Christine Février : cours sur le thème « La socit ». © : Christine Février. Ce texte est le plan d'un cours de Philosophie fait au lycée Chateaubriand de Rennes,
sur le thme du concours 2011/2012 des CPGE conomiques et commerciales.
Ordre du cours : il est inhabituel. Ce cours en 13 chapitres a t mis en ligne progressivement, entre 18 janvier 2017 et le 9 fvrier 2017. Christine Février était professeur en prépa EC et en prépa littraire au lycée Chateaubriand de Rennes. LA SOCITSOMMAIRE DU COURS : les chapitres selon leur disposition rticulaire, chacun en principe renvoyant tous les autres
Faire socit : les ressorts de la cohrence et de la cohsion socialesAXE
A - Faire socit avec d'autres, c'est partager des croyances et des valeurs,
des coutumes et des rites, c'est intrioriser des statuts et des rles par la
mdiation des institutions sociales qui incarnent et transmettent
l'organisation de l'interdpendance sociale. I – Toute socit repose sur des institutions qui organisent la vie collective et recourent un ensemble de procdures afin de faire respecter l'ordre tabli au sein de la socit : Rites, normes, valeurs constituent les instruments de rgulation sociale, instruments qui amnent les individus participer aux attitudes collectives, remplir correctement les rles sociaux et respecter les murs H. Mendras, Le Changement social.1 – Des institutions comme la famille et l'cole
sont des vecteurs de socialisation. 2
– Toute socit d'une part instaure des lois et des rgles de vie
collective et d'autre part sanctionne leur transgression. 3 – Le travail est la meilleure des polices Nietzsche, Aurore. 4 – Montesquieu, dans L'Esprit des lois, montre que les instituions sont d'autant plus stables qu'elles sont en harmonie avec le milieu gographique et le climat *R. Aron, Les tapes de la
pense sociologique, chapitre Montesquieu. II – Une socit ne s'tablit et ne perdure que si elle parvient se constituer comme communaut symbolique. La grammaire sociale des significations cre un monde commun permettant la communication entre les acteurs sociaux.1 – Des liens sociaux se tissent solidement en
partageant des valeurs, une mmoire, un imaginaire, des mythes. 2
– Tout particulirement les croyances religieuses, ainsi que la cration
de grands idaux transforms en choses sacres remplissent cette fonction
cohsive ncessaire la prennit du groupe social. 3
– Des crmonies et des rites raffirment rgulirement l'identit et
l'unit du groupe. 4 – Internet n'est pas seulement un mdia c'est une forme sociale qui matrialise d'une certaine manire la socit P. Rosanvallon, ITW, Le Monde, 22/7/2011. III – Les statuts et les rles qui dfinissent l'identit sociale des individus structurent toutes les interactions sociales.1 – Le statut dsigne la position qu'un acteur
social occupe sur l'chiquier social ; ce n'est pas
seulement un ensemble d'attributs qui permettent l'acteur social de jouer son
rle, ce sont aussi des droits et des devoirs. 2
– Le rle dsigne le comportement attendu de celui qui a tel statut. 3
– L'habitus dsigne cette capacit d'effectuer immdiatement les choix de
comportement conformes aux attentes sociales. 4 – E. Goffman, La Mise en scne de la vie quotidienne. Axe
B – Diffrentes formes de sociabilit expriment et confortent la cohsion
sociale, assurent ou renforcent la stabilit du lien social. I – Le lien social est tiss par lintrt dans les changes conomiques mais il est tiss galement dans l'change dsintress du don et du contre-don.1 – L'change est la rgle fondamentale de toute
vie sociale. 2
– Selon la thorie du choix rationnel et l'utilitarisme, la socit est
organise autour de l'change des biens. Chacun des acteurs sociaux tout
en ne cherchant que son intrt personnel, travaille souvent de manire plus
efficace pour l'intrt de la socit que s'il avait rellement pour but d'y
travailler. En cela comme dans beaucoup de cas, il est conduit par une main
invisible remplir une fin qui n'entre pas dans ses intentions A.
Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. 3 - Ceci est loin d'avoir une valeur heuristique totalement satisfaisante. Pour penser le principe mme de l'organisation sociale, il faut recourir aux concepts de rciprocit et de don : On peut affirmer la prennit du don dans les socits modernes J.T. Godebout, L'Esprit du don. II – Les pratiques de solidarit comme ciment social.1
– La solidarit dfinit la relation qui lie deux ou plusieurs personnes
devant rpondre l'une de l'autre. 2
– E. Durkheim distingue, dans De la division du travail, la
solidarit mcanique et la solidarit organique. 3
– Quelques figures de la solidarit : solidarits locales, solidarits ouvrires,
solidarit d'exil III – Une sociabilit sans fins directement utilitaires, mais fortement investie affectivement assure galement la cohsion sociale.1 – La sociabilit est un trait de psychologie
collective : l'aptitude gnrale d'une population vivre intensment les
relations publiques. 2 – Gustave Le Bon, dans La Psychologie des foules, analyse comment cette sociabilit peut s'prouver dans une runion momentane d'individus soumis une motion forte la suite d'un vnement ou d'un discours provoquant la peur, la haine, l'enthousiasme, l'amour . 3 – La conversation, les ftes, les jeux de socits, les salons, les clubs, les cafs, les rseaux sociaux sont des formes ludiques de socialisation G. Simmel, 1918. 4 – Quoi qu'il en soit, La Rochefoucauld souligne la nature profondment ambigu de la sociabilit : L'hypocrisie est l'hommage du vice rendu la vertu Maximes et Rflexions diverses. Axe C – Les individus en socit sont des acteurs sociaux dont les actions s'entrecroisent formant une structure sociale, un rseau en mouvement perptuel tissant et dfaisant inlassablement des relations N. Elias, La Socit des individus. → Chapitre : L'ontologie du fait social → Chapitre : L'individu : un je de socit → Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ? Axe D – Diagnostiquer un comportement comme normal ou dviant, comme consensuel ou conflictuel, comme social ou asocial, comme tranger ou fidle aux us et coutumes, est socialement structurant. I – Conformit et dviance sont les deux facettes d'un mme processus de normalisation sociale.1 – En comprenant ce qu'est
la conformit et la dviance sociales 2 – on saisit qu'il n'y a pas de paradoxe affirmer : Les conditions fondamentales de l'organisation sociale telles qu'elles sont connues, impliquent logiquement le crime E. Durkheim, Les Rgles de la mthode sociologique. II – Qui ne voit que la cohsion sociale est due en grande partie la ncessit pour une socit de se dfendre contre d'autres et que c'est d'abord contre tous les autres qu'on aime les hommes avec lesquels on vit Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion.1 – L'accord des hommes pour vivre ensemble ne
semble pas pouvoir se produire sans que soit dsign un objet contre lequel cet
accord se ralise : un ennemi du dedans ou du dehors rel ou imaginaire. 2 – R. Girard, dans La Violence et le sacr, dcrit comment le mcanisme de la victime missaire (le bouc-missaire) est l'origine de l'engendrement de l'ordre qui produit le groupe. Axe E – Faire socit n'implique pas l'absence de hirarchisation sociale ni l'absence de recherche de distinction sociale. I – Toute socit est un ensemble de positions et de strates hirarchiquement disposes en fonction d'une ingale distribution du pouvoir, de la richesse, des privilges et du prestige ; la stratification sociale est la diffrenciation des fonctions la fois hirarchises et values selon des critres spcifiques chaque socit.1 – Distinguer diffrenciation sociale et
stratification sociale. 2 – Marx, dans Le Capital, affirme que l'appartenance
de classe est objectivement dtermine par la place de l'individu dans les
rapports de production. 3
– Pour Max Weber, trois types de hirarchisation, reposant sur la
proprit, le pouvoir, le prestige, se combinent pour fonder la stratification
sociale. 4
– Dans les socits modernes, la stratification prsente la particularit
de ne pas tre institutionnalise ; c'est la condition ncessaire (pas
suffisante) de la mobilit sociale. 4
– Tocqueville, dans De la dmocratie en Amrique, pointe un conflit
(inhrent aux socits modernes dmocratiques), entre la ralit sociale
hirarchise et l'idal galitaire. 5
– En ce dbut de XXIe sicle, les hyper-riches de chaque
socit constituent, l'chelle mondiale, une sorte de socit oligarchique
concentrant richesse, pouvoir, prestige. II – Un des moteurs de la vie sociale est la rivalit ostentatoire (Veblen) qui vise exhiber une prosprit suprieure celle des autres : la course la distinction sociale:1 – Ne pas confondre se diffrencier et se distinguer. 2 – Chacun commena regarder les autres et vouloir tre regard soi-mme et l'estime publique eut un prix. [] De ces prfrences naquirent d'un ct la vanit et le mpris, de l'autre la honte et l'envie Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalit parmi les hommes. 3
– Ce n'est pas une grande disproportion entre les autres et soi
qui produit l'envie mais au contraire une proximit Hume, Trait
de la nature humaine. 4 – La distinction sociale se teste de mille
manires, variables selon les contextes sociaux ; examinons notamment les
nouveaux codes de la distinction en matire de cultures dans les socits
modernes contemporaines. 5
– Pour rendre compte de cette lutte pour la reconnaissance sociale,
plusieurs thories sont notre disposition : de la thorie de la frustration
relative (Tocqueville) celle du narcissisme des petites diffrences (Freud)
en passant par celle du dsir mimtique (R. Girard). 6 – La socit idale serait-elle celle qui ne rassemblerait que ceux qui se ressembleraient ? → Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ? Axe F – La cohsion sociale n'est pas inconciliable avec la dynamique sociale, faite de changements dans la continuit ou dans la rupture. I – Stabilit et changement : la question est de savoir quoi accorder la priorit ontologique et la supriorit axiologique.1 – On peut affirmer que la stabilit est premire ou au contraire le changement : La socit a toujours volu dans le cadre d'un antagonisme, celui des hommes libres et des esclaves dans l'Antiquit, des nobles et des serfs au Moyen ge, de la bourgeoisie et du proltariat dans les temps modernes Marx et Engels, Manifeste du parti communiste, 2 – Socit close et/ ou socit ouverte ? *Bergson, Les Deux sources de
la morale et de la religion II – Les diffrentes formes de changement social et les diffrentes faons dont les acteurs sociaux le produisent, se les reprsentent, y ragissent.1 – En allant du changement le moins marqu vers
le plus radical, on retiendra : la drive, l'volution, la rvolution, la
mutation. 2
– Le dbat dmocratique, le travail lgislatif, la pression de la rue,
les conflits, la rvolte comme moyens de produire du changement. 3
– Le changement peut tre peru comme une crise, une dstructuration, un
progrs, une rgnration de la socit. III – Les facteurs du changement social : sa dimension endogne et sa dimension exogne1
– Le dcalage entre un certain
fonctionnement social et les attentes des acteurs sociaux. 2
– La contradiction entre les forces productives et les rapports de
productions. 3
– L'essor technologique. 4
– Les migrations, les guerres. IV – Les lois du changement social1 – Statique sociale et dynamique sociale sont les deux grandes divisions tablies par A. Comte dans l'tude des socits ; elles renvoient sa thorie de l'ordre et du progrs. *R.Aron, Les tapes de la pense sociologique chapitre Comte 2 – Les luttes de classes, selon le matrialisme historique, dterminent le changement social. → Chapitre : Pas de socit sans histoire Axe G – Dans toute socit sont l'uvre des forces d'intgration et des forces de dsintgration. Les unes comme les autres peuvent parfois se transformer en leur contraire. I – Les dynamiques d'intgration sociale1 – L'adhsion au contrat social
par confiance, intrt bien compris, capacit des institutions jouer leur
rle de ciment social. 2
– La pluralit possible des modes d'intgration consolide le lien social. 3
– Max Weber propose une typologie des principes de lgitimit qui
garantissent l'ordre social. 4
– Les socits peuvent faire le pari d'une synergie ngociable et d'un
quilibre possible entre stabilit et changement. 5
– G. Balandier montre, dans Le Dsordre qu'il y a des formes de
violences rgulatrices et que le dsordre social peut se transformer en un
nouvel ordre social. II – Mais toute socit est galement confronte des ferments de dstructuration, distinguer de ce qui peut produire la dsocialisation de tel ou tel individu ou un choix antisocial .1
– Une socit devenue incapable de susciter la confiance en elle, des
institutions fragilises, l'anomie (Durkheim) provoquent la
dilution du lien social. 2
– Une stratification sociale explosive. 3
– Par contre certaines conduites apparemment intgres peuvent contribuer
au dlitement du lien social. 4
– Si la religion peut tre un ciment social, elle peut tout autant tre
une pomme de discorde. 5
– Des difficults de cohabitation rsultant des diffrences
d'habitus social N. Elias, La Socit des individus. 6 – La guerre, la guerre civile, certaines
mutations conomiques et culturelles peuvent saper les fondements d'une
socit. 7
– La violence endmique est inhrente toute socit ; si elle ne peut
tre canalise, elle devient destructrice. 8 – Face cela, une socit peut trouver plus ou moins aisment des ressources pour neutraliser ou rcuprer ce qui s'oppose fondamentalement elle.
