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Christine Février : cours sur le thème « La socit ».

© : Christine Février.

Ce texte est le plan d'un cours de Philosophie fait au lycée Chateaubriand de Rennes, sur le thme du concours 2011/2012 des CPGE conomiques et commerciales.
Il peut faire l'objet seulement d'un usage personnel : aucune reproduction n'en est permise, sous quelque forme que ce soit.

Ordre du cours : il est inhabituel.
Dans La Socit des individus, Norbert Elias dfinit la socit comme  un systme rticulaire . Ce cours sur le thme de  la socit  est conu comme un systme rticulaire, l'image de l'objet dont il traite :  Un filet est fait de multiples fils relis entre eux. Toutefois ni l'ensemble de ce rseau ni la forme qu'y prend chacun des diffrents fils ne s'expliquent partir d'un seul de ces fils ; ils s'expliquent uniquement par leur association, leur relation entre eux. [] La forme de chaque fil se modifie lorsque se modifie la structure de l'ensemble du rseau. Et pourtant chaque fil forme l'intrieur de ce tout une unit en soi  Norbert Elias.
Les chapitres de ce cours ne sont donc pas numrots.
En tte de cette page, on trouvera la liste des 13 chapitres, le visiteur pouvant accder directement tel ou tel chapitre par un lien. D'autre part, on trouvera, dans le cours des chapitres, des liens vers d'autres chapitres.

Ce cours en 13 chapitres a t mis en ligne progressivement, entre 18 janvier 2017 et le 9 fvrier 2017.

Christine Février était professeur en prépa EC et en prépa littraire au lycée Chateaubriand de Rennes.


LA SOCIT

SOMMAIRE DU COURS : les chapitres selon leur disposition rticulaire, chacun en principe renvoyant tous les autres



Faire socit : les ressorts de la cohrence et de la cohsion sociales

AXE A - Faire socit avec d'autres, c'est partager des croyances et des valeurs, des coutumes et des rites, c'est intrioriser des statuts et des rles par la mdiation des institutions sociales qui incarnent et transmettent l'organisation de l'interdpendance sociale.

I – Toute socit repose sur des institutions qui organisent la vie collective et recourent un ensemble de procdures afin de faire respecter l'ordre tabli au sein de la socit :  Rites, normes, valeurs constituent les instruments de rgulation sociale, instruments qui amnent les individus participer aux attitudes collectives, remplir correctement les rles sociaux et respecter les murs  H. Mendras, Le Changement social.

1 – Des institutions comme la famille et l'cole sont des vecteurs de socialisation.

2 – Toute socit d'une part instaure des lois et des rgles de vie collective et d'autre part sanctionne leur transgression.

3 –  Le travail est la meilleure des polices  Nietzsche, Aurore.

4 – Montesquieu, dans L'Esprit des lois, montre que les instituions sont d'autant plus stables qu'elles sont en harmonie avec le milieu gographique et le climat

*R. Aron, Les tapes de la pense sociologique, chapitre Montesquieu.

II – Une socit ne s'tablit et ne perdure que si elle parvient se constituer comme communaut symbolique. La grammaire sociale des significations cre un monde commun permettant la communication entre les acteurs sociaux.

1 – Des liens sociaux se tissent solidement en partageant des valeurs, une mmoire, un imaginaire, des mythes.

2 – Tout particulirement les croyances religieuses, ainsi que la cration de grands idaux transforms en choses sacres remplissent cette fonction cohsive ncessaire la prennit du groupe social.

3 – Des crmonies et des rites raffirment rgulirement l'identit et l'unit du groupe.

4 –  Internet n'est pas seulement un mdia c'est une forme sociale qui matrialise d'une certaine manire la socit  P. Rosanvallon, ITW, Le Monde, 22/7/2011.

III – Les statuts et les rles qui dfinissent l'identit sociale des individus structurent toutes les interactions sociales.

1 – Le statut dsigne la position qu'un acteur social occupe sur l'chiquier social ; ce n'est pas seulement un ensemble d'attributs qui permettent l'acteur social de jouer son rle, ce sont aussi des droits et des devoirs.

2 – Le rle dsigne le comportement attendu de celui qui a tel statut.

3 – L'habitus dsigne cette capacit d'effectuer immdiatement les choix de comportement conformes aux attentes sociales.

4 – E. Goffman, La Mise en scne de la vie quotidienne.

Axe B – Diffrentes formes de sociabilit expriment et confortent la cohsion sociale, assurent ou renforcent la stabilit du lien social.

I – Le lien social est tiss par lintrt dans les changes conomiques mais il est tiss galement dans l'change dsintress du don et du contre-don.

1 – L'change est la rgle fondamentale de toute vie sociale.

2 – Selon la thorie du choix rationnel et l'utilitarisme, la socit est organise autour de l'change des biens. Chacun des acteurs sociaux  tout en ne cherchant que son intrt personnel, travaille souvent de manire plus efficace pour l'intrt de la socit que s'il avait rellement pour but d'y travailler. En cela comme dans beaucoup de cas, il est conduit par une main invisible remplir une fin qui n'entre pas dans ses intentions  A. Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations.

3 - Ceci est loin d'avoir une valeur heuristique totalement satisfaisante. Pour penser le principe mme de l'organisation sociale, il faut recourir aux concepts de rciprocit et de don :  On peut affirmer la prennit du don dans les socits modernes  J.T. Godebout, L'Esprit du don.

II – Les pratiques de solidarit comme ciment social.

1 – La solidarit dfinit la relation qui lie deux ou plusieurs personnes devant rpondre l'une de l'autre.

2 – E. Durkheim distingue, dans De la division du travail, la solidarit mcanique et la solidarit organique.

3 – Quelques figures de la solidarit : solidarits locales, solidarits ouvrires, solidarit d'exil

III – Une sociabilit sans fins directement utilitaires, mais fortement investie affectivement assure galement la cohsion sociale.

1 – La sociabilit est un trait de psychologie collective : l'aptitude gnrale d'une population vivre intensment les relations publiques.

2 – Gustave Le Bon, dans La Psychologie des foules, analyse comment cette sociabilit  peut s'prouver dans une runion momentane d'individus soumis une motion forte la suite d'un vnement ou d'un discours provoquant la peur, la haine, l'enthousiasme, l'amour .

3 –  La conversation, les ftes, les jeux de socits, les salons, les clubs, les cafs, les rseaux sociaux sont des formes ludiques de socialisation  G. Simmel, 1918.

4 – Quoi qu'il en soit, La Rochefoucauld souligne la nature profondment ambigu de la sociabilit :  L'hypocrisie est l'hommage du vice rendu la vertu  Maximes et Rflexions diverses.

Axe C – Les individus en socit sont des acteurs sociaux dont les actions s'entrecroisent formant une structure sociale, un  rseau en mouvement perptuel tissant et dfaisant inlassablement des relations  N. Elias, La Socit des individus.

Chapitre : L'ontologie du fait social

Chapitre : L'individu : un je de socit

Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ?

Axe D – Diagnostiquer un comportement comme normal ou dviant, comme consensuel ou conflictuel, comme social ou asocial, comme tranger ou fidle aux us et coutumes, est socialement structurant.

I – Conformit et dviance sont les deux facettes d'un mme processus de normalisation sociale.

1 – En comprenant ce qu'est la conformit et la dviance sociales

2 – on saisit qu'il n'y a pas de paradoxe affirmer :  Les conditions fondamentales de l'organisation sociale telles qu'elles sont connues, impliquent logiquement le crime  E. Durkheim, Les Rgles de la mthode sociologique.

II –  Qui ne voit que la cohsion sociale est due en grande partie la ncessit pour une socit de se dfendre contre d'autres et que c'est d'abord contre tous les autres qu'on aime les hommes avec lesquels on vit  Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion.

1 – L'accord des hommes pour vivre ensemble ne semble pas pouvoir se produire sans que soit dsign un objet contre lequel cet accord se ralise : un ennemi du dedans ou du dehors rel ou imaginaire.

2 – R. Girard, dans La Violence et le sacr, dcrit comment  le mcanisme de la victime missaire  (le bouc-missaire) est l'origine de l'engendrement de l'ordre qui produit le groupe.

Axe E – Faire socit n'implique pas l'absence de hirarchisation sociale ni l'absence de recherche de distinction sociale.

I – Toute socit est un ensemble de positions et de strates hirarchiquement disposes en fonction d'une ingale distribution du pouvoir, de la richesse, des privilges et du prestige ; la stratification sociale est la diffrenciation des fonctions la fois hirarchises et values selon des critres spcifiques chaque socit.

1 – Distinguer diffrenciation sociale et stratification sociale.

2 – Marx, dans Le Capital, affirme que l'appartenance de classe est objectivement dtermine par la place de l'individu dans les rapports de production.

3 – Pour Max Weber, trois types de hirarchisation, reposant sur la proprit, le pouvoir, le prestige, se combinent pour fonder la stratification sociale.

4 – Dans les socits modernes, la stratification prsente la particularit de ne pas tre institutionnalise ; c'est la condition ncessaire (pas suffisante) de la mobilit sociale.

4 – Tocqueville, dans De la dmocratie en Amrique, pointe un conflit (inhrent aux socits modernes dmocratiques), entre la ralit sociale hirarchise et l'idal galitaire.

5 – En ce dbut de XXIe sicle,  les hyper-riches  de chaque socit constituent, l'chelle mondiale, une sorte de socit oligarchique concentrant richesse, pouvoir, prestige.

II – Un des moteurs de la vie sociale est  la rivalit ostentatoire  (Veblen) qui vise exhiber une prosprit suprieure celle des autres : la course la distinction sociale:

1 – Ne pas confondre se diffrencier et se distinguer.

2 –  Chacun commena regarder les autres et vouloir tre regard soi-mme et l'estime publique eut un prix. [] De ces prfrences naquirent d'un ct la vanit et le mpris, de l'autre la honte et l'envie  Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalit parmi les hommes.

3 –  Ce n'est pas une grande disproportion entre les autres et soi qui produit l'envie mais au contraire une proximit  Hume, Trait de la nature humaine.

4 – La distinction sociale se teste de mille manires, variables selon les contextes sociaux ; examinons notamment les nouveaux codes de la distinction en matire de cultures dans les socits modernes contemporaines.

5 – Pour rendre compte de cette lutte pour la reconnaissance sociale, plusieurs thories sont notre disposition : de la thorie de la frustration relative (Tocqueville) celle du narcissisme des petites diffrences (Freud) en passant par celle du dsir mimtique (R. Girard).

6 – La socit idale serait-elle celle qui ne rassemblerait que ceux qui se ressembleraient ?

Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?

Axe F – La cohsion sociale n'est pas inconciliable avec la dynamique sociale, faite de changements dans la continuit ou dans la rupture.

I – Stabilit et changement : la question est de savoir quoi accorder la priorit ontologique et la supriorit axiologique.

1 – On peut affirmer que la stabilit est premire ou au contraire le changement :  La socit a toujours volu dans le cadre d'un antagonisme, celui des hommes libres et des esclaves dans l'Antiquit, des nobles et des serfs au Moyen ge, de la bourgeoisie et du proltariat dans les temps modernes  Marx et Engels, Manifeste du parti communiste,

2 – Socit close et/ ou socit ouverte ?

*Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion

II – Les diffrentes formes de changement social et les diffrentes faons dont les acteurs sociaux le produisent, se les reprsentent, y ragissent.

1 – En allant du changement le moins marqu vers le plus radical, on retiendra : la drive, l'volution, la rvolution, la mutation.

2 – Le dbat dmocratique, le travail lgislatif, la pression de la rue, les conflits, la rvolte comme moyens de produire du changement.

3 – Le changement peut tre peru comme une crise, une dstructuration, un progrs, une rgnration de la socit.

III – Les facteurs du changement social : sa dimension endogne et sa dimension exogne

1 – Le dcalage entre un certain fonctionnement social et les attentes des acteurs sociaux.

2 – La contradiction entre les forces productives et les rapports de productions.

3 – L'essor technologique.

4 – Les migrations, les guerres.

IV – Les lois du changement social

1 – Statique sociale et dynamique sociale sont les deux grandes divisions tablies par A. Comte dans l'tude des socits ; elles renvoient sa thorie de l'ordre et du progrs.

*R.Aron, Les tapes de la pense sociologique chapitre Comte

2 – Les luttes de classes, selon le matrialisme historique, dterminent le changement social.

Chapitre : Pas de socit sans histoire

Axe G – Dans toute socit sont l'uvre des forces d'intgration et des forces de dsintgration. Les unes comme les autres peuvent parfois se transformer en leur contraire.

I – Les dynamiques d'intgration sociale

1 – L'adhsion au  contrat social  par confiance, intrt bien compris, capacit des institutions jouer leur rle de ciment social.

2 – La pluralit possible des modes d'intgration consolide le lien social.

3 – Max Weber propose une typologie des principes de lgitimit qui garantissent l'ordre social.

4 – Les socits peuvent faire le pari d'une synergie ngociable et d'un quilibre possible entre stabilit et changement.

5 – G. Balandier montre, dans Le Dsordre qu'il y a des formes de violences rgulatrices et que le dsordre social peut se transformer en un nouvel ordre social.

II – Mais toute socit est galement confronte des ferments de dstructuration, distinguer de ce qui peut produire la dsocialisation de tel ou tel individu ou un choix  antisocial .

1 – Une socit devenue incapable de susciter la confiance en elle, des institutions fragilises,  l'anomie  (Durkheim) provoquent la dilution du lien social.

2 – Une stratification sociale explosive.

3 – Par contre certaines conduites apparemment intgres peuvent contribuer au dlitement du lien social.

4 – Si la religion peut tre un ciment social, elle peut tout autant tre une pomme de discorde.

5 –  Des difficults de cohabitation rsultant des diffrences d'habitus social  N. Elias, La Socit des individus.

6 – La guerre, la guerre civile, certaines mutations conomiques et culturelles peuvent saper les fondements d'une socit.

7 – La violence endmique est inhrente toute socit ; si elle ne peut tre canalise, elle devient destructrice.

8 – Face cela, une socit peut trouver plus ou moins aisment des ressources pour neutraliser ou  rcuprer  ce qui s'oppose fondamentalement elle.

 

 

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Peut-on concevoir une socit humaine sans art ?

Axe A – On ne peut pas se faire une ide pertinente (concevoir) d'une socit humaine si on imagine que les productions techniques ou les productions artistiques pourraient en tre absentes.

I – Les hommes ne peuvent survivre sans des artifices techniques nombreux et complexes, constitutifs de toute vie sociale.

1 – La socit en tant que telle est un artifice, mme s'il est inhrent la nature de l'homme que de fabriquer des artifices

Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?

2 – Aucune socit humaine ne peut survivre sans techniques.

3 – Aucune socit ne peut assurer sa cohsion sociale et sa stabilit sans mobiliser techniques de persuasion, contrats et autres artifices.

Chapitre : Faire socit

Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ?

II – La socit humaine est un systme symbolique et culturel, les beaux-arts en sont une des manifestations.

1 –  Le propre des socits est de reposer sur des cultures symboliques  F. Hritier, Hommes,femmes, construction de la diffrence.

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

Chapitre : Faire socit

2 –  Les uvres d'art sont des systmes symboliques  N. Goodman, Langages de l'art.

III – Afin de saisir en quoi les productions techniques et artistiques sont indissociables des socits humaines, distinguons-les de la proto-culture des socits animales.

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?

Axe B - On peut considrer (concevoir, envisager) que la prsence des productions techniques et artistiques est ncessaire pour qu'une socit soit vraiment humaine< (au deuxime sens du terme).

I – Malgr quelques voix dissonantes, on peut s'accorder souligner les vertus humanistes des uvres d'art et considrer comme vraiment humaines les socits qui encouragent leur cration et leur diffusion.

1 – Crer ou contempler des uvres d'art est un moyen privilgi de combler les exigences humaines les plus hautes.

2 – Le raffinement esthtique est un raffinement de l'intelligence et de la sensibilit, facteur de  civilisation , d'panouissement personnel et collectif.

*N. Elias, La Civilisation des murs

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

3 – L'intrt pour un art qui n'est pas en rsonance directe avec la socit dans laquelle on vit est une preuve supplmentaire de sa porte humaniste car la frquentation des uvres du pass est un facteur de distanciation et donc d'enrichissement et de meilleure comprhension.

4 – On peut valuer l'humanit d'une socit, entre autres, la qualit de ses politiques culturelles.

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?

5 – Malgr tout cette thse suscite quelques objections : L'art peut tre instrumentalis des fins de propagande et d'asservissement ; les esthtes peuvent tre des barbares ; l'art n'aurait plus cette noble fonction l'poque de la socit de consommation, de la culture de masse, du divertissement et de l'industrie culturelle, comme le remarque H. Arendt dans La Crise de la culture.

II – On ne peut estimer vritablement humaine l'attention qu'une socit porte amliorer ses conditions d'existence qu' la condition que l'innovation technique incessante ne devienne pas une fin sociale en soi.

1 – Certes l'essor technologique incessant, caractristique des socits modernes peut conduire  la mort essentielle et existentielle de l'homme  H. Jonas, Le Principe de responsabilit.

2 – Et U. Beck La Socit du risque (1986) comme H. Rosa, L'Acclration (2010) analysent les processus par lesquels les socits hyper/post modernes semblent s'loigner toujours plus de l'idal d'une socit humaniste.

Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?

3 – Mais il y a des acteurs sociaux qui essaient de mettre en place des procdures pour viter ces risques d'une socit dshumanise car soumise la seule logique technicienne.

Axe C – On ne peut concevoir une socit humaine (premier sens du terme) qui pourrait se passer d'artistes et de valeurs esthtiques.

I – La socit elle-mme, tel groupe social, tel individu ont besoin d'artistes officiels, d'artistes engags, d'artistes rebelles pour favoriser la cohsion sociale ou la rvolte, la magnificence sociale ou l'panouissement individuel

Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?

Chapitre : Faire socit

Chapitre : L'individu : un je de socit

II – Les jugements esthtiques mis, les pratiques culturelles choisies sont un des ressorts privilgis de la distinction sociale et de la hirarchisation sociale.

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

Chapitre : L'individu : un je de socit

*B. Lahire, La Culture des individus

Axe D – On ne peut pas concevoir non plus que les dmarches artistiques ne soient pas dans un certain rapport avec leur contexte social.

I – Les moyens d'expression des artistes, la coopration en atelier ou le statut d'individualit de gnie sont influencs par le type de socit dans lesquelles les artistes voluent ; les ruptures esthtiques rvlent ou refltent des ruptures sociales. Tel acteur social, tel groupe social, telle catgorie sociale se reconnat plutt dans tel type de culture que dans tel autre.

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

II – Les uvres d'art, directement ou indirectement, sont des transpositions ou des transfigurations de tel ou tel phnomne social.

III –  Les deux grands personnages du roman sont l'individu et la socit. Cette polarit est absente des grandes formes littraires comme la tragdie ou l'pope : l'homme est face aux dieux ou l'homme est face l'homme  P. Manent dans A. Finkielkraut, Ce que peut la littrature.

1 – la diffrence du hros tragique ou pique, le personnage romanesque n'est pas situ au-dessus ou en dehors de la collectivit, il est cet individu qui s'prouve en socit la recherche d'une  rconciliation entre la posie individuelle et la prose sociale  Hegel, Esthtique.

2 – Balzac, La Comdie humaine.

 

 

 

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Comparer les socits des fins heuristiques ou critiques est-il judicieux ?

L'universalit du phnomne de la socit n'empche pas son polymorphisme

Introduction

a) La question peut surprendre car l'activit intellectuelle de comparaison afin de dgager ressemblances et diffrences est la base de toute de connaissance, de comprhension.

On ne pourrait que rpondre oui, c'est judicieux. On saisit bien les traits spcifiques de chaque socit par contraste avec les autres.

b) Mais en fait les bnfices heuristiques de cette entreprise de comparaison sont assez faibles.

En effet, soit les socits sont tellement diffrentes qu'on ne voit pas l'intrt de les comparer : que retirer de la comparaison entre les socits primitives et les socits post-modernes sinon qu'elles diffrent du tout au tout ? Soit les critres l'aune desquels on veut les comparer s'avrent tellement nombreux, qu'on ne voit pas bien lesquels retenir plus que d'autres.

Et surtout on ne voit pas bien comment exploiter la grande varit de types de socit qui ressort d'une dmarche comparative. Ainsi G. Gurvitch, dans Trait de sociologie (1955), note qu'on a class les socits en fonction de leur mode d'occupation des sols (nomade/sdentaire) ou en fonction des modes de production (esclavagiste, capitaliste) ou en fonction des modes de gouvernement (thocratique, aristocratique, dmocratique) ou en fonction de la morphologie sociale (socit clanique, tatique).

c) De plus l'entreprise de comparaison est suspecte idologiquement car comparer conduit quasi insensiblement valuer et hirarchiser.

On remarque que beaucoup d'anthropologues et de sociologues jusqu'au milieu du XXe sicle ont eu le plus grand mal ne pas plaquer un schma volutionniste : Les socits iraient du plus simple au plus complexe, seraient plus ou moins dveloppes

L'entreprise de comparaison devient facilement une entreprise de positionnement des socits sur une chelle de progrs.

On remarque qu'il est trs difficile de ne pas faire preuve d'ethnocentrisme. Ainsi bien des observateurs des socits primitives les ont qualifies de  sans droit ,  sans tat ,  sans histoire  et n'ont pas vu ce qui faisait fonction de rgularisation sociale.

Bien des observateurs ont cru que la quasi nudit de vtements tait le signe d'une libert, d'une spontanit, sans voir l'extrme sophistication des parures, la fonction sociale des peintures, des scarification. Bien des observateurs ont parl de sexualit libre parce que ne s'exeraient pas les contraintes sexuelles en vigueur dans leur socit, sans comprendre le caractre extrmement rigide et normatif des systmes d'alliance.

d) Toutefois ces difficults ne peuvent annuler l'intrt de classer, comparer les socits, car aucun phnomne ne prend de sens en soi mais toujours corrl d'autres.

Pour viter les cueils prsents ci-dessus, il faut abandonner toute revendication raliste en matire de comparaison et se situer au niveau de ce que Weber appelle l'idal-type (construction intellectuelle d'un modle pour faciliter le travail de la pense). L'idal-type n'est ni un bon condens de la socit relle ni un modle que la socit relle devrait imiter, mais une procdure intellectuelle pour isoler les aspects les plus significatifs de cette socit.

Si on est bien conscient que les comparaisons s'effectuent au niveau de l'idal-type, on risque moins de tirer des conclusions htives sur les socits relles, puisque la comparaison ne les concerne pas en tant que telles.

Et ces conditions, il est intressant aussi bien de chercher s'il y a des invariants sociaux que d'clairer telle socit particulire et unique en la confrontant telle ou telle autre.

e) On remarquera que comparer les socits entre elles s'est fait aussi dans l'objectif de les valuer les unes la mesure des autres. L aussi l'entreprise est risque, elle est la base de la hirarchisation raciste ou ethnocentrique et sert la justifier.

Mais cette entreprise de comparaison d'valuation n'a pas que des cts suspects, elle sert galement rfuter l'ide mme de hirarchisation, on le verra.

f) L'entreprise de comparaison des socits a pris une autre tournure encore ; il ne s'agit pas uniquement de comparer les socits entre elles, mais de comparer le phnomne mme de la vie en socit une instance autre que sociale par exemple un organisme vivant, une machine complexe, un filet.

La comparaison est ici mtaphorique, elle est faite dans un but pdagogique. Les mtaphores sont images donc censes tre plus comprhensibles que les concepts.

On remarque toutefois qu'aucune image n'est neutre, qu'elle vhicule des significations dont on doit se demander si elles clarifient ou obscurcissent le phnomne de la vie en socit.

AXE A – La distribution des socits entre diffrents types est assortie de qualifications (tribale, thocratique, industrielle  Socits chaudes/socits froides  Lvi-Strauss, Race et histoire, qui condensent les traits jugs spcifiques. Quelques exemples de cette opration heuristique.

I – La classification propose par Montesquieu dans L'Esprit des lois

*R. Aron, Les tapes de la pense sociologique : chapitre Montesquieu

II – A. Comte, dans son Cours de philosophie positive, distingue trois types de socit correspondant aux trois tats de la connaissance

* R. Aron, Les tapes de la pense sociologique : chapitre Auguste Comte

*A. Comte, Sociologie (choix de textes)

III – Marx, dans le Manifeste du parti communiste, classe les socits en fonction de la faon dont elles nouent les rapports de production et le dveloppement des forces productives.

* R. Aron, Les tapes de la pense sociologique : chapitre Marx

Chapitre : Pas de socit sans histoire

IV – E. Durkheim, dans De la division du travail social, distingue les socits solidarit mcanique et les socits solidarit organique.

* R. Aron, Les tapes de la pense sociologique : chapitre Durkheim

V – La classification propose par Bergson repose sur la distinction entre  socit close  et  socit ouverte 

*Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion

VI – Popper, dans La Socit ouverte et ses ennemis, oppose les socits ouvertes au dbat et la discussion et celles sres de leur lgitimit irrvocable.

*K. Popper La Socit ouverte et ses ennemis, T1 et T2

AXE B – Dfinir les socits primitives par comparaison et contraste.

I – Marcel Gauchet dans La Leon des sauvages, prcise :  La socit primitive est la socit qui s'ordonne d'exclure que soit pose en permanence et explicitement la question de son fondement et de ses fins. Elle est une socit donnant cette question une rponse telle que ne soit manifeste que la rponse sans qu'apparaisse la question. 

1 – Ceci est un commentaire des analyses de P. Clastres sur les tribus indiennes d'Amrique, montrant que la socit primitive est une socit totalement assujettie au symbolique pos comme autre du social et dans laquelle tout est fait pour empcher toute entit politique autonome d'apparatre.

Dans La Socit contre l'tat (1974), Clastres critique la fois les notions volutionnistes qui voudraient que l'tat organis soit la finalit de toute socit et rousseauistes de l'innocence naturelle de l'homme.

Ce faisant, il expulse paradoxalement l'tat de la place centrale qu'il occupait en anthropologie politique pour recentrer la problmatique de son apparition autour de la notion de pouvoir coercitif.

