'histoire par attrait de la curiosité, du jeu, de la stimulation intellectuelle échappe aux objections ordinairement apportées à ce projet. C'est même indispensable à une pensée libre et cela réjouit donc l'esprit.

3.3 - À condition de faire preuve de lucidité et de vigilance, penser l'histoire révèle au mieux la condition humaine aux prises avec l'histoire.

III - Les pensées de l'histoire défendues par les trois œuvres au programme sont soumises aux jugements de la postérité, jugements de valeur divers et contrastés.

1 - On examinera, à propos de Horace, cette diversité d'appréciations et par exemple : « Je prends garde que ce que vous prêtez à l'histoire est toujours meilleur que ce que vous empruntez d'elle. » (Guez de Balzac, Lettre à Corneille, 17 janvier 1643)

2 - On examinera, à propos des Mémoires, cette diversité d'appréciations et par exemple : « Il suffit d'ouvrir n'importe où les Mémoires d'outre tombe pour tomber avec évidence sur une des proses les plus fortes et les plus enchanteresses de notre littérature. Elle éclaire notre histoire, elle s'élève aux questions éternelles sur le destin des hommes. » (J. d'Ormesson, Odeur du temps)

3 - On examinera, à propos du Dix-huit Brumaire, cette diversité d'appréciations et par exemple : « Les concepts marxistes peuvent avoir une utilisation légitime. L'objection porte sur leur interprétation dogmatique. » (R. Aron, Les Étapes de la pensée sociologique)

Conclusion générale, sous la forme de plans de dissertation.


Christine Février

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