Peut-on concevoir une socit humaine sans art ?Axe
A – On ne peut pas se faire une ide pertinente (concevoir)
d'une socit humaine si on imagine que les productions techniques ou les
productions artistiques pourraient en tre absentes. I – Les hommes ne peuvent survivre sans des artifices techniques nombreux et complexes, constitutifs de toute vie sociale.1 – La socit en tant que telle est un artifice, mme s'il est inhrent la nature de l'homme que de fabriquer des artifices → Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ? 2 – Aucune socit humaine ne peut survivre sans techniques.
3 – Aucune socit ne peut assurer sa cohsion sociale et sa stabilit sans mobiliser techniques de persuasion, contrats et autres artifices. → Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ? II – La socit humaine est un systme symbolique et culturel, les beaux-arts en sont une des manifestations.1 – Le propre des socits est de reposer sur des cultures symboliques F. Hritier, Hommes,femmes, construction de la diffrence. → Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ? 2 – Les uvres d'art sont des systmes symboliques N. Goodman, Langages de l'art. III – Afin de saisir en quoi les productions techniques et artistiques sont indissociables des socits humaines, distinguons-les de la proto-culture des socits animales.→ Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ? → Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ? Axe B - On peut considrer (concevoir, envisager) que la prsence des productions techniques et artistiques est ncessaire pour qu'une socit soit vraiment humaine< (au deuxime sens du terme). I – Malgr quelques voix dissonantes, on peut s'accorder souligner les vertus humanistes des uvres d'art et considrer comme vraiment humaines les socits qui encouragent leur cration et leur diffusion.1 – Crer ou contempler des uvres d'art est un moyen privilgi de combler les exigences humaines les plus hautes. 2 – Le raffinement esthtique est un raffinement de l'intelligence et de la sensibilit, facteur de civilisation , d'panouissement personnel et collectif. *N. Elias, La Civilisation des murs → Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ? 3
– L'intrt pour un art qui n'est pas en rsonance directe avec la
socit dans laquelle on vit est une preuve supplmentaire de sa porte
humaniste car la frquentation des uvres du pass est un facteur de distanciation
et donc d'enrichissement et de meilleure comprhension. 4 – On peut valuer l'humanit d'une socit, entre autres, la qualit de ses politiques culturelles. → Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ? → Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ? 5 – Malgr tout cette thse suscite quelques objections : L'art peut tre instrumentalis des fins de propagande et d'asservissement ; les esthtes peuvent tre des barbares ; l'art n'aurait plus cette noble fonction l'poque de la socit de consommation, de la culture de masse, du divertissement et de l'industrie culturelle, comme le remarque H. Arendt dans La Crise de la culture. II – On ne peut estimer vritablement humaine l'attention qu'une socit porte amliorer ses conditions d'existence qu' la condition que l'innovation technique incessante ne devienne pas une fin sociale en soi.1 – Certes l'essor technologique incessant, caractristique des socits modernes peut conduire la mort essentielle et existentielle de l'homme H. Jonas, Le Principe de responsabilit. 2 – Et U. Beck La Socit du risque (1986) comme H. Rosa, L'Acclration (2010) analysent les processus par lesquels les socits hyper/post modernes semblent s'loigner toujours plus de l'idal d'une socit humaniste. → Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ? 3 – Mais il y a des acteurs sociaux qui essaient de mettre en place des procdures pour viter ces risques d'une socit dshumanise car soumise la seule logique technicienne. Axe C – On ne peut concevoir une socit humaine (premier sens du terme) qui pourrait se passer d'artistes et de valeurs esthtiques. I – La socit elle-mme, tel groupe social, tel individu ont besoin d'artistes officiels, d'artistes engags, d'artistes rebelles pour favoriser la cohsion sociale ou la rvolte, la magnificence sociale ou l'panouissement individuel→ Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ? → Chapitre : L'individu : un je de socit II – Les jugements esthtiques mis, les pratiques culturelles choisies sont un des ressorts privilgis de la distinction sociale et de la hirarchisation sociale.→ Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ? → Chapitre : L'individu : un je de socit *B. Lahire, La Culture des individus Axe D – On ne peut pas concevoir non plus que les dmarches artistiques ne soient pas dans un certain rapport avec leur contexte social. I – Les moyens d'expression des artistes, la coopration en atelier ou le statut d'individualit de gnie sont influencs par le type de socit dans lesquelles les artistes voluent ; les ruptures esthtiques rvlent ou refltent des ruptures sociales. Tel acteur social, tel groupe social, telle catgorie sociale se reconnat plutt dans tel type de culture que dans tel autre.→ Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ? II – Les uvres d'art, directement ou indirectement, sont des transpositions ou des transfigurations de tel ou tel phnomne social.III – Les deux grands personnages du roman sont l'individu et la socit. Cette polarit est absente des grandes formes littraires comme la tragdie ou l'pope : l'homme est face aux dieux ou l'homme est face l'homme P. Manent dans A. Finkielkraut, Ce que peut la littrature.1 – la diffrence du hros tragique ou pique, le personnage romanesque n'est pas situ au-dessus ou en dehors de la collectivit, il est cet individu qui s'prouve en socit la recherche d'une rconciliation entre la posie individuelle et la prose sociale Hegel, Esthtique. 2 – Balzac, La Comdie humaine.
Comparer les socits des fins heuristiques ou critiques est-il judicieux ?L'universalit du phnomne de la socit n'empche pas son polymorphisme
AXE A – La distribution des socits entre diffrents types est assortie de qualifications (tribale, thocratique, industrielle Socits chaudes/socits froides Lvi-Strauss, Race et histoire, qui condensent les traits jugs spcifiques. Quelques exemples de cette opration heuristique. I – La classification propose par Montesquieu dans L'Esprit des lois*R. Aron, Les tapes de la pense sociologique : chapitre Montesquieu II – A. Comte, dans son Cours de philosophie positive, distingue trois types de socit correspondant aux trois tats de la connaissance* R. Aron, Les tapes de la pense sociologique : chapitre Auguste Comte *A. Comte, Sociologie
(choix de textes) III – Marx, dans le Manifeste du parti communiste, classe les socits en fonction de la faon dont elles nouent les rapports de production et le dveloppement des forces productives.* R. Aron, Les tapes de la pense sociologique : chapitre Marx → Chapitre : Pas de socit sans histoire IV – E. Durkheim, dans De la division du travail social, distingue les socits solidarit mcanique et les socits solidarit organique.* R. Aron, Les tapes de la pense sociologique : chapitre Durkheim V – La classification propose par Bergson repose sur la distinction entre socit close et socit ouverte*Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion VI – Popper, dans La Socit ouverte et ses ennemis, oppose les socits ouvertes au dbat et la discussion et celles sres de leur lgitimit irrvocable.*K. Popper La Socit ouverte et ses ennemis, T1 et T2 AXE B – Dfinir les socits primitives par comparaison et contraste. I – Marcel Gauchet dans La Leon des sauvages, prcise : La socit primitive est la socit qui s'ordonne d'exclure que soit pose en permanence et explicitement la question de son fondement et de ses fins. Elle est une socit donnant cette question une rponse telle que ne soit manifeste que la rponse sans qu'apparaisse la question.1 – Ceci est un commentaire des analyses de P. Clastres sur les tribus indiennes d'Amrique, montrant que la socit primitive est une socit totalement assujettie au symbolique pos comme autre du social et dans laquelle tout est fait pour empcher toute entit politique autonome d'apparatre.
2 – Quelques autres caractristiques des socits primitives : une classification congruente de la socit et de la nature, une prgnance des mythes et de la magie oprant l'intgration du visible et de l'invisible, un systme de prestations totales (M. Mauss, Essai sur le don). 3
– Dans Totem et tabou, Freud applique les catgories de sa thorie
psychanalytique l'tude des socits primitives. *Freud, Totem et tabou 4 – La comparaison analytique et mthodologique tranche avec les discours simplistes et ethnocentriques dcrivant les socits primitives comme dpourvues de ce qui caractrise les socits des observateurs II – On peut saisir la singularit d'une socit primitive par contraste avec d'autres socits primitives.1 – Ph. Descola, Par del nature et culture 2 – Les mythes de la socit Dogon (Mali) compars La Thogonie d'Hsiode AXE
C - Comparer la socit traditionnelle et la socit moderne permet de saisir ce
qui caractrise chacune en propre. I – Les caractristiques des socits traditionnelles*L. Dumont, Homo hierarchicus 1 - Ce sont des socits
holistes par opposition aux socits individualistes. 2
– Ce sont des socits o dominent des rapports sociaux de type
communautaire formant ce type d'organisation sociale que Tonnies
appelle communaut distinguer des rapports sociaux o
prdominent les relations socitaires formant ce type d'organisation sociale
que Tonnies appelle socit . 3
– La socit traditionnelle est un vaste rseau d'entraide tandis que la
socit moderne multiplie les rapports marchands. 4
– Dans la socit traditionnelle chacun a sa place une fois pour toutes. 5
– La socit traditionnelle se fonde sur un garant mta-social qui prend
le plus souvent la forme du divin par opposition la socit moderne qui fonde
sa lgitimit sur elle-mme. 6 – Conclusion *Les socits traditionnelles/ Dictionnaire de la culture juridique. II – Les caractristiques des socits modernes1 – Max Weber met en vidence, dans conomie
et socit, la corrlation entre modernit et rationalit : l'organisation
de la socit moderne vise toujours plus de rationalisation dans tous les
domaines. 2 – La socit moderne se caractrise par l'essor des sciences et des techniques : Bien que l'humanit ait toujours possd une masse norme de connaissances positives, c'est une poque rcente que la pense scientifique s'est installe en matresse et que des formes de socits sont apparues o l'idal intellectuel et moral en mme temps que les fins pratiques poursuivies par le corps social se sont organiss autour de la connaissance scientifique. Lvi-Strauss, La Pense sauvage. 3
– La socit moderne est une socit promthenne : la technologie,
l'industrialisation, l'urbanisation et son conomie capitaliste multiplient sa
volont de puissance. 4 – Si les liens multicolores qui attachaient l'homme son suprieur naturel dans la socit fodale [] sont noys dans l'eau glace du calcul goste (Marx, Le Capital), c'est parce que la socit moderne voit sa sphre marchande s'tendre toujours plus de domaines de la vie sociale. *G. Simmel, Philosophie de l'argent 5 – La division du travail est trs complexe, la solidarit organique (Durkheim) se substitue la solidarit mcanique; ceci augmente les possibilits d'individualisation et produit une socit individualiste et non holiste. 6 – Dans la socit moderne, les individus se reprsentent non seulement comme les acteurs de leur existence mais aussi comme les auteurs. 7 – Se tissent entre les individus des relations
contractuelles toujours rvisables et ramnageables,
signes d'une autonomie juridique et de la souverainet du corps social. 8 – La socit moderne est une socit scularise, lacise ; l'organisation sociale n'est plus engages tout entire dans des activits religieuses ; la vie religieuse prend un caractre plus individualis et plus intrioris. 9 – Tocqueville, dans De la dmocratie en Amrique, dcrit la socit moderne fonde sur la libert de chacun et l'galit de tous. *A. de Tocqueville, De la dmocratie en Amrique 10 – Cette socit se caractrise galement par le pluralisme religieux et moral, le polythisme des valeurs (M. Weber). 11
– Le rythme impatient de la vie quotidienne, son acclration permanente,
l'attrait constant de la nouveaut, le got de repousser toujours plus les
limites, distinguent tout particulirement la socit moderne. 12 – C'est une socit de culture de masse. *H. Arendt, La Crise de la culture → Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ? 13 – E. Morin, dans La Mtamorphose de Plozevet, fait le portrait d'une socit traditionnelle
entrant dans la modernit. 14 – Les pathologies de l'argent (Simmel), la question du sens de l'existence, les effets pervers de l'individualisme ou de la suprmatie de la technoscience, l'hyperrationalisation sont autant de dfis auxquels sont confrontes les socits modernes. AXE D – Distinguer socit moderne et socit post-moderne (hyper-moderne, de seconde modernit) sera pertinent si on estime que les diffrences de degr deviennent des diffrences de nature. Comment qualifier les volutions/mutations des socits modernes l'aube du XXIe sicle ? I – Une socit d'individus ? qui ont tendance mconnatre ce qui en eux renvoie d'autres ralits fondatrices comme la nature, la socit, un systme de valeurs partages M. Canto-Sperber, Le Socialisme libral.II – Une socit de l're du vide ? G. Lipovestky
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Si l'anthropologie sociale ne peut se substituer la sociologie, c'est que les tudes ethnologiques portent sur les socits dites primitives et donc les invariants dgags ne suffisent pas rendre compte de la spcificit des socits modernes voire hyper/post-modernes. Et comme les ethnologues sont des chercheurs appartenant aux socits occidentales, Lvi-Strauss avait dit dans une formule ramasse : la sociologie est la science qui tudie la socit de l'observateur (des socits primitives), l'ethnologie est la science qui tudie la socit de ceux qui sont observs par l'ethnologue (appartenant aux socits modernes occidentales). Depuis la fin du XXe sicle, les frontires sont plus poreuses et les relations plus complexes. Ainsi des enqutes ethnologiques sont menes au sein des socits occidentales (les tribus ; les groupes culturels minoritaires ; les paysans comme espce en voie de disparition, les passagers du RER sont autant d'objets d'tude). |
3 – L'histoire : L. Febvre dans Combats pour l'histoire, dit tenir l'histoire pour l'tude scientifique concernant diverses actions et diverses crations des hommes d'autrefois saisis dans leur temps et dans le cadre des socits, socits extrmement varies, dont ils ont rempli la surface de la terre et la succession des ges.