Certes l'exercice du pouvoir est inhrent toute vie sociale mais comme cela signifie aussi la prsence de la contrainte qui pse, il est aussi inhrent tout membre du corps social d'essayer de se prserver des abus de pouvoir. Les socits primitives s'y sont tout particulirement employes ; elles ont eu le souci de mettre en place des structures faites d'un rseau de normes complexes qui empchent activement l'expansion d'un pouvoir despotique et autoritaire. En opposition, l'tat est alors cette constellation lgislative manant d'un pouvoir hirarchique qu'elle lgitime, tout particulirement dans ces socits qui ont chou maintenir en place ces mcanismes qui l'empchent de prendre cette forme. P. Clastres oppose ainsi les grandes civilisations andines tatiques aux petites units politiques formes par les chefferies amazoniennes dont l'ensemble du corps social se met continuellement en branle pour empcher le chef de transformer son prestige en pouvoir.

On retiendra sa thse principale : les socits premires ne sont pas des socits qui n'auraient pas encore dcouvert le pouvoir et l'tat, mais au contraire des socits construites pour viter que l'tat n'apparaisse :  L'histoire des peuples sans histoire, c'est [] l'histoire de leur lutte contre l'tat , La Socit contre l'tat.

2 – Quelques autres caractristiques des socits primitives : une classification congruente de la socit et de la nature, une prgnance des mythes et de la magie oprant l'intgration du visible et de l'invisible, un  systme de prestations totales  (M. Mauss, Essai sur le don).

3 – Dans Totem et tabou, Freud applique les catgories de sa thorie psychanalytique l'tude des socits primitives.

*Freud, Totem et tabou

4 – La comparaison analytique et mthodologique tranche avec les discours simplistes et ethnocentriques dcrivant les socits primitives comme  dpourvues  de ce qui caractrise les socits des observateurs

II – On peut saisir la singularit d'une socit primitive par contraste avec d'autres socits primitives.

1 – Ph. Descola, Par del nature et culture

2 – Les mythes de la socit Dogon (Mali) compars La Thogonie d'Hsiode

AXE C - Comparer la socit traditionnelle et la socit moderne permet de saisir ce qui caractrise chacune en propre.

I – Les caractristiques des socits traditionnelles

*L. Dumont, Homo hierarchicus

1 - Ce sont des socits holistes par opposition aux socits individualistes.

2 – Ce sont des socits o dominent des rapports sociaux de type communautaire formant ce type d'organisation sociale que Tonnies appelle  communaut  distinguer des rapports sociaux o prdominent les relations socitaires formant ce type d'organisation sociale que Tonnies appelle  socit .

3 – La socit traditionnelle est un vaste rseau d'entraide tandis que la socit moderne multiplie les rapports marchands.

4 – Dans la socit traditionnelle chacun a sa place une fois pour toutes.

5 – La socit traditionnelle se fonde sur un garant mta-social qui prend le plus souvent la forme du divin par opposition la socit moderne qui fonde sa lgitimit sur elle-mme.

6 – Conclusion

*Les socits traditionnelles/ Dictionnaire de la culture juridique.

II – Les caractristiques des socits modernes

1 – Max Weber met en vidence, dans conomie et socit, la corrlation entre modernit et rationalit : l'organisation de la socit moderne vise toujours plus de rationalisation dans tous les domaines.

2 – La socit moderne se caractrise par l'essor des sciences et des techniques :  Bien que l'humanit ait toujours possd une masse norme de connaissances positives, c'est une poque rcente que la pense scientifique s'est installe en matresse et que des formes de socits sont apparues o l'idal intellectuel et moral en mme temps que les fins pratiques poursuivies par le corps social se sont organiss autour de la connaissance scientifique.  Lvi-Strauss, La Pense sauvage.

3 – La socit moderne est une socit promthenne : la technologie, l'industrialisation, l'urbanisation et son conomie capitaliste multiplient sa volont de puissance.

4 – Si  les liens multicolores qui attachaient l'homme son suprieur naturel dans la socit fodale [] sont noys dans l'eau glace du calcul goste  (Marx, Le Capital), c'est parce que la socit moderne voit sa sphre marchande s'tendre toujours plus de domaines de la vie sociale.

*G. Simmel, Philosophie de l'argent

Chapitre : Faire socit

5 – La division du travail est trs complexe,  la solidarit organique  (Durkheim) se substitue  la solidarit mcanique; ceci augmente les possibilits d'individualisation et produit une socit individualiste et non holiste.

Chapitre : Faire socit

6 – Dans la socit moderne, les individus se reprsentent non seulement comme les acteurs de leur existence mais aussi comme les auteurs.

7 – Se tissent entre les individus des relations contractuelles toujours rvisables et ramnageables, signes d'une autonomie juridique et de la souverainet du corps social.

8 – La socit moderne est une socit scularise, lacise ; l'organisation sociale n'est plus engages tout entire dans des activits religieuses ; la vie religieuse prend un caractre plus individualis et plus intrioris.

9 – Tocqueville, dans De la dmocratie en Amrique, dcrit la socit moderne fonde sur la libert de chacun et l'galit de tous.

*A. de Tocqueville, De la dmocratie en Amrique

10 – Cette socit se caractrise galement par le pluralisme religieux et moral, le  polythisme des valeurs  (M. Weber).

11 – Le rythme impatient de la vie quotidienne, son acclration permanente, l'attrait constant de la nouveaut, le got de repousser toujours plus les limites, distinguent tout particulirement la socit moderne.

12 – C'est une socit de culture de masse.

*H. Arendt, La Crise de la culture

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

13 – E. Morin, dans La Mtamorphose de Plozevet, fait le portrait d'une socit traditionnelle entrant dans la modernit.

14 – Les  pathologies de l'argent  (Simmel), la question du sens de l'existence, les effets pervers de l'individualisme ou de la suprmatie de la technoscience, l'hyperrationalisation sont autant de dfis auxquels sont confrontes les socits modernes.

AXE D – Distinguer socit moderne et socit post-moderne (hyper-moderne, de seconde modernit) sera pertinent si on estime que les diffrences de degr deviennent des diffrences de nature. Comment qualifier les volutions/mutations des socits modernes l'aube du XXIe sicle ?

I – Une socit d'individus ?  qui ont tendance mconnatre ce qui en eux renvoie d'autres ralits fondatrices comme la nature, la socit, un systme de valeurs partages  M. Canto-Sperber, Le Socialisme libral.

II – Une socit de l're du vide ? G. Lipovestky

III – Une socit de la multi-appartenance, de nomadisme, de l'hybridation culturelle ?

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

IV – Une socit en rseaux ? M. Castells dans La Socit en rseaux (1996), montre comment, sous la conjonction de la rvolution informatique, de la crise des institutions, et des nouveaux mouvements sociaux, le monde s'organise en flux de biens, d'informations, de capitaux qui dissolvent les socits nationales et forgent des interactions sociales en perptuelle reconfiguration.

V – Une  socit liquide  (Z. Bauman)

VI – Une socit du spectacle ? G. Debord, dans La Socit du spectacle (1967), qualifie ainsi le processus inflationniste de mise en scne de toutes les activits sociales, l'indtermination croissante des frontires entre ralit et fiction ; les activits les plus srieuses et sacres se trouvent contamines par la logique du simulacre ; la frontire du vrai et du faux devient indcidable tandis que chacun est tout tour voyeur et comdien.

VII – Une socit consumriste hdoniste ? J. Baudrillard, dans La Socit de consommation (1994).

VIII – Une socit du risque ? U. Beck, dans La Socit du risque, met l'hypothse que nos socits doivent dsormais grer la rpartitions des risques (la question de la rpartition des richesses passant au second plan) dans un contexte de forte incertitude sur l'avenir. Les risques sociaux se combinent avec les risques environnementaux qui ne sont plus des calamits naturelles mais bien le rsultat de l'activit de l'homme.

IX – Une socit de l'acclration ? H. Rosa, L'Acclration

X – Une socit du malaise ? A. Erhenberg, La Socit du malaise

AXE E – Toujours dans le souci de mieux comprendre le phnomne social, on a compar la socit un organisme, un mcanisme, un tissu, un filet, une mnagerie, une ruche, un tat de nature etc. on a compar galement les socits humaines aux socits animales. Mme si on reconnat volontiers que  comparaison n'est pas raison , on croit pouvoir trouver certaines vertus pistmiques au fait de recourir ces comparaisons. Or celles-ci ne sont jamais neutres idologiquement et axiologiquement. Jusqu' quel point ce procd est-il recevable ?

I – Quand Cournot dit les socits humaines sont la fois des organismes et des mcanismes  (Trait de l'enchanement des ides fondamentales dans les sciences et dans l'histoire), certains prfrent comparer la socit un organisme, d'autres un mcanisme, d'autres encore rcusent l'une et l'autre de ces comparaisons.

1 – La socit a souvent t compare un organisme, une totalit organique. D'autres mtaphores renvoient cette comparaison centrale : tissu social, socit en bonne sant, en crise, la violence endmique Ces images ont une certaine porte mais aussi des limites heuristiques comme idologiques :  Ce n'est d'ailleurs l qu'une comparaison, car autre chose est un organisme soumis des lois ncessaires, autre chose une socit constitue par des volonts libres  Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion

*A. Comte, Sociologie (choix de textes).

2 – L'organisation sociale peut tre compare aux rouages d'une machine ; la stratification sociale peut tre image par une toupie ; l'ascenseur peut servir d'image pour penser la mobilit sociale Ces images ont une certaine porte mais aussi des limites heuristiques comme idologiques : C'est seulement lorsqu'on aura labor les moyens d'expression ncessaires pour rendre compte de la socit que l'on pourra montrer quel point  les mcanismes sociaux  sont diffrents de ceux de nos salles des machines  N. Elias, La Socit des individus

3 – La socit peut tre compare un filet :  un filet est fait de multiples fils relis entre eux. Toutefois ni l'ensemble de ce rseau ni la forme qu'y prend chacun des diffrents fils ne s'expliquent partir d'un seul de ces fils; ils s'expliquent uniquement par leur association, leur relation entre eux. [] la forme de chaque fil se modifie lorsque se modifie la structure de l'ensemble du rseau. Et pourtant chaque fil forme l'intrieur de ce tout une unit en soi  (p. 71).

Ces images ont une certaine porte mais aussi des limites heuristiques comme idologiques ; elles ne peuvent convaincre les partisans du holisme ontologique pas plus que les partisans de l'individualisme ontologique.

Chapitre : L'ontologie du fait social

II – Pour saisir les modalits et les finalits de la vie en socit, on a pu la comparer la vie l'tat de nature (qu'importe ici qu'on en fasse une ralit originaire ou une hypothse de penser)

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?

III – Les mtaphores animales (ou autres) peuvent servir penser les interactions sociales

1 –  L'homme est un loup pour l'homme  Hobbes, Lviathan. Ces images ont une certaine porte mais aussi des limites heuristiques comme idologiques.

2 – un troupeau de porcs-pics, ainsi le besoin de socit  Schopenhauer, Parerga et Paralipomena. Ces images ont une certaine porte mais aussi des limites heuristiques comme idologiques

3 – L'homme destin faire partie d'une ruche comme les abeilles  Kant, Anthropologie d'un point de vue pragmatique. Ces images ont une certaine porte mais aussi des limites heuristiques comme idologiques

4 – Le despotisme mou surgit dans les socits dmocratiques soucieuses d'galit et de libert individuelle,  il rduit chaque nation n'tre plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux dont le gouvernement est le berger  Tocqueville, De la dmocratie en Amrique. Ces images ont une certaine porte mais aussi des limites heuristiques comme idologiques.

5 – La vie en socit serait comme une mnagerie, un cirque. Ces images ont une certaine porte mais aussi des limites heuristiques comme idologiques.

6 –  On peut comparer la socit ordinaire cet orchestre russe compos exclusivement de cors et dans lequel chaque instrument n' a qu'une note ; ce n'est que par leur concidence exacte que l'harmonie musicale se produit  Schopenhauer, Aphorismes sur la sagesse de la vie. Ces images ont une certaine porte mais aussi des limites heuristiques comme idologiques.

IV – La sociobiologie fait de l'tude des socits animales la cl de comprhension des socits humaines ; la plupart des biologistes et l'ensemble des chercheurs en sciences sociales contestent cette dmarche

Chapitre : Nature et socit sont-elles au mme titre objet de science ?

AXE F – Si on entreprend de comparer les socits des fins heuristiques, on peut le faire aussi des fins critiques.

I – Afin de critiquer l'illusion naturaliste ainsi que la croyance selon laquelle seule la socit laquelle on appartient est civilise.

1 – La comparaison des socits permet de comprendre que notre socit n'est pas plus naturelle (ncessaire, vidente, lgitime) que les autres ; toutes sont, galement, des constructions symboliques :  Mes coutumes ressortissent la convention et cela veut dire que j'aurais pu en suivre d'autres  A. Finkielkraut, L'Humanit perdue.

2 – La comparaison des socits fait comprendre que  la civilisation d'un peuple n'est rien d'autres que l'ensemble de ses phnomnes sociaux; et parler des peuples incultes, de peuples  naturels , c'est parler de choses qui n'existent pas  E. Durkheim, L'Anne sociologique, tome IV

II – Afin de critiquer l'entreprise mme de hirarchisation des socits

1 – En critiquant la thse volutionniste sur les socits :  la pense conceptuelle est contemporaine de l'humanit. Nous nous refusons en voir le produit d'une culture plus ou moins tardive  Durkheim, Les Formes lmentaires de la vie religieuse.  Le dveloppement humain doit tre figur non sous la forme d'une ligne o les socits viendraient se disposer les unes derrire les autres comme si les unes taient plus avances et les autres plus rudimentaires mais comme un arbre aux rameaux multiples et divergents  Durkheim, L'Anne sociologique, tome XII

2 – En critiquant le racisme affirmant qu'il y a des socits suprieures d'autres :  Aucune socit n'est foncirement bonne mais aucune n'est absolument mauvaise; toutes offrent certains avantages leurs membres  Lvi-Strauss, Tristes tropiques.  Chaque socit a son rgime de vrit  Foucault, Les Mots et les choses.

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

III – Afin de critiquer une forme d'organisation sociale au nom d'une autre

1 –  Il faut convenir que les peuples du Canada et les Cafres, qu'il nous a plu d'appeler sauvages, sont infiniment suprieurs aux ntres. Le Huron, le Cafre ont l'art de fabriquer eux-mmes tout ce dont ils ont besoin; et cet art manque nos rustres. Les peuplades d'Amrique et d'Afrique sont libres et nos sauvages n'ont mme pas l'ide de la libert  Voltaire, Essai sur les murs.

2 – Face aux effets pervers de la modernit, certains proposent les socits traditionnelles en modle.

3 – Certains, partisans de la dcroissance, critiquent nos socits promthennes et font l'loge des  socits d'abondance  tudies par M. Sahlins, dans ge de pierre, ge d'abondance, qui montre que dans ces socits, il n'y a pas besoin de produire beaucoup puisque, se satisfaisant de peu, elles n'ont pas beaucoup de besoins.

4 – F. Hayek, dans The Constitution of Liberty, dfend la supriorit de la socit librale moderne (supriorit intellectuelle, morale, politique, conomique) sur toutes les autres socits.

5 – La comparaison entre la socit close et la socit ouverte que Bergson conduit dans Les Deux sources de la morale et de la religion, fait ressortir toute la valeur de la socit ouverte.

6 – Les partisans de la sociobiologie se rfrent aux socits animales comme modle pour dnoncer les pathologies sociales et dgager la faon de les supprimer.

Nature et socit sont-elles au mme titre objet de science ?

 

 

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Nature et socit sont-elles au mme titre objet de science ?

Introduction

On peut recenser les diffrentes faons dont les hommes ont essay de comprendre ce que signifie vivre en socit :

- Les hommes ont forg leurs premires rponses l'aide des mythes.

- Les rcits de voyages (Marco Polo, Le Devisement du monde, 1299) ont t aussi une source de connaissance ; chaque socit saisissant mieux ce qu'elle est par contraste avec les autres faons de faire socit.

Ces approches par les mythes ou les rcits de voyages mlent des connaissances factuelles prcises des valuations plus ou moins dformantes.

- Les rcits historiques ont galement fourni des lments de comprhension du fonctionnement des socits en dcrivant leur organisation conomique, sociale et politique, en reprant les facteurs de leurs volutions (Thucydide, La Guerre du Ploponnse)

Les moralistes ont aussi contribu la connaissance de la vie en socit, car pour dgager comment il faut se comporter, ils dcrivent avec prcision comment se passent les interactions sociales en analysant subtilement les mobiles des acteurs sociaux, les ressorts du cur humain (La Rochefoucauld, Maximes)

- Les philosophes ont cherch des rponses aux questions ontologiques morales politiques existentielles que pose le fait de vivre en socit.

- Le genre littraire du roman a plus spcifiquement pour objet l'homme en socit

- partir du XIXe sicle, des penseurs ont eu l'ambition de produire une connaissance scientifique de la socit et de faire de la socit un objet d'tude en tant que tel.

S'est pose la question de la possibilit d'une vritable connaissance scientifique des faits sociaux ; les dbats pistmologiques sur ce point ont t vifs mais ils ont perdu de leur acuit (cf. ci-dessous Axe B)

De mme les chercheurs en sciences sociales admettent maintenant que plusieurs sciences sociales sont lgitimes, il n'y pas que la sociologie qui peut prtendre connaitre la socit. (cf. ci-dessous Axe A)

Deux autres dbats sont par contre plus prsents l'aube du XXIe sicle :

- Quel est le meilleur paradigme pour penser le fait social : holisme, individualisme, constructivisme ?

- Ne faut-il pas forger de nouveaux instruments de pense pour saisir la spcificit de la socit hyper/post moderne ?

Axe A - Les chercheurs en sciences sociales partagent avec les chercheurs en science de la nature quelques exigences pistmologiques.

I – Il existe bien des sciences sociales. Comme les sciences de la nature, elles doivent chacune dlimiter leur objet d'tude.

1 – La sociologie qui  veut reposer en termes scientifiques des questions traditionnelles la philosophie  P. Bourdieu, Questions de sociologie

Chapitre : L'ontologie du fait social

2 – L'anthropologie sociale dgage, en comparant les enqutes ethnologiques,  les proprits gnrales de la vie sociale  Lvi-Strauss, Anthropologie structurale

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

Si l'anthropologie sociale ne peut se substituer la sociologie, c'est que les tudes ethnologiques portent sur les socits dites primitives et donc les invariants dgags ne suffisent pas rendre compte de la spcificit des socits modernes voire hyper/post-modernes.

Et comme les ethnologues sont des chercheurs appartenant aux socits occidentales, Lvi-Strauss avait dit dans une formule ramasse : la sociologie est la science qui tudie la socit de l'observateur (des socits primitives), l'ethnologie est la science qui tudie la socit de ceux qui sont observs par l'ethnologue (appartenant aux socits modernes occidentales).

Depuis la fin du XXe sicle, les frontires sont plus poreuses et les relations plus complexes. Ainsi des enqutes ethnologiques sont menes au sein des socits occidentales (les tribus ; les groupes culturels minoritaires ; les paysans comme espce en voie de disparition, les passagers du RER sont autant d'objets d'tude).

3 – L'histoire : L. Febvre dans Combats pour l'histoire, dit tenir l'histoire pour l'tude scientifique concernant diverses actions et diverses crations des hommes d'autrefois saisis dans leur temps et dans le cadre des socits, socits extrmement varies, dont ils ont rempli la surface de la terre et la succession des ges. 

Chapitre : Pas de socit sans histoire

4 – La psychologie sociale tudie les interactions des individus dans leur double dimension d'agents psychologiques et sociaux.

*S. Moscovoci, Psychologie sociale

5 – La sociolinguistique tudie le langage en privilgiant le rapport de la langue au social et comment des facteurs sociaux agissent sur les manires de parler.

6 – La sociobiologie (thorie expose par E.O. Wilson en 1975 dans Sociobiology).

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?

II - Les chercheurs en sciences sociales partagent avec les chercheurs en sciences de la nature le mme refus du questionnement mtaphysique comme celui des jugements normatifs et la mme rupture avec le sens commun.

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

1 –  La volont de rigueur scientifique fait partie de l'intention de la sociologie  R. Aron, Dix-huit leons sur la socit industrielle

Les chercheurs en sciences sociales refusent dans le cadre de leurs analyses de la socit :
a) de se prononcer sur la question mtaphysique de l'origine des socits ou celle de savoir si les socits ont une destine inscrite dans l'histoire, conformment au fait que la science s'intresse au comment et non au pourquoi.
b) d'laborer un modle en vue de dterminer ce que la socit doit tre, conformment au fait que la science met des jugements de ralit et non des jugements de valeur.

2 – Il faut galement liminer  les prnotions  forges dans l'exprience immdiate sans mthode et donc dnues de valeur scientifique :  Il faut qu'en pntrant dans le monde social [le sociologue] ait conscience qu'il pntre dans l'inconnu  (Durkheim, Rgles de la mthode sociologique).  On ne peut rduire la ralit sociale la conception que l'homme qui vit dans cette socit se fait  Lvi-Strauss, Introduction l'uvre de Marcel Mauss dans M. Mauss Sociologie et anthropologie

Avoir l'exprience permanente de vivre en socit ne suffit pas pour saisir les lois de fonctionnement et de reproduction de la socit.
Appartenir une socit ne suffit pas pour en parler avec pertinence.
 Le connu, c'est l'habituel, et l'habituel est ce qu'il y a de plus difficile reconnatre, c'est--dire considrer en tant que problme, donc en tant qu'tranger, que lointain, que situ hors de nous  Nietzsche, Le Gai Savoir.

III – Comme les sciences de la nature, les sciences sociales peuvent offrir les conditions d'un jugement clair quand il s'agit d'agir :  Notre mthode a l'avantage de rgler simultanment la pense et l'action  Durkheim, Rgles de la mthode sociologique.

1 –  La volont de comprendre n'implique pas le refus de juger  R. Aron, Dix-huit leons sur la socit industrielle

2 – Les chercheurs peuvent s'en tenir leurs travaux et ce sont les acteurs sociaux qui s'en emparent des fins idologiques et politiques.

Par exemple, la lecture du Systme technicien de J. Ellul, a conduit certains appartenant au courant de pense de la dcroissance, considrer que l'essor technologique conduisait ncessairement la  mort essentielle et existentielle de l'homme  (H. Jonas, Le Principe de responsabilit) et chercher construire des politiques qui pourraient renverser cette logique mortifre.

Axe B - Cependant la scientificit des sciences sociales fait dbat dans la socit des savants.

I – Attribuer la connaissance de la socit le statut de science semble problmatique

II – Toutefois, certains, dans des perspectives qui peuvent tre opposes, affirment qu'on peut lgitimement, en respectant certaines conditions, caractriser de scientifiques les connaissances qui portent sur la socit

Axe C - La pluralit des paradigmes heuristiques et des mthodes d'investigation suscite un autre dbat portant sur leur pertinence et leur fcondit respectives.

On peut distinguer trois types de paradigmes :
- les paradigmes thoriques sont des thories dveloppes dans un secteur de la ralit et appliques par analogie d'autres secteurs (ex: la thorie mathmatique des jeux applique au processus de dcision d'un acteur social) ;
- les paradigmes formels sont des systmes de propositions qui ne se rfrent aucun contenu particulier (ex: le holisme durkhemien) et qui orientent la recherche et l'analyse en prfigurant la forme syntaxique dans laquelle les propositions explicatives apparaissent : ainsi Durkheim parlera des faits sociaux comme de choses
- les paradigmes conceptuels sont des systmes de concepts qui prfigurent le vocabulaire dans lequel seront exprimes les propositions explicatives (ex: le paradigme bourdieusien avec les concepts de  capital social , de  champ , d habitus , etc.).

I – Montesquieu, dans L'Esprit des lois, est attentif la diversit humaine et sociale. Le but de son tude est de mettre de l'ordre dans un chaos apparent et il y parvient en concevant des types de gouvernement ou de socit, en numrant des dterminants qui influent sur toutes les collectivits, en dgageant quelques principes rationnels, de validit universelle.

*R. Aron, Les tapes de la pense sociologique : chapitre Montesquieu

II – Condorcet conut le calcul des probabilits comme une vritable  mathmatique sociale  susceptible d'engendrer une connaissance scientifique du gouvernement des hommes en socit.

III – A. Comte tudie chaque socit l'aune de la place qu'elle accorde la connaissance thologique, mtaphysique ou positive.

* R. Aron, Les tapes de la pense sociologique : chapitre Auguste Comte

*A. Comte, Sociologie (choix de textes)

IV – Durkheim veut faire de la sociologie une science objective conforme au modle des sciences exprimentales

1 -  Traiter les faits sociaux comme des choses  Rgles de la mthode sociologique.

Pour Durkheim, partisan du holisme ontologique, les faits sociaux ont une ralit sui generis, extrieure aux individus, faonnant leur manire de penser, d'agir et de sentir.
Il s'agit donc de se placer vis--vis des phnomnes sociaux dans la mme position pistmologique que vis--vis des phnomnes naturels (situation d'extriorit et non d'immersion complice, recherche d'explication et non de comprhension).

2 – Durkheim, prsupposant que le social est la cause efficiente des actions individuelles, tiendra pour prouve par l'exprience sa thorie du suicide.

*R. Aron, Les tapes de la pense sociologique : chapitre Durkheim

*Durkheim, Les Rgles de la mthode sociologique / Sociologie et philosophie

V – Max Weber dclare  nous appelons sociologie une science qui se propose de comprendre par interprtation l'activit sociale. Nous entendons par activit un comportement humain quand et pour autant que l'agent lui communique un sens subjectif. Et par l'activit sociale, l'activit qui se rapporte au comportement d'autrui  (conomie et socit). C'est un partisan de l'individualisme pistmologique.

1 –  Par individualisme mthodologique, j'entends la doctrine suivant laquelle tous les phnomnes sociaux, leur structure et leur changement sont en principe explicables d'une manire qui implique les seuls individus avec leurs qualits, leurs objectifs, leurs croyances et leurs actions. L'individualisme prtend expliquer le complexe par le simple  J. Elster, Karl Marx.

→ Chapitre : Ontologie du fait social

2 – La sociologie est une science comprhensive de l'action humaine :  La possibilit donne l'observateur de comprendre l'observ ne le dispense pas de soumettre son interprtation une critique rationnelle dont les moyens ne se distinguent pas fondamentalement dans les sciences de la nature et dans les sciences sociales  R. Boudon, Dictionnaire de sociologie,  action 

VI – L'cole interactionniste, relevant de la microsociologie, procde l'observation fine et au dcryptage subtil des relations sociales apparemment les pus tnues et les plus insignifiantes.