→ Chapitre : Pas de socit sans histoire
4 – La psychologie sociale tudie les interactions des individus dans leur double dimension d'agents psychologiques et sociaux.
*S. Moscovoci, Psychologie sociale
5
– La sociolinguistique tudie le langage en privilgiant le rapport de la
langue au social et comment des facteurs sociaux agissent sur les manires de
parler.
6 – La sociobiologie (thorie expose par E.O. Wilson en 1975 dans Sociobiology).
→ Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?
→ Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?
→ Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?
1 – La volont de rigueur scientifique fait partie de l'intention de la sociologie R. Aron, Dix-huit leons sur la socit industrielle
Les chercheurs en
sciences sociales refusent dans le cadre de leurs analyses de la socit :
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2 – Il faut galement liminer les prnotions forges dans l'exprience immdiate sans mthode et donc dnues de valeur scientifique : Il faut qu'en pntrant dans le monde social [le sociologue] ait conscience qu'il pntre dans l'inconnu (Durkheim, Rgles de la mthode sociologique). On ne peut rduire la ralit sociale la conception que l'homme qui vit dans cette socit se fait Lvi-Strauss, Introduction l'uvre de Marcel Mauss dans M. Mauss Sociologie et anthropologie
Avoir l'exprience
permanente de vivre en socit ne suffit pas pour saisir les lois de
fonctionnement et de reproduction de la socit.
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1 – La volont de comprendre n'implique
pas le refus de juger R. Aron, Dix-huit leons sur la socit
industrielle
2 – Les chercheurs peuvent s'en tenir leurs travaux et ce sont les acteurs sociaux qui s'en emparent des fins idologiques et politiques.
Par exemple, la lecture du Systme technicien de J. Ellul, a conduit certains appartenant au courant de pense de la dcroissance, considrer que l'essor technologique conduisait ncessairement la mort essentielle et existentielle de l'homme (H. Jonas, Le Principe de responsabilit) et chercher construire des politiques qui pourraient renverser cette logique mortifre. |
Axe B - Cependant la scientificit des sciences sociales fait dbat dans la socit des savants.
Axe C - La pluralit des paradigmes heuristiques et des mthodes d'investigation suscite un autre dbat portant sur leur pertinence et leur fcondit respectives.
On peut distinguer
trois types de paradigmes :
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*R. Aron, Les tapes de la pense sociologique : chapitre Montesquieu
* R. Aron, Les tapes de la pense sociologique : chapitre Auguste Comte
*A. Comte, Sociologie (choix de textes)
1 - Traiter les faits sociaux comme des choses Rgles de la mthode sociologique.
Pour Durkheim,
partisan du holisme ontologique, les faits sociaux ont une ralit sui generis, extrieure aux individus,
faonnant leur manire de penser, d'agir et de sentir.
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2 – Durkheim, prsupposant que le social est la cause efficiente des actions individuelles, tiendra pour prouve par l'exprience sa thorie du suicide.
*R. Aron, Les tapes de la pense sociologique : chapitre Durkheim
*Durkheim, Les Rgles de la mthode sociologique / Sociologie et philosophie
1 – Par individualisme mthodologique, j'entends la doctrine suivant laquelle tous les phnomnes sociaux, leur structure et leur changement sont en principe explicables d'une manire qui implique les seuls individus avec leurs qualits, leurs objectifs, leurs croyances et leurs actions. L'individualisme prtend expliquer le complexe par le simple J. Elster, Karl Marx.
→ Chapitre : Ontologie du
fait social
2 – La sociologie est une science comprhensive de l'action humaine : La possibilit donne l'observateur de comprendre l'observ ne le dispense pas de soumettre son interprtation une critique rationnelle dont les moyens ne se distinguent pas fondamentalement dans les sciences de la nature et dans les sciences sociales R. Boudon, Dictionnaire de sociologie, action
*Goffmann, Mise en scne de la vie quotidienne
La
microsociologie amricaine, issue de l'cole de Chicago, se consacre
l'exploration des relations sociales apparemment les plus tnues et
insignifiantes. L'cole interactionniste, reprsente notamment par Herbert
G. Mead, Howard Becker et Erving Goffman, se donne pour tche de dcrire les
interactions sociales comme des processus de ngociation au cours
desquelles chacun produit une certaine image de soi, et interprte celle de
l'autre. Pour ce faire, l'individu mobilise ncessairement sa connaissance du
monde social : il engage en effet dans les interactions un certain
nombre de signes sociaux (conduite corporelle, manire de parler, de
s'habiller) qui n'ont d'efficacit que s'ils sont reconnus par les autres, ce
qui suppose un univers social commun. Mme s'il ne contrle pas tous les
signes attachs sa personne (qui sont lis son histoire et son statut)
il peut plus ou moins en jouer pour orienter la trame des interactions.
|
Axe D - tude de quelques phnomnes sociaux considrs chacun comme fait social total (que M. Mauss, Sociologie et anthropologie, dfinit comme l'objet qui ncessite qu'on se penche sur tous les domaines de la vie sociale pour en cerner la signification) et pour lesquels tel ou tel de ces paradigmes est plus particulirement clairant.
Axe E - Dans le cadre d'un questionnement sur les modalits et les finalits de la connaissance de la socit, on peut se demander, plus largement, si la science est indpendante de la socit.
1 – L'analyse du processus de connaissance scientifique
2 – Cette analyse plaide pour la thse d'une rationalit interne transparente, pour la distinction entre contexte de dcouverte et contexte de justification (K. Popper, La Logique de la dcouverte scientifique) ; les dcouvertes scientifiques ont une validit indpendante de la socit qui les a produites.
1 – I. Prigogine dans La Nouvelle alliance, affirme l'interaction forte entre les questions produites par la culture et l'volution de la science au sein de cette culture . Plus spcifiquement en ce qui concerne la sociologie, A. Touraine invite analyser les socits post-industrielles sans l'aide des notions forges pour les socits industrielles Le Retour de l'acteur.
2 – Selon A. Comte il y a une cohrence ncessaire entre l'tat des connaissances et l'organisation sociale
*R. Aron, Les tapes de la pense sociologique : chapitre A. Comte
*A. Comte, Sociologie (choix de textes)
3 – P. Feyerabend, dans Contre la mthode,
entreprend la dmystification de l'objectivit scientifique : Ce
processus de formation des thories scientifiques s'est rvl le plus souvent
tre un enchevtrement htroclite de croyances religieuses, de prsuppositions
mtaphysiques et d'analogies inattendues. L'activit intellectuelle des
scientifiques semble la fois fconde et limite par leur adhsion des
croyances. Non seulement la connaissance n'est pas l'abri des croyances
ambiantes mais elle ne saurait exister sans elles.
4
– B. Latour, dans La Vie de laboratoire (1971), montre que le dveloppement de la science n'est
pensable que comme la runion des efforts organiss de la communaut
scientifique. Par consquent, ce dveloppement reflte les rapports de forces
sociales prsents l'intrieur des institutions de recherche et
d'enseignement, prsents par le biais des orientations et des choix de
priorits dans l'tablissement des budgets de recherche. Foucault affirme
les rapports de savoir sont surdtermins par les rapports de
pouvoir Dits et crits, VI.
5 – Les sciences sociales tendent travailler sur la place publique, choisir les thmes d'tude en fonction des besoins du moment autant qu'en fonction des ncessits internes et veiller l'intrt de publics varis R. Boudon, L'Idologie.
6 – Certains dfendent la vocation sociale de la science : Le triomphe universel de la science arrivera assurer aux hommes le maximum de bonheur et de moralit M. Berthelot, Science et morale ; E. Renan : Organiser scientifiquement l'humanit, tel est donc le dernier mot de la science moderne, telle est son audacieuse mais lgitime prtention L'Avenir de la science.
1
– Compte-tenu de II, I n'est pas recevable : il faut donc dmystifier
cette image d'pinal d'une science pure .
2
– Mais considrer que la production du savoir scientifique est rduite
aux rsultats de luttes d'influence et de rapports de force sociales est faux.
Et en conclure que la connaissance scientifique n'est que celle des puissants
du jour est absurde. On refusera la dissolution sociologiste de l'ide de
science.
3
– Donc il s'agit de prendre en compte l'enracinement social de la
connaissance scientifique dans une volont de mettre un terme une vision
idalise de la science sans dire que la science n'est qu'une construction
sociale et en insistant sur les multiples dimensions de l'activit scientifique
tant culturelle, sociale, psychologique, conceptuelle et exprimentale.
1 – La rception enthousiaste, mfiante, critique de la science a toujours t socialement dtermine (de la condamnation religieuse un certain dsenchantement selon Weber, en passant par l'loge triomphaliste scientiste ou par la conviction que la science est ce qui fait avancer la socit .
2 – Lorsqu'un nouveau produit de la technique est introduit sur le march comme une option qu'on peut choisir ou refuser, le produit ne demeure pas forcment optionnel. Dans de nombreux cas, la nouvelle technologie modifie la socit un tel degr que les gens sont finalement obligs de s'en servir . Unabomber, L'Avenir de la socit industrielle.
3 – l'aube du XXIe sicle, les enjeux
philosophiques, moraux, sociaux de la technoscience sont de plus en plus
cruciaux, qu'il s'agisse de la mdecine prdictive, des nanotechnologies, des
biotechnologies, ou des techniques de communication.
4 – Rapport du Conseil conomique, Social et Environnemental de Bretagne sur l'appropriation sociale des sciences (disponible sur leur site).
Axe A – En fonction de raisons historiques ou idologiques, on rpondra oui ou non ou on considrera que la question est mal pose.
1 – P. Clastres, dans La
Socit contre l'tat, montre qu'il existe des socits sans tat et donc que
l'tat n'est pas consubstantiel la socit.
→ Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?
2
– Il n'y a pas chez les penseurs grecs de l'Antiquit de concept
correspondant ce que la pense moderne nomme socit ni, donc, de distinction
entre socit et tat ; ils ont forg le concept de cit, lieu du politique
distinct de celui de famille, lieu de l'conomie domestique.
*Platon,
La Rpublique
*Aristote,
La Politique
1 – La socit anarchiste ne veut ni Dieu, ni matre : Le gouvernement des hommes doit tre remplac par l'administration des choses et par des associations de citoyens en autogestion Proudhon, Correspondance La conscience prive forme par le dveloppement de la science et du droit suffit seule au maintien de l'ordre et la garantie de toutes les liberts Proudhon, Correspondance.
2 – La socit communiste verra s'teindre l'tat.
*Marx
Manifeste du parti communiste
3 – La socit ultra-librale se veut une socit de march F. Hayek, La Route de la servitude.
4 – La socit librale aspire se passer de tout tat interventionniste pour n'admettre qu'un tat protecteur des droits des individus.
1 – La socio-gense de l'tat (la formation de l'tat est un processus historique), montre que : L'tat comme organe de rflexion de la socit est rattach au dveloppement de la socit organique Durkheim, Sociologie et philosophie Parmi toutes les formes de vie collective, les tats sont passs dans le monde entier au premier rang des units de survie N. Elias, La Socit des individus.
2 – Hegel, dans Les Principes de la philosophie du droit, forge la distinction entre socit civile et tat ainsi qu'une rflexion sur leurs relations (NB : le sens hglien de socit civile se distingue radicalement du sens que les thoriciens du contrat social donnent cette expression).
*Hegel, Principes de la philosophie du droit
→ Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?
1
– Hobbes, Lviathan
2
– Rousseau, Du contrat social
Axe B – Les socits qui ne se passent pas d'tat lui donnent comme rle de leur assurer de survivre (N. Elias, La Socit des individus) et/ou de bien vivre (Aristote, thique Nicomaque).
1 – Certes l'accord social est assez facile
trouver quand il s'agit de savoir ce que l'tat doit faire pour assurer la
survie de la socit.
2
– Par contre il y a dsaccord au sein de la socit sur la question de
savoir si l'tat doit privilgier la scurit ou la libert : Hobbes versus
Rousseau.
3
– Par contre il y a dsaccord au sein de la socit sur la
question de savoir s'il faut promouvoir un tat-Providence ou un tat minimal :
Pense sociale-dmocrate versus pense librale.
4
– Par contre il y a dsaccord au sein de la socit sur la
question de savoir si l'tat doit dfendre l'idal rpublicain ou le
communautarisme.
5
– Par contre il y a dsaccord au sein de la socit sur la question de
savoir si viser la satisfaction des intrts particuliers est contraire au bien
commun ou y contribue : la main invisible versus le
contrat social .
6
– Et s'il y a unanimit du corps social exiger qu'il promeuve la
justice sociale, le corps social est divis sur le sens donner cette
justice sociale.
→ Chapitre : La justice est la premire vertu des institutions sociales
1 – Il serait illgitime de rduire le rle de l'tat l'organisation de la survie de la socit : C'est seulement dans l'tat que l'homme a une existence conforme la raison Hegel, La Raison dans l'histoire.
2 – Toutefois si on estime que devoir actualiser
une forme de bien vivre inscrite ncessairement dans la vie en socit est une
vue de l'esprit, viser le bien-vivre peut tre prjudiciable au corps social.
3
– Quoi qu'il en soit, ces mises en garde ne signifient pas ncessairement
dnier au politique le droit de prendre en charge le social ; on peut rcuser
l'absorption du politique par le social.
Axe C – Quelles relations doivent tisser socit et tat afin que la socit n'apprhende pas l'tat comme le plus froid des monstres froids Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra ?
1 – Manipuler l'opinion publique, tre sourd
toute interpellation du corps social.
2 – Se laisser infoder des intrts partisans et instrumentaliser l'appareil d'tat leur service.
3
– tre un tat totalitaire,
nier la pluralit constitutive de toute socit, rgenter tous les domaines de
la vie sociale, interdire tout cart entre les volonts des acteurs sociaux et
celles de l'tat, organiser un immense rseau bureaucratique destin tout
contrler.
4
– Les utopies anti-tatiques prennent acte de
ces drives toujours possibles par lesquelles l'tat devient l'ennemi de la
socit : F.Hayek, dans La Route de la
servitude, affirme que le libralisme conomique est le seul rempart contre
le totalitarisme politique.
5
– Et plus largement, il est toujours possible que la distinction entre la
socit et l'tat exprime le sous-entendu anti-tatique
de la notion de socit. N. Elias, La Socit des individus.
1
– Le danger de la libert moderne c'est qu'absorbs dans la jouissance
de notre indpendance prive et dans la poursuite de nos intrts, nous ne
renoncions trop facilement notre droit de partage dans le pouvoir
politique B. Constant, De la libert des anciens compare celle des
modernes. Un gouvernement qui sera fond sur le principe de la
bienveillance envers le peuple tel du pre envers ses enfants, c'est--dire un
gouvernement paternel o par consquent les sujets sont obligs de se comporter
de manire uniquement passive [] un tel gouvernement est le plus grand
despotisme que l'on peut concevoir Kant, Thorie et pratique. Chacun
d'eux, retir l'cart, est comme tranger la destine des autres ; ses
enfants et ses amis forment pour lui toute l'espce humaine [] Au-dessus de
ceux-l s'lve un pouvoir immense et tutlaire qui se charge seul d'assurer
leur jouissance [] il est absolu et doux Tocqueville, De la
dmocratie en Amrique.
2 – La dfiance l'gard des politiques peut
devenir la dfection du politique, laissant l'tat agir sans contre-pouvoirs.
3
– L'incivilit, l'incivisme, la diffrence de la dsobissance
civique, sont des formes de dmission plus que des formes de contestation
revendiquant une meilleure articulation de L'tat et de la socit.
1 – Ceci suppose une cohrence entre le
rgime politique d'une part et les murs, aspirations, valeurs sociales d'autre
part : La distinction des types de gouvernements chez Montesquieu est en
mme temps une distinction des organisations et des structures sociales
R. Aron, Les Grandes tapes de la pense sociologique.
*R. Aron, Les Grandes tapes de la pense
sociologique, chapitre Montesquieu
2
– Ceci suppose un tat modeste, non interventionniste mais
stratge, garant de la paix, de la justice sociale et des liberts, relais
actif de la participation dmocratique des acteurs sociaux.
3
– Ceci suppose des acteurs sociaux jouant leur rle de citoyen dans
le processus de dcision politique.
→ Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?
→ Chapitre : Une socit a-t-elle besoin de philosophes ?
→ Chapitre : La justice est la premire vertu des institutions sociales
Axe D – Les socits se manifestent sur la scne internationale par l'intermdiaire de leurs tats mais aussi indpendamment d'eux et parfois contre eux.
1
– Certes l'histoire des relations entre les socits a t bien souvent
sous le signe de la guerre.
2
– Cependant dans le Projet de paix perptuelle, Kant examine
comment une socit des nations se forgera et constituera la
fin heureuse de l'histoire conflictuelle des socits.
→ Chapitre : Pas de socit sans histoire
3
– Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, pour viter les guerres,
pour les faire cesser mieux ou plus vite et pour faire face aux menaces
communes ( toutes les socits), ont t forges des units de survie
supranationales N. Elias, La Socit des individus.
1 – Les entreprises, les lobbies peuvent
chercher, par la voie internationale, consolider leurs positions sociales.
2
– tre membre d'une socit, c'est aussi possiblement tre un citoyen du
monde fdrant des projets, des luttes sociales ou des actions politiques avec
des membres d'autres socits.
Axe A - La culture constitue la socit.
1 – Commentaire
2
– La socit survit grce sa culture, qu'elle produit et
transmet R. Linton, De l'homme.
1 – La vie sociale [animale] est immanente l'instinct Bergson Les Deux sources de la morale et de la religion.
2 – La vie sociale [humaine] est immanente l'intelligence Bergson Les Deux sources de la morale et de la religion.
3 – Ces deux ressorts distincts de la vie
sociale sont ceux-l mmes qui diffrencient les cultures symboliques humaines
des proto-cultures animales.
→ Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?
1 – L'anthropologie sociale structurale se donne
pour tche de retrouver ce qui est ncessaire toute vie sociale, c'est--dire
les a priori de toute socit humaine.
2 – Faire ressortir derrire les donnes
phnomnologiques variables des socits les mcanismes invariants sous-jacents
qui ordonnent ce donn et lui confrent un sens F. Hritier, Masculin/Fminin
*C.
Lvi-Strauss, Anthropologie structurale.
1 – Quelques exemples.
2
– Ces diffrences culturelles se manifestent notamment dans la faon dont
chaque socit construit son rapport la nature.
*P.
Descola, Par del nature et culture
*M.
Mauss, Sociologie et anthropologie
*N.
Elias, La Civilisation des murs
*L.
Dumont, Homo hierarchicus
Axe B – Toute socit mais aussi tout groupe social se reconnat (dans tous les sens du terme) par sa culture.
1 – La culture est le moyen privilgi par
lequel une socit veut saisir et afficher son identit : la politeia athnienne constitue un paradigme pour la socit
athnienne du V av JC.
2
– Chaque socit se reconnat en comparant sa culture celles d'autres
socits.
→ Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?
3
– C'est quand l'influence de tel trait culturel diminue, s'accentue,
disparat ou apparat qu'une
socit voit son identit se transformer.
*E.
Morin, La Mtamorphose de Plozevet.
→ Chapitre : Pas de socit sans histoire
1 – Puisque l'identit est toujours un rapport l'autre c'est dans le cadre
des relations entre les groupes sociaux aux traits culturels spcifiques que se
produit l'affirmation ou l'assignation identitaires. Cette identit se
reconstruit constamment au sein des changes sociaux et est l'enjeu de luttes
sociales. Un exemple les Hmong rfugis du Laos en France dans les annes 1970.
2
–On peut tablir des
corrlations clairantes entre faits culturels et classes sociales : Max Weber constate une congruence
entre l'thique protestante et l'mergence de la classe des entrepreneurs
capitalistes.
3
– Dans un espace social donn, il existe toujours une hirarchie
culturelle. S'inscrire dans telle ou telle culture est une faon subie ou
revendique de se situer socialement hirarchiquement : Les
individus et les groupes investissent dans les luttes de classement tout leur
tre social, tout ce qui dfinit l'ide qu'ils se font d'eux-mmes, tout
l'impens par lequel ils se constituent comme nous par opposition eux aux
autres P. Bourdieu, Actes de la recherche en sciences sociales n 35
4
– Thorstein Veblen dans sa Thorie de la
classe de loisir (1899)
labore une typologie des comportements de loisir dans la socit industrielle;
ceux-ci sont autant de critres de distinction sociale.
*B.
Lahire, La Culture des individus
Axe C - Comme l'identit culturelle d'une socit se confronte la diversit culturelle des autres socits, se posent des problmes thoriques et pratiques, enjeux de vifs dbats de socit .
→ Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?
1 – L'attitude la plus ancienne [] consiste rpudier purement et simplement les formes [] sociales qui sont loignes de celles auxquelles nous nous identifions Lvi-Strauss, Race et histoire.
2 – Selon la doctrine raciste, l'identit
culturelle des socits tant dtermine par des caractres physiques
hrditaires de leurs membres, discriminants, il est ncessaire de prserver les
socits suprieures de tout mlange et d'affirmer le droit de dominer les
autres socits : Ainsi, le cervelet du Huron contient en germe un
esprit tout fait semblable celui de l'Anglais et du Franais ! Je
serais en droit de lui demander ce Huron, s'il est gal nos compatriotes,
d'o vient que les guerriers de sa tribu n'ont pas fourni de Csar ni de
Charlemagne A. Gobineau, Essai sur l'ingalit des races humaines.
3
– La rfutation scientifique du racisme conduit logiquement au refus
d'tablir une discrimination entre les socits, au refus de traiter les unes
plus mal ou mieux que les autres.
→ Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?
1
– Samuel
Huntington Le Choc des
civilisations (1996)
2
– Contrairement S.
Huntington, on peut prner le dialogue des civilisations dans un double
mouvement permanent de fermeture et
d'ouverture
→ Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?
Axe D – Les socits contemporaines sont de plus en plus multiculturelles ; assurer la cohrence et la cohsion de la socit est plus dlicat et les stratgies identitaires des acteurs sociaux sont multiples.
→ Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ?
1 – Les mutations sociales contemporaines
donnent cette question toute son actualit.
2
– La pluralit culturelle peut tre perue comme une menace d'implosion
sociale si une identit culturelle de rfrence est considre comme la seule
vraiment lgitime.
3
– moins de ne pas avoir peur d'une identit syncrtique, les acteurs
sociaux se forgeant une identit
multidimensionnelle, une identit-rhizome (Deleuze, Pourparlers),
une identit crolise (E. Glissant).
1 – L'effort des minoritaires vise transformer
une identit connote ngativement socialement en identit connote
positivement socialement : Black is beautiful.
2
– Un mme groupe culturel
peut exploiter sa rfrence identitaire de faon trs diffrente dans des contextes
sociaux diffrents : les Hatiens immigrs New York.
Axe E – Les phnomnes culturels (si on se rfre au deuxime sens de culture : les pratiques et les politiques qui dveloppent les facults intellectuelles et artistiques ) ne recouvrent pas l'ensemble des phnomnes sociaux.
1 – On le saisit dans l'occurrence le volet culturel d'une politique sociale .
2
– Tous les choix pour la vie en socit ne dpendent pas des orientations en
matire d'ducation culturelle.
→ Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?
→ Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ?
→ Chapitre : Peut-on concevoir une socit humaine sans art ?
→ Chapitre : Une socit a-t-elle besoin de philosophes ?
1 – La finalit de l'ducation platonicienne
est de promouvoir et de prserver la cit idale.
2
– la Renaissance, les humanistes laborent un programme d'ducation qui
doit contribuer la ralisation de cette socit idale qui permettrait chacun l'accomplissement de son
humanit.
3 – La socit de consommation et de divertissement rend un certain type de culture obsolte : La socit de masse ne veut pas de la culture mais les loisirs H. Arendt, La Crise de la culture.
4 – tudier la faon de constituer le fonds d'une bibliothque, qu'il s'agisse de l'institution sociale ou d'un bien personnel, tudier le rle et la valeur que socialement on lui accorde, permet de saisir l'ancrage social des valeurs culturelles.
Axe F – Par contre, puisque l'tre humain est un tre de culture (au sens anthropologique) et puisque socit et culture sont consubstantielles, on peut affirmer que tout phnomne humain est un phnomne social et qu'il n'existe pas d'individu pr-social ou naturel .
→ Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?
→ Chapitre : L'individu : un je de socit
1 – Tout un ventail de possibilits est
offert par la nature au moment de la naissance. Ce qui est actualis se
construit par l'interaction avec le milieu F. Jacob, Le Jeu des
possibles.
2
– Si l'engendrement est biologique, la filiation est proprement
sociale F. Hritier, Masculin-Fminin.
3
– On peut affirmer que les besoins n'existent pas et que la
distinction entre les besoins lmentaires que tout homme doit
satisfaire et les besoins secondaires qui ne sont pas essentiels la survie,
est absurde : tous les besoins sont des produits sociaux, et ils sont dfinis
par les moyens de les satisfaire que chaque socit met la disposition de ses
membres H. Mendras, Le Changement social.
→ Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?
4
– Affirmer que tout chez l'homme est socialement fabriqu, c'est prendre un
certain parti dans le dbat sur la question de savoir si les diffrences et les
ingalits de statuts et de fonctions au sein de la socit, sont fonds
naturellement : les enjeux sociaux et politique sont considrables.
→ Chapitre : La justice est la premire vertu des institutions sociales
Axe A – Toute ralit humaine et donc sociale est historique.
1
– Lvi-Strauss distingue les socits froides des socits
chaudes . Les socits froides ont labor une sagesse
particulire qui les incite rsister [] toute modification de leur
structure, qui permettrait l'histoire de faire irruption en leur sein Entretien
avec G. Charbonnier (1959).
2 – Le concept de ralit sociale historique n'est pas naturellement donn; il est construit socialement, M. Eliade note Le refus de l'homme archaque de s'accepter comme un tre historique Le Mythe de l'ternel retour.
3
– Les utopies se pensent comme des socits sans histoire(s). Campanella,
dans La Cit du soleil (1623) imagine une socit rgle harmonieusement
une fois pour toutes grce une vie simple et la mise en commun de tous les
biens.
1 – Socit et histoire sont consubstantielles
car l'historicit, le conflit, l'innovation sont constitutifs de l'existence
humaine, mais certaines conditions sont ncessaires pour accder la
reprsentation de la ralit comme histoire.
2
– C'est par ethnocentrisme que certains ont assimil les socits
primitives des socits sans histoire.