*Goffmann, Mise en scne de la vie quotidienne

 La microsociologie amricaine, issue de l'cole de Chicago, se consacre l'exploration des relations sociales apparemment les plus tnues et insignifiantes. L'cole interactionniste, reprsente notamment par Herbert G. Mead, Howard Becker et Erving Goffman, se donne pour tche de dcrire les interactions sociales comme des processus de ngociation au cours desquelles chacun produit une certaine image de soi, et interprte celle de l'autre. Pour ce faire, l'individu mobilise ncessairement sa connaissance du monde social : il engage en effet dans les interactions un certain nombre de signes sociaux (conduite corporelle, manire de parler, de s'habiller) qui n'ont d'efficacit que s'ils sont reconnus par les autres, ce qui suppose un univers social commun. Mme s'il ne contrle pas tous les signes attachs sa personne (qui sont lis son histoire et son statut) il peut plus ou moins en jouer pour orienter la trame des interactions.
Erving Goffman, pour cette raison, use beaucoup de la mtaphore thtrale pour dcrire ces  rites d'interaction  que sont les manires diverses mais codifies de saluer quelqu'un, de prendre cong, de tmoigner de l'intrt La notion de rle social, pris dans un sens thtral, est chez lui centrale, en particulier dans La Mise en scne de la vie quotidienne. L'interactionnisme rencontre aussi la sociolinguistique : dans leur dimension symbolique. En effet, les relations sociales s'apparentent des changes linguistiques, puisqu'ils mettent en jeu l'interprtation des signes qui se manifestent dans l'interaction. Cette dmarche, bien que partant des individus, suppose en fait, on le voit bien, de mettre en rapport la matire de la vie sociale avec des normes collectives tacites sans lesquelles les interactions perdraient leur dimension symbolique, et donc leur valeur sociale. La mthode privilgie est donc maintenant l'observation fine des relations sociales les plus quotidiennes, dans l'intention d'en comprendre le sens. 
Benjamin Spector, La Socit (GF/Corpus)

VII –  Les catgories et les systmes conceptuels que l'on utilise habituellement pour traiter les questions lies la socit, ne sont pas, plus la hauteur de la tche  N. Elias, La Socit des individus.

VIII – Les sociologies analytiques contemporaines veulent dcouvrir  les mcanismes sociaux  qui sous-tendent les interactions sociales.

IX – Enqutes qualitatives, quantitatives, sondages, observations, recherche de causalit, de corrlation, modlisation statistique, expriences sont autant d'instruments d'analyse des phnomnes sociaux.

Axe D - tude de quelques phnomnes sociaux considrs chacun comme fait social total  (que M. Mauss, Sociologie et anthropologie, dfinit comme l'objet qui ncessite qu'on se penche sur tous les domaines de la vie sociale pour en cerner la signification) et pour lesquels tel ou tel de ces paradigmes est plus particulirement clairant.

I – L'cole de Chicago : la ville, la communaut, la marginalit

II – D. Le Breton, Corps et socits

III – La mode :  diffrenciation et identit  H. Mendras, Le Changement social.

IV – J.C. Kaufmann, Corps de femmes et regard d'hommes, pour une sociologie des seins nus.

V – Mais aussi : La famille/ la distinction/ Les gnrations/ Les mouvements sociaux/ Sport et socit/ Les techniques du corps/ Les rseaux sociaux/ Le fait divers comme fait de socit/ Le travail

Axe E - Dans le cadre d'un questionnement sur les modalits et les finalits de la connaissance de la socit, on peut se demander, plus largement, si la science est indpendante de la socit.

I – La question surprendra ceux qui dduisent des caractristiques de la science (connaissance visant l'objectivit, la rationalit, l'universalit et assumant les dmentis de l'exprience), l'ide selon laquelle la science est pure, dsincarne, en progrs constant vers la dcouverte dsintresse de la vrit.

1 – L'analyse du processus de connaissance scientifique

2 – Cette analyse plaide pour la thse d'une rationalit interne transparente, pour la distinction entre  contexte de dcouverte et contexte de justification  (K. Popper, La Logique de la dcouverte scientifique) ; les dcouvertes scientifiques ont une validit indpendante de la socit qui les a produites.

II – Mais il y a bien des raisons d'affirmer que la science ne peut chapper tout conditionnement social.

1 – I. Prigogine dans La Nouvelle alliance, affirme  l'interaction forte entre les questions produites par la culture et l'volution de la science au sein de cette culture . Plus spcifiquement en ce qui concerne la sociologie, A. Touraine invite   analyser les socits post-industrielles sans l'aide des notions forges pour les socits industrielles  Le Retour de l'acteur.

2 – Selon A. Comte il y a une cohrence ncessaire entre l'tat des connaissances et l'organisation sociale

*R. Aron, Les tapes de la pense sociologique : chapitre A. Comte

*A. Comte, Sociologie (choix de textes)

3 – P. Feyerabend, dans Contre la mthode, entreprend la dmystification de l'objectivit scientifique :  Ce processus de formation des thories scientifiques s'est rvl le plus souvent tre un enchevtrement htroclite de croyances religieuses, de prsuppositions mtaphysiques et d'analogies inattendues. L'activit intellectuelle des scientifiques semble la fois fconde et limite par leur adhsion des croyances. Non seulement la connaissance n'est pas l'abri des croyances ambiantes mais elle ne saurait exister sans elles. 

4 – B. Latour, dans La Vie de laboratoire (1971), montre que le dveloppement de la science n'est pensable que comme la runion des efforts organiss de la communaut scientifique. Par consquent, ce dveloppement reflte les rapports de forces sociales prsents l'intrieur des institutions de recherche et d'enseignement, prsents par le biais des orientations et des choix de priorits dans l'tablissement des budgets de recherche. Foucault affirme  les rapports de savoir sont surdtermins par les rapports de pouvoir  Dits et crits, VI.

5 –  Les sciences sociales tendent travailler sur la place publique, choisir les thmes d'tude en fonction des besoins du moment autant qu'en fonction des ncessits internes et veiller l'intrt de publics varis  R. Boudon, L'Idologie.

6 – Certains dfendent la vocation sociale de la science :  Le triomphe universel de la science arrivera assurer aux hommes le maximum de bonheur et de moralit  M. Berthelot, Science et morale ; E. Renan :  Organiser scientifiquement l'humanit, tel est donc le dernier mot de la science moderne, telle est son audacieuse mais lgitime prtention  L'Avenir de la science.

III – Toutefois il faut viter les deux cueils du ralisme scientifique naf et du scepticisme nihiliste.

1 – Compte-tenu de II, I n'est pas recevable : il faut donc dmystifier cette image d'pinal d'une science  pure .

2 – Mais considrer que la production du savoir scientifique est rduite aux rsultats de luttes d'influence et de rapports de force sociales est faux. Et en conclure que la connaissance scientifique n'est que celle des puissants du jour est absurde. On refusera la dissolution sociologiste de l'ide de science.

3 – Donc il s'agit de prendre en compte l'enracinement social de la connaissance scientifique dans une volont de mettre un terme une vision idalise de la science sans dire que la science n'est qu'une construction sociale et en insistant sur les multiples dimensions de l'activit scientifique tant culturelle, sociale, psychologique, conceptuelle et exprimentale.

IV – Quoi qu'il en soit, face l'essor incessant des technosciences, il est souhaitable d'examiner les conditions d'une appropriation sociale concerte et rflchie de la science.

1 – La rception enthousiaste, mfiante, critique de la science a toujours t socialement dtermine (de la condamnation religieuse un certain  dsenchantement  selon Weber, en passant par l'loge triomphaliste scientiste ou par la conviction que  la science est ce qui fait avancer la socit .

2 –  Lorsqu'un nouveau produit de la technique est introduit sur le march comme une option qu'on peut choisir ou refuser, le produit ne demeure pas forcment optionnel. Dans de nombreux cas, la nouvelle technologie modifie la socit un tel degr que les gens sont finalement obligs de s'en servir . Unabomber, L'Avenir de la socit industrielle.

3 – l'aube du XXIe sicle, les enjeux philosophiques, moraux, sociaux de la technoscience sont de plus en plus cruciaux, qu'il s'agisse de la mdecine prdictive, des nanotechnologies, des biotechnologies, ou des techniques de communication.

4 – Rapport du Conseil conomique, Social et Environnemental de Bretagne sur l'appropriation sociale des sciences (disponible sur leur site).

 

 

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Une socit peut-elle se passer d'tat ?

Axe A – En fonction de raisons historiques ou idologiques, on rpondra oui ou non ou on considrera que la question est mal pose.

I – Cette question peut en effet ne pas avoir de sens.

1 – P. Clastres, dans La Socit contre l'tat, montre qu'il existe des socits sans tat et donc que l'tat n'est pas consubstantiel la socit.

Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?

2 – Il n'y a pas chez les penseurs grecs de l'Antiquit de concept correspondant ce que la pense moderne nomme socit ni, donc, de distinction entre socit et tat ; ils ont forg le concept de cit, lieu du politique distinct de celui de famille, lieu de l'conomie domestique.

*Platon, La Rpublique

*Aristote, La Politique

II – Dans certaines perspectives, la socit idale doit se passer d'tat, ou limiter plus ou moins radicalement ses pouvoirs.

1 – La socit anarchiste ne veut ni Dieu, ni matre :  Le gouvernement des hommes doit tre remplac par l'administration des choses et par des associations de citoyens en autogestion  Proudhon, Correspondance  La conscience prive forme par le dveloppement de la science et du droit suffit seule au maintien de l'ordre et la garantie de toutes les liberts  Proudhon, Correspondance.

2 – La socit communiste verra s'teindre l'tat.

*Marx Manifeste du parti communiste

3 – La socit ultra-librale se veut  une socit de march  F. Hayek, La Route de la servitude.

4 – La socit librale aspire se passer de tout tat interventionniste pour n'admettre qu'un tat protecteur des droits des individus.

III – Mais le processus historique a conduit des socits qui, actuellement, ne peuvent se passer d'tat :  Les socits qui ont une organisation tatique occupent une place de plus en plus marquante  N. Elias, La Socit des individus

1 – La socio-gense de l'tat (la formation de l'tat est un processus historique), montre que :  L'tat comme organe de rflexion de la socit est rattach au dveloppement de la socit organique  Durkheim, Sociologie et philosophie  Parmi toutes les formes de vie collective, les tats sont passs dans le monde entier au premier rang des units de survie  N. Elias, La Socit des individus.

2 – Hegel, dans Les Principes de la philosophie du droit, forge la distinction entre socit civile et tat ainsi qu'une rflexion sur leurs relations (NB : le sens hglien de  socit civile  se distingue radicalement du sens que les thoriciens du contrat social donnent cette expression).

*Hegel, Principes de la philosophie du droit

IV – Pour les thoriciens du contrat social, la vie en socit ne peut se drouler de faon optimale que si elle excute la volont gnrale issue du pacte social.

Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?

1 – Hobbes, Lviathan

2 – Rousseau, Du contrat social

Axe B – Les socits qui ne se passent pas d'tat lui donnent comme rle de leur assurer de survivre (N. Elias, La Socit des individus) et/ou de bien vivre (Aristote, thique Nicomaque).

I – Les conceptions sociales du bien-vivre sont diverses et certaines sont contradictoires, tmoignant de l'htrognit des sensibilits sociales.

1 – Certes l'accord social est assez facile trouver quand il s'agit de savoir ce que l'tat doit faire pour assurer la survie de la socit.

2 – Par contre il y a dsaccord au sein de la socit sur la question de savoir si l'tat doit privilgier la scurit ou la libert : Hobbes versus Rousseau.

3 Par contre il y a dsaccord au sein de la socit sur la question de savoir s'il faut promouvoir un tat-Providence ou un tat minimal : Pense sociale-dmocrate versus pense librale.

4 Par contre il y a dsaccord au sein de la socit sur la question de savoir si l'tat doit dfendre l'idal rpublicain ou le communautarisme.

5 – Par contre il y a dsaccord au sein de la socit sur la question de savoir si viser la satisfaction des intrts particuliers est contraire au bien commun ou y contribue :  la main invisible  versus  le contrat social .

Chapitre : Faire socit

6 Et s'il y a unanimit du corps social exiger qu'il promeuve la justice sociale, le corps social est divis sur le sens donner cette justice sociale.

Chapitre :  La justice est la premire vertu des institutions sociales 

II – Attendre que l'tat prenne en charge le bien-vivre (et pas seulement la survie de la socit) peut tre considr comme lgitime ou illusoire ou dangereux.

1 – Il serait illgitime de rduire le rle de l'tat l'organisation de la survie de la socit :  C'est seulement dans l'tat que l'homme a une existence conforme la raison  Hegel, La Raison dans l'histoire.

2 – Toutefois si on estime que devoir actualiser une forme de bien vivre inscrite ncessairement dans la vie en socit est une vue de l'esprit, viser le bien-vivre peut tre prjudiciable au corps social.

3 – Quoi qu'il en soit, ces mises en garde ne signifient pas ncessairement dnier au politique le droit de prendre en charge le social ; on peut rcuser l'absorption du politique par le social.

Axe C – Quelles relations doivent tisser socit et tat afin que la socit n'apprhende pas l'tat comme  le plus froid des monstres froids  Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra ?

I – Certaines faons dont l'tat exerce son pouvoir, le transforment en instrument de domination sur la socit ou en instrument de prdation : L'tat contre la socit

1 – Manipuler l'opinion publique, tre sourd toute interpellation du corps social.

2 – Se laisser infoder des intrts partisans et instrumentaliser l'appareil d'tat leur service.

3 – tre un tat totalitaire, nier la pluralit constitutive de toute socit, rgenter tous les domaines de la vie sociale, interdire tout cart entre les volonts des acteurs sociaux et celles de l'tat, organiser un immense rseau bureaucratique destin tout contrler.

4 – Les utopies anti-tatiques prennent acte de ces drives toujours possibles par lesquelles l'tat devient l'ennemi de la socit : F.Hayek, dans La Route de la servitude, affirme que le libralisme conomique est le seul rempart contre le totalitarisme politique.

5 – Et plus largement, il est toujours possible que la distinction entre la socit et l'tat exprime  le sous-entendu anti-tatique de la notion de socit.  N. Elias, La Socit des individus.

II – Certaines faons dont les acteurs sociaux se reprsentent le rle de l'tat ou leur rle dans la sphre publique, empchent que l'tat contribue au bon fonctionnement de la socit.

1 –  Le danger de la libert moderne c'est qu'absorbs dans la jouissance de notre indpendance prive et dans la poursuite de nos intrts, nous ne renoncions trop facilement notre droit de partage dans le pouvoir politique  B. Constant, De la libert des anciens compare celle des modernes.  Un gouvernement qui sera fond sur le principe de la bienveillance envers le peuple tel du pre envers ses enfants, c'est--dire un gouvernement paternel o par consquent les sujets sont obligs de se comporter de manire uniquement passive [] un tel gouvernement est le plus grand despotisme que l'on peut concevoir  Kant, Thorie et pratique.  Chacun d'eux, retir l'cart, est comme tranger la destine des autres ; ses enfants et ses amis forment pour lui toute l'espce humaine [] Au-dessus de ceux-l s'lve un pouvoir immense et tutlaire qui se charge seul d'assurer leur jouissance [] il est absolu et doux  Tocqueville, De la dmocratie en Amrique.

2 – La dfiance l'gard des politiques peut devenir la dfection du politique, laissant l'tat agir sans contre-pouvoirs.

3 L'incivilit, l'incivisme, la diffrence de la dsobissance civique, sont des formes de dmission plus que des formes de contestation revendiquant une meilleure articulation de L'tat et de la socit.

III – Malgr cela (I et II), la socit et l'tat peuvent, certaines conditions, tisser des relations fructueuses

1 – Ceci suppose une cohrence entre le rgime politique d'une part et les murs, aspirations, valeurs sociales d'autre part :  La distinction des types de gouvernements chez Montesquieu est en mme temps une distinction des organisations et des structures sociales  R. Aron, Les Grandes tapes de la pense sociologique.

*R. Aron, Les Grandes tapes de la pense sociologique, chapitre Montesquieu

2 Ceci suppose un tat modeste, non interventionniste mais stratge, garant de la paix, de la justice sociale et des liberts, relais actif de la participation dmocratique des acteurs sociaux.

3 – Ceci suppose des acteurs sociaux jouant leur rle de citoyen dans le processus de dcision politique.

Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?

Chapitre : Une socit a-t-elle besoin de philosophes ?

Chapitre :  La justice est la premire vertu des institutions sociales 

Axe D – Les socits se manifestent sur la scne internationale par l'intermdiaire de leurs tats mais aussi indpendamment d'eux et parfois contre eux.

I – Les socits sont amenes  faire socit  entre elles.

1 – Certes l'histoire des relations entre les socits a t bien souvent sous le signe de la guerre.

2 – Cependant dans le Projet de paix perptuelle, Kant examine comment une  socit des nations  se forgera et constituera la fin heureuse de l'histoire conflictuelle des socits.

Chapitre : Pas de socit sans histoire

3 – Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, pour viter les guerres, pour les faire cesser mieux ou plus vite et pour faire face aux menaces communes ( toutes les socits), ont t forges des  units de survie supranationales  N. Elias, La Socit des individus.

II – tre acteur social, cela peut aussi consister se manifester sur la scne internationale.

1 – Les entreprises, les lobbies peuvent chercher, par la voie internationale, consolider leurs positions sociales.

2 – tre membre d'une socit, c'est aussi possiblement tre un citoyen du monde fdrant des projets, des luttes sociales ou des actions politiques avec des membres d'autres socits.

 

 

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Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

Axe A - La culture constitue la socit.

I – La culture peut se dfinir comme un ensemble de manires de penser, de sentir, et d'agir qui tant apprises et partages par une pluralit de personnes, servent, d'une manire la fois objective et symbolique, constituer ces personnes en une collectivit particulire.

1 – Commentaire

2 –  La socit survit grce sa culture, qu'elle produit et transmet  R. Linton, De l'homme.

II –  Le propre des socits humaines est de reposer sur des cultures symboliques  F. Hritier Hommes, femmes, construction de la diffrence. Ce type de culture identifie les socits humaines et les distingue des socits animales.

1 –  La vie sociale [animale] est immanente l'instinct  Bergson Les Deux sources de la morale et de la religion.

2 –  La vie sociale [humaine] est immanente l'intelligence  Bergson Les Deux sources de la morale et de la religion.

3 – Ces deux ressorts distincts de la vie sociale sont ceux-l mmes qui diffrencient les cultures symboliques humaines des proto-cultures animales.

Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?

III – L'ambition de l'anthropologie sociale structuraliste est de dgager  les proprits gnrales de la vie sociale  (Lvi-Strauss, Anthropologie structurale) :  en faisant l'inventaire de toutes les coutumes observes, de toutes celles imagines dans les mythes [], on parviendrait dresser une sorte de tableau priodique comme celui des lments chimiques o toutes les coutumes relles ou simplement possibles apparatraient groupes en familles et o nous n'aurions plus qu' reconnatre celles que les socits ont effectivement adoptes  C. Lvi-Strauss, Tristes Tropiques.

1 – L'anthropologie sociale structurale se donne pour tche de retrouver ce qui est ncessaire toute vie sociale, c'est--dire les a priori de toute socit humaine.

2 – Faire ressortir derrire  les donnes phnomnologiques variables des socits les mcanismes invariants sous-jacents qui ordonnent ce donn et lui confrent un sens  F. Hritier, Masculin/Fminin

*C. Lvi-Strauss, Anthropologie structurale.

IV – Les diffrentes dclinaisons de ces invariants constituent la diversit culturelle, la pluralit des socits.

1 – Quelques exemples.

2 – Ces diffrences culturelles se manifestent notamment dans la faon dont chaque socit construit son rapport la nature.

*P. Descola, Par del nature et culture

*M. Mauss, Sociologie et anthropologie

*N. Elias, La Civilisation des murs

*L. Dumont, Homo hierarchicus

Axe B – Toute socit mais aussi tout groupe social se reconnat (dans tous les sens du terme) par sa culture.

I- La culture, un marqueur identitaire fort.

1 – La culture est le moyen privilgi par lequel une socit veut saisir et afficher son identit : la politeia athnienne constitue un paradigme pour la socit athnienne du V av JC.

2 – Chaque socit se reconnat en comparant sa culture celles d'autres socits.

Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?

3 – C'est quand l'influence de tel trait culturel diminue, s'accentue, disparat ou apparat qu'une socit voit son identit se transformer.

*E. Morin, La Mtamorphose de Plozevet.

Chapitre : Pas de socit sans histoire

II – Les cultures respectives de tels ou tels groupes sociaux sont la fois des ralliements identitaires et des instruments de distinction/discrimination sociale.

1 – Puisque l'identit est toujours un rapport l'autre c'est dans le cadre des relations entre les groupes sociaux aux traits culturels spcifiques que se produit l'affirmation ou l'assignation identitaires. Cette identit se reconstruit constamment au sein des changes sociaux et est l'enjeu de luttes sociales. Un exemple les Hmong rfugis du Laos en France dans les annes 1970.

2 –On peut tablir des corrlations clairantes entre faits culturels et classes sociales : Max Weber constate une congruence entre l'thique protestante et l'mergence de la classe des entrepreneurs capitalistes.

3 – Dans un espace social donn, il existe toujours une hirarchie culturelle. S'inscrire dans telle ou telle culture est une faon subie ou revendique de se situer socialement hirarchiquement :  Les individus et les groupes investissent dans les luttes de classement tout leur tre social, tout ce qui dfinit l'ide qu'ils se font d'eux-mmes, tout l'impens par lequel ils se constituent comme nous par opposition eux aux autres  P. Bourdieu, Actes de la recherche en sciences sociales n 35

4 – Thorstein Veblen dans sa Thorie de la classe de loisir (1899) labore une typologie des comportements de loisir dans la socit industrielle; ceux-ci sont autant de critres de distinction sociale.

*B. Lahire, La Culture des individus

Axe C - Comme l'identit culturelle d'une socit se confronte la diversit culturelle des autres socits, se posent des problmes thoriques et pratiques, enjeux de vifs  dbats de socit .

I – Quel statut accorder aux autres socits : barbares ? infrieures ? suprieures ? dignes d'tre considres galit ?

Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?

1 –  L'attitude la plus ancienne [] consiste rpudier purement et simplement les formes [] sociales qui sont loignes de celles auxquelles nous nous identifions  Lvi-Strauss, Race et histoire.

2 – Selon la doctrine raciste, l'identit culturelle des socits tant dtermine par des caractres physiques hrditaires de leurs membres, discriminants, il est ncessaire de prserver les socits suprieures de tout mlange et d'affirmer le droit de dominer les autres socits :  Ainsi, le cervelet du Huron contient en germe un esprit tout fait semblable celui de l'Anglais et du Franais ! Je serais en droit de lui demander ce Huron, s'il est gal nos compatriotes, d'o vient que les guerriers de sa tribu n'ont pas fourni de Csar ni de Charlemagne  A. Gobineau, Essai sur l'ingalit des races humaines.

3 – La rfutation scientifique du racisme conduit logiquement au refus d'tablir une discrimination entre les socits, au refus de traiter les unes  plus mal ou mieux  que les autres.

Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?

II – Comment penser la coexistence entre des socits trangres culturellement ? Sur le mode du  choc des civilisations  ? de l'uniformisation ? de l'ingrence ? de l'ouverture la diffrence ?

1 – Samuel Huntington Le Choc des civilisations (1996)

2 – Contrairement S. Huntington, on peut prner le dialogue des civilisations dans un double mouvement permanent de fermeture et d'ouverture

Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?

Axe  D – Les socits contemporaines sont de plus en plus multiculturelles ; assurer la cohrence et la cohsion de la socit est plus dlicat et les stratgies identitaires des acteurs sociaux sont multiples.

Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ?

I- Une socit peut-elle fonctionner en admettant une certaine pluralit culturelle ?

1 – Les mutations sociales contemporaines donnent cette question toute son actualit.

2 – La pluralit culturelle peut tre perue comme une menace d'implosion sociale si une identit culturelle de rfrence est considre comme la seule vraiment lgitime.

3 – moins de ne pas avoir peur d'une identit syncrtique, les acteurs sociaux se forgeant une identit multidimensionnelle, une  identit-rhizome  (Deleuze, Pourparlers), une  identit crolise  (E. Glissant).

II – Si l'identit en gnral, et l'identit culturelle en particulier, est une construction sociale dont l'enjeu est la reconnaissance sociale, elle se prte des reformulations en fonction des intrts matriels et symboliques des diffrents groupes sociaux.

1 – L'effort des minoritaires vise transformer une identit connote ngativement socialement en identit connote positivement socialement : Black is beautiful.

2 – Un mme groupe culturel peut exploiter sa rfrence identitaire de faon trs diffrente dans des contextes sociaux diffrents : les Hatiens immigrs New York.

Axe E – Les phnomnes culturels (si on se rfre au deuxime sens de  culture : les pratiques et les politiques qui dveloppent les facults intellectuelles et artistiques ) ne recouvrent pas l'ensemble des phnomnes sociaux.

I – Dans un certain usage des termes  social ,  culturel , le social ne peut tre assimil au culturel

1 – On le saisit dans l'occurrence  le volet culturel d'une politique sociale .

2 – Tous les choix pour la vie en socit ne dpendent pas des orientations en matire d'ducation culturelle.

II – Toutefois la politique ducative et culturelle d'une socit est rvlatrice des valeurs que cette socit dfend et diffuse :  il y aura autant de sortes d'ducation qu'il y a de milieux diffrents dans la socit  Durkheim, ducation et sociologie.

Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?

Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ?

Chapitre : Peut-on concevoir une socit humaine sans art ?

Chapitre : Une socit a-t-elle besoin de philosophes ?

1 – La finalit de l'ducation platonicienne est de promouvoir et de prserver la cit idale.

2 – la Renaissance, les humanistes laborent un programme d'ducation qui doit contribuer la ralisation de cette socit idale qui permettrait chacun l'accomplissement de son humanit.

3 – La socit de consommation et de divertissement rend un certain type de culture obsolte :  La socit de masse ne veut pas de la culture mais les loisirs  H. Arendt, La Crise de la culture.