3
– Par dfinition les utopies relvent de l'imaginaire, on ne peut y voir
une preuve qu'une socit puisse chapper l'histoire, aux histoires.
1 – C'est une des tches des historiens de
connatre le pass de telle ou telle socit,
2
– Mais la question de savoir quand et comment est apparue la vie en
socit est probablement inadquate.
→ Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?
3 – Les thories qui distinguent l'tat de
nature de l'tat social, les thories du contrat social ou celles qui postulent
un acte inaugural (une crmonie (Durkheim), l'invention de la prohibition de
l'inceste (Lvi-Strauss) ne prtendent absolument pas faire la gense
historique du phnomne social.
→ Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?
Axe B - Toute socit (se) raconte son histoire.
1 – C'est une des tches des historiens
d'expliquer tels ou tels phnomnes politiques, culturels, sociaux tel
moment de l'histoire de la socit tudie.
2
– Les enjeux sociaux du travail des historiens sont indniables.
→ Chapitre : Nature et socit sont-elles au mme titre objet de science ?
3
– Cette interaction entre histoire et socit se manifeste galement par
le fait que l'historien interroge le pass partir de questions que le prsent
dtermine socialement : L'histoire n'est jamais l'histoire, mais
l'histoire-pour Lvi-Strauss, La Pense sauvage.
1 – La mmoire collective, tisse de
tmoignages, de mythes et d'histoires, construit pour une socit son identit
narrative. Joinville
au XIVe sicle crit Le Livre des saintes paroles et des bonnes actions de
Saint Louis liant l'histoire nationale de la France l'idalisation de la
personne royale (le bon roi qui rend la justice sous un chne en toute quit).
→ Chapitre : Peut-on concevoir une socit humaine sans art ?
2 – Des maximes, proverbes, sentences racontent toujours les mmes histoires concernant les passions motrices des acteurs sociaux engags dans l'histoire : Si tu es promu la fonction comportant une part honorifique, fais nommer en mme temps que toi ton rival, pour viter qu'il ne suscite des troubles : tu lui laisseras la part honorifique de la fonction en en conservant la jouissance relle Mazarin, Brviaire des politiciens. Les flaux physiques et les calamits de la nature humaine ont rendu la socit ncessaire. La socit a ajout aux malheurs de la nature. Les inconvnients de la socit ont amen la ncessit du gouvernement, et le gouvernement ajoute aux malheurs de la socit. Voil l'histoire de la nature humaine Chamfort, Maximes et penses, caractres et anecdotes.
Axe C – Toute socit, par ses dynamiques internes, fait son histoire.
1 – Chaque socit est soumise la dialectique
de l'ordre et du dsordre : Reprenons la loi du devenir historique
[selon Montesquieu]. Tout est command par le rapport existant entre la nature
et le principe. Si ces deux termes sont accords (Rome rpublicaine et romains
vertueux) la totalit de l'Etat est paisible. Si c'est deux termes sont
contradictoires (Rome rpublicaine et des Romains qui n'ont pas de vertu) la
crise clate. Le principe n'est plus celui que veut la nature du gouvernement ;
la forme du gouvernement va tenter de changer jusqu' ce que un nouvel accord
se dessine L. Althusser, Montesquieu, La Politique et l''histoire.
2
– Les modalits et les finalits du changement social au cours de
l'histoire d'une socit.
3
– Les mouvements sociaux sont un des moteurs de l'histoire de la socit
qui les voit/fait natre.
*E.
Neveu, Les Mouvements sociaux
4
– L'histoire de la socit moderne, par exemple, est faite de
diversification, de complexification, de rationalisation.
→ Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?
*M.
Weber, conomie et socit
*G.
Simmel, Philosophie de l'argent
1 – Quand des actions sociales deviennent des
actions historiques : la prise de la Bastille en 1789.
2
– Quand une socit a rendez-vous avec l'histoire et est un tournant de
son histoire : Polybe de Megalopolis a cru devoir remarquer que les
Romains n'ayant pas fait de grandes conqutes durant des sicles [] sont
monts en moins de cinquante-trois ans un si haut point de puissance qu'ils
ont rduit leur obissance, l'Italie, l'Afrique et l'Espagne Zozine, Histoire romaine (XVe sicle).
Axe D – Certains font l'hypothse qu'il y a un sens de l'histoire dont les forces sociales sont les acteurs et les instruments : la comprhension du social passe par une philosophie de l'histoire : L'gyptien ne pouvait exister sans l'Oriental, le Grec btit sur l'un et sur l'autre, le Romain s'lve sur les paules du monde entier le monde se dirige vers quelque chose de grand ! Herder, Une autre philosophie de l'histoire.
1 – Kant : Ide d'une histoire universelle d'un
point de vue cosmopolitique.
→ Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?
2 – Marx : Le Manifeste du parti communiste.
3 – Comte : Systme de politique positive
→ Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?
*R.
Aron Les tapes de la pense sociologique : Chapitre Comte
*A.
Comte, Sociologie (choix de textes)
4
– Si l'on se situe dans le cadre d'une tlologie historique positive,
l'avnement de la socit la plus accomplie signifie la fin de l'histoire (au
sens de parachvement), que celle-ci prenne la forme de la socit
communiste (Marx), celle de la socit industrielle devenant la
socit de l'humanit entire (Comte) ou de la dmocratie
librale (F. Fukuyama, dans La Fin de l'histoire ou le dernier homme dclare La fin de
l'histoire est un fait rel ).
→ Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?
→ Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?
1 – Une socit peut provoquer son
autodestruction comme l'analyse J. Diamond, Effondrement
(la rivalit ostentatoire des chefs sur l'le de Pques se manifestait par
l'rection de statues toujours plus imposantes, exigeant bois, cordes,
nourritures en telle quantit que cela a conduit l'puisement de toutes les
ressources et la disparition de cette socit) ou comme le prdit J. Ellul dans Le
Systme technicien.
2 – Certains philosophes de l'histoire, comme O.
Spengler dans Le Dclin de l'Occident, postulent que toute socit nat,
accde son plein panouissement puis est voue la dcadence et la mort.
1 – Affirmer que les socits sont soumises au
sens de l'histoire est une option mtaphysique indcidable; on peut faire avec
Popper, dans Misre de l'historicisme (1956), la critique de cette option.
2
– La problmatique de l'action sociale n'est plus identifiable au
mouvement de l'histoire La socit tait dans l'histoire,
maintenant l'histoire est dans la socit A. Touraine, Sociologie de
l'action.
Si
la vertu de justice apparat comme minemment sociale, malgr ses autres
domaines d'application, c'est parce que l'ide de justice contient celle d'une
juste proportion. Or dans toute socit existent des positions auxquelles sont
attachs des avantages plus ou moins importants et d'autres auxquelles sont
attachs peu ou pas d'avantages ; toutes les socits sont traverses par
des relations dissymtriques entre les individus, relations dans lesquelles
certains ont plus d'atouts, de privilges, de commodits que d'autres. Par
consquent se pose ncessairement collectivement la question de savoir comment
penser et promouvoir une juste rpartition des charges et des profits.
On
traitera ici la justice en tant que pratique sociale plus ou moins efficiente
ou dfaillante et non dans le cadre du dbat moral sur les fins
inconditionnelles de l'existence ( c'est juste signifie alors
ceci est bien proportionn la conception qu'on doit se faire de ce qui
est vraiment bon pour l'homme , par exemple il peut tre juste d'tre
sage, et d'apprendre mourir, ou de faire son salut spirituel). Par
consquent, quand on parlera d'un comportement juste ce sera au sens d'un
comportement lgal ou d'un comportement jug lgitime sur le plan de la justice
sociale et non au sens d'un comportement vertueux.
Axe A - La justice est la qualit essentielle que doivent avoir les institutions sociales pour assurer le bon fonctionnement d'une socit.
Dans le cadre d'une enqute d'opinions commande par le colloque de novembre 2011, anim par La Rpublique des ides, Grenoble et intitul vivre ensemble , la question : Qu'est-ce qui constitue une menace au vivre ensemble ? 65% des personnes interroges ont rpondu les ingalits sociales , 26% les personnes d'origine ethnique et religieuse diffrentes , 9% le repli communautaire .
L'allgorie de la justice telle qu'elle se prsente
dans la tradition littraire ou picturale occidentale, est une femme aux yeux
bands (symbolisant l'impartialit) et tenant une balance (symbolisant
l'quilibre d'une gale rpartition). Ainsi sera juste le fait d'obtenir, en
bien ou en mal, quelque chose qui est proportionn ce qu'on doit recevoir
compte-tenu de ce qu'on est, de ce qu'on a, de ce qu'on fait.
*Aristote,
thique Nicomaque, V
1 – Tous les hommes sont d'avis que le juste
consiste dans une certaine galit Mais quelle sorte d'galit c'est un point
qui ne doit pas nous chapper car il contient une difficult fondamentale de la
philosophie politique Aristote, thique Nicomaque, V. Dfinira-t-on la justice par
l'galit proportionnelle ? par l'galit indistincte
formelle ou juridique ? par l'galit indistincte des
conditions ? et/ ou par l'quit ?
*Aristote,
thique Nicomaque, V
2
– L'ingalit caractrise le fait qu' une diffrence entre des individus
est associ un avantage ou un dsavantage. L'ingalit c'est une diffrence
classe hirarchiquement. La discrimination, quant elle, est une ingalit
illgale.
3
– Il faut distinguer la justice comme institution sociale qui dit le
droit, sanctionnant les infractions la loi et la justice comme exigence
morale d'atteindre l'idal social de justice.
1 – Justice et injustice ne sont en rien des facults du corps et de l'esprit [] ce sont des qualits relatives l'homme en socit et non l'homme solitaire Hobbes, Lviathan chap. 13.
2
– Rousseau, dans le Discours sur l'origine et les fondements de
l'ingalit parmi les hommes invite ne pas confondre la piti
rpugnance voir souffrir son semblable qui est une
maxime de bont naturelle avec cette maxime sublime de
justice raisonne qui doit tre le pilier d'une socit juste.
*
Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalit parmi les
hommes
3 – Hume dans le Trait sur la nature humaine explique
que compte tenu que nos ides naturelles de la moralit se conforment
la partialit de nos affections et compte-tenu que le remde ne
provient pas de la nature mais de l'artifice , alors le principe de la
justice est l'artifice social qui permet de forger un monde commun l o la
nature n'invite qu' une gnrosit restreinte (id).
4
– En pointant le paradoxe pistmologique et ontologique de la thorie
ultra-librale, on peut dfendre l'ide selon laquelle la main
invisible du march ne suffit pas rgir quitablement les rapports
sociaux : la justice doit tre socialement institue.
1 – Toute socit attend que ses membres aient un esprit de justice : Par juste, j'entends celui qui dsire que chacun soit en possession de ce qui lui revient Spinoza, Trait Politique.
2 – Tout membre d'une socit attend que sa
socit soit juste son gard : Quand nous parlons de droit d'une
personne sur une chose, nous voulons dire que cette personne est fonde
exiger de la socit qu'elle la protge et la maintienne en possession de cette
chose par la force de la loi J. Stuart Mill, De la libert.
3 – Comme le remarque picure, dans Maximes,
XXXVI La justice reprsente un avantage essentiel pour les relations
sociales. L'injustice est donc un des facteurs les plus puissants de
dsintgration sociale.
4
– La question de la justice est particulirement cruciale dans les
socits dmocratiques : Les peuples dmocratiques montrent un amour
plus ardent et plus durable pour l'galit que pour la libert
Tocqueville, De la dmocratie en Amrique, deuxime partie, chap. 1.
5
– La justice est tellement essentielle la vie sociale que les lois se
prsentent toujours comme justes, mme si la coutume fait toute l'quit
par cette seule raison qu'elle est reue Pascal, Penses, section
V, n 294, d. Brunschvicg.
Axe B – Corrlativement, il n'y a d'injustice que sociale.
1
– Si on pose la nature comme normative et ingalitaire, les ingalits
naturelles sont justes et la socit, si elle veut tre juste, doit les
inscrire dans son organisation : la nature divise les hommes en hommes
libres et en esclaves, voil ce qui est vident ; et, pour les esclaves,
l'esclavage est la fois utile et juste Aristote, Politique, I,
2.
*Platon
La Rpublique
2
– Si on pose la nature comme normative et galitaire, l'galit naturelle est
juste et la socit, si elle veut tre juste, doit inscrire cette galit de
tous dans son organisation. Une socit qui ne le fait pas est injuste.
Rousseau clame avec vhmence, dans son Discours sur l'origine et les
fondements de l'ingalit parmi les hommes : Que de crimes, de
guerres, de meurtres, que de misres, que d'horreurs n'et point pargn au
genre humain, celui qui arrachant les pieux ou comblant les fosss et cri
ses semblables : Gardez vous d'couter cet imposteur [le premier qui ayant
enclos un terrain osa dire ceci est moi ], vous tes perdus si
vous oubliez que les fruits sont tous et la terre personne .
*Rousseau,
Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalit parmi les hommes
1 – Dans une socit librale, l'galit
indistincte formelle est lgitime, toute ingalit devant la loi est injuste ;
en revanche l'galisation des conditions est illgitime, l'ingalit dcoulant
du mrite est juste.
2
– Pour une socit communiste, que certains soient propritaires et d'autres
non, serait injuste.