4 – tudier la faon de constituer le fonds d'une bibliothque, qu'il s'agisse de l'institution sociale ou d'un bien personnel, tudier le rle et la valeur que socialement on lui accorde, permet de saisir l'ancrage social des valeurs culturelles.

Axe F – Par contre, puisque l'tre humain est un tre de culture (au sens anthropologique) et puisque socit et culture sont consubstantielles, on peut affirmer que tout phnomne humain est un phnomne social et qu'il n'existe pas d'individu pr-social ou  naturel .

Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?

Chapitre : L'individu : un je de socit

I – Le monde social transforme les donnes les plus naturelles en ralits culturelles.

1 –  Tout un ventail de possibilits est offert par la nature au moment de la naissance. Ce qui est actualis se construit par l'interaction avec le milieu  F. Jacob, Le Jeu des possibles.

2 – Si l'engendrement est biologique,  la filiation est proprement sociale  F. Hritier, Masculin-Fminin.

3 –  On peut affirmer que les besoins n'existent pas et que la distinction entre les besoins  lmentaires  que tout homme doit satisfaire et les besoins secondaires qui ne sont pas essentiels la survie, est absurde : tous les besoins sont des produits sociaux, et ils sont dfinis par les moyens de les satisfaire que chaque socit met la disposition de ses membres  H. Mendras, Le Changement social.

Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?

4 – Affirmer que tout chez l'homme est socialement fabriqu, c'est prendre un certain parti dans le dbat sur la question de savoir si les diffrences et les ingalits de statuts et de fonctions au sein de la socit, sont fonds naturellement : les enjeux sociaux et politique sont considrables.

Chapitre :  La justice est la premire vertu des institutions sociales 

II – La construction sociale du genre :  On ne nat pas femme, on le devient  S. de Beauvoir, Le Deuxime sexe.

 

 

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Pas de socit sans histoire mais des faons varies de penser le rapport de la socit l'histoire

Axe A – Toute ralit humaine et donc sociale est historique.

I – Certes l'ide de socits sans histoire(s)  a un certain crdit.

1 – Lvi-Strauss distingue  les socits froides des socits chaudes . Les socits froides ont  labor une sagesse particulire qui les incite rsister [] toute modification de leur structure, qui permettrait l'histoire de faire irruption en leur sein  Entretien avec G. Charbonnier (1959).

2 – Le concept de ralit sociale historique n'est pas naturellement donn; il est construit socialement, M. Eliade note  Le refus de l'homme archaque de s'accepter comme un tre historique  Le Mythe de l'ternel retour.

3 – Les utopies se pensent comme des socits sans histoire(s). Campanella, dans La Cit du soleil (1623) imagine une socit rgle harmonieusement une fois pour toutes grce une vie simple et la mise en commun de tous les biens.

II – Mais si certaines conditions ne sont pas runies pour qu'une socit pense sa ralit comme historique, cela n'empche pas qu'objectivement toutes les socits s'inscrivent dans l'histoire.

1 – Socit et histoire sont consubstantielles car l'historicit, le conflit, l'innovation sont constitutifs de l'existence humaine, mais certaines conditions sont ncessaires pour accder la reprsentation de la ralit comme histoire.

2 – C'est par ethnocentrisme que certains ont assimil les socits primitives des socits sans histoire.

3 – Par dfinition les utopies relvent de l'imaginaire, on ne peut y voir une preuve qu'une socit puisse chapper l'histoire, aux histoires.

III – On peut chercher par quels processus historiques les socits se constituent.

1 – C'est une des tches des historiens de connatre le pass de telle ou telle socit,

2 – Mais la question de savoir quand et comment est apparue la vie en socit est probablement inadquate.

Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?

3 – Les thories qui distinguent l'tat de nature de l'tat social, les thories du contrat social ou celles qui postulent un acte inaugural (une crmonie (Durkheim), l'invention de la prohibition de l'inceste (Lvi-Strauss) ne prtendent absolument pas faire la gense historique du phnomne social.

Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?

Axe B - Toute socit (se) raconte son histoire.

I – Les socits se tournent alors vers les historiens :  L'histoire a pour vritable objet de nous faire comprendre l'tat social de l'homme  Ibn Khaldn, Prolgomnes historiques (XIVe sicle).

1 – C'est une des tches des historiens d'expliquer tels ou tels phnomnes politiques, culturels, sociaux tel moment de l'histoire de la socit tudie.

2 – Les enjeux sociaux du travail des historiens sont indniables.

Chapitre : Nature et socit sont-elles au mme titre objet de science ?

Chapitre : Faire socit

3 – Cette interaction entre histoire et socit se manifeste galement par le fait que l'historien interroge le pass partir de questions que le prsent dtermine socialement :  L'histoire n'est jamais l'histoire, mais l'histoire-pour  Lvi-Strauss, La Pense sauvage.

II – Les socits se tournent alors vers des rcits qui donnent des repres sociaux.

1 – La mmoire collective, tisse de tmoignages, de mythes et d'histoires, construit pour une socit son identit narrative. Joinville au XIVe sicle crit Le Livre des saintes paroles et des bonnes actions de Saint Louis liant l'histoire nationale de la France l'idalisation de la personne royale (le bon roi qui rend la justice sous un chne en toute quit).

Chapitre : Faire socit

Chapitre : Peut-on concevoir une socit humaine sans art ?

2 – Des maximes, proverbes, sentences racontent toujours les mmes histoires concernant les passions motrices des acteurs sociaux engags dans l'histoire :  Si tu es promu la fonction comportant une part honorifique, fais nommer en mme temps que toi ton rival, pour viter qu'il ne suscite des troubles : tu lui laisseras la part honorifique de la fonction en en conservant la jouissance relle  Mazarin, Brviaire des politiciens.  Les flaux physiques et les calamits de la nature humaine ont rendu la socit ncessaire. La socit a ajout aux malheurs de la nature. Les inconvnients de la socit ont amen la ncessit du gouvernement, et le gouvernement ajoute aux malheurs de la socit. Voil l'histoire de la nature humaine  Chamfort, Maximes et penses, caractres et anecdotes.

Axe C – Toute socit, par ses dynamiques internes, fait son histoire.

I – Faire son histoire au sens faible de forger son volution.

1 – Chaque socit est soumise la dialectique de l'ordre et du dsordre :  Reprenons la loi du devenir historique [selon Montesquieu]. Tout est command par le rapport existant entre la nature et le principe. Si ces deux termes sont accords (Rome rpublicaine et romains vertueux) la totalit de l'Etat est paisible. Si c'est deux termes sont contradictoires (Rome rpublicaine et des Romains qui n'ont pas de vertu) la crise clate. Le principe n'est plus celui que veut la nature du gouvernement ; la forme du gouvernement va tenter de changer jusqu' ce que un nouvel accord se dessine  L. Althusser, Montesquieu, La Politique et l''histoire.

Chapitre : Faire socit

2 – Les modalits et les finalits du changement social au cours de l'histoire d'une socit.

Chapitre : Faire socit

3 – Les mouvements sociaux sont un des moteurs de l'histoire de la socit qui les voit/fait natre.

*E. Neveu, Les Mouvements sociaux

4 – L'histoire de la socit moderne, par exemple, est faite de diversification, de complexification, de rationalisation.

Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?

*M. Weber, conomie et socit

*G. Simmel, Philosophie de l'argent

II – Faire son histoire, au sens fort de produire un moment marquant de son histoire.

1 – Quand des actions sociales deviennent des actions historiques : la prise de la Bastille en 1789.

2 – Quand une socit a rendez-vous avec l'histoire et est un tournant de son histoire :  Polybe de Megalopolis a cru devoir remarquer que les Romains n'ayant pas fait de grandes conqutes durant des sicles [] sont monts en moins de cinquante-trois ans un si haut point de puissance qu'ils ont rduit leur obissance, l'Italie, l'Afrique et l'Espagne  Zozine, Histoire romaine (XVe sicle).

Axe D – Certains font l'hypothse qu'il y a un sens de l'histoire dont les forces sociales sont les acteurs et les instruments : la comprhension du social passe par une philosophie de l'histoire :  L'gyptien ne pouvait exister sans l'Oriental, le Grec btit sur l'un et sur l'autre, le Romain s'lve sur les paules du monde entier le monde se dirige vers quelque chose de grand !  Herder, Une autre philosophie de l'histoire.

I – Les philosophies de l'histoire visent dgager le sens (signification, orientation) des socits, conues comme des formes transitoires prises par l'humanit dans sa marche vers sa ralisation finale. Quelques exemples.

1 – Kant : Ide d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique.

Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?

2 – Marx : Le Manifeste du parti communiste.

3 – Comte : Systme de politique positive

Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?

*R. Aron Les tapes de la pense sociologique : Chapitre Comte

*A. Comte, Sociologie (choix de textes)

4 – Si l'on se situe dans le cadre d'une tlologie historique positive, l'avnement de la socit la plus accomplie signifie la fin de l'histoire (au sens de parachvement), que celle-ci prenne la forme de  la socit communiste  (Marx), celle de  la socit industrielle devenant la socit de l'humanit entire  (Comte) ou de la  dmocratie librale  (F. Fukuyama, dans La Fin de l'histoire ou le dernier homme dclare  La fin de l'histoire est un fait rel ).

Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?

Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?

II – Certains vnements sociaux ou certaines conceptions de l'histoire posent la question des socits de la fin de l'histoire (on entend par l la disparition d'une socit).

1 – Une socit peut provoquer son autodestruction comme l'analyse J. Diamond, Effondrement (la rivalit ostentatoire des chefs sur l'le de Pques se manifestait par l'rection de statues toujours plus imposantes, exigeant bois, cordes, nourritures en telle quantit que cela a conduit l'puisement de toutes les ressources et la disparition de cette socit) ou comme le prdit J. Ellul dans Le Systme technicien.

2 – Certains philosophes de l'histoire, comme O. Spengler dans Le Dclin de l'Occident, postulent que toute socit nat, accde son plein panouissement puis est voue la dcadence et la mort.

Chapitre : Faire socit

III – Cette hypothse selon laquelle les volutions sociales expriment, acclrent ou retardent le sens de l'histoire est un parti-pris qu'on peut/ doit ne pas dfendre.

1 – Affirmer que les socits sont soumises au sens de l'histoire est une option mtaphysique indcidable; on peut faire avec Popper, dans Misre de l'historicisme (1956), la critique de cette option.

2 –  La problmatique de l'action sociale n'est plus identifiable au mouvement de l'histoire   La socit tait dans l'histoire, maintenant l'histoire est dans la socit A. Touraine, Sociologie de l'action.

 

 

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 La justice est la premire vertu des institutions sociales  John Rawls, Thorie de la justice

Si la vertu de justice apparat comme minemment sociale, malgr ses autres domaines d'application, c'est parce que l'ide de justice contient celle d'une juste proportion. Or dans toute socit existent des positions auxquelles sont attachs des avantages plus ou moins importants et d'autres auxquelles sont attachs peu ou pas d'avantages ; toutes les socits sont traverses par des relations dissymtriques entre les individus, relations dans lesquelles certains ont plus d'atouts, de privilges, de commodits que d'autres. Par consquent se pose ncessairement collectivement la question de savoir comment penser et promouvoir une juste rpartition des charges et des profits.

On traitera ici la justice en tant que pratique sociale plus ou moins efficiente ou dfaillante et non dans le cadre du dbat moral sur les fins inconditionnelles de l'existence ( c'est juste  signifie alors  ceci est bien proportionn la conception qu'on doit se faire de ce qui est vraiment bon pour l'homme , par exemple il peut tre juste d'tre sage, et d'apprendre mourir, ou de faire son salut spirituel). Par consquent, quand on parlera d'un comportement juste ce sera au sens d'un comportement lgal ou d'un comportement jug lgitime sur le plan de la justice sociale et non au sens d'un comportement vertueux.

Axe A - La justice est la qualit essentielle que doivent avoir les institutions sociales pour assurer le bon fonctionnement d'une socit.

Dans le cadre d'une enqute d'opinions commande par le colloque de novembre 2011, anim par La Rpublique des ides, Grenoble et intitul  vivre ensemble , la question :  Qu'est-ce qui constitue une menace au vivre ensemble ?  65% des personnes interroges ont rpondu  les ingalits sociales , 26%  les personnes d'origine ethnique et religieuse diffrentes , 9%  le repli communautaire .

I – Au pralable, rappelons ce que signifient  juste ,  injuste ,  justice ,  injustice  :  la justice a toujours voqu des ides d'galit, de proportion, de compensation [] la justice est reprsente avec une balance  Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion.

L'allgorie de la justice telle qu'elle se prsente dans la tradition littraire ou picturale occidentale, est une femme aux yeux bands (symbolisant l'impartialit) et tenant une balance (symbolisant l'quilibre d'une gale rpartition). Ainsi sera juste le fait d'obtenir, en bien ou en mal, quelque chose qui est proportionn ce qu'on doit recevoir compte-tenu de ce qu'on est, de ce qu'on a, de ce qu'on fait.

*Aristote, thique Nicomaque, V

1 –  Tous les hommes sont d'avis que le juste consiste dans une certaine galit Mais quelle sorte d'galit c'est un point qui ne doit pas nous chapper car il contient une difficult fondamentale de la philosophie politique  Aristote, thique Nicomaque, V. Dfinira-t-on la justice par l'galit proportionnelle ? par l'galit indistincte formelle ou juridique ? par l'galit indistincte des conditions ? et/ ou par l'quit ?

*Aristote, thique Nicomaque, V

2 – L'ingalit caractrise le fait qu' une diffrence entre des individus est associ un avantage ou un dsavantage. L'ingalit c'est une diffrence classe hirarchiquement. La discrimination, quant elle, est une ingalit illgale.

3 – Il faut distinguer la justice comme institution sociale qui dit le droit, sanctionnant les infractions la loi et la justice comme exigence morale d'atteindre l'idal social de justice.

II – C'est parce que les hommes vivent en socit que la question de la justice se pose.

1 –  Justice et injustice ne sont en rien des facults du corps et de l'esprit [] ce sont des qualits relatives l'homme en socit et non l'homme solitaire  Hobbes, Lviathan chap. 13.

2 – Rousseau, dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalit parmi les hommes invite ne pas confondre la piti  rpugnance voir souffrir son semblable  qui est une  maxime de bont naturelle  avec  cette maxime sublime de justice raisonne  qui doit tre le pilier d'une socit juste.

* Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalit parmi les hommes

3 – Hume dans le Trait sur la nature humaine explique que compte tenu que  nos ides naturelles de la moralit se conforment la partialit de nos affections  et compte-tenu que  le remde ne provient pas de la nature mais de l'artifice , alors le principe de la justice est l'artifice social qui permet de forger un monde commun l o la nature n'invite qu' une gnrosit restreinte  (id).

4 – En pointant le paradoxe pistmologique et ontologique de la thorie ultra-librale, on peut dfendre l'ide selon laquelle  la main invisible  du march ne suffit pas rgir quitablement les rapports sociaux : la justice doit tre socialement institue.

III – Dans la vie en socit ce qui est attendu avant tout c'est que l'individu se comporte avec justice vis--vis de la socit et que la socit se comporte avec justice vis--vis de l'individu. En effet  il n'y a qu'une chose qui soit propre aux hommes par rapport aux autres animaux : le fait qu'ils aient la perception du bien et du mal, du juste et de l'injuste. Avoir de telle notions en commun c'est ce qui fait une famille et une cit  Aristote, Politique, I, 2.

1 – Toute socit attend que ses membres aient un esprit de justice :  Par juste, j'entends celui qui dsire que chacun soit en possession de ce qui lui revient  Spinoza, Trait Politique.

2 – Tout membre d'une socit attend que sa socit soit juste son gard :  Quand nous parlons de droit d'une personne sur une chose, nous voulons dire que cette personne est fonde exiger de la socit qu'elle la protge et la maintienne en possession de cette chose par la force de la loi  J. Stuart Mill, De la libert.

3 – Comme le remarque picure, dans Maximes, XXXVI  La justice reprsente un avantage essentiel pour les relations sociales.  L'injustice est donc un des facteurs les plus puissants de dsintgration sociale.

4 – La question de la justice est particulirement cruciale dans les socits dmocratiques :  Les peuples dmocratiques montrent un amour plus ardent et plus durable pour l'galit que pour la libert  Tocqueville, De la dmocratie en Amrique, deuxime partie, chap. 1.

5 – La justice est tellement essentielle la vie sociale que les lois se prsentent toujours comme justes, mme si  la coutume fait toute l'quit par cette seule raison qu'elle est reue  Pascal, Penses, section V, n 294, d. Brunschvicg.

Axe B – Corrlativement, il n'y a d'injustice que sociale.

I – Ou bien on fait de la nature un modle de justice et donc ce qui vient de la nature, galit ou ingalit, est juste. C'est une organisation sociale (ou une loi ou une dcision collective) contraire la norme naturelle, qui est alors injuste.

1 – Si on pose la nature comme normative et ingalitaire, les ingalits naturelles sont justes et la socit, si elle veut tre juste, doit les inscrire dans son organisation :  la nature divise les hommes en hommes libres et en esclaves, voil ce qui est vident ; et, pour les esclaves, l'esclavage est la fois utile et juste  Aristote, Politique, I, 2.

*Platon La Rpublique

2 – Si on pose la nature comme normative et galitaire, l'galit naturelle est juste et la socit, si elle veut tre juste, doit inscrire cette galit de tous dans son organisation. Une socit qui ne le fait pas est injuste. Rousseau clame avec vhmence, dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalit parmi les hommes :  Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misres, que d'horreurs n'et point pargn au genre humain, celui qui arrachant les pieux ou comblant les fosss et cri ses semblables : Gardez vous d'couter cet imposteur [le premier qui ayant enclos un terrain osa dire  ceci est moi ], vous tes perdus si vous oubliez que les fruits sont tous et la terre personne .

*Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalit parmi les hommes

II – Ou bien on considre que la question du juste et de l'injuste n'est pose que par une socit et pour une socit ( l'ide de justice ne peut tre considre comme un principe naturel  Hume, Trait de la nature humaine), et dans ce cas une socit jugera, selon son idal de justice et ses lois, telle organisation sociale ingalitaire ou pas, telle ingalit juste ou injuste.

1 – Dans une socit librale, l'galit indistincte formelle est lgitime, toute ingalit devant la loi est injuste ; en revanche l'galisation des conditions est illgitime, l'ingalit dcoulant du mrite est juste.

2 – Pour une socit communiste, que certains soient propritaires et d'autres non, serait injuste.

Chapitre : Pas de socit sans histoire

3 – Selon J. Rawls, les ingalits seront rputes justes si elles profitent aux plus mal-lotis :  Elles doivent procurer le pus grand bnfice aux membres les plus dsavantags de la socit  Thorie de la justice

Axe C – Dans toutes les socits, s'lvent des voix nombreuses pour dnoncer les injustices sociales et ceci d'autant plus que plusieurs conceptions de l'idal de justice peuvent tre invoques. Par consquent rendre la socit plus juste reste la premire revendication sociale.

I – Tous les acteurs sociaux souhaitent plus de justice, mais, s'appuyant sur des principes diffrents voire contradictoires, ils ne dnoncent pas les mmes choses comme injustes.

1 – Dans une perspective platonicienne, la cit juste est une totalit organique o chacun assume la fonction sociale qui lui est propre : les artisans produisent, les gardiens assurent la scurit et l'ordre et les philosophes gouvernent. Une organisation collective qui ne se conforme pas cette harmonie et n'tablit pas une juste proportion des hommes et des tches, est injuste.

2 – Dans une perspective augustinienne, la seule socit juste serait celle qui applique les principes de la cit cleste dans la cit terrestre. Ce sont les comportements d'orgueil, d'envie, ainsi que le mensonge et l'gosme qui font obstacle la justice en socit.

3 – Des acteurs sociaux anims par des idaux galitaires pourraient dessiner la socit juste de leurs rves la manire de Sigismond, personnage de Zola, dans L'Argent :  La socit de l'avenir, cit de justice et de bonheur dans laquelle il n'y a plus d'argent et des lors plus de spculation, plus de vol, plus de classes hostiles, plus d'oisifs, plus de luxe ni de misre  ; par consquent les socits existantes domines par l'argent leur paraissent profondment injustes.

4 – Les membres des socits dmocratiques ne pourront estimer leur socit juste que si elles font respecter l'galit formelle, combattent les ingalits relles criantes, offrent l'galit des chances, et veillent la reconnaissance de chacun dans le respect de sa dignit et de son autonomie. Au regard de ces exigences, bien des injustices sociales persistent dans ces socits.

II – Que faire donc pour rendre une socit plus juste ? Cette question se pose l'homme,  cet animal social  Aristote, Politique, I qui dispose  du langage dont la finalit est la dlibration politique en vue d'une vie conforme la justice  Aristote, Politique, I.

Les rponses la question de savoir comment rendre une socit plus juste varient selon ce qu'on estime tre une socit juste et selon l'anthropologie qu'on dfend.

Personne ne peut ignorer les problmes thoriques et pratiques que chacune des rponses peut poser. Personne ne peut ne peut ignorer non plus l'extrme difficult trouver des solutions ces problmes. Mais pour autant aucune socit ne peut laisser de cot la question de savoir comment tre plus juste.

1 – Doit-on chercher des solutions plutt du ct de la morale, de la politique ou de la science ? Mais quel sens et quelle valeur accorder cette recommandation de Camus :  Soyons nous-mmes justes si nous voulons des institutions justes  Actuelles, 1946.

2 – Platon, dans La Rpublique, expose comment parvenir forger la cit juste. Mais Popper veut montrer dans La Socit ouverte et ses ennemis, qu'appliquer ce programme de justice sociale serait prcisment ne pas recevoir ce qui est d.

* Popper, La Socit ouverte et ses ennemis

3 – Rousseau, dans Du contrat social, montre comment les conditions de formation de la volont gnrale en font l'expression mme de la socit juste. Mais que valent ces conditions ?

*Rousseau, Du contrat social

4 – John Rawls, dans Thorie de la justice :  Je prsenterai [] les deux principes de la justice sur lesquels se ferait un accord dans la position originelle : En premier lieu, chaque personne doit avoir un droit gal au systme le plus tendu de liberts de base gales pour tous qui soit compatible avec le mme systme pour les autres. En second lieu, les ingalits sociales et conomiques doivent tre organises de faon ce que, la fois (a) l'on puisse raisonnablement s'attendre ce qu'elles soient l'avantage de chacun et (b) qu'elles soient attaches des positions ouvertes tous. . Mais ce deuxime principe soulve des objections fortes.

5 – P. Rosanvallon dans La Socit des gaux, montre, que les socits dmocratiques contemporaines aspirent concilier les principes de justice de l'galit, de la reconnaissance, du respect de l'autonomie. Mais est-ce possible ?

 

 

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Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?

Axe A – Les valeurs sociales, religieuses, esthtiques, conomiques sont les fondements normatifs de la socit ; elles ont donc une importance considrable dans la construction de la vie sociale comme de la cohsion sociale.

Les valeurs d'une socit dsignent ce que la collectivit juge vrai, beau, bon Ce sont les fondements normatifs de cette socit. On les distinguera des valeurs d'un individu ; celui-ci peut partager les valeurs mmes de sa socit; mais il peut ne pas les partager, en partager certaines mais pas toutes. Ce qui ne l'empche pas de comprendre ces valeurs collectives qui prsident aux interactions dans lesquelles il s'inscrit.

Les valeurs d'une socit peuvent tre values selon deux critres :

a) elles sont juges bonnes de par leur capacit remplir leur rle de socle normatif (elles ont une lgitimit pragmatique) ; quand elles ne peuvent pas ou plus valoir comme principes, elles sont abandonnes, restaures, transformes. Ceci sera abord Axe A.

b) elles sont juges bonnes ou pas (par tel ou tel membre de la socit ou par un observateur extrieur) en fonction d'un idal moral, conomique, religieux, politique, esthtique qu'elles contribuent ou pas raliser. Ceci sera abord Axe B.

I – Toute socit se fonde sur des valeurs et en transmet :  Une socit ne peut se crer ni se recrer sans du mme coup crer un idal. Cette cration n'est pas pour elle un acte surrogatoire (qui est au del de ce qu'on est oblig de faire) par lequel elle se complterait une fois forme; c'est l'acte par lequel elle se fait et se refait  Durkheim, Les Formes lmentaires de la vie religieuse.

1 – Les valeurs d'une socit sont l'expression de prfrences et de croyances collectives; elles sont incarnes par les normes qui orientent l'activit sociale comme par les moeurs des acteurs sociaux.

Chapitre : Faire socit

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?

2 – Montesquieu, en tudiant  cet esprit gnral  d'une socit qui rsulte des valeurs exprimes dans  la religion, les maximes du gouvernement, les exemples des choses passes, les murs, les manires  (L'Esprit des lois, XIX, chap. IV), montre que celui-ci varie  selon les lieux et les circonstances  : chaque socit a ses valeurs et ses normes. Ces valeurs et ces normes sont relatives chaque socit.

Chapitre : Faire socit

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?

3 – Les valeurs jouent un rle considrable dans l'organisation conomique et sociale d'une collectivit comme dans son volution. Max Weber a montr, dans L'thique protestante et l'esprit du capitalisme, comment les valeurs protestantes d'asctisme et de rigueur ont contribu l'accumulation du capital. Tocqueville, dans De la dmocratie en Amrique, a mis en vidence comment l'essor de l'individualisme a favoris le despotisme mou tatique.

4 – Dans certaines configurations sociales, des valeurs, dfendues collectivement, sont un moteur de transformations sociales et de refondation :  Toute socit se forme, se rforme, se transforme l'aide d'une ide  Proudhon, Recherche sur le principe du droit et du gouvernement

Chapitre : Faire socit

5 – Nanmoins le pluralisme et parfois le conflit des valeurs au sein d'une mme socit peuvent dchirer le tissu social.

Chapitre : Faire socit

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

II – Les valeurs morales remplissent plus particulirement une fonction sociale essentielle.

1 – Certes on pourrait penser et/ou souhaiter le contraire :  Les vices des particuliers contribuaient la flicit publique. [] Le luxe fastueux occupait des millions de pauvres. La vanit, cette passion si dteste, donnait de l'occupation un plus grand nombre encore  Mandeville, La Fable des abeilles.

2 – Mais si on ne partage pas cette thse attribuant la nature une finalit heureuse, on fera de la morale un ciment social :  La morale commence l o commence la vie en groupe, parce que c'est l seulement que le dvouement et le dsintressement prennent un sens  (E. Durkheim, expos devant la socit franaise de philosophie, avril 1906).  Au fond de l'obligation morale, l'exigence sociale  Bergson, Les Deux sources de la religion et de la morale.

3 – Kant, dans Ide d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique, montre que l'insociable sociabilit  extorque  aux individus gostes une certaine moralit. Et plus celle-ci se manifeste, plus la socit se conforme au droit et peut fonctionner correctement.

Chapitre : Pas de socit sans histoire

4 – La sociologie morale met en vidence comment les sujets sociaux justifient leurs actions par leurs murs et par des motivations morales.

5 – R. Ogien dans La Panique morale, analyse les implications de telle ou telle doctrine morale sur le traitement de questions sociales telles que la prostitution, la gestation pour autrui, l'euthanasie.

6 – Mais on peut prendre en compte la distinction entre la lgalit et la moralit et considrer que les rgles juridiques socialement en vigueur doivent, seules, constituer le fondement normatif de la vie sociale ; les normes morales rgissant la vie personnelle.

Chapitre : L'individu : un je de socit

Axe B – Une socit voit ses valeurs discutes en fonction de l'ide que ses membres se font d'une socit bonne : elles sont soumises des jugements de valeur.

On prfre ici l'appellation  socit bonne plutt que  socit juste  car l'ide de socit bonne comprend davantage de qualits couvrant davantage d'expriences de la vie sociale (ainsi une socit bonne est une socit juste mais aussi une socit o il fait bon vivre, socit qui garantit le bonheur de ses membres, socit qui aide leur accomplissement moral).

Pour valuer une socit, on recourt toute une srie de qualificatifs pjoratifs ou laudatifs : violente, en dclin, instable, oppressive, scuritaire, scurisante, ouverte, en progrs, stable, juste, injuste

Juger la valeur des valeurs consiste examiner si elles expriment vritablement ce que le corps social prfre et se demander comment on doit les hirarchiser.

On aborde ici la question de savoir quelles valeurs dfendre sur le plan de l'organisation sociale. On n'aborde pas ici la question de savoir quelle valeur un individu peut donner la dimension sociale de son existence (par exemple quelle valeur il accorde la russite sociale ; doit-il dire avec Bourdieu :  misre de l'homme sans mission ni considration sociale  ? doit-il se reprsenter les relations sociale comme une comdie ?). On n'examinera pas non plus ici, la manire des moralistes franais du XVIIIe sicle, les travers des hommes en socit (cf. L'individu : un je de socit).

Ce dbat sur la valeur accorder aux valeurs de la socit est crucial car tout dbat de socit renvoie un conflit de valeurs.

Le dbat sur la valeur des valeurs se formule dans les questions suivantes : telle valeur porte par telle socit est-elle prcieuse ? coteuse ? Doit-on lui attacher de la valeur ? Lui opposer une contre-valeur ? Est-elle en fait sans valeur ?

Ne pas confondre la bonne socit au sens de socit bonne et la bonne socit au sens du groupe social qui se peroit et est peru comme ayant le plus de prestige social.

I - La valeur de la socit d'une part, les valeurs d'une socit d'autre part, font l'objet d'estimations diverses.

1 - Certes les hommes ne peuvent pas ne pas vivre en socit ; cela a-t-il une valeur positive pour autant ? Rousseau dans Du contrat social, I, VIII, rpond oui :  Ce passage de l'tat de nature l'tat civil produit dans l'homme un changement trs remarquable en substituant dans sa conduite la justice l'instinct []. Il devrait bnir sans cesse cet instant heureux qui d'un animal stupide et born fit un tre intelligent et un homme.  Mais bien des voix s'lvent pour dplorer l'alination inhrente toute vie sociale.

Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?

Chapitre : L'individu : un je de socit

2 – Qu'ils jugent bon ou mauvais de devoir vivre en socit, les acteurs sociaux sont conduits apprcier positivement ou ngativement les valeurs de leur socit ou les valeurs d'autres socits auxquelles ils la comparent.

Chapitre :  La justice est la premire vertu des institutions sociales 

Chapitre : Faire socit

Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

II – De nombreuses conceptions du bien vivre en socit alimentent le dbat sur ce qui doit donner de la valeur une socit.

On peut forger la conception de la socit bonne en l'articulant des garants mta-sociaux indiscutables (Dieu, la nature, la raison, l'histoire) ou bien au terme d'une discussion exprimant une intentionnalit collective, tmoignant d'un engagement conjoint (quel type de socit voulons-nous ? Quelle place accorder l'argent ? la dignit des personnes ? la solidarit ? au dveloppement personnel ?). Quoi qu'il en soit, la socit bonne est la socit qui met en place ce qui est bon pour l'homme. Elle incarne la socit qui doit tre.

Le concept de  socit bonne  peut avoir le statut ontologique de ralit venir ou celui d'idal rgulateur (le concept de  socit bonne  n'est pas alors un concept sous lequel on pourrait subsumer une quelconque ralit empirique mais un fil conducteur permettant de dgager des principes de lgitimit).

Les acteurs sociaux se rfrent leur conception de la socit bonne quand il s'agit de mesurer l'cart entre la socit relle dans laquelle ils vivent et la socit dans laquelle ils aimeraient vivre. Le plus souvent l'cart est grand et atteste des dysfonctionnements de la socit relle ; quand l'cart se creuse ou ne se comble pas, on parle alors de socit en crise.

La rflexion sur la socit dont les valeurs seraient les bonnes valeurs relve du domaine du prescriptif (normatif, axiologique) et non du domaine du descriptif.

1 – Pour Platon, une socit bonne serait une socit qui cultive la justice chez ses membres comme dans son organisation :  Une cit sembl[e] prcisment tre juste quand les trois groupes prsents en elles exerc[e]nt chacun leur tche propre et elle nous sembl[e] modre ou encore courageuse et sage en raison d'affections et de dispositions particulires de ces mmes groupes. [] Nous porterons le mme jugement sur l'individu, s'il possde dans son me lui ces mmes classes et qu'il prouve les mmes affections qui y correspondent  Platon, La Rpublique, IV.

Chapitre :  La justice est la premire vertu des institutions sociales 

Chapitre : Une socit a-t-elle besoin de philosophes ?

2 – Une socit bonne serait une socit qui ferait vivre l'esprit des Lumires.

Chapitre : Une socit a-t-elle besoin de philosophes ?

3 – Une socit bonne serait une socit qui va dans le sens de l'histoire, s'loignant de plus en plus de toutes les formes d'alination.

Chapitre : Pas de socit sans histoire

4 – Une socit bonne serait une socit close, perptuant ses formes traditionnelles d'organisation.

5 – Une socit bonne serait une socit de comptition, de croissance, d'essor technologique incessant, d'hdonisme consumriste.

Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?

6 – Une socit bonne serait une socit de coopration, du  care , du dveloppement durable.

7 – Une socit bonne serait une socit d'gaux, tolrant le polythisme des valeurs, une socit ouverte.

Chapitre : L'individu : un je de socit

Chapitre :  La justice est la premire vertu des institutions sociales 

Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ?

8 – Dfinir ce qu'est une socit de valeur, c'est en mme temps disqualifier les formes de socit qui s'cartent de cette configuration.

III – La discussion peut aussi porter sur le bien fond du projet de rechercher la meilleure socit.

1 – Certes la plupart des acteurs sociaux estiment que c'est parfaitement fond :  Le rvolt au sens tymologique fait volte-face. Il marchait sous le fouet du matre. Le voil qui fait face. Il oppose ce qui est prfrable ce qui ne l'est pas. Toute valeur n'entrane pas la rvolte mais tout mouvement de rvolte invoque tacitement une valeur  Camus, L'Homme rvolt.

2 – Mais certains mettent en garde contre les drives extrmistes d'un tel projet ; il serait souhaitable de rechercher une meilleure socit mais pas la meilleure socit.

*Popper, La Socit ouverte et ses ennemis

3 – Et ce d'autant plus si on rcuse tout finalisme providentiel.

Chapitre : Pas de socit sans histoire

4 – Toutefois d'autres seront sensibles au jugement de Montesquieu dans L'Esprit des lois selon lequel il n'existe pas de socit bonne ou mauvaise dans l'absolu. De mme d'autres partageront le jugement de Lvi-Strauss dans Tristes Tropiques :  Aucune socit n'est foncirement bonne mais aucune n'est absolument mauvaise ; toutes offrent certains avantages leurs membres. 

5 – Un autre type de contestation du projet de rechercher une meilleure socit vient de ceux qui pensent comme Simmel, dans Philosophie de l'argent, que la logique marchande toujours plus prsente dans les socits modernes produit des pathologies sociales dplorables mais invitables.

*Simmel, Philosophie de l'argent

6 – Une des contestations les plus radicales de tout projet de rforme sociale viendra des  renonants  T. Pavel, L'Art de l'loignement.

Axe C – Les acteurs sociaux sont amens galement valuer les moyens adquats mobiliser pour dessiner et promouvoir une socit meilleure.

I –  L'utopie est un exercice de l'imagination pour penser un autrement qu'tre du social  Ricur, Du texte l'action. Elle fournit aux acteurs sociaux une arme critique et une alternative, en stimulant leur dsir d'un mieux-tre social. Nanmoins faut-il souhaiter que les utopies se ralisent ?

1 – L'utopie dsigne une socit imaginaire idale o tout est rgl au mieux ; les utopistes veulent faire de leur utopie le contrepoint de leur socit qu'ils dsapprouvent radicalement :  L'utopie est un cart entre l'imaginaire et le rel qui constitue une menace pour la stabilit et la permanence du rel  K. Mannheim, Idologie et utopie.

2 – Mais  elles annoncent des tyrannies qui risquent d'tre pires que celles qu'elles veulent abattre  Ricur, Du texte l'action. Dans Les Possds, Dostoievski met en scne un utopiste Chigalev qui dit :  J'ai crit une utopie mais j'ai un ennui. C'est que cette utopie je l'ai crite pour assurer la libert chaque individu du monde mais je me suis aperu que cette libert infinie dbouchait sur une contrainte absolue. 

II – Fonder un modle de socit sur la nature des choses, sur la nature de l'homme, sur l'histoire ou bien croire pouvoir dduire rationnellement des analyses philosophiques ou scientifiques les orientations de la socit idale est contestable et contest.

1 – A. Comte dduit les caractristiques de la socit bonne de sa loi des trois tats. Mais cette loi est-elle autre chose qu'un parti pris mtaphysique ?

Chapitre : Nature et socit sont-elles au mme titre objet de science ?

2 – Affirmer que les socits sont soumises au sens de l'histoire est une option mtaphysique indcidable. On peut faire avec Popper dans Misre de l'historicisme, la critique de cette option. Ou dire avec A. Touraine :  La problmatique de l'action sociale n'est plus identifiable au mouvement de l'histoire  Sociologie de l'action.

Chapitre : Pas de socit sans histoire

III – Les modalits sociales de contestation de l'ordre social font l'objet de jugements de valeur contrasts.

1 – Socrate, dans Criton, recommande de ne pas entrer en rbellion contre les lois mme injustes ; les discuter dans le cadre de procdures lgales est prfrable. Mais que faire si/quand cette discussion est impossible ou impuissante ?

2 – Kant, dans Qu'est-ce que les Lumires ?, invite distinguer l'usage priv et l'usage public de sa raison  L'usage public de sa raison doit toujours tre libre et il est le seul pouvoir apporter les Lumires parmi les hommes ; l'usage priv peut souvent tre trs troitement limit sans pour autant entraver notablement le progrs des Lumires. [] Je comprends par usage public de la raison celui qu'en fait quelqu'un en tant que savant et usage priv celui qu'il lui est permis de faire de sa raison dans une charge civile.  Mais est-ce si ais et efficace?

3 – Les partisans de la rforme dnoncent les effets pervers des rvolutions. Les partisans des rvolutions dnoncent le caractre souvent insuffisant des rformes.

4 – Le succs des actions non violentes n'est-il pas toujours fragile ?

5 – La complexit des socits contemporaines est telle que le sentiment d'impuissance succde rapidement l'exaltation changer la socit.

*E. Neveu, Sociologie des mouvements sociaux

6 – La discussion, dans l'espace public, propos des bonnes valeurs pour la socit, bnficie des atouts du dbat dmocratique mais aussi ptit des complexits de sa conduite ainsi que de ses dysfonctionnements dmagogiques. En effet, les rapports de forces au sein d'une socit, les artifices rhtoriques, les manifestations d'irrationalit de toutes sortes ne font-ils pas peser un soupon sur les vertus de la  raison communicationnelle  (Habermas, Thorie de l'agir communicationnel) ?

Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ?

 

 

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Les socits ont-elles besoin de philosophes ?

Axe A - La rflexion de type philosophique sur la socit ne correspond pas vraiment aux attentes sociales le plus souvent utilitaires.

I – D'une part quand la philosophie prend la socit pour objet de rflexion, elle se pose des questions d'une manire qui n'intressent pas directement les acteurs sociaux.

1 - Des questions ontologiques sur l'essence de la socit et de la sociabilit, sur les rapports entre nature et socit.

chap Ontologie du fait social

2 – Des questions mtaphysiques sur la destine des socits, sur le bien-fond ou non d'un rductionnisme sociologisant.

Chapitre : Pas de socit sans histoire

Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?

Chapitre : Nature et socit sont-elles au mme titre objet de science ?

3 – Des questions politiques sur l'articulation de l'autorit politique et du corps social, sur la libert et la justice.

Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ?

Chapitre :  La justice est la premire vertu des institutions sociales 

4 – Des questions morales sur les rapports entre russite sociale et vie bonne.

Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?

5 – Des questions existentielles sur les rapports entre individu et socit : Peut-on tre vritablement libre, vritablement soi-mme en socit ? L'individu n'est-il qu'un produit social ?

Chapitre : L'individu : un je de socit

6 – Les questions des acteurs sociaux sont d'un autre type et ce sont plutt vers les experts, les chercheurs, les religieux, voire les politiques ou les amuseurs publics qu'ils se tournent.

II – D'autre part un discours philosophique sur la socit semble peu utile car trop abstrait et indcidable ; une socit qui accorde toute sa confiance aux sciences prfrera les savoirs positifs labors par les sciences sociales.

1 – Les apports des sciences sociales la connaissance des socits sont socialement prcieux. Ce sont vers eux que les acteurs sociaux se tournent pour clairer leurs dcisions et leurs actions.

2 – Selon le scientisme, seuls les savants peuvent organiser au mieux la socit :  La science domine tout ; nul homme, nulle institution n'aura une autorit durable s'il ne se conforme ses enseignements  M. Berthelot, Science et morale.  L'idal d'un gouvernement serait un gouvernement scientifique o des hommes comptents traiteraient les questions sociales comme des questions scientifiques et en chercheraient rationnellement la solution  E. Renan, L'Avenir de la science.

Axe B – Pour plusieurs raisons, la socit peut se sentir mise en danger par la philosophie.

I – La fonction essentiellement critique de la philosophie commence toujours par interroger  l'opinion , ciment social par excellence. Or  la socit  s'accommode mal de l'examen critique de son ciment social.

1 – Socrate se conduit comme une  torpille  (Platon, Apologie de Socrate), rveillant les consciences endormies dans le bon sommeil des ides reues ; il s'adresse toutes les couches de la socit pour contester leurs certitudes.

2 – Les philosophes des Lumires cherchent promouvoir la raison afin de construire un ordre social fond sur l'adhsion claire et non sur l'obissance servile ; ceci passe par la critique systmatique des superstitions, des autorits se rclamant de Dieu, de l'idologie d'Ancien Rgime qui constituaient les piliers des socits europennes du XVIIIe sicle.

3 – Dans La Rpublique, Platon rappelle que Socrate fut condamn mort par la cit qui se sentait menace dans ses fondements par le questionnement socratique passant toutes les croyances et les valeurs socialement admises au crible de la critique.

4 – Joseph de Maistre, contre le mouvement des Lumires, plaide pour  la chaleur maternelle des prjugs  (Les Soires de Saint-Petersbourg), le respect des traditions et de l'autorit car ce sont les piliers de la socit.

II – Certains philosophes revendiquent de jouer un rle constructif dans l'organisation sociale, politique et morale. Toutefois on peut juste titre s'en dfier ; d'autres philosophes produisent eux-mmes un discours critique sur ces prtentions.

1 – Donner des conseils aux princes ou aux membres de la socit, voire mme tre  philosophe-roi  Platon, La Rpublique

2 – Proposer des modles de socit bonne, la manire de Platon configurant, dans La Rpublique, la cit idale ou la manire de Kant pensant les conditions de la paix perptuelle dans Projet de Paix Perptuelle.

Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?

Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ?

*Platon La Rpublique

*Rousseau Du Contrat social

3 – Mais cet engagement des philosophes pour une vie sociale idale est dangereux.

*K. Popper, La Socit ouverte et ses ennemis

Axe C - condition de dissiper les malentendus qui peuvent sous-tendre aussi bien la mfiance sociale l'gard de la philosophie que la demande sociale de philosophie, on peut esquisser quelle serait la juste place des philosophes dans la socit.

I – Certains philosophes comme J. Bouveresse, dans La Demande philosophique, refusent d'envisager une quelconque finalit sociale la philosophie : la philosophie n'a rien faire avec la demande sociale :  Je pense que les philosophes se racontent beaucoup d'histoires notamment propos de la dignit particulire de la philosophie et de la position d'exception qu'elle est cense occuper Wittgenstein a dit qu'en philosophie on parvient rarement savoir ce qu'il faut dire sur une question donne mais qu'en revanche on peut savoir clairement que certaines choses ne peuvent pas tre dites. 

II – Toutefois on peut estimer que la rflexion sur la socit ne peut se cantonner aux analyses des sciences sociales. La philosophie comme rflexion critique sur la porte et les limites des connaissances positives sur la socit aurait un certain rle pistmologique et donc une certaine valeur sociale.

III – Les acteurs sociaux accordent une certaine place la philosophie dans les dbats de socit sur les choix de valeur. L'exemple des comits d'thique.

 

 

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L'individu : un je de socit

Pris dans des jeux de socit, quel je est en jeu par, pour, dans, contre la socit

a) La question des rapports entre un individu et sa socit peut concerner aussi bien les socits animales que les socits humaines. Toutefois elle a une coloration particulire quand on se place dans le cadre des socits humaines. En effet seuls les individus humains adoptent un point de vue la premire personne (je), il s'agit donc de savoir en quoi consiste l'identit personnelle de ces individus qui sont ncessairement des tres sociaux.

b) Cette interrogation a une dimension ontologique, traite Axe A (individu et socit sont-ils deux entits substantiellement distinctes ?). Elle a une dimension pistmologique, traite Axe B (pour comprendre ce qu'est tel individu, sa faon de se comporter, ses croyances, ses valeurs, sa place dans la socit, doit-on chercher le dduire des structures sociales ?). Elle a une dimension existentielle, morale, politique qui sera traite Axe C et D (comment penser les relations des individus entre eux, Axe C ? et comment penser les relations d'un individu au tout social Axe D ?).

c) Le cours se place du point de vue de l'individu en examinant la faon dont il fait l'exprience de son inscription dans sa socit; et non du point de vue de la socit (ceci a t abord dans le chapitre  Faire socit ).

d) Certes l'individu dont on va examiner en quoi il est un je de socit, est un homme, appartient au genre humain. Mais les deux termes  individu  /  homme  ne sont pas interchangeables ; il est recommand d'employer rigoureusement l'un ou l'autre terme.

Axe A -  On parle de l'individu et de la socit comme on parle du poivre et du sel ou de son pre et de sa mre. On manipule par la pense et par le langage deux concepts servant cataloguer globalement des phnomnes humains de deux niveaux d'observation indissociables comme s'il s'agissait de deux entits dont l'une pourrait exister sans l'autre  N. Elias, La Socit des individus.

Si Elias donne pour titre son ouvrage : La Socit des individus, c'est pour rompre avec la reprsentation commune de deux substances spares (la socit des individus signifie que la socit est faite d'interactions individuelles), ce n'est pas pour traiter des socits hyper/post modernes (qu'assez communment on qualifie de socits d'individus dsignant ainsi l'atomisation du social).

Chapitre : L'ontologie du fait social

I –  Cette ide de l'existence spare des deux [socit/individu], constitue en fait un postulat tacitement admis que partagent les adversaires dans le dbat entre individualistes et collectivistes  (N. Elias, La Socit des individus), que ce dbat ait une dimension ontologique, politique, morale.

1 – Ce postulat selon lequel individu et socit sont deux entits spares qui prexistent leur rencontre, semble confort par l'tymologie, l'usage linguistique et l'exprience.

a) L'individu dsigne une entit indivisible (sens tymologique), distincte du reste qui a donc une existence indpendante. Un individu contient un principe d'individuation qui le rend unique, c'est dire on peut le distinguer de toute autre entit. On peut noter que l'individuel de tel individu peut avoir beaucoup ou peu en commun ou rien, avec l'individuel de tel autre individu. Cette dfinition vaut pour tout individu, qu'il s'agisse des tigres blancs du Bengale dont les zoologues disent qu'il ne reste que quelques individus, qu'il s'agisse des tortues de mer gantes ou des hommes.

b) Intressons-nous plus particulirement l'individu humain :

* Il a une identit diachronique, on le ridentifie comme le mme chaque poque de son histoire personnelle

* Il a galement ce que Ricur nomme une ipsit (qu'il distingue de la mmet) c'est--dire le fait non seulement d'avoir une unit (idem) mais une unicit (ipse).

* Il a galement la possibilit d' tre soi sur un mode propre, authentique  Heidegger, tre et temps : certes un individu est toujours une personne diffrente de toutes les autres , mais il peut vivre son individualit de deux manires :  il peut s'appartenir en propre ou se laisser dterminer en son tre par les autres et exister de manire non propre, dans l'oubli de soi mme  (id).

* Si la distinction entre soi s'appartenant en propre et soi ne s'appartenant pas en propre est possible c'est parce que l'individu humain a une capacit de rflexion, de rflexivit et d'autodtermination. Non seulement l'individu humain marche, rit, pense mais il sait qu'il marche, rit, pense. Il est capable d'adopter un point de vue la premire personne. Non seulement il peut dire  il fait chaud  mais  j'ai chaud . Par consquent, il est l'auteur de ses penses et de ses actes. Certes il peut se laisser dicter ses penses et ses actes par ce que Heidegger appelle  la dictature du On  mais il peut galement penser et agir en assumant, revendiquant ce qu'il pense et fait. L'individu humain maitrise tous les pronoms personnels : je/tu/il ou elle/nous/vous/ils ou elles.

c) Donc si l'individu humain se vit consciemment comme une entit distincte, spare du reste, il semble pertinent de dire d'un ct l'individu et de l'autre ct la socit, les autres, le groupe.

d) Quelques remarques smantiques encore :

* L'individuel est oppos au collectif; dans le collectif, les lments qui le composent sont moins perus pour eux-mmes que perus comme absorbs dans le tout.

* Un individu peut s'individualiser plus ou moins : dans une socit holiste, il s'individualise peu ; dans une socit individualiste, plus.

2 -  Sparer individu et socit comme deux substances distinctes  (N. Elias, La Socit des individus) se retrouve aussi bien chez les partisans du holisme que de l'individualisme, aussi bien chez ceux qui prnent l'gosme que l'altruisme, aussi bien chez ceux qui dfendent l'engagement collectif que la valeur de l'individuel.

a) La perspective holiste fait de la socit (quelle qu'elle soit) un tre collectif, rel, substantiel. Le holisme ontologique ne nie pas l'existence d'individus comme autant d'entits distinctes mais refuse de donner ces entits individuelles une antriorit ontologique et une supriorit axiologique.  La socit est spirituellement et moralement suprieure l'individu  Durkheim, Rgles de la mthode en sociologie. Et Saint-Simon dans La Physiologie sociale dit que  l'tre humain individuel n'a pas sa finalit en lui-mme mais dans ce tout dont il dpend .

b) Les partisans de l'individualisme ontologique sparent nettement individu et socit puisqu'ils font de la socit le rsultat des interactions auxquelles les individus se prtent. Tout phnomne collectif n'est que la rsultante d'actions, de croyances, d'attitudes individuelles. L'individu n'est pas une partie du tout social mais c'est la socit qui nait des initiatives individuelles. Donc, de faon symtriquement inverse du holisme, l'individualisme ontologique reconduit la mme faon de penser l'individu et la socit comme deux entits distinctes.

c) Si on s'intresse maintenant non plus au dbat ontologique mais au dbat moral et politique, on remarquera que le plus souvent les termes des dbats reposent implicitement sur la conviction que  individu  et  socit  existent chacun part.

Ainsi, si on est partisan de la thorie du choix rationnel pour rendre compte des comportements des individus, on considrera que le moteur de leurs actions est leur intrt bien compris, la socit, les autres sont instrumentaliss. Mais si on conteste cette interprtation et qu'on veut rhabiliter l'altruisme, on pensera dans les mmes catgories : l'individu serait capable de se mettre du point de vue de la socit, des autres de sacrifier tel ou tel de ses intrts particuliers.

II – N. Elias invite  oprer une rvolution copernicienne  (N. Elias, La Socit des individus) et comprendre que « ce qu'on dsigne par individu et socit sont deux fonctions insparables des hommes dans leur vie collective  (N. Elias, La Socit des individus).

1 – Affirmer la ralit la fois symbolique et objective du social, permet de rompre avec toute substantialisation de la socit et de l'individu .

a) C'est la perspective dfendue par les constructivistes en ontologie (Goffman, Elias, Searle).

Chapitre : L'ontologie du fait social

b) N. Elias, dans Qu'est-ce que la sociologie ? (1970), forge le concept de configuration qui, selon lui, permet de dpasser la reprsentation de l'individu et de la socit comme deux entits qui se font face :  Aux ides d'une socit indpendante des individus et d'un individu-atome, on pourrait substituer l'image de configurations concrtes que les individus forment ensemble sans jamais leur prexister.  L'image du filet qu'il propose dan La Socit des individus, remplit la mme fonction puisque le filet n'existe que par les mailles qui n'existent que par le tissage des mailles entre elles.

c) Socit et individu existent l'un par l'autre, ne sont pas des substances mais des processus. Prenons l'exemple de la mode : telle mode (phnomne social, collectif) merge au terme d'un processus d'interactions individuelles (ce sont bien des crateurs de mode qui proposent tel modle mais celui-ci ne devient la mode que s'il rencontre un public et pour cela des acteurs sociaux du marketing, de la publicit entrent en jeu) mais c'est par elle qu'un individu devient la mode ou pas.

d) Il faudrait donc revoir nos manires de penser et de parler :  L'individu considre la socit comme quelqu'un l'intrieur d'une maison regardant la rue : de l'extrieur. Or il doit se situer dans le rseau des rues  N. Elias, La Socit des individus.