→ Chapitre : Pas de socit sans histoire
3
– Selon J. Rawls, les ingalits seront
rputes justes si elles profitent aux plus mal-lotis : Elles doivent
procurer le pus grand bnfice aux membres les plus dsavantags de la
socit Thorie de la justice
Axe C – Dans toutes les socits, s'lvent des voix nombreuses pour dnoncer les injustices sociales et ceci d'autant plus que plusieurs conceptions de l'idal de justice peuvent tre invoques. Par consquent rendre la socit plus juste reste la premire revendication sociale.
1 – Dans une perspective platonicienne, la cit
juste est une totalit organique o chacun assume la fonction sociale qui lui
est propre : les artisans produisent, les gardiens assurent la scurit et
l'ordre et les philosophes gouvernent. Une organisation collective qui ne se
conforme pas cette harmonie et n'tablit pas une juste proportion des hommes
et des tches, est injuste.
2
– Dans une perspective augustinienne, la seule socit juste serait celle
qui applique les principes de la cit cleste dans la cit terrestre. Ce sont
les comportements d'orgueil, d'envie, ainsi que le mensonge et l'gosme qui font
obstacle la justice en socit.
3
– Des acteurs sociaux anims par des idaux galitaires pourraient
dessiner la socit juste de leurs rves la manire de Sigismond, personnage
de Zola, dans L'Argent : La socit de l'avenir, cit de justice et
de bonheur dans laquelle il n'y a plus d'argent et des lors plus de
spculation, plus de vol, plus de classes hostiles, plus d'oisifs, plus de luxe
ni de misre ; par consquent les socits existantes domines par
l'argent leur paraissent profondment injustes.
4 – Les membres des socits dmocratiques ne pourront estimer leur socit juste que si elles font respecter l'galit formelle, combattent les ingalits relles criantes, offrent l'galit des chances, et veillent la reconnaissance de chacun dans le respect de sa dignit et de son autonomie. Au regard de ces exigences, bien des injustices sociales persistent dans ces socits.
Les
rponses la question de savoir comment rendre une socit plus juste varient
selon ce qu'on estime tre une socit juste et selon l'anthropologie qu'on
dfend.
Personne
ne peut ignorer les problmes thoriques et pratiques que chacune des rponses
peut poser. Personne ne peut ne peut ignorer non plus l'extrme difficult
trouver des solutions ces problmes. Mais pour autant aucune socit ne peut
laisser de cot la question de savoir comment tre plus juste.
1
– Doit-on chercher des solutions plutt du ct de la morale, de la
politique ou de la science ? Mais quel sens et quelle valeur accorder
cette recommandation de Camus : Soyons nous-mmes justes si nous voulons
des institutions justes Actuelles, 1946.
2 – Platon, dans La Rpublique, expose comment parvenir forger la cit juste. Mais Popper veut montrer dans La Socit ouverte et ses ennemis, qu'appliquer ce programme de justice sociale serait prcisment ne pas recevoir ce qui est d.
*
Popper, La Socit ouverte et ses ennemis
3
– Rousseau, dans Du contrat social, montre comment les conditions de
formation de la volont gnrale en font l'expression mme de la socit juste.
Mais que valent ces conditions ?
*Rousseau,
Du contrat social
4
– John Rawls, dans Thorie de la justice :
Je prsenterai [] les deux principes de la justice sur lesquels se
ferait un accord dans la position originelle : En premier lieu, chaque personne
doit avoir un droit gal au systme le plus tendu de liberts de base gales
pour tous qui soit compatible avec le mme systme pour les autres. En second
lieu, les ingalits sociales et conomiques doivent tre organises de faon
ce que, la fois (a) l'on puisse raisonnablement s'attendre ce qu'elles
soient l'avantage de chacun et (b) qu'elles soient attaches des positions
ouvertes tous. . Mais ce deuxime principe soulve des objections
fortes.
5
– P. Rosanvallon dans La Socit des gaux,
montre, que les socits dmocratiques contemporaines aspirent concilier les
principes de justice de l'galit, de la reconnaissance, du respect de
l'autonomie. Mais est-ce possible ?
Axe A – Les valeurs sociales, religieuses, esthtiques, conomiques sont les fondements normatifs de la socit ; elles ont donc une importance considrable dans la construction de la vie sociale comme de la cohsion sociale.
Les
valeurs d'une socit dsignent ce que la collectivit juge vrai, beau, bon Ce
sont les fondements normatifs de cette socit. On les distinguera des valeurs
d'un individu ; celui-ci peut partager les valeurs mmes de sa socit;
mais il peut ne pas les partager, en partager certaines mais pas toutes. Ce qui
ne l'empche pas de comprendre ces valeurs collectives qui prsident aux
interactions dans lesquelles il s'inscrit.
Les
valeurs d'une socit peuvent tre values selon deux critres :
a)
elles sont juges bonnes de par leur capacit remplir leur rle de socle
normatif (elles ont une lgitimit pragmatique) ; quand elles ne peuvent
pas ou plus valoir comme principes, elles sont abandonnes, restaures,
transformes. Ceci sera abord Axe A.
b)
elles sont juges bonnes ou pas (par tel ou tel membre de la socit ou par un
observateur extrieur) en fonction d'un idal moral, conomique, religieux, politique,
esthtique qu'elles contribuent ou pas raliser. Ceci sera abord Axe B.
1 – Les valeurs d'une socit sont l'expression
de prfrences et de croyances collectives; elles sont incarnes par les normes
qui orientent l'activit sociale comme par les moeurs
des acteurs sociaux.
→ Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?
→ Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?
2
– Montesquieu, en tudiant cet esprit gnral d'une socit
qui rsulte des valeurs exprimes dans la religion, les maximes du
gouvernement, les exemples des choses passes, les murs, les manires (L'Esprit
des lois, XIX, chap. IV), montre que celui-ci varie selon les lieux
et les circonstances : chaque socit a ses valeurs et ses normes. Ces
valeurs et ces normes sont relatives chaque socit.
→ Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?
→ Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?
3
– Les valeurs jouent un rle considrable dans l'organisation conomique
et sociale d'une collectivit comme dans son volution. Max Weber a montr,
dans L'thique protestante et l'esprit du capitalisme, comment les
valeurs protestantes d'asctisme et de rigueur ont contribu l'accumulation
du capital. Tocqueville, dans De la dmocratie en Amrique, a mis en
vidence comment l'essor de l'individualisme a favoris le despotisme mou
tatique.
4
– Dans certaines configurations sociales, des valeurs, dfendues
collectivement, sont un moteur de transformations sociales et de refondation :
Toute socit se forme, se rforme, se transforme l'aide d'une ide
Proudhon, Recherche sur le principe du droit et du gouvernement
5
– Nanmoins le pluralisme et parfois le conflit des valeurs au sein d'une
mme socit peuvent dchirer le tissu social.
→ Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?
1 – Certes on pourrait penser et/ou souhaiter le
contraire : Les vices des particuliers contribuaient la flicit
publique. [] Le luxe fastueux occupait des millions de pauvres. La vanit,
cette passion si dteste, donnait de l'occupation un plus grand nombre
encore Mandeville, La Fable des abeilles.
2
– Mais si on ne partage pas cette thse attribuant la nature une
finalit heureuse, on fera de la morale un ciment social : La morale
commence l o commence la vie en groupe, parce que c'est l seulement que le
dvouement et le dsintressement prennent un sens (E. Durkheim, expos
devant la socit franaise de philosophie, avril 1906). Au fond de
l'obligation morale, l'exigence sociale Bergson, Les Deux sources de
la religion et de la morale.
3
– Kant, dans Ide d'une histoire universelle d'un point de vue
cosmopolitique, montre que l'insociable sociabilit extorque aux
individus gostes une certaine moralit. Et plus celle-ci se manifeste, plus
la socit se conforme au droit et peut fonctionner correctement.
→ Chapitre : Pas de socit sans histoire
4
– La sociologie morale met en vidence comment les sujets sociaux
justifient leurs actions par leurs murs et par des motivations morales.
5
– R. Ogien dans La Panique morale,
analyse les implications de telle ou telle doctrine morale sur le traitement de
questions sociales telles que la prostitution, la gestation pour autrui,
l'euthanasie.
6
– Mais on peut prendre en compte la distinction entre la lgalit et la moralit
et considrer que les rgles juridiques socialement en vigueur doivent, seules, constituer le fondement normatif de la vie
sociale ; les normes morales rgissant la vie personnelle.
→ Chapitre : L'individu : un je de socit
Axe B – Une socit voit ses valeurs discutes en fonction de l'ide que ses membres se font d'une socit bonne : elles sont soumises des jugements de valeur.
On
prfre ici l'appellation socit bonne plutt que socit
juste car l'ide de socit bonne comprend davantage de qualits
couvrant davantage d'expriences de la vie sociale (ainsi une socit bonne est
une socit juste mais aussi une socit o il fait bon vivre, socit qui
garantit le bonheur de ses membres, socit qui aide leur accomplissement moral).
Pour
valuer une socit, on recourt toute une srie de qualificatifs pjoratifs
ou laudatifs : violente, en dclin, instable,
oppressive, scuritaire, scurisante, ouverte, en progrs, stable, juste,
injuste
Juger
la valeur des valeurs consiste examiner si elles expriment vritablement ce
que le corps social prfre et se demander comment on doit les hirarchiser.
On
aborde ici la question de savoir quelles valeurs dfendre sur le plan de
l'organisation sociale. On n'aborde pas ici la question de savoir quelle valeur
un individu peut donner la dimension sociale de son existence (par exemple
quelle valeur il accorde la russite sociale ; doit-il dire avec
Bourdieu : misre de l'homme sans mission ni considration
sociale ? doit-il se reprsenter les relations sociale comme une
comdie ?). On n'examinera pas non plus ici,
la manire des moralistes franais du XVIIIe sicle, les travers des hommes en
socit (cf. L'individu : un je de socit).
Ce
dbat sur la valeur accorder aux valeurs de la socit est crucial car tout
dbat de socit renvoie un conflit de valeurs.
Le
dbat sur la valeur des valeurs se formule dans les questions suivantes : telle
valeur porte par telle socit est-elle prcieuse ? coteuse ? Doit-on lui
attacher de la valeur ? Lui opposer une contre-valeur ? Est-elle
en fait sans valeur ?
Ne
pas confondre la bonne socit au sens de socit bonne et la bonne socit au
sens du groupe social qui se peroit et est peru comme ayant le plus de
prestige social.
1 - Certes les hommes ne peuvent pas ne pas vivre en
socit ; cela a-t-il une valeur positive pour autant ? Rousseau dans
Du contrat social, I, VIII, rpond oui : Ce passage de l'tat de
nature l'tat civil produit dans l'homme un changement trs remarquable en
substituant dans sa conduite la justice l'instinct []. Il devrait bnir sans
cesse cet instant heureux qui d'un animal stupide et born fit un tre
intelligent et un homme. Mais bien des voix s'lvent pour dplorer
l'alination inhrente toute vie sociale.
→ Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?
→ Chapitre : L'individu : un je de socit
2
– Qu'ils jugent bon ou mauvais de devoir vivre en socit, les acteurs
sociaux sont conduits apprcier positivement ou ngativement les valeurs de
leur socit ou les valeurs d'autres socits auxquelles ils la comparent.
→ Chapitre : La justice est la premire vertu des institutions sociales
→ Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?
→ Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?
On peut forger la conception de la socit bonne en
l'articulant des garants mta-sociaux indiscutables (Dieu, la nature, la
raison, l'histoire) ou bien au terme d'une discussion exprimant une
intentionnalit collective, tmoignant d'un engagement conjoint (quel type de
socit voulons-nous ? Quelle place accorder l'argent ? la
dignit des personnes ? la solidarit ? au
dveloppement personnel ?). Quoi qu'il en soit, la socit bonne est la
socit qui met en place ce qui est bon pour l'homme. Elle incarne la socit
qui doit tre.
Le
concept de socit bonne peut avoir le statut ontologique de
ralit venir ou celui d'idal rgulateur (le concept de socit
bonne n'est pas alors un concept sous lequel on pourrait subsumer une
quelconque ralit empirique mais un fil conducteur permettant de dgager des
principes de lgitimit).
Les
acteurs sociaux se rfrent leur conception de la socit bonne quand il
s'agit de mesurer l'cart entre la socit relle dans laquelle ils vivent et
la socit dans laquelle ils aimeraient vivre. Le plus souvent l'cart est
grand et atteste des dysfonctionnements de la socit relle ; quand l'cart se
creuse ou ne se comble pas, on parle alors de socit en crise.
La
rflexion sur la socit dont les valeurs seraient les bonnes valeurs relve du
domaine du prescriptif (normatif, axiologique) et non du domaine du descriptif.
1 – Pour Platon, une socit bonne serait une
socit qui cultive la justice chez ses membres comme dans son organisation : Une
cit sembl[e] prcisment tre juste quand les trois
groupes prsents en elles exerc[e]nt chacun leur
tche propre et elle nous sembl[e] modre ou encore
courageuse et sage en raison d'affections et de dispositions particulires de
ces mmes groupes. [] Nous porterons le mme jugement sur l'individu, s'il
possde dans son me lui ces mmes classes et qu'il prouve les mmes
affections qui y correspondent Platon, La Rpublique, IV.
→ Chapitre : La justice est la premire vertu des institutions sociales
→ Chapitre : Une socit a-t-elle besoin de philosophes ?
2
– Une socit bonne serait une socit qui ferait vivre l'esprit des Lumires.
→ Chapitre : Une socit a-t-elle besoin de philosophes ?
3
– Une socit bonne serait une socit qui va dans le sens de l'histoire,
s'loignant de plus en plus de toutes les formes d'alination.
→ Chapitre : Pas de socit sans histoire
4
– Une socit bonne serait une socit close, perptuant ses formes
traditionnelles d'organisation.
5
– Une socit bonne serait une socit de comptition, de croissance,
d'essor technologique incessant, d'hdonisme consumriste.
→ Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?
6
– Une socit bonne serait une socit de coopration, du care , du dveloppement durable.
7
– Une socit bonne serait une socit d'gaux, tolrant le polythisme
des valeurs, une socit ouverte.
→ Chapitre : L'individu : un je de socit
→ Chapitre : La justice est la premire vertu des institutions sociales
→ Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ?
8
– Dfinir ce qu'est une socit de valeur, c'est en mme temps disqualifier les
formes de socit qui s'cartent de cette configuration.
1 – Certes la plupart des acteurs sociaux
estiment que c'est parfaitement fond : Le rvolt au sens tymologique
fait volte-face. Il marchait sous le fouet du matre. Le voil qui fait face.
Il oppose ce qui est prfrable ce qui ne l'est pas. Toute valeur n'entrane
pas la rvolte mais tout mouvement de rvolte invoque tacitement une
valeur Camus, L'Homme rvolt.
2
– Mais certains mettent en garde contre les drives extrmistes d'un tel
projet ; il serait souhaitable de rechercher une meilleure socit
mais pas la meilleure socit.
*Popper,
La Socit ouverte et ses ennemis
3
– Et ce d'autant plus si on rcuse tout finalisme providentiel.
→ Chapitre : Pas de socit sans histoire
4
– Toutefois d'autres seront sensibles au jugement de Montesquieu dans L'Esprit
des lois selon lequel il n'existe pas de socit bonne ou mauvaise dans
l'absolu. De mme d'autres partageront le jugement de Lvi-Strauss dans Tristes
Tropiques : Aucune socit n'est foncirement bonne mais aucune
n'est absolument mauvaise ; toutes offrent certains avantages leurs
membres.
5
– Un autre type de contestation du projet de rechercher une meilleure
socit vient de ceux qui pensent comme Simmel, dans Philosophie de l'argent,
que la logique marchande toujours plus prsente dans les socits modernes
produit des pathologies sociales dplorables mais invitables.
*Simmel,
Philosophie de l'argent
6
– Une des contestations les plus radicales de tout projet de rforme
sociale viendra des renonants T.
Pavel, L'Art de l'loignement.
Axe C – Les acteurs sociaux sont amens galement valuer les moyens adquats mobiliser pour dessiner et promouvoir une socit meilleure.
1 – L'utopie dsigne une socit imaginaire idale o
tout est rgl au mieux ; les utopistes veulent faire de leur utopie le
contrepoint de leur socit qu'ils dsapprouvent radicalement : L'utopie
est un cart entre l'imaginaire et le rel qui constitue une menace pour la
stabilit et la permanence du rel K. Mannheim, Idologie et utopie.
2 – Mais elles annoncent des tyrannies qui risquent d'tre pires que celles qu'elles veulent abattre Ricur, Du texte l'action. Dans Les Possds, Dostoievski met en scne un utopiste Chigalev qui dit : J'ai crit une utopie mais j'ai un ennui. C'est que cette utopie je l'ai crite pour assurer la libert chaque individu du monde mais je me suis aperu que cette libert infinie dbouchait sur une contrainte absolue.
1 – A. Comte dduit les caractristiques de la
socit bonne de sa loi des trois tats. Mais cette loi est-elle autre chose
qu'un parti pris mtaphysique ?
→ Chapitre : Nature et socit sont-elles au mme titre objet de science ?
2
– Affirmer que les socits sont soumises au sens de l'histoire est une option
mtaphysique indcidable. On peut faire avec Popper dans Misre de
l'historicisme, la critique de cette option. Ou dire avec A. Touraine :
La problmatique de l'action sociale n'est plus identifiable au
mouvement de l'histoire Sociologie de l'action.
→ Chapitre : Pas de socit sans histoire
1 – Socrate, dans Criton,
recommande de ne pas entrer en rbellion contre les lois mme injustes ;
les discuter dans le cadre de procdures lgales est prfrable. Mais que faire
si/quand cette discussion est impossible ou impuissante ?
2
– Kant, dans Qu'est-ce que les Lumires ?, invite distinguer
l'usage priv et l'usage public de sa raison L'usage public de sa raison
doit toujours tre libre et il est le seul pouvoir apporter les Lumires
parmi les hommes ; l'usage priv peut souvent tre trs troitement limit
sans pour autant entraver notablement le progrs des Lumires. [] Je comprends
par usage public de la raison celui qu'en fait quelqu'un en tant que savant et
usage priv celui qu'il lui est permis de faire de sa raison dans une charge
civile. Mais est-ce si ais et efficace?
3
– Les partisans de la rforme dnoncent les effets pervers des
rvolutions. Les partisans des rvolutions dnoncent le caractre souvent
insuffisant des rformes.
4
– Le succs des actions non violentes n'est-il pas toujours fragile ?
5
– La complexit des socits contemporaines est telle que le sentiment
d'impuissance succde rapidement l'exaltation changer la socit.
*E.
Neveu, Sociologie des mouvements sociaux
6 – La discussion, dans l'espace public, propos des
bonnes valeurs pour la socit, bnficie des atouts du dbat dmocratique mais
aussi ptit des complexits de sa conduite ainsi que de ses dysfonctionnements
dmagogiques. En effet, les rapports de forces au sein d'une socit, les
artifices rhtoriques, les manifestations d'irrationalit de toutes sortes ne
font-ils pas peser un soupon sur les vertus de la raison communicationnelle
(Habermas, Thorie de l'agir communicationnel) ?
→ Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ?
Axe A - La rflexion de type philosophique sur la socit ne correspond pas vraiment aux attentes sociales le plus souvent utilitaires.
1 - Des questions ontologiques sur l'essence de la
socit et de la sociabilit, sur les rapports entre nature et socit.
→ chap Ontologie du fait social
2 – Des questions mtaphysiques sur la destine
des socits, sur le bien-fond ou non d'un rductionnisme sociologisant.
→ Chapitre : Pas de socit sans histoire
→ Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?
→ Chapitre : Nature et socit sont-elles au mme titre objet de science ?
3
– Des questions politiques sur l'articulation de l'autorit politique et
du corps social, sur la libert et la justice.
→ Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ?
→ Chapitre : La justice est la premire vertu des institutions sociales
4
– Des questions morales sur les rapports entre russite sociale et vie
bonne.
→ Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?
5 –
Des questions existentielles sur les rapports entre individu et socit :
Peut-on tre vritablement libre, vritablement soi-mme en socit ?
L'individu n'est-il qu'un produit social ?
→ Chapitre : L'individu : un je de socit
6
– Les questions des acteurs sociaux sont d'un autre type et ce sont
plutt vers les experts, les chercheurs, les religieux, voire les politiques ou
les amuseurs publics qu'ils se tournent.
1 – Les apports des sciences sociales la
connaissance des socits sont socialement prcieux. Ce sont vers eux que les
acteurs sociaux se tournent pour clairer leurs dcisions et leurs actions.
2 – Selon le scientisme, seuls les savants peuvent organiser au mieux la socit : La science domine tout ; nul homme, nulle institution n'aura une autorit durable s'il ne se conforme ses enseignements M. Berthelot, Science et morale. L'idal d'un gouvernement serait un gouvernement scientifique o des hommes comptents traiteraient les questions sociales comme des questions scientifiques et en chercheraient rationnellement la solution E. Renan, L'Avenir de la science.
Axe B – Pour plusieurs raisons, la socit peut se sentir mise en danger par la philosophie.
1 – Socrate se conduit comme une
torpille (Platon, Apologie de Socrate), rveillant les
consciences endormies dans le bon sommeil des ides reues ; il s'adresse
toutes les couches de la socit pour contester leurs certitudes.
2
– Les philosophes des Lumires cherchent promouvoir la raison afin de
construire un ordre social fond sur l'adhsion claire et non sur
l'obissance servile ; ceci passe par la critique systmatique des
superstitions, des autorits se rclamant de Dieu, de l'idologie d'Ancien
Rgime qui constituaient les piliers des socits europennes du XVIIIe sicle.
3
– Dans La Rpublique, Platon rappelle que Socrate fut condamn
mort par la cit qui se sentait menace dans ses fondements par le
questionnement socratique passant toutes les croyances et les valeurs
socialement admises au crible de la critique.
4
– Joseph de Maistre, contre le mouvement des Lumires, plaide pour
la chaleur maternelle des prjugs (Les Soires de
Saint-Petersbourg), le
respect des traditions et de l'autorit car ce sont les piliers de la socit.
1 – Donner des conseils aux princes ou aux
membres de la socit, voire mme tre philosophe-roi Platon, La
Rpublique
2 – Proposer des modles de socit bonne, la
manire de Platon configurant, dans La Rpublique, la cit idale ou
la manire de Kant pensant les conditions de la paix perptuelle dans Projet
de Paix Perptuelle.
→ Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?
→ Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ?
*Platon
La Rpublique
*Rousseau Du Contrat social
3 – Mais cet engagement des philosophes pour une
vie sociale idale est dangereux.
*K.
Popper, La Socit ouverte et ses ennemis
Axe C - condition de dissiper les malentendus qui peuvent sous-tendre aussi bien la mfiance sociale l'gard de la philosophie que la demande sociale de philosophie, on peut esquisser quelle serait la juste place des philosophes dans la socit.
a) La question des rapports entre un individu et sa
socit peut concerner aussi bien les socits animales que les socits
humaines. Toutefois elle a une coloration particulire quand on se place dans
le cadre des socits humaines. En effet seuls les individus humains adoptent
un point de vue la premire personne (je), il s'agit donc de savoir en quoi
consiste l'identit personnelle de ces individus qui sont ncessairement des
tres sociaux. b) Cette interrogation a une dimension ontologique, traite Axe A (individu et socit sont-ils deux entits substantiellement distinctes ?). Elle a une dimension pistmologique, traite Axe B (pour comprendre ce qu'est tel individu, sa faon de se comporter, ses croyances, ses valeurs, sa place dans la socit, doit-on chercher le dduire des structures sociales ?). Elle a une dimension existentielle, morale, politique qui sera traite Axe C et D (comment penser les relations des individus entre eux, Axe C ? et comment penser les relations d'un individu au tout social Axe D ?). c) Le cours se place du point de vue de l'individu en examinant la faon dont il fait l'exprience de son inscription dans sa socit; et non du point de vue de la socit (ceci a t abord dans le chapitre Faire socit ). d) Certes l'individu
dont on va examiner en quoi il est un je de socit, est un homme, appartient
au genre humain. Mais les deux termes individu /
homme ne sont pas interchangeables ; il est recommand
d'employer rigoureusement l'un ou l'autre terme. |
Axe A - On parle de l'individu et de la socit comme on parle du poivre et du sel ou de son pre et de sa mre. On manipule par la pense et par le langage deux concepts servant cataloguer globalement des phnomnes humains de deux niveaux d'observation indissociables comme s'il s'agissait de deux entits dont l'une pourrait exister sans l'autre N. Elias, La Socit des individus.
Si Elias donne pour titre son ouvrage : La Socit
des individus, c'est pour rompre avec la reprsentation commune de deux
substances spares (la socit des individus signifie que la socit est
faite d'interactions individuelles), ce n'est pas pour traiter des socits
hyper/post modernes (qu'assez communment on qualifie de socits d'individus
dsignant ainsi l'atomisation du social). |
→ Chapitre : L'ontologie du fait social
1 – Ce postulat selon lequel individu et socit
sont deux entits spares qui prexistent leur rencontre, semble confort
par l'tymologie, l'usage linguistique et l'exprience.
a)
L'individu dsigne une entit indivisible (sens tymologique), distincte du
reste qui a donc une existence indpendante. Un individu contient un principe
d'individuation qui le rend unique, c'est dire on peut le distinguer de toute
autre entit. On peut noter que l'individuel de tel individu peut avoir
beaucoup ou peu en commun ou rien, avec l'individuel de tel autre individu.
Cette dfinition vaut pour tout individu, qu'il
s'agisse des tigres blancs du Bengale dont les zoologues disent qu'il ne reste
que quelques individus, qu'il s'agisse des tortues de mer gantes ou des
hommes.
b)
Intressons-nous plus particulirement l'individu humain :
*
Il a une identit diachronique, on le ridentifie
comme le mme chaque poque de son histoire personnelle
*
Il a galement ce que Ricur nomme une ipsit (qu'il distingue de la mmet) c'est--dire le fait non seulement d'avoir une
unit (idem) mais une unicit (ipse).
*
Il a galement la possibilit d' tre soi sur un mode propre,
authentique Heidegger, tre et temps : certes un individu est
toujours une personne diffrente de toutes les autres ,
mais il peut vivre son individualit de deux manires : il peut
s'appartenir en propre ou se laisser dterminer en son tre par les autres et
exister de manire non propre, dans l'oubli de soi mme (id).