2 - Si la reprsentation de l'individu et de la socit comme deux substances distinctes persiste dans de nombreux esprits c'est qu'elle correspond une configuration sociale particulire :  L'ide centrale de La Socit des individus est de considrer que la conception du moi spar et autonome qui pose le monde social comme lui tant extrieur voire hostile, est ne dans le stade d'une diffrenciation pousse des fonctions sociales qui permettent de constituer une sphre prive d'existence  (avant-propos de R. Chartier).

a) Cette analyse de N. Elias est doublement intressante. D'une part elle permet d'expliquer pourquoi cette thse qu'on a de bonnes raisons de trouver aberrante rsiste l'analyse logique. D'autre part, elle montre que cette explication du phnomne de la modernit peut tre propose justement parce qu'on a compris qu'il ne fallait pas penser socit et individu comme des substances mais comme un processus fabriquant leur mergence mutuelle.

b) Elias montre que la conviction selon laquelle l'individu fait face la socit, existe d'abord et rejoint la socit de plus ou moins bon gr, est une conviction conditionne par un type de socit bien particulier :

* La socit moderne qui n'est plus holiste ; donc l'individu se pense comme un tout prcieux qui dispose des ressources sociales pour s'panouir.

* Une socit tellement complexe que chacun endosse des dizaines de rles, ne peut s'identifie un seul ; entre ces rles, il y a du  jeu  ce qui permet de voir natre le sentiment d'intimit personnelle.

* La socit moderne pose l'autonomie comme valeur; cela pousse les individus se penser comme indpendants face , voire contre la socit.

* Le romantisme, un des courants de pense de la modernit, exalte l'ide de gnie individuel touff par la socit.

* Les socits modernes se caractrisent aussi par le fait que leur organisation conomique et sociale a besoin de la crativit de chacun puisque c'est l'innovation scientifique et technique incessante qui est la rgle, c'est la conqute de nouvelles parts de march qui est la rgle donc elles exaltent l'individualit des individus.

* Les socits modernes ont aussi le got du bonheur ( Le bonheur est une ide neuve en Europe  dit Saint-Just la tribune de la Constituante pendant la Rvolution franaise), ce qui conduit valoriser l'attention toute particulire soi, le souci de soi avec mais aussi contre la socit si on la ressent comme une menace pour son bonheur.

c) Pour conclure :  Certains sont porteurs d'une vision du  je sans nous , ce n'est pas un problme ponctuel et individuel mais un problme gnral d'habitus, un trait fondamental de la personnalit sociale des individus de notre poque  N. Elias, La Socit des individus.

3 - L'expression contemporaine de  socit des individus  pour dsigner l'atomisation du corps social ainsi que la disparition de la socit est galement tributaire de cette faon de penser qui est un obstacle pistmologique.

* N. Elias, La Socit des individus

a) L'expression contemporaine se trouve sous la plume des journalistes et de certains sociologues ; elle fait cho un ressenti largement partag dans les socits occidentales post/hyper modernes. Ces socits seraient en train de se dliter, de se liqufier, car les individus qui les composent ne s'intressent plus au  vivre ensemble , font l'exprience d'une trs faible solidarit sociale, n'ont plus confiance dans les institutions et se replient sur eux-mmes, leur famille, leurs amis.

b) Ce diagnostic est tout simplement faux mme s'il exprime le ressenti des individus.

* Comme le remarque F. de Singly dans Politiques de l'individualisme :  L'individualisme n'est pas une perspective asociale mais requiert une certaine organisation de la vie sociale qui offre la possibilit que l'individu s'mancipe du collectif. 

* Ce n'est pas qu'il n'y a plus de liens sociaux mais c'est qu'ils ont chang de nature. Ils sont devenus plus souples, plus phmres, plus horizontaux, puisque les individus se donnent une plus grande marge de dcision d'entrer ou pas dans telle ou telle relation sociale et puisque les institutions sociales ont perdu de leur autorit pyramidale. Les rseaux sociaux sont emblmatiques de ce que la sociabilit, la socialisation, le contrle social sont encore bien prsents.

c) Une appellation plus exacte que  socit des individus  serait peut-tre  socit de l'Individu .

Axe B - Renoncer l'ide que l'individu et la socit seraient deux entits distinctes dont l'une pourrait exister sans l'autre, permet de penser de faon nouvelle ce que traditionnellement on appelle le conditionnement social de l'individu.

a) Conditionner signifie pourvoir une chose de qualits, lui donner forme. Cette chose conditionne dpend donc de ce qui la conditionne.

b) La question du conditionnement social est distinguer de celle du dterminisme social. Parler de conditionnement plutt que de dterminisme a pour but d'viter de se placer sur un plan mtaphysique indcidable. Le dterminisme social appliqu l'individu postule que tel comportement individuel est caus par tel tat de fait social spcifique, il peut s'en dduire mcaniquement. Ceci vaut pour tout comportement individuel. Or, si l'exprience permet de reprer que tel comportement individuel est influenc par tel contexte social, il y a un saut logique affirmer que l'individu est radicalement dtermin :  Si pour une philosophie mcaniste intransigeante, un effet est dtermin par ses causes et pourrait s'en dduire, le simple bon sens suggre que les phnomnes sociaux n'obissent pas ce schma. La multiplicit des facteurs et des agents interdit le moindre calcul d'effets dterministes  P. Levy, Cyberculture.

c) Axe B, j'aborde la question du conditionnement social de l'individu sous l'angle pistmologique et ontologique ; Axe D je l'aborderai sous l'angle existentiel.

d) En Axe B, j'aborde la question sous l'angle neutre descriptif, Axe D je me demande s'il faut penser ce conditionnement en terme pjoratif d'alination.

I – L'individu est ncessairement le produit de dterminations sociales car  la coexistence prcde l'existence de soi F. Flahaut, Le Paradoxe de Robinson.

1 – La notion d'individu pr-social n'a pas de sens :  L'individu nat de la socit et pas la socit de l'individu  R. Aron, Les Grandes tapes de la pense sociologique

Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

Chapitre : Faire socit

2 – Chaque socit inscrit l'ordre biologique (la faon de se rapporter la nourriture, au repos, au temps, la mort) dans son ordre symbolique :  La douleur  intolrable , le plaisir  inou  sont moins fonction de particularits individuelles que de critres sanctionns par l'approbation ou la dsapprobation sociale  Lvi-Strauss, Introduction l'uvre de Marcel Mauss

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

3 - Toutes les relations entre les individus au sein d'une mme socit sont codes socialement (mme les plus intimes) :  Le statut de Monsieur Dupont dcoule d'une combinaison de tous les statuts qu'il dtient en tant que avocat, franc-maon, catholique, mari de Mme Dupont  Linton, De l'homme.

*E.Goffman, Les Rites d'interaction / La Mise en scne de la vie quotidienne

4 – La pense collective modle la pense individuelle :  Les structures cognitives que les agents sociaux mettent en uvre pour connatre le monde sont des structures socialement incorpores  Bourdieu, La Distinction.

5 – Tout ce que chacun croit tirer de son intriorit la plus intime a une origine sociale. Par exemple, R. Girard, dans Mensonge romantique et vrit romanesque, explique que ce que l'individu croit tre  son  dsir est en fait un  dsir mimtique .

6 – Durkheim, dans Le Suicide, veut montrer que ce qui semble relever strictement de la volont individuelle (la dcision de se suicider) se ramne des facteurs sociaux : la cause du suicide doit tre recherche dans les rapports de l'individu la socit ; en effet le suicide est plus frquent dans les groupes sociaux caractriss par un dfaut ou un excs d'intgration, ou par un dfaut ou un excs de contrainte sociale.

*R. Aron, Les Grandes tapes de la pense sociologique (Durkheim)

7 – A. Erhenberg, dans L'Individu incertain et dans La Fatigue d'tre soi, souligne combien la faon de se reprsenter ce que signifie  tre un individu  est construite socialement.

8 – Au point que certains concluent la prminence du social sur l'individu :  Chacun d'entre nous croit n'obir qu' lui-mme, alors qu'il est le jouet de forces collectives  Durkheim, Revue de Mtaphysique et de Morale (n 6, 1898) :  L'homme n'est que ce qu'on le fait tre.  J. Itard, Mmoire sur les premiers dveloppements de Victor de l'Aveyron.

II – Mais l'individu n'est jamais seulement le jouet des conditionnements, il y a du jeu entre les multiples dterminations sociales, il peut en jouer et affirmer son  je .

1 - L'habitus social des individus est en quelque sorte la terre nourricire sur laquelle se dveloppent les caractres personnels par lesquels un individu se diffrencie des autres membres de la socit N. Elias, La Socit des individus. Les individus ne sont jamais des numros de srie.

2 - L''individu est un sujet social et non un strict  effet de structures  Foucault, Les Mots et les choses. Les individus ne sont pas des marionnettes. L. Boltanski, dans De la critique, met en vidence la  plasticit des personnes .

3 –  Les ralits collectives s'imposent aux individus mais en mme temps elles sont tisses par des millions d'actes individuels  J.-P. Sartre, Critique de la raison dialectique.

III - Nous pouvons envisager une expression authentique de soi (tre vraiment soi-mme) sans qu'il faille la rattacher un noyau substantiel pr-social.

a) Rflchir sur ce que signifie tre vraiment soi- mme suppose d'apporter quelques clarifications sur la notion d'identit personnelle;

L'identit personnelle recouvre d'une part l'unit de soi dans le temps, la permanence soi (mme ici renvoie au latin idem, tre reconnu comme la mme personne au del de tous les changements que la personne peut subir ou produire), d'autre part l'unicit, la singularit (mme ici renvoie au latin ipse et signifie cette personne-l et pas une autre, diffrente des autres personnes). On peut chercher retrouver ou conqurir son unit et son unicit;

b) L'identit personnelle peut tre pense sous la forme d'un moi substantiel, qui est l'essence de la personne ou tre pense comme un moi en perptuelle construction de soi.

c) L'identit personnelle peut difficilement tre autre chose qu'une singularit plurielle.

d) La reconnaissance de soi est la fois un processus intersubjectif et un travail de rappropriation personnelle de soi.

1 – Certes sont indniables la fabrication sociale de l'individu comme la  dictature du On  :  Nous nous rjouissons comme On se rjouit, nous lisons, nous voyons et nous jugeons de la littrature et de l'art comme On voit et on juge ; [] nous nous indignons de ce dont On s'indigne. Le On [] prescrit le mode d'tre de la quotidiennet  Heidegger, tre et temps.

2 – Mais cela n'exclut pas la possibilit d'tre soi-mme car notre identit personnelle n'est pas tant une ralit auto-suffisante qu'une construction dans un processus permanent de rappropriation de soi :  Le soi exprimer dans l'uvre, loin d'tre donn dans la personne de l'artiste est un soi qui rsulte de l'uvre  V. Descombes, Le Mme et l'autre

*B. Lahire, La Culture des individus

*Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion

3 – la lumire des analyses prcdentes, on examinera si la distinction moi intime authentique/moi social, factice est pertinente, si l'expression  je est un autre  a du sens, si croire que pour tre vraiment soi-mme il faudrait vivre en dehors de toute socit, n'est pas une faon de penser dpourvue de sens.

Axe C - Si penser, sur un plan logique et ontologique, l'individu comme une entit spare du groupe est strile et aportique, il est par contre pertinent de penser, sur un plan empirique, les relations sociales comme l'interaction d'individualits distinctes.

I – Les rapports des individus entre eux sont qualitativement et quantitativement innombrables. Ils couvrent un large spectre entre les deux cas extrmes que sont l'opposition et l'harmonie, l'hostilit et l'amiti, le mpris et la reconnaissance, l'hypocrisie et la sincrit.

1 – Si la coopration entre les individus au sein de leur socit est un impratif vital, elle prend la forme de l'entraide comme de la rivalit, de l'amiti comme de l'inimiti ; s'y manifestent aussi bien l'gosme que l'altruisme

a) Vivre en socit, c'est ncessairement cooprer car la fonction premire de toute socit, c'est d'tre une  unit de survie  comme dit Elias. Hume, aprs Platon, rappelle le triple avantage de la vie en socit.

Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?

b) Par consquent un individu est en permanence inscrit dans des rapports sociaux, tissant sans cesse des relations avec d'autres individus qui sont pour lui des complices, des allis, des amis mais aussi des obstacles, des ennemis, etc.

L'ambivalence des relations entre les individus d'une socit est ainsi quasi constante pour deux raisons :

* L'une est que l'tat de dpendance de tout individu vis--vis des autres, suscite un sentiment de gratitude. On a conscience qu'on ne serait rien, que l'on ne pourrait rien sans les autres : chaque individu peroit les autres comme des complices, des allis, des amis (de cette amiti fonde sur l'utilit dont parle Aristote). Mais cette dpendance est aussi alinante, place chacun comme dbiteur des autres. Chaque individu peroit les autres comme ceux qui exercent un contrle sur lui, qui demandent des comptes, qui obligent se comporter de telle ou telle manire.  L'homme est un animal sociable qui dteste ses semblables , Delacroix, Journal, (car il dteste leur emprise sur lui).

* L'autre raison des sentiments ambivalents que chaque individu ressent vis--vis des autres est que personne ne peut jamais vraiment savoir si la coopration est synonyme d'entraide, d'attention mutuelle ou d'instrumentalisation. Chaque individu se sait capable de motivations gostes ou altruistes quand il entre en relation avec d'autres individus. Il sait qu'il peut chercher profiter d'une coopration, d'une action collective sans vouloir rien donner en change, il sait qu'il peut se sacrifier pour la russite d'une entreprise collective Il peut faire preuve d'oubli de soi, de dvouement. Et chacun sait que les autres individus sont dans le mme cas. Ainsi Pascal remarque dans les Penses 455 (1670)  Le moi se fait centre de tout, il est incommode aux autres.  Mais Rousseau, dans La Profession de foi du Vicaire savoyard, souligne que la gnrosit est une valeur universellement dfendue : chacun sait qu'il peut et doit faire confiance aux autres sinon la coopration sociale est impossible alors mme qu'elle est absolument ncessaire. Toutefois chacun sait aussi qu'il a de bonnes raisons d'tre dfiant car il sait que la manipulation, la trahison, l'exploitation existent.

Chaque individu peut donc osciller vis--vis des autres entre sympathie et antipathie.

c) Donc les relations qu'un individu tisse avec les autres peuvent se drouler sous le signe de

* la reconnaissance mutuelle du je et du tu, chacun ayant un statut gal dans l'interaction (comme c'est le cas dans l'interlocution je/tu)

* sous le signe de la coopration du nous, chaque individu s'associe d'autres dans un but commun

* sous le signe de la dfiance entre nous et eux, la dissymtrie des pronoms symbolisant l'appartenance slective de l'individu tel groupe mais pas tel autre

* Ainsi chaque individu se peroit comme un moi complice de certains autres individus, oppos certains autres, pouvant se rver sans les autres mais sachant qu'il est toujours avec les autres.

d) On a soutenu que tout individu est sociable par ncessit, mais il peut l'tre aussi par plaisir.

* Tout individu recherche la compagnie des autres et plus particulirement d'autres choisis.  L'tre de chacun est un-tre-ensemble  dit Levinas dans Autrement qu'tre. Bien des relations sociales ont pour but de tisser un cocon chaleureux. Chacun y aspire, on le mesure la dtresse ressentie quand l'individu se sent solitaire alors mme qu'il participe toute une srie d'interactions sociales.

* Certains, comme Schopenhauer, se moquent de cette sociabilit illusoire, y aspirer est un signe de faiblesse. L'individu devrait s'en tenir des relations aux autres purement instrumentales sans se leurrer sur l'instrumentalisation mutuelle ; et l'individu devrait savoir s'en tenir l :  Le principal signe auquel on reconnat un homme ayant quelque noblesse de caractre est le menu plaisir qu'il prend dans la compagnie d'autrui  Schopenhauer, Aphorismes.

e) Quelle que soit la qualit des relations entre les individus quand ils cooprent, on notera que toute coopration est l'occasion pour chaque individu de se comparer, se mesurer aux autres.

* Cette comparaison sociale permanente est inhrente la vie sociale comme l'a remarqu (pour le dplorer) Rousseau dans Discours sur l'origine des fondements de l'ingalit : elle engendre aussi bien vanit, qu'envie, humiliation que gratification ou approbation.

* Elle permet un individu de prendre confiance, de ressentir l'estime de soi ou bien elle le dstabilise.

* Cette comparaison sociale est flatteuse ou dsavantageuse. C'est un jeu d'ego, entre egos, mais un jeu trs srieux dans lequel les individus ne sont jamais entre gaux, galit.

Chapitre : Faire socit

* L'enjeu pour chaque individu est de taille : sa place dans la hirarchie sociale avec les avantages ou les inconvnients associs cette place. Le dfi est alors de ne surtout pas tomber (ou de ne pas rester) au bas de l'chelle sociale.

* Cette course la distinction, cette rivalit constante est, pour un individu, socialement vitale (il en va de sa  place , de sa visibilit, de sa reconnaissance) et est psychologiquement la fois stimulante et extnuante.

* Elle a un certain nombre d'effets positifs, ceux nots par Kant dans Ide d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique.

Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?

* Mais cette course la distinction a certains effets pervers : elle pousse produire les  signes extrieurs  d'une comptence, d'un statut qu'on n'a pas afin d'avoir une meilleure position sociale. La Bruyre par exemple dans les Caractres, dnonce cette politique des apparences, cette  grandeur factice  :  Dans toutes les professions, chacun affecte une mine et un extrieur pour paratre ce qu'il veut qu'on croie ; les hommes ne vivraient pas longtemps en socit s'ils n'taient pas les dupes les uns des autres.  (87).

2 – tre en socit (au double sens du terme) consiste ncessairement jouer tel et tel rle, en jouer ou en tre le jouet. Les relations interpersonnelles peuvent donc se placer sous le signe de la neutralit du jeu de rle, de la manipulation, de l'hypocrisie, de la recherche plus ou moins illusoire de l'authenticit

*Goffman, La Mise en scne de la vie quotidienne

a) Toutes les interactions sociales suivent des rgles trs prcises qui prsident leur bon droulement.

* Comme on l'a vu, ci-dessus (en Axe B I 3), E. Goffman propose de penser ces interactions l'aide de la mtaphore du thtre. Chaque individu inscrit dans un rapport social est comme l'acteur d'un rle dont le texte est fix collectivement (par les institutions, les croyances, les valeurs du groupe).

* Chaque individu se trouve dans de multiples interactions sociales et a donc de multiples rles jouer (mme si dans son existence il y a bien des rles qu'il ne jouera pas); chaque rle est corrl d'autres rles.

b) Chaque individu a des partenaires dans cette mini-pice que constitue chaque interaction sociale. Plusieurs solutions s'offrent lui :

* Il peut jouer son rle avec application de telle sorte que l'interaction sociale fonctionne bien, tout en ayant conscience que c'est un rle qui, dans d'autres configurations sociales, aurait t diffrent (dans les socits occidentales, jouer le rle de pre au XIXe et au XXIe n'est pas jouer le mme rle). Il attend des autres cette mme neutralit efficace.

* Il peut s'identifier totalement son rle et perdre de vue que c'est un rle, il attend des autres le mme investissement et leur reprochera leur manque de srieux si ce n'est pas le cas. L'individu se croit authentique et veut que les autres le soient. Si les autres affichent sereinement qu'il s'agit d'un rle jouer, il les taxera d'hypocrite, de tricheur manquant de sincrit.

* Un individu conscient que toute interaction sociale est un jeu de rle peut profiter d'un partenaire  naf  pour le manipuler.

3 – Les relations sociales ont de multiples buts mais elles ont toujours aussi pour enjeu la reconnaissance des individus les uns par les autres : du respect au mpris, en passant par l'hospitalit, l'indiffrence, l'exclusion, la solidarit

a) L'aspiration d'un individu la reconnaissance est particulirement essentielle dans les socits dmocratiques dans lesquelles l'galit ne consiste pas seulement dans l'galit formelle mais aussi dans le fait que chaque individu est considr comme ayant autant de valeur que n'importe quel autre.

Chapitre :  La justice est la premire vertu des institutions sociales 

b) Et dans toute socit, l'exclusion sociale est la hantise des individus car elle quivaut leur mort sociale, symbolique, psychologique mme si ce n'est pas immdiatement la mort physique (celle-ci peut survenir assez vite, si l'individu ne rintgre aucun groupe). Pour la raison symtriquement inverse, chaque individu aspire tre inscrit dans un rseau de sociabilit.

Chapitre : Faire socit

Tous les sociologues s'accordent voir dans Facebook un nouveau mode de reconnaissance (pas le seul, pas forcment le plus enrichissant) car c'est un lieu d'expression de convivialit. Il s'agit de s'exposer pour exister aux yeux des autres.

c) Par consquent, tout individu est particulirement sensible aux signes qui expriment qu'il a bien une place dans les interactions sociales. L'indiffrence des autres ou le mpris est une des formes les plus violentes de ngation de soi, bien plus que la haine qui prouve qu'on compte encore, mme ngativement.

d) Si le besoin de reconnaissance est tellement essentiel, la reconnaissance des uns pour les autres ne s'effectue souvent que dans le cercle restreint de  l'entre soi .

La reconnaissance des autres qui sont vraiment  autres  est d'autant moins immdiate que leur altrit est le signe qu'ils ne rentrent pas dans les interactions sociales dont on a besoin.

e) Par consquent, si l'exigence de justice est si forte, c'est qu'elle se situe au niveau de ce qui est d chacun indpendamment des facteurs de sympathie, d'antipathie, d'empathie, de compassion, d'indiffrence. Un individu ne peut exiger qu'un autre l'aime, fasse attention lui, l'accueille avec chaleur mais il peut exiger que l'autre respecte la rpartition juste de ce qui est d chacun.

4 – Les  moralistes franais  font une peinture minutieuse des comportements des individus en socit.

II – Non seulement les individus tissent de multiples interactions mais encore ils peuvent agir ensemble au sein de leur socit : action individuelle et action collective

1 – Recensement de quelques mcanismes sociaux et/ou psychologiques gnrateurs d'une action collective, d'une transformation sociale ou favorisant l'mergence d'un phnomne social.

a) Mettre l'accent sur ces mcanismes psycho-sociologiques sous-tendant les comportements individuels pour expliquer l'mergence d'un phnomne social, c'est s'inscrire dans cette perspective ontologique du fait social qui est celle de l'individualisme et du constructivisme. C'est refuser la thse holiste qui attribue une ralit spcifique aux faits sociaux (pour les holistes, les faits sociaux ne rsultent pas des actions individuelles mais leur prexistent) et c'est refuser l'ide que les structures sociales ont objectivement une logique interne dont les individus ne sont que les excutants leur insu.

b) Par exemple, le phnomne social de la panique bancaire ou de la pnurie de ptrole, rsulte de la convergence de milliers de dcisions individuelles de ne plus faire confiance aux banques ou de stocker du ptrole. Cette convergence est rendue possible parce qu'au mme moment une opinion se diffuse (l'opinion selon laquelle les banques sont au bord de la faillite ou selon laquelle le ptrole va manquer) et parat tout fait plausible. Que cette opinion corresponde ou pas la ralit n'a pas d'importance, ce qui compte c'est que les individus croient qu'elle correspond la ralit. Pour y croire il faut que trois conditions soient remplies :

- les individus croient que celui qui est la source de cette opinion fait autorit, est comptent

- ils croient galement que celui qui est la source de cette opinion est honnte, ne ment pas

- ce qu'il dit est plausible.

Alors ce qu'il annonce va impliquer que ceux qui reoivent l'information vont agir d'une certaine manire :

- retirer leur argent des banques

- stocker du ptrole.

Et ceci d'autant plus aisment quentre en scne un autre mcanisme psychosocial : la croyance chez les individus que le nombre d'individus qui accomplit une action est le signe de la valeur probable de cette action et le signal qu'il faut que soi-mme aussi l'accomplisse. Du mme coup, la prdiction va s'avrer vraie : ces multiples comportements individuels semblables provoquent une panique bancaire ou une pnurie de ptrole. Ceci est le mcanisme que Robert Merton a appel, le mcanisme de la  prdiction cratrice  : il a suffit de prdire X (dans un contexte o sont remplies les trois conditions requises pour qu'une opinion se diffuse), pour que X arrive.

c) On peut dcrire un autre mcanisme par lequel des actions individuelles produisent un phnomne collectif : le mcanisme de  l'effet de seuil ou de l'effet de cascade  (Mark Granovetter). Il rend assez bien compte du phnomne de la rsistance franaise l'occupation allemande, en 1940. Compte tenu de l'tat de choc de la population franaise (dfaite, armistice, crdit accord Ptain), compte-tenu de la terreur exerce par l'occupant (dportation, torture, mise mort), les premires marques de rsistance l'occupant, taient individuelles, clandestines, sous la forme de tracts, de graffitis sur les murs. Mais certains osant, d'autres osent aussi, cela fait tache d'huile. Du mme coup, la rsistance changeait de nature, car la conscience du nombre faisait imaginer d'autres formes de rsistance (renseignement, sabotage, rsistance arme) amplifiant encore ses chances de succs.

d) Voici la mise en vidence de deux mcanismes par lesquels une action collective, une situation collective se produit partir d'actions individuelles. Le choix du terme  mcanisme  n'est pas neutre et est un parti pris pistmologique.

Le mcanisme est plus qu'un processus et moins qu'une loi.

Un processus est une succession d'vnements. Dcrire un processus, c'est reprer que Z a suivi Y qui a suivi X. Un mcanisme c'est une succession plus une causalit. Dcrire un mcanisme, c'est indiquer non seulement que Z a suivi Y, mais que Y est la cause de Z.

On serait en prsence d'une loi de l'action collective si on pouvait donner ces relations de causalit, un caractre ncessaire et donc prdictif. Jon Elster dans Psychologie sociale et politique, affirme que  ces divers mcanismes psycho-sociaux sont plus que des descriptions a posteriori de cas dtermins, puisqu'ils peuvent servir de modles d'autres cas non encore rencontrs mais ils ne permettent en aucun cas de prdire et contrler les vnements sociaux. Ce ne sont pas des lois. 

2 – Les acteurs sociaux peuvent tenter de mettre en place une socit plus juste ( La justice est la premire vertu des institutions sociales  axe C II) et une socit meilleure (Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ? Axe B III / Axe C) ; les membres d'une socit dmocratique peuvent intervenir dans le processus de dcision politique (Une socit peut-elle se passer d'tat ? Axe C III 3) ; les acteurs sociaux font l'histoire de leur socit (Pas de socit sans histoire Axe C).

3 – Chacun qui s'engage conjointement avec d'autres devient un  sujet pluriel  M. Gilbert, Marcher ensemble.

Chapitre : L'ontologie du fait social

a) On ne traite pas ici de l'mergence d'un phnomne collectif partir d'actions individuelles, mais plus spcifiquement d'une action collective. On remarque que toute action collective est un phnomne collectif (exemple la Rsistance franaise sous l'occupation allemande). Tout phnomne collectif n'est pas une action collective au sens fort (par exemple, un retrait d'argent de la banque, par une masse d'pargnants. Cela peut l'tre toutefois, si c'est un mot d'ordre politique. Par exemple, c'est un mot d'ordre de certains groupes d'extrme-gauche en Grce, dbut 2012).

b) On ne se situe pas dans la perspective selon laquelle l'action collective mane automatiquement des structures sociales (ce que pensait Marx par exemple : selon lui la Rvolution franaise est la consquence ncessaire de la contradiction entre les forces productives capitalistes en essor et les rapports juridiques et politiques de la production conomique et sociale convenant la fodalit et son conomie des propritaires terriens).

c) On fait de l'action collective la rsultante des actions individuelles. Margaret Gilbert dans Marcher ensemble, a prcis ce qu'il faut entendre par  rsultante . Elle montre que cela ne peut tre la juxtaposition d'actions individuelles. Quand des personnes dcident de sortir dans la rue et sont au mme moment dans la rue, cela ne fait pas cette action collective qu'on appelle manifestation. Cela le devient si, d'une part, toutes les personnes sortent dans la rue avec cette intention, qui est la fois leur intention individuelle et une intention collective ; et si, d'autre part, elles s'engagent conjointement faire ce que requiert cette action collective. Dans ces conditions, ces individus conjuguent leur je ensemble, ce qui produit nous, un sujet pluriel.

d) On peut se demander sur quelles bases s'effectue l'engagement conjoint ? Plusieurs modles d'explication ont t forgs par les philosophes et les sociologues :

* le sens du moment opportun voire l'opportunisme (Machiavel)

* la recherche de la scurit (Hobbes)

* la volont de forger le bien commun (Rousseau)

* la logique du don et du contre don (Godbout)

* la logique du cot/avantage (formalise dans la thorie des jeux)

e) L'conomiste Mancur Olson, dans Logique de l'action collective (1965), utilise les outils de sa discipline, ici la thorie du choix rationnel, pour montrer que l'action collective ne va pas de soi. En fait elle plonge les individus dans un  paradoxe  : tous ont intrt ce qu'elle existe parce qu'elle gnre des retombes positives (hausse de salaire, rduction du temps de travail) mais personne n'est prt participer parce qu'elle est coteuse en temps, en nergie, en risque.

f) Accepter de devenir un sujet pluriel ne va pas de soi non plus car cela donne l'individu engag dire nous, la responsabilit de s'y tenir (tant qu'il ne se dmet pas).

Axe D - Si penser, sur un plan logique et ontologique, qu'un soi-disant face--face entre l'individu et la socit est strile et aportique, il est par contre pertinent d'analyser, sur un plan existentiel, la faon dont chaque individu fait l'exprience de la/sa socit (mme si au sens strict cette formulation est peu pertinente).

a) On laisse de ct ici la question ontologique de la nature du tout social auquel l'individu se confronte. Ceci a t trait dans le cours : Ontologie du fait social

b) On examine comment un individu ressent l'exprience de devoir vivre en socit, comme de vivre dans telle socit.

c) Les jugements de valeur qu'il porte et les comportements que ceux-ci induisent, rvlent la proximit ou l'cart avec ce qu'il considre tre son panouissement individuel au sein de la socit, en admettant que celui-ci soit possible.

I - les rapports d'un individu la/sa socit couvrent un large spectre entre les deux cas extrmes que sont la fusion et la sparation, l'engagement et le retrait, l'adhsion et la contestation.

a) Ces divers comportements possibles tmoignent de la faon dont un individu value ce qu'il peut/doit attendre de la socit.

b) Le critre d'valuation est la possibilit ou non pour l'individu de s'panouir par, grce , malgr, contre la socit.

c) S'panouir signifie ici, mtaphoriquement, dvelopper librement ses possibilits. Ceci peut prendre de multiples formes en fonction de ce que l'individu juge bon pour lui.

1 – Tout individu est conduit se positionner par rapport la dimension collective de son existence : il peut se penser et se vouloir un individu insr dans un collectif, ou bien manifester un refus du collectif, ou encore se servir du groupe pour satisfaire ses intrts, ou encore se mettre au service du groupe quoi qu'il en soit, les ralits existentielles et sociales sont troitement imbriques.

a) L'individu peut se sentir profondment sociable, aimer la vie en socit. Il se sent dans son lment en socit, peut aimer le spectacle de la vie en socit, peut chercher y briller, ou tout simplement s'y raliser. Il conoit ses rapports la vie en socit dans une synergie positive, il veille se forger un capital social, en tirer parti. Cela peut prendre la figure du jeu, il vivra ses rapports la socit sur le mode ludique, dans tous les cas il se sent adapt socialement.

b) L'individu tout au contraire peut souffrir de la vie en socit, s'y sentir par principe opprim, ne voir dans la vie sociale que les contraintes qui blessent son individualit. Il n'aspire qu' fuir sinon la vie en socit c'est impossible, mais la vie de socit, se retirer au maximum du plus grand nombre d'interactions sociales. Il souhaite ne plus rpondre la demande sociale, a un souci d'indpendance et de solitude. Il serait adepte de la maxime  pour vivre heureux, vivons cach . Il vivra son rapport la socit sur le mode conflictuel. Nietzsche dans les Fragments posthumes n'invite ni cultiver son jardin (Voltaire), ni se replier sur une petite socit d'amis (picure), mais se forger un espace mental soi o dvelopper sa singularit propre,  dans une franche horreur du collectif et une irrpressible allergie la solidarit et l'altruisme . Nietzsche invite refuser d'obtemprer toute injonction sociale et voit dans l'intgration sociale la dsintgration de l'individu. Quelques dizaines d'annes auparavant, dans Mon cur mis nu, XV, Baudelaire crit :  La croyance au progrs est une doctrine de paresseux, une doctrine de Belges. C'est l'individu qui compte sur ses voisins pour faire sa besogne. Il ne peut y avoir de progrs (vrai, c'est--dire moral) que dans l'individu et par l'individu lui-mme. Mais le monde est fait de gens qui ne peuvent penser qu'en commun, en bandes. Ainsi les socits belges. Il y aussi des gens qui ne peuvent s'amuser en troupe. Le hros s'amuse tout seul.  Quant Oscar Wilde, il revendique d'chapper la ralit sociale de la macro socit, en faisant de sa vie une uvre d'art, en rejoignant la petite socit des dandys. Ceux qui veulent chapper la vie sociale peuvent prendre une autre voie que celle de l'art : celle de l'amour ou de l'amiti. Allan Bloom dans L'Amour et l'amiti, prsente ces expriences comme  des relations qui placent les amants ou les amis dans une sphre spare du reste de la communaut .

Quoi qu'il en soit, l'individu peut viser une sorte de  dconditionnement , revendiquant un itinraire personnel sans se fondre dans un destin collectif, refusant toute allgeance, refusant d'abdiquer sa singularit, visant une libert souveraine.

c) Mais si l'individu rfractaire au social, antisocial, ne parvient pas trouver une issue, il pourra dire comme Emerson, dans Socit et solitude, la fois  The individual is the world  et  la solitude est impraticable et la socit fatale . C'est que soulignait dj Chamfort dans Maximes et penses :  Les flaux physiques et les calamits de la nature humaine ont rendu la socit ncessaire. La socit a ajout aux malheurs de la nature. Les inconvnients de la socit ont amen la ncessit du gouvernement et le gouvernement a ajout aux malheurs de la socit. Voil l'histoire de la nature humaine.  Dans ce cas, on vivra donc son rapport la socit sur le mode tragique.

d) L'individu peut tre dsocialis, ne pas parvenir trouver sa place en socit, quelle qu'elle soit, il vivra son rapport la socit sur le mode de l'inadaptation, fera l'objet d'une exclusion ou d'une politique de rinsertion.

e) L'individu peut tre (ou vouloir tre) un dviant au sens durkheimien du terme, avoir un rapport d'opposition aux normes sociales. Il peut alors tre mis au ban de la socit, faire l'objet d'une politique d'exclusion ou de rinsertion.

f) L'individu peut tre parfaitement socialis, intgr mais avoir plus ou moins de  surface sociale  comme dit Julia Kristeva dans trangers nous mmes :  Quand on a peu ou pas de  surface sociale , on ne compte pas, vos paroles, fussent-elles fascinantes, n'auront donc pas de suite, ne provoquant aucune amlioration de votre image. On ne vous coutera que distant, amus et on vous abandonnera pour passer aux choses srieuses. 

g) Un individu pour s'assurer et assurer les autres de sa bonne insertion sociale peut cultiver un conformisme, montrer en toutes circonstances sa complte adquation aux pr-requis de sa socit. On assiste alors une dilution du je dans le  On , la promotion de  Monsieur-tout-le-monde .

h) Tout en tant insrs socialement, certains peuvent au contraire cultiver un anticonformisme ou un esprit critique et rsistant aux ides reues et la doxa. Et ceci, sur le mode authentique ou ironique ou cynique.

i) Un individu peut aussi chercher se diffrencier des autres tout en visant l'insertion sociale, puisque pour se diffrencier, par dfinition, il a besoin de parvenir se comparer aux autres. Ainsi le dsir de diffrenciation est une tendance qui fdre de nombreux individus dans la socit chinoise contemporaine. Il consiste dans le culte de soi (en chinois: wei wo Zhoyi). Il se manifeste notamment par une recherche d'excentricit vestimentaire et ceci pour faire contrepoint au  costume Mao  que tous devaient porter pendant la rvolution culturelle.

j) L'individu peut chercher la fois participer la vie sociale et se dsengager. Prenons quelques positions qui s'affichent dans ce sens :

*Montaigne cultive ce subtil dosage :  Il faut [] n'pouser rien que soi. C'est dire : le reste soit nous, mais non pas joint et coll de faon qu'on ne le puisse dprendre sans nous corcher et arracher ensemble quelque pice du ntre. La plus grande chose du monde, c'est de savoir tre soi. Je ne me soucie pas tant quel je sois chez autrui comme je me soucie quel je sois en moi-mme. Je veux tre riche par moi, non par emprunt. Chacun regarde devant soi ; moi, je regarde dedans moi ; je n'ai affaire qu' moi, je me considre sans cesse, je me contrle, je me gote. Nature nous a trenns d'une large facult nous entretenir part, et nous y appelle souvent pour nous apprendre que nous nous devons en partie la socit, mais en la meilleure partie nous. Celui qui va en la presse [= la socit], il faut qu'il gauchisse, qu'il serre ses coudes, qu'il recule ou qu'il avance, voire qu'il quitte le droit chemin, selon ce qu'il rencontre ; qu'il vive non tant selon soi mais selon autrui, non selon ce qu'il se propose, mais selon ce qu'on lui propose, selon le temps, selon les hommes, selon les affaires. Mon opinion est qu'il faut se prter autrui et ne se donner qu' soi-mme.  Les Essais.

*Camus dans un recueil de nouvelles, L'Exil et le royaume, invite tre la fois  solitaire et solidaire . Pour lui, il s'agit de trouver la bonne distance et d'avoir un rapport ngoci et matris la socit.

*Schopenhauer (Parerga und Paralipomena 1851, II, chap.31, 400, 1880) :  Par une froide journe d'hiver, un troupeau de porcs-pics s'tait mis en groupe serr pour se garantir mutuellement contre la gele par leur propre chaleur. Mais tout aussitt ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les fit s'loigner les uns des autres. Quand le besoin de se chauffer les eut rapprochs de nouveau, le mme inconvnient se renouvela, de faon qu'ils taient ballots de a et de l entre les deux souffrances, jusqu' ce qu'ils eussent fini par trouver une distance moyenne qui leur rendt la situation supportable. Ainsi, le besoin de socit, n du vide et de la monotonie de leur propre intrieur, pousse les hommes les uns vers les autres; mais leurs nombreuses qualits repoussantes et leurs insupportables dfauts les dispersent de nouveau. La distance moyenne qu'ils finissent par dcouvrir et laquelle la vie en commun devient possible, c'est la politesse et les belles manires .

*Schopenhauer (Aphorismes sur la sagesse dans la vie, posth. 1880) :  Nous pouvons aussi comparer la socit un feu auquel le sage se chauffe distance convenable, mais sans y porter la main, comme le fou qui, aprs s'tre brl, fuit dans la froide solitude et gmit de ce que le feu brle. 

k) L'individu peut se sentir comme une partie du tout qu'est le collectif dans lequel il s'insre, tre un membre du corps social. Platon, dans La Rpublique, affirme qu'il doit accepter le primat de la cit idale. Par consquent, tout ce qui favorise l'existence individualise, proprit des biens, des femmes, des enfants est condamn.

l) Il peut se sentir comme un tout et considrer la socit comme gravitant autour de lui, comme un ensemble de biens, de ressources, de services dans lequel il puise selon ses besoins et ses gots.

m) On observe dans les socits hyper modernes, un nouveau type d'individus que les sociologues qualifient de solitaires et grgaires la fois.

n) Un individu peut entretenir avec la socit des rapports d'intrt, calculant sa participation la vie sociale en terme de cots et d'avantages.

o) Un individu peut vouloir se rendre utile la socit, contribuer son bon fonctionnement, son progrs. Il peut aller jusqu' se sacrifier.

p) Pour certains individus, la russite sociale et la russite personnelle sont une seule et mme chose. P. Bourdieu rsume ainsi, dans Mditations pascaliennes, leur sentiment :  misre de l'homme sans mission ni conscration sociale . Pour russir socialement, plusieurs facteurs se conjuguent. Mais il faut ct d'un capital conomique, cultiver ce que Bourdieu appelle le capital social, c'est--dire des relations sociales, des rseaux, des relations utiles et la capacit et la volont de les activer, afin d'obtenir les informations, les services, les recommandations ncessaires.

q) Pour certains individus, russir sa vie est dissocie, plus ou moins radicalement, de russir dans la vie. La course aux honneurs et aux richesses, la recherche du pouvoir ne sont pas alors considres comme des voies suivre pour s'accomplir dans l'existence.

r) Dans les socits contemporaines, l'individu peut rver avoir son  quart d'heure de clbrit  Andy Warhol. Hugues Royer, dans La Socit des people (2011), remarque :  La socit des people n'est pas uniquement un club rserv aux clbrits. C'est un fait social total : il faut s'exposer pour exister. Le phnomne n'est pas nouveau. Simplement, il n'a cess de s'acclrer depuis une dizaine d'annes jusqu' se cristalliser et s'imposer comme un modle. La notorit est devenue l'alpha et l'omga d'une existence accomplie []. Elle n'engendre plus que des Narcisse. 

2 – Tout individu est conduit se positionner par rapport au jeu social : il peut matriser les rgles du jeu social ou pas ; vouloir jouer le jeu ou ne pas le jouer ; y tre apte ou inapte ; chercher s'y distinguer ou pas ; le mpriser ou trouver la bonne distance tout en tant insrer socialement

a) J'ai dj explicit (en C I 2) comment un individu pouvait ressentir les autres individus dans les interactions sociales codes dont il fait l'exprience : comme des partenaires de jeu, des bons ou mauvais joueurs, des tricheurs Ici, je veux dplacer l'accent sur le jeu social quelles que soient les interactions concrtes, particulires dans lesquelles chaque individu singulier est engag avec d'autres individus singuliers. On va examiner ici comment le fait que la vie en socit est un vaste jeu social, peut tre apprci et comment cette situation constitutive de la vie en socit peut tre exploite.

b) Un individu peut avoir bien compris que ces rles sont des conventions, que les rgles qui prsident telle interaction sont constitutives (et non rgulatrices), il sait alors que jouer tel rle est la fois absolument impratif si on veut que l'interaction sociale fonctionne bien mais il sait aussi que ce pourrait tre un tout autre rle dans une autre socit. Par consquent, il prend son rle au srieux mais avec une certaine distance; il n'est pas le jouet du rle qu'il joue. Il peut mme refuser de s'identifier au rle qu'il joue tout en assumant de le jouer ou mme en estimant que c'est le meilleur rle jouer. C'est le cas du pote Ren Char, rsistant au nazisme et qui ne veut pas tre assimil au capitaine Alexandre (son nom de rsistant dans la clandestinit),  Je veux n'oublier jamais qu'on m'a contraint devenir un personnage simplificateur qui se dsintresse de quiconque, ne se ligue pas avec lui pour abattre les chiens de l'enfer  (Billet Francis Curel).

c) Dans ce contexte de lucidit sur le fait que la vie sociale est un jeu social, on peut jouer de son rle et pas seulement jouer son rle. C'est--dire, on peut exploiter pleinement toutes les ressources de ce rle. Ce peut tre dans le but de bien russir sa prestation. Mais ce peut tre aussi dans le but de manipuler tel ou tel partenaire de l'interaction sociale en cours.

d) Un individu peut savoir tout cela mais ne pas s'empcher de croire que ce serait mieux que la vie sociale ne soit pas une vaste scne de thtre. Il disqualifie alors ces jeux de rles en parlant de comdie sociale, d'hypocrisie sociale. Il aspire une sorte de puret, d'authenticit Et si, de surcrot, il croit que chacun possde un moi intime, authentique, que le moi social touffe, il jouera son rle comme s'il tait condamn porter un masque.

e) Toutefois un individu peut ne pas du tout avoir compris  la mise en scne de la vie quotidienne  et croire que son rle n'est pas un rle mais la seule bonne manire d'agir, dcoulant d'une sorte d'essence de la relation sociale en question. Il verra dans le jeu de rle des autres une forme de dissimulation.

f) Un individu peut refuser de jouer le rle que son inscription dans tel rapport social lui fixe, non pas par souci de puret, d'authenticit mais parce qu'il voudrait redfinir les rles autrement.

g) Ou bien, plus radicalement, un individu peut refuser les codes sociaux non pas parce qu'ils ne sont pas authentiques, mais parce qu'ils occultent, qu'ils sont de pure convention et se font passer pour naturels. Diogne, le cynique de l'Antiquit, affiche son mpris pour cette mauvaise foi.

h) Une autre attitude encore consiste se retirer le plus possible du jeu social mais sans dpit, ni acrimonie. Sans non plus aspirer un autre jeu social, ni croire qu'une socit idale s'en passerait. Se retirer le plus possible du jeu social en toute indpendance. C'est ce que recommande La Bruyre :  Se faire valoir par des choses qui ne dpendent pas des autres, mais de soi seul, maxime inestimable, utile aux faibles, aux vertueux, ceux qui ont de l'esprit, qu'elle rend matre de leur fortune ou de leur repos  Caractres. Dans cette mme logique, les stociens, eux, recommandent de ne pas se retirer du jeu social, de bien remplir ses rles mais sans leur accorder aucune importance. Snque, dans De la vie heureuse, explique que la seule chose qui compte est de prserver une totale disponibilit l'essentiel: la recherche philosophique de la vrit et de la sagesse.

3 – Tout individu formule des attentes vis--vis de la socit en fonction de ce que signifie pour lui bien vivre en socit.

* Terestchenko, Un si fragile vernis d'humanit

Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?

Chapitre : Faire socit

Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ?

Chapitre :  La justice est la premire vertu des institutions sociales 

Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?

4 – Exit, Voice, Loyalty : par ces trois postures, A. Hirschman rsume les attitudes qu'un individu peut adopter vis--vis de sa socit, en fonction des jugements de valeur qu'il porte sur elle.

Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ?

Chapitre :  La justice est la premire vertu des institutions sociales 

Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?

a) S'il juge sa socit avec gratitude parce qu'il sait qu'il ne serait rien sans elle, il adoptera une attitude de loyaut, c'est--dire, il n'entreprendra rien qui puisse lui nuire. Et ce, mme si certains fonctionnements de la socit lui dplaisent, mme si la socit se comporte de faon injuste son gard. La seule solution est d'essayer de la rformer sans la remettre en cause. C'est la solution que Platon prconise dans Criton, une fidlit qui peut certes s'accompagner de quelques critiques mais dans la lgalit.

b) Cette mme attitude de loyaut prend la forme de l'adhsion, du soutien, de la dfense chez un individu qui se sent en profond accord avec sa socit : les valeurs de sa socit sont ses valeurs.

c) La loyaut d'un individu vis--vis de sa socit s'explique galement par le souci de dfendre ce qui est en place, par conformisme, traditionalisme

d) Par contre, un dsaccord partiel ou total avec les valeurs et les lois de sa socit peut se traduire par une attitude de protestation (Voice) (du moins si on est tranger l'argument de Socrate, donn dans le Criton, du devoir de gratitude envers sa socit). Les attitudes de protestation peuvent prendre de nombreuses formes, de la rvolte  sauvage  la contestation politique ou la dsobissance civique, de la rsistance individuelle la participation une opposition collective. Cette protestation peut prendre une forme modeste mais essentielle que Primo Levi, dans Si c'est un homme, appelle  refuser notre consentement . Cela suppose une disposition d'esprit particulire que Terestchenko analyse dans Un si fragile vernis d'humanit : la capacit de penser par soi-mme et de rsister l'autorit, n'obir qu'en son me et conscience et non pas parce que les autorits le demandent.

e) Le dsaccord partiel ou total d'un individu avec sa socit peut se manifester autrement que par la protestation : par la dfection, le fait de s'en aller (exit).

* S'en aller rellement, physiquement, quitter sa socit, partir ailleurs pour fonder une autre socit comme ce fut le cas des migrants protestants europens partis en Amrique au XVIIIe sicle ou bien pour s'installer dans une autre socit comme l'ont fait de nombreux juifs allemands fuyant le nazisme et s'intgrant la socit amricaine, argentine ou allant vivre en Palestine. Hirschmann explique la quasi absence de communistes amricains par le fait que serait reste dans les murs cette attitude des premiers migrants : quand l o on est ne convient pas, on va voir ailleurs.

* Pratiquer la dfection par un dsintrt pour les questions collectives.

Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ? (B III  les renonants )

II - Ncessairement confront aux contraintes sociales, l'individu peut, malgr tout, faire l'exprience de la libert ou du moins d'une certaine libert.

a) Est aborde ici une rflexion sur la libert  individuelle, celle qui consiste pour un individu ne pas tre empch de faire ce qu'il veut ; la question de la libert politique de participer aux affaires publiques ne sera aborde qu'indirectement. Et ne sera pas aborde du tout la question de l'oppression de la socit civile par l'tat (cela a t trait dans le cours : Une socit peut-elle se passer d'tat ?).

b) Est aborde ici une rflexion sur la libert individuelle en laissant de ct les questions mtaphysiques du destin, de la prdestination ou du dterminisme.

c)  Libre  s'est forg sur le latin  liber  qui dsigne la condition de l'homme qui n'est pas esclave (servus) ; tre libre c'est d'abord ne pas tre esclave ou prisonnier, c'est un statut social et politique garanti par un ensemble de droits et de devoirs. Mais tre libre pour un individu dsigne aussi l'absence de contrainte sur soi ; cela peut signifier ne dpendre que de soi (les stociens), ou bien tre autonome (tre l'auteur de ses penses et de ses actes), avoir le pouvoir de s'autodterminer, ou bien encore ne pas tre assujetti des forces extrieures/intrieures parce qu'on en connat et en matrise l'influence.

d) Il s'agit ici de dterminer si l'individu peut, dans son existence ncessairement sociale. tre libre ou pas, tre plus ou moins libre.

1 – Certes dans la mesure o toute socit est ncessairement rpressive, dans la mesure o toute vie collective est ncessairement contraignante et dans la mesure o l'identit personnelle n'est jamais une ralit auto-suffisante, il semble que les individus ne puissent jamais tre vraiment libres.

*Freud, Malaise dans la culture

*Elias, La Civilisation des murs

a) Toute socit est ncessairement rpressive, toute vie collective ncessairement contraignante.

* Rprimer signifie ne pas laisser exprimer, empcher de se manifester.

* Effectivement, toute socit rprime (ou fait en sorte que n'accdent pas l'expression) les comportements individuels qui nuisent au fonctionnement social. commencer par les pulsions par dfinition a-sociales (Freud recense essentiellement les pulsions sexuelles et les pulsions d'agressivit et montre que le surmoi est bien le signe que la socit intervient dans les trfonds de la construction psychique de chacun). N. Elias montre, dans La Civilisation des murs, que la vie en socit passe par une canalisation de la brutalit, de la  sauvagerie  bouillonnant en chaque individu. La socialisation est un douloureux apprentissage de la frustration.

* La socit rprime galement tout comportement individuel jug inappropri aux attentes sociales. En effet, le problme de toute socit est de faire vivre ensemble des individus dont les intrts peuvent tre conflictuels. Elle doit mettre en place des rgles de vie commune qui censurent, punissent les comportements individuels qui ne les suivent pas. La vie en socit est faite d'interdits qui briment l'expression personnelle.

* Hobbes dans le Lviathan, montre que laisser chacun la libert d'exercer son droit naturel, est tout simplement incompatible avec la vie en socit. L'individu doit accepter de renoncer sa libert. C'est le premier article du contrat social selon Hobbes.