*
Si la distinction entre soi s'appartenant en propre et soi ne s'appartenant pas
en propre est possible c'est parce que l'individu humain a une capacit de
rflexion, de rflexivit et d'autodtermination. Non seulement l'individu
humain marche, rit, pense mais il sait qu'il marche, rit,
pense. Il est capable d'adopter un point de vue la premire personne. Non
seulement il peut dire il fait chaud mais j'ai
chaud . Par consquent, il est l'auteur de ses penses et de ses actes.
Certes il peut se laisser dicter ses penses et ses actes par ce que Heidegger
appelle la dictature du On mais il peut galement penser et agir
en assumant, revendiquant ce qu'il pense et fait. L'individu humain maitrise
tous les pronoms personnels : je/tu/il ou elle/nous/vous/ils ou elles.
c)
Donc si l'individu humain se vit consciemment comme une entit distincte,
spare du reste, il semble pertinent de dire d'un ct l'individu et de
l'autre ct la socit, les autres, le groupe.
d)
Quelques remarques smantiques encore :
*
L'individuel est oppos au collectif; dans le collectif, les lments qui le
composent sont moins perus pour eux-mmes que perus comme absorbs dans le
tout.
*
Un individu peut s'individualiser plus ou moins : dans une socit holiste, il
s'individualise peu ; dans une socit individualiste, plus.
2
- Sparer individu et socit comme deux substances distinctes (N.
Elias, La Socit des individus) se retrouve aussi bien chez les
partisans du holisme que de l'individualisme, aussi bien chez ceux qui prnent
l'gosme que l'altruisme, aussi bien chez ceux qui dfendent l'engagement
collectif que la valeur de l'individuel.
a)
La perspective holiste fait de la socit (quelle qu'elle soit) un tre
collectif, rel, substantiel. Le holisme ontologique ne nie pas l'existence
d'individus comme autant d'entits distinctes mais refuse de donner ces
entits individuelles une antriorit ontologique et une supriorit
axiologique. La socit est spirituellement et moralement suprieure
l'individu Durkheim, Rgles de la mthode en sociologie. Et Saint-Simon dans La
Physiologie sociale dit que l'tre humain individuel n'a pas sa
finalit en lui-mme mais dans ce tout dont il dpend .
b)
Les partisans de l'individualisme ontologique sparent nettement individu et
socit puisqu'ils font de la socit le rsultat des interactions auxquelles
les individus se prtent. Tout phnomne collectif n'est que la rsultante
d'actions, de croyances, d'attitudes individuelles. L'individu n'est pas une partie
du tout social mais c'est la socit qui nait des initiatives individuelles.
Donc, de faon symtriquement inverse du holisme, l'individualisme ontologique
reconduit la mme faon de penser l'individu et la socit comme deux entits
distinctes.
c)
Si on s'intresse maintenant non plus au dbat ontologique mais au dbat moral
et politique, on remarquera que le plus souvent les termes des dbats reposent
implicitement sur la conviction que individu et
socit existent chacun part.
Ainsi,
si on est partisan de la thorie du choix rationnel pour rendre compte des
comportements des individus, on considrera que le moteur de leurs actions est
leur intrt bien compris, la socit, les autres sont instrumentaliss. Mais
si on conteste cette interprtation et qu'on veut rhabiliter l'altruisme, on
pensera dans les mmes catgories : l'individu serait capable de se mettre du
point de vue de la socit, des autres de sacrifier tel ou tel de ses intrts
particuliers.
1
– Affirmer la ralit la fois symbolique et objective du social, permet
de rompre avec toute substantialisation de la socit et de l'individu
.
a)
C'est la perspective dfendue par les constructivistes en ontologie (Goffman,
Elias, Searle).
→ Chapitre : L'ontologie du fait social
b) N.
Elias, dans Qu'est-ce que la sociologie ? (1970), forge le concept
de configuration qui, selon lui, permet de dpasser la reprsentation de
l'individu et de la socit comme deux entits qui se font face : Aux
ides d'une socit indpendante des individus et d'un individu-atome, on pourrait
substituer l'image de configurations concrtes que les individus forment
ensemble sans jamais leur prexister. L'image du filet qu'il propose dan
La Socit des individus, remplit la mme fonction puisque le filet
n'existe que par les mailles qui n'existent que par le tissage des mailles
entre elles.
c)
Socit et individu existent l'un par l'autre, ne sont pas des substances mais
des processus. Prenons l'exemple de la mode : telle mode (phnomne social,
collectif) merge au terme d'un processus d'interactions individuelles (ce sont
bien des crateurs de mode qui proposent tel modle mais celui-ci ne devient
la mode que s'il rencontre un public et pour cela des acteurs sociaux du
marketing, de la publicit entrent en jeu) mais c'est par elle qu'un individu
devient la mode ou pas.
d)
Il faudrait donc revoir nos manires de penser et de parler : L'individu
considre la socit comme quelqu'un l'intrieur d'une maison regardant la
rue : de l'extrieur. Or il doit se situer dans le rseau des rues N. Elias,
La Socit des individus.
2
- Si la reprsentation de l'individu et de la socit comme deux substances
distinctes persiste dans de nombreux esprits c'est qu'elle correspond une
configuration sociale particulire : L'ide centrale de La Socit des
individus est de considrer que la conception du moi spar et autonome qui
pose le monde social comme lui tant extrieur voire hostile, est ne dans le
stade d'une diffrenciation pousse des fonctions sociales qui permettent de
constituer une sphre prive d'existence (avant-propos de R. Chartier).
a)
Cette analyse de N. Elias est doublement intressante. D'une part elle permet
d'expliquer pourquoi cette thse qu'on a de bonnes raisons de trouver aberrante
rsiste l'analyse logique. D'autre part, elle montre que cette explication du
phnomne de la modernit peut tre propose justement parce qu'on a compris
qu'il ne fallait pas penser socit et individu comme des substances mais comme
un processus fabriquant leur mergence mutuelle.
b)
Elias montre que la conviction selon laquelle l'individu fait face la
socit, existe d'abord et rejoint la socit de plus ou moins bon gr, est une
conviction conditionne par un type de socit bien particulier :
*
La socit moderne qui n'est plus holiste ; donc l'individu se pense comme
un tout prcieux qui dispose des ressources sociales pour s'panouir.
*
Une socit tellement complexe que chacun endosse des dizaines de rles, ne
peut s'identifie un seul ; entre ces rles, il y a du jeu
ce qui permet de voir natre le sentiment d'intimit personnelle.
*
La socit moderne pose l'autonomie comme valeur; cela pousse les individus
se penser comme indpendants face , voire contre la socit.
*
Le romantisme, un des courants de pense de la modernit, exalte l'ide de
gnie individuel touff par la socit.
*
Les socits modernes se caractrisent aussi par le fait que leur organisation
conomique et sociale a besoin de la crativit de chacun puisque c'est
l'innovation scientifique et technique incessante qui est la rgle, c'est la
conqute de nouvelles parts de march qui est la rgle donc elles exaltent
l'individualit des individus.
*
Les socits modernes ont aussi le got du bonheur ( Le bonheur est une
ide neuve en Europe dit Saint-Just la tribune de la Constituante
pendant la Rvolution franaise), ce qui conduit valoriser l'attention toute
particulire soi, le souci de soi avec mais aussi contre la socit si on la
ressent comme une menace pour son bonheur.
c)
Pour conclure : Certains sont porteurs d'une vision du je sans
nous , ce n'est pas un problme ponctuel et individuel mais un problme
gnral d'habitus, un trait fondamental de la personnalit sociale des
individus de notre poque N. Elias, La Socit des individus.
3
- L'expression contemporaine de socit des individus pour
dsigner l'atomisation du corps social ainsi que la disparition de la socit
est galement tributaire de cette faon de penser qui est un obstacle
pistmologique.
*
N. Elias, La Socit des individus
a)
L'expression contemporaine se trouve sous la plume des journalistes et de
certains sociologues ; elle fait cho un ressenti largement partag dans
les socits occidentales post/hyper modernes. Ces socits seraient en train
de se dliter, de se liqufier, car les individus qui les composent ne
s'intressent plus au vivre ensemble , font l'exprience d'une
trs faible solidarit sociale, n'ont plus confiance dans les institutions et
se replient sur eux-mmes, leur famille, leurs amis.
b)
Ce diagnostic est tout simplement faux mme s'il exprime le ressenti des
individus.
*
Comme le remarque F. de Singly dans Politiques de
l'individualisme : L'individualisme n'est pas une perspective
asociale mais requiert une certaine organisation de la vie sociale qui offre la
possibilit que l'individu s'mancipe du collectif.
*
Ce n'est pas qu'il n'y a plus de liens sociaux mais c'est qu'ils ont chang de
nature. Ils sont devenus plus souples, plus phmres, plus horizontaux,
puisque les individus se donnent une plus grande marge de dcision d'entrer ou
pas dans telle ou telle relation sociale et puisque les institutions sociales
ont perdu de leur autorit pyramidale. Les rseaux sociaux sont emblmatiques
de ce que la sociabilit, la socialisation, le contrle social sont encore bien
prsents.
c)
Une appellation plus exacte que socit des individus serait
peut-tre socit de l'Individu .
Axe B - Renoncer l'ide que l'individu et la socit seraient deux entits distinctes dont l'une pourrait exister sans l'autre, permet de penser de faon nouvelle ce que traditionnellement on appelle le conditionnement social de l'individu.
a) Conditionner signifie pourvoir une chose de
qualits, lui donner forme. Cette chose conditionne dpend donc de ce qui la
conditionne. b) La question du
conditionnement social est distinguer de celle du dterminisme social.
Parler de conditionnement plutt que de dterminisme a pour but d'viter de
se placer sur un plan mtaphysique indcidable. Le dterminisme social
appliqu l'individu postule que tel comportement individuel est caus par
tel tat de fait social spcifique, il peut s'en dduire mcaniquement. Ceci
vaut pour tout comportement individuel. Or, si l'exprience permet de reprer
que tel comportement individuel est influenc par tel contexte social, il y a
un saut logique affirmer que l'individu est radicalement dtermin :
Si pour une philosophie mcaniste intransigeante, un effet est
dtermin par ses causes et pourrait s'en dduire, le simple bon sens suggre
que les phnomnes sociaux n'obissent pas ce schma. La multiplicit des
facteurs et des agents interdit le moindre calcul d'effets
dterministes P. Levy, Cyberculture. c) Axe B, j'aborde
la question du conditionnement social de l'individu sous l'angle
pistmologique et ontologique ; Axe D je l'aborderai sous l'angle
existentiel. d) En Axe B, j'aborde la
question sous l'angle neutre descriptif, Axe D je me demande s'il faut penser
ce conditionnement en terme pjoratif d'alination. |
1 – La notion d'individu pr-social
n'a pas de sens : L'individu nat de la socit et pas la socit de
l'individu R. Aron, Les Grandes tapes de la pense sociologique
→ Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?
→ Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?
2
– Chaque socit inscrit l'ordre biologique (la faon de se rapporter
la nourriture, au repos, au temps, la mort) dans
son ordre symbolique : La douleur intolrable , le plaisir
inou sont moins fonction de particularits individuelles que de
critres sanctionns par l'approbation ou la dsapprobation sociale Lvi-Strauss,
Introduction l'uvre de Marcel Mauss
→ Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?
3
- Toutes les relations entre les individus au sein d'une mme socit sont
codes socialement (mme les plus intimes) : Le statut de Monsieur
Dupont dcoule d'une combinaison de tous les statuts qu'il dtient en tant que
avocat, franc-maon, catholique, mari de Mme Dupont Linton, De
l'homme.
*E.Goffman, Les Rites d'interaction / La Mise en scne de
la vie quotidienne
4 – La pense collective modle la pense
individuelle : Les structures cognitives que les agents sociaux mettent
en uvre pour connatre le monde sont des structures socialement
incorpores Bourdieu, La Distinction.
5 – Tout ce que chacun croit tirer de son
intriorit la plus intime a une origine sociale. Par
exemple, R. Girard, dans Mensonge romantique et vrit romanesque, explique
que ce que l'individu croit tre son dsir est en fait un
dsir mimtique .
6 – Durkheim, dans Le Suicide, veut
montrer que ce qui semble relever strictement de la volont individuelle (la
dcision de se suicider) se ramne des facteurs sociaux : la cause du
suicide doit tre recherche dans les rapports de l'individu la socit ;
en effet le suicide est plus frquent dans les groupes sociaux caractriss par
un dfaut ou un excs d'intgration, ou par un dfaut ou un excs de contrainte
sociale.
*R.
Aron, Les Grandes tapes de la pense sociologique (Durkheim)
7 – A. Erhenberg, dans L'Individu
incertain et dans La Fatigue d'tre soi, souligne combien la faon
de se reprsenter ce que signifie tre un individu est construite
socialement.
8
– Au point que certains concluent la prminence du social sur
l'individu : Chacun d'entre nous croit n'obir qu' lui-mme, alors
qu'il est le jouet de forces collectives Durkheim, Revue de
Mtaphysique et de Morale (n 6,
1898) : L'homme n'est que ce qu'on le fait tre.
J. Itard, Mmoire sur les premiers dveloppements de Victor de l'Aveyron.
1 - L'habitus social des individus est en quelque
sorte la terre nourricire sur laquelle se dveloppent les caractres
personnels par lesquels un individu se diffrencie des autres membres de la
socit N. Elias, La Socit des individus. Les individus ne sont
jamais des numros de srie.
2
- L''individu est un sujet social et non un strict effet de
structures Foucault, Les