* Et ceci vaut pour toute socit ; sous cet angle, elles sont toutes galement rpressives. Max Stirner, dans L'Unique et sa proprit, souligne que toute socit, mme librale, a tendance voir dans l'individu et sa puissance vitale, son ennemi. Toutes font donc preuve d'un autoritarisme destructeur de l'individu. D'o ce constat accablant fait par Somerset Maugham :  Dans sa lutte contre l'individu, la socit dispose de trois armes, la loi, l'opinion publique et la conscience.  Cela commence dans les familles et l'cole que sont les institutions de socialisation. Socialiser un enfant, c'est d'abord et avant tout lui apprendre obir, c'est exercer sans cesse une pression sur sa spontanit et sa volont. Et cela se renforce par l'appareil lgislatif et judiciaire, qui rgle les comportements de chacun. L'individu insr dans la socit s'est pli aux normes, mais l'alination est son comble par le fait qu'il les a intriorises et faites siennes. Il est habit par un corps tranger.

* cette rpression insidieuse mais particulirement alinante, s'ajoutent les pressions sociales constantes et ouvertes pour que l'individu reste dans la norme. La socit empche un individu de vivre comme il le souhaite si ce qu'il souhaite est contraire aux lois et aux murs en vigueur. Les vives controverses qui traversent la socit franaise contemporaine sur le mariage homosexuel et l'homoparentalit, sur l'euthanasie, sur l'hyginisme en tmoignent. Une socit qui se pose comme la source et le principe de toute valeur n'est pas du tout dispose reconnatre aux individus le droit d'invoquer d'autres normes que celles qui sont en vigueur.

* Et si on adopte comme Durkheim une conception holiste du fait social, on soulignera que  ce qui caractrise tout fait social est qu'il s'impose avec extriorit et coercition aux individus .

Chapitre : L'ontologie du fait social

b) Tout individu vivant en socit voit son moi intime touff ou mme supplant par le moi social:  l'homme n'est que ce qu'on le fait tre  dit Itard dans ses Mmoires sur Victor de l'Aveyron (Cf. B I). Plutt que de dire qu'une socit forme les individus qui s'intgrent elle, il faudrait dire qu'elle les  formate . Les individus sont dpossds d'eux-mmes.

c) Cette exprience de l'alination et de la contrainte est constitutive de la vie de l'individu en socit. Chacun le sent bien, du moins s'il ne partage pas cette conception holiste de sa place dans la socit selon laquelle l'individu vit non pas par et pour soi, mais par et pour la socit, en parcelle dpendante du tout, en non-individu. C'est pourquoi rien de plus naturel que de rver des hommes sans socit.

Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?

C'est pourquoi rien de plus frquent que d'entendre dire que  la nature, la mer, le ciel sont les derniers espaces de libert .

2 – Nanmoins aucun de ses arguments n'est totalement convaincant et encore moins la conclusion qui en est tire.

a) En fait, on voudrait montrer que l'individu en socit connat l'exprience de certaines formes de libert, condition qu'il se libre de toute une srie de faons errones de penser :

* Ce n'est pas vivre en socit qui est alinant, c'est mal comprendre ce que signifie tre libre qui est alinant. Comme dit Elias, dans La Socit des individus,  l'habitus social des individus est en quelques sorte la terre nourricire sur laquelle se dveloppent les caractres personnels  par lesquels l'individu s'panouit comme individu. Ainsi l'individu est un sujet social et non un strict  effet-de-structures . Par consquent en tant que sujet, l'individu s'autodtermine (cf. B II 1 et 2). La varit des comportements individuels issus du mme moule social est la preuve empirique d'une libert individuelle. Les innovations dans les murs, les sciences, les arts, en sont la preuve galement. Que certains exercent une pense critique, s'affrontent aux prjugs, refusent l'argument d'autorit est galement la preuve d'une libert individuelle toujours possible; c'est ce que montre avec force M. Terestchenko dans Un si fragile vernis d'humanit.

* L'ide selon laquelle pour tre vraiment soi-mme et ne pas se voir empcher de manifester librement sa vritable personnalit, il faudrait vivre en dehors de la socit est absurde, (cf. B III, ci-dessus).

Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?

* Associer socialisation de l'individu et alination de l'individu est galement absurde. Premirement Freud montre bien, dans Malaise dans la culture, que le processus de canalisation des pulsions n'est pas tant synonyme de rpression que de libration, compte tenu du caractre mortifre pour l'individu lui-mme de ses pulsions non canalises. Deuximement, l'individu n'est tout simplement rien sans la socialisation. Les rgles sociales n'touffent pas l'individu mais l'instituent (au sens tymologique, lui permettent de tenir debout).

*En imaginant une situation d'absence complte de contraintes sociales, l'individu connatrait-il la libert ? M. Tournier, dans Vendredi ou les limbes du pacifique, veut montrer que Robinson voit sa libert (qu'il se rjouissait de vivre pleinement) dissoute du fait mme d'tre priv de vie sociale.

Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?

b) Cette perception errone de la socit comme purement rpressive s'accompagne d'une perception tout aussi errone de la nature comme lieu idal de la libert :

* C'est oublier que la nature est un milieu hostile l'individu qui ne peut vivre seul dans la nature (et a fortiori tre libre)

Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?

* Ainsi vivre en socit libre l'individu de la peur qu'engendre sa fragilit constitutive ( nos fragilits nues dit Shakespeare dans Macbeth), car c'est par la coopration au sein de la socit que l'individu peut se protger de la nature et la mettre son service.

* De mme, si on retient les analyses de Hobbes, c'est la condition que le droit positif issu du contrat social se substitue au droit naturel, que l'individu est libr de cette peur permanente et alinante d'une guerre de tous contre tous (en l'tat de nature).

c) Refuser de considrer que l'individu en socit est alin va mme de soi si on partage une conception individualiste ou constructiviste de l'ontologie du fait social. Dans Les Lois sociales, esquisse d'une sociologie (1898), G. Tarde affirme, contre Durkheim : C'est parce que toute construction sociale a pour matriaux et pour tous plans, des apports individuels que je ne saurais admettre le caractre de contrainte souveraine, dominatrice de l'individu, qui a t considr comme l'attribut essentiel et propre de la ralit sociale. 

d) Au terme de ces analyses, on pourrait faire valoir que cette contre-argumentation (D II 2) a certes une cohrence mais qui n'entame pas totalement la cohrence de l'argumentation en faveur de l'alination irrmdiable de l'individu en socit. Alors on pourra avancer, en affichant un parti pris moral et politique assum, que dfendre la thse de l'alination radicale a des consquences prjudiciables :

* invoquer l'alination de l'individu dans et par la socit n'est-ce pas lui ter toute responsabilit puisqu'il n'est que ce que la socit le fait tre ? Que vaut cette rponse la question   qui la faute ?  :  c'est la faute la socit  ? N'est-ce pas la meilleure faon de s'entretenir dans la passivit et l'irresponsabilit ?

* toutes les socits des plus totalitaires aux plus librales sont mises alors sur le mme plan. Puisque, quoi qu'il en soit, la socit est alinante; accorder quelques liberts politiques ou pas devient un  dtail  ; le simple bon sens ressent toute l'absurdit d'une telle conclusion.

* et si l'individu en socit n'est que cette infime partie produite par et pour le tout, les socits humaines ne se distinguent pas des socits animales. L encore le simple bon sens ressent combien une telle quivalence ne correspond aucune ralit.

3 – D'autant que les individus peuvent mettre en place des procdures de libration, en n'oubliant pas que :  toute socit humaine est un ensemble d'tres libres  Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion.

a) Rfuter l'ide que les individus sont ncessairement empchs d'tre libres parce qu'ils vivent en socit, ce n'est videmment pas affirmer que les individus sont effectivement libres quand ils vivent en socit. Mais c'est dfendre la thse selon laquelle, s'ils sont plus ou moins alins ou opprims, ils peuvent se librer et contribuer forger une socit moins rpressive. Nous n'examinerons pas en D II 3, si l'individu est libre en vivant en socit (cela a t l'objet de D II 1 /2) mais si un individu peut tre plus libre dans sa socit.

b) Pour gagner en libert individuelle, on peut tenter de promouvoir une socit dont le fonctionnement est plus propice l'mancipation de ses membres que le contraire :

* cela suppose de se librer l'esprit d'une mtaphore qui parat au premier abord judicieuse mais qui s'avre prjudiciable : celle de la socit comme corps social.

* cela suppose de poser la/le politique comme orchestration et amplification de la libert individuelle. Les individus qui font socit s'associent et sont effectivement membres d'un collectif mais en aucun cas la manire des cellules d'un organisme, du fait de leur capacit de rflexion, de leur capacit de symbolisation, de leur marge d'initiative. Comme le rappelle M. Gauchet, dans La Condition politique,  une socit humaine est une socit de personnes, d'tres dots d'une disposition d'eux-mmes qui interdit de jamais les rduire une partie d'un tout. [] Si la socit tait un organisme, il n'y aurait qu' tablir l'anatomie, la physiologie et la pathologie du corps social selon une logique interne inscrite dans sa gntique. Or une socit a se faire tre et dcider de ce qu'elle doit tre. [] Qu'est-ce qui rend possible ce mode d'tre ? La politique. Il reprsente cette structure, qui assure sa cohrence tout en la laissant ouverte la rflexion et l'action de ses membres. La politique est ce qui donne une certaine puissance aux hommes sur le monde commun qui les transcende.  On pourrait ajouter que les lieux communs sur l'alination de l'individu par la socit constituent une auto-alination, occultant les capacits individuelles et collectives d'auto-transformation. Pour s'en convaincre, il faut bien saisir que la normativit biologique et la normativit sociale ne sont pas comparables.

c) Pour gagner en libert individuelle, il faut galement viter de prendre pour alination venant de la socit ce qui relve de la servitude volontaire. Comme le dit Kant, dans Qu'est-ce que les Lumires ? :  Par paresse et lchet, les hommes restent volontiers mineurs toute leur vie.  Ainsi il ne s'agit pas de nier les oppressions objectives qui psent sut les individus, mais de souligner que les individus ont la ressource de refuser leur consentement. La premire tape sur le chemin de la servitude volontaire est de croire que s'intgrer une socit revient subir l'ordre social comme une puissance indpendante et fatale. Pour gagner en libert individuelle, il faut galement distinguer l'obissance par contrainte et l'obissance par consentement, comme nous l'ont fait comprendre les thoriciens du contrat social : obir des lois qu'on a contribu forger ou qu'on assume est une forme de libert.

d) Une fois ces clarifications faites, les individus peuvent se persuader de prendre leur destin en main individuellement et collectivement, afin de construire une socit qui leur garantit les liberts politiques et est ouverte la reconnaissance des droits nouveaux. C'est donc aux individus de forger une socit qui cultive l'esprit de libert, mette la disposition de ses membres ses potentialits mancipatrices. Et d'ailleurs une socit ne fonctionne-t-elle pas mieux ainsi ? La libert individuelle loin d'tre l'ennemi de la socit peut tre un atout majeur pour la vie en socit !

III – Quelques figures mythologiques, religieuses, littraires, philosophiques, politiques emblmatiques des rapports possibles et/ ou souhaitables qu'un individu entretient avec la/sa socit : Antigone, Gygs, Promthe, Socrate, Diogne, le bouc-missaire, Don Quichotte, le Misanthrope, Robinson Cruso, Madame Bovary, le Dandy, Rastignac

On peut penser galement la figure du tratre, du pitre, de l'intgriste, de l'hrtique, de l'artiste officiel ou de l'artiste maudit, de l'intellectuel engag, du dissident

Chapitre : Peut-on concevoir une socit humaine sans art ?

Chapitre : Une socit a-t-elle besoin de philosophes ?

 

 

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L'ontologie du fait social

Axe A – La rponse holiste la question de savoir quelle est la nature du fait social.

I – Selon E. Durkheim  la socit est une ralit sui generis  Les Formes lmentaires de la vie religieuse. il dfend une conception substantialiste, essentialiste du social. La socit est une ralit, une entit objective.

* E. Durkheim, Les Rgles de la mthode sociologique / Sociologie et philosophie

* R. Aron, Les tapes de la pense sociologique chap Durkheim

1 – Dans Les Rgles de la mthode sociologique, Durkheim dfinit les faits sociaux comme  des manires d'agir, de penser, et de sentir extrieures l'individu et qui sont doues d'un pouvoir de coercition en vertu duquel elles s'imposent lui .

2 – Les faits sociaux ne diffrent pas seulement en qualit des faits psychiques, ils ont un autre substrat [] les tats de la conscience collective sont d'une autre nature que le tats de la conscience individuelle.  Les Rgles de la mthode sociologique,

II – Dans une perspective organiciste, la socit comme totalit organique est la ralit premire dont on ne saurait rendre compte partir de ses lments ; l'individu en dehors d'elle est une pure abstraction :  une socit n'est pas [] dcomposable en individus  A. Comte, Systme de politique positive.

* A. Comte, Recueil de textes

* R. Aron, Les tapes de la pense sociologique, Chapitre Comte

III – Pour le courant structuraliste,  les structures sociales sans tre directement observables ont un fondement objectif en de de la conscience individuelle et constituant le rel  M. Foucault, Les Mots et les choses.

* C. Lvi-Strauss, Anthropologie structurale

IV - Margaret Gilbert, dans Marcher ensemble, forge la notion de  sujet pluriel  et retrouve certaines thses de Durkheim mais sans leur ancrage substantialiste.

* M. Gilbert, Marcher ensemble

Axe B – Autre rponse la question de savoir quelle est la nature du fait social : l'individualisme ontologique.

I - L'individuel cart, le social n'est rien  G. Tarde, Lois de l'imitation.

*G. Tarde, crits de psychologie

II –  Il faut admettre qu'il n'existe rien que des individus. Pour un regard qui pntrerait le fond des choses, tout phnomne qui parat constituer au-dessus des individus quelque unit nouvelle et indpendante, se rsoudrait dans les actions rciproques changes par les individus  G. Simmel, Comment les formes sociales se maintiennent.

* G. Simmel, Philosophie de l'argent

III – Max Weber affirme, dans conomie et socit, que la socit n'a pas de ralit propre ; elle ne vit que de la ralit des membres qui la composent  Les membres d'un groupe ne composent pas une seule chose, encore moins une chose qui pense et agit. Il n'y a pas de chose telle qu'un collectif qui agit. 

* M. Weber, conomie et socit

Axe C – La rponse constructiviste la question de savoir quelle est la nature du fait social s'efforce de dpasser ces antinomies en affirmant la ralit la fois symbolique et objective du social.

I – Dans la perspective interactionniste de E. Goffmann, les phnomnes sociaux se caractrisent non par le fait qu'ils seraient intrinsquement collectifs mais par le fait qu'ils rsultent d'interactions entre des individus. Mais ces interactions ont un statut distinct de celui des actions individuelles.

* E. Goffmann, Les Rites d'interaction

1 – Pour l'interactionnisme symbolique, le comportement humain n'est pas une simple raction l'environnement mais un processus interactif de construction de cet environnement.

2 – Quelques illustrations d'une ontologie interactionniste du fait social.

II – Norbert Elias montre, dans La Socit des individus, que :  Le fait social est un phnomne d'interpntration ; ni l'ensemble lui-mme, ni sa structure ne sont l'uvre d'individus isols ; pourtant ils n'existent pas non plus en dehors des individus. 

*N. Elias, La Socit des individus

1 – Les phnomnes sociaux sont des phnomnes d'interdpendance qui sont tout autre chose qu'une interaction de substances .

2 – Ainsi, par exemple, l'existence de cette institution sociale qu'est l'tat ne tire son objectivit que d'un ensemble de reprsentations partages.

III – John Searle dfinit, dans La Construction de la ralit sociale, les faits sociaux comme  des faits qui impliqueraient l'intentionnalit collective , mais il ne dfinit pas l'intentionnalit collective dans des termes substantialistes.

1 – J'emploierai l'expression fait social pour dsigner tout fait impliquant l'intentionnalit collective. 

2 – Les faits institutionnels [une sous-classe des faits sociaux] n'existent qu' l'intrieur de systme de rgles constitutives. 

Chapitre : L'individu : un je de socit

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

Axe D – Par consquent l'tude des phnomnes sociaux relvera du holisme pistmologique, de l'individualisme pistmologique ou constructivisme selon qu'on dfendra un holisme ontologique, un individualisme ontologique ou le constructivisme.

Chapitre : Nature et socit sont-elles au mme titre objet de science ?

Axe E – La question du dterminisme social s'claire diffremment selon la perspective holiste, individualiste, constructiviste.

Chapitre : L'individu : un je de socit

 

 

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Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?

Axe A – La question peut signifier : l'tat originaire de l'homme peut-il tre pens sans relations sociales ?

I – Les raisons avances en faveur de la thse d'un homme d'abord animal solitaire plutt qu'un animal social.

1 – Rousseau, dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalit parmi les hommes, affirme que deux principes dfinissent l'homme naturel : la piti et l'amour de soi  sans qu'il soit ncessaire d'y faire entrer celui de la sociabilit .

*Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalit parmi les hommes.

2 – Hume, dans le Trait de la nature humaine, explique que la sympathie est naturelle, et en disant qu'elle ne suffit pas produire l'existence sociale, il suggre qu'elle peut se manifester dans des petits groupes infra sociaux

Chapitre : Faire socit

3 – Une certaine tradition occidentale forge le mythe du bon sauvage et croit l'existence d'un individu pr-social.

4 – Quand on assimile la vritable socit une socit du contrat social, alors, logiquement, la socit repose sur un acte de volont qui n'a rien d'immdiat. Ce qui est immdiat (naturel au sens de spontan), est pr-social. Dans cette perspective contractualiste il existe une multitude parse prcdent la socit.

II – Mais ces thses se heurtent des objections fortes :  Que la cit soit antrieure l'individu, cela est vident  Aristote, Politiques, I,2

1 – Vivre en socit est une ralit premire pour les hommes ; sans elle , ils ne pourraient tout simplement pas vivre :  ce qui donne naissance la socit, c'est l'impuissance o se trouve l'individu se suffire lui-mmePlaton, La Rpublique, II.

2 –  Aussi loin qu'on descende sur l'chelle de l'volution, on n'arrive pas dceler l'existence d'un individu biologique totalement non social  S. Moscovici, Pour une anthropologie fondamentale.

3 – La sociabilit des hommes ne procde pas d'une association choisie mais d'une interdpendance objective et ncessaire. Les hommes sont ncessairement inclus dans la socit  N. Elias, La Socit des individus.

Axe B – La question peut signifier : les hommes vivent-ils spontanment de bon gr (avec naturel) en socit ?

I – Des horizons de pense les plus divers, on a affirm que la sociabilit est naturelle et heureuse : Un instinct gnral de socit, qui se peut appeler philanthropie, dans l'homme  Leibniz, Nouveaux Essais sur l'entendement humain, I,2.

1 –  l'homme est naturellement pour l'homme le plus utile et le plus prcieux des biens  Cicron, Des Biens et des maux.

2 – Pufendorf, dans De jure naturae et gentium, considre que  c'est sur la conformit d'une mme nature que s'appuie la bienveillance humaine . L'homme aurait un penchant inn la bienveillance et la concorde, un penchant inn faire socit. 

3 – Voltaire ironiquement souligne Tous les hommes vivent en socit ; peut-on en infrer qu'ils n'y ont jamais vcu autrefois ? N'est-ce pas comme si on concluait que si les taureaux ont aujourd'hui des cornes c'est parce qu'ils n'en avaient pas toujours eues ? L'homme en gnral a toujours t ce qu'il est [] il a toujours eu le mme instinct qui le porte s'aimer dans soi -mme, dans la compagne de son plaisir, dans ses enfants. [] Nous n'tions pas faits pour vivre la manire des ours  Essai sur les murs.

II – Pourtant les hommes ne semblent pas vivre de bon gr en socit.

1 – Pour Rousseau, la sociabilit depuis qu'elle a commenc se manifester, n'est pas heureuse car c'est l'exprience de la perte d'authenticit et c'est l'exprience de l'ingalit ; alors spontanment nous n'avons pas envie de vivre en socit.

*Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalit parmi les hommes.

2 – La plupart des hommes considrent que vivre en socit est une source permanente de contraintes et de contrarits au point d'aspirer parfois fuir la socit.

Chapitre : L'individu : un je de socit

III – Mais on peut juger la question mal pose car mme si les hommes dplorent de vivre en socit, ils admettent qu'ils ne peuvent pas ne pas vivre en socit ; seule celle-ci permet leur survie et leur panouissement (du moins certaines conditions).

1 – La cause finale, le but, le dessein que poursuivent les hommes, eux qui par nature aiment la libert et l'empire exerc sur autrui, lorsqu'ils se sont impos les restrictions au sein desquelles on les voit vivre en rpubliques, c'est le souci de pourvoir leur propre prservation et de vivre plus heureusement par ce moyen : autrement dit de s'arracher ce misrable tat de guerre qui est, je l'ai montr, la consquence ncessaire des passions naturelles des hommes, quand il n'existe pas de pouvoir visible pour les tenir en respect  Hobbes, Lviathan.

2 – Rousseau fait remarquer que si on prend un autre critre d 'valuation de l'tat de nature que les avantages plaisants qu'il procure, celui-ci est largement infrieur l'tat social qui seul permet l'homme de ne pas rester un animal stupide et born :  Quoiqu'il se prive dans cet tat [tat civil] de plusieurs avantages qu'il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses facults se dveloppent, ses ides s'tendent, ses sentiments s'ennoblissent, son me tout entire s'lve tel point []  Du contrat social, I, VIII.

*Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalit parmi les hommes.

3 – Remercions donc la nature pour cette humeur peu conciliante, pour la vanit rivalisant dans l'envie, pour l'apptit insatiable de possession et de domination. Sans cela toutes les dispositions naturelles excellentes de l'humanit seraient touffes dans un ternel sommeil  Kant, Ide d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique.

Axe C – La question peut signifier : les hommes vivent-ils en socit parce que c'est dans leur nature (essence) ?

I – On pourrait penser que ne pas vivre en socit n'empche pas les hommes d'tre des hommes, mais cette thse n'est pas recevable.

1 – Certes le cas des enfants sauvages montre que certains ont pu survivre en dehors de la socit ; mais sont-ils reprsentatifs de la condition humaine ?

2 – Dans la fiction de M. Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique qui se veut une exprience de pense, Robinson Cruso reconstruit une vie sociale sur son le dserte, sous peine de perdre son humanit.

II – Et, de plus, si on entend par essentiel l'homme ce qui lui permet de raliser sa nature (qui n'est pas un tat natif mais un potentiel raliser), alors c'est en vivant en socit que les hommes accomplissent leur humanit.

1 – Pour Aristote, Ce que chaque chose est une fois que sa gense est compltement acheve c'est cela [qui est ] la nature de la chose . Or la cit est  la communaut la plus minente de toutes , la plus acheve. Donc  la cit fait partie des chose naturelles et l'homme est par nature un animal politique  Politiques.

*Aristote, Politiques

2 – Rousseau, dans le Contrat social, dcrit les bienfaits de l'tat social bienfaits trs suprieurs l'existence mene dans l'tat de nature :  Ce passage de l'tat de nature l'tat civil produit en l'homme un changement trs remarquable en substituant la justice l'instinct et en donnant ses actions la moralit qui leur manquait auparavant. [] Quoiqu'il se prive dans cet tat de plusieurs avantages qu'il tient de la nature, il en gagne de si grands  Du Contrat social, livre I chap. VIII.

3 – Kant juge, dans Ide d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique, que ce n'est pas en restant dans l'inertie et la satisfaction passive caractristiques de l'tat originaire que l'homme dveloppera ses talents et sa moralit. Ce n'est que par le jeu de l'insociable sociabilit et par l'ducation au sein de la socit, qu'il pourra tmoigner de cette noblesse et de cette dignit dont la nature a dot sa nature.

Chapitre : Pas de socit sans histoire

Axe D – La question peut signifier : les homme vivent-ils ncessairement en socit ?

I- Selon Rousseau l'tat social n'est pas ncessaire.

1 – Car les hommes l'tat de nature se sentent bien et n'prouvent pas la ncessit de changer d'tat.

2 – L'tat social est le fruit de certaines circonstances qui auraient pu ne pas se produire.

*Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalit parmi les hommes.

II – Mais en admettant mme que ce soit le cas, on peut dfendre le point de vue de Hume dans Trait de la nature humaine qui parle d'une ncessit au second degr :  Quand une invention est vidente et absolument ncessaire on peut la dire naturelle tout aussi bien qu'on le dit de toute chose qui procde de principe originels immdiatement et sans l'intervention de la pense et de la rflexion. 

1 – Cette ncessit de second degr concernant la vie en socit peut prendre la forme d'une construction certes, mais qui ne pouvait pas ne pas tre :  L'ordre social si peu naturel qu'il soit, doit son existence une particularit de la nature humaine  N. Elias, La Socit des individus.

2 – Cette ncessit de second degr concernant la vie en socit peut prendre la forme de la rgle de la prohibition de l'inceste que C. Levi Strauss, dans Anthropologie structurale, considre comme une ncessit naturelle la vie sociale, incarnant le passage de la nature la culture.

III – Par contre reste en dbat, la question de savoir si vivre dans tel ou tel type de socit relve de la ncessit.

Chapitre : Pas de socit sans histoire

Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?

Chapitre :  La justice est la premire vertu des institutions sociales 

Axe E – La question peut signifier : les hommes vivent-ils sans artifice en socit ?

I – Non :  Les collectivits humaines se dfinissent par des relations ordonnes par des institutions de sens  A. Ehrenberg, La Socit du malaise.

1 – Les objets sociaux ne sont pas des entits qui existent de manire indpendante comme une plante ou une molcule d'ADN, ils sont toujours constitus par de actes sociaux  J. Searle, La Construction de la ralit sociale.

Chapitre : L'ontologie du fait social

Chapitre : Faire socit

Chapitre : Peut-on concevoir une socit humaine sans art ?

2 –  Les faits institutionnels (une catgorie des faits sociaux) sont le produit de dispositifs symboliques  J. Searle, La Construction de la ralit sociale.

Chapitre : L'ontologie du fait social

Chapitre : Faire socit

II – Ces artifices n'ont rien d'une dnaturation.

1 – Hume explique dans le Trait de la nature humaine que  c'est par l'institution de la rgle qui vise la stabilit des possessions que cette passion [de l'intrt personnel] se contraint . Le remde ne provient pas de la nature mais de l'artifice. 

2 – Le contractualisme est un artificialisme.

Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ?

III – Ainsi la faon de faire socit est conventionnelle mais ceci est diversement apprci.

1 – L'universalit du phnomne de la socit n'empche pas son polymorphisme.

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?

2 – Conventionnel peut rimer avec relativisme culturel : avantages/ inconvnients.

Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?

Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?

 

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Christine Février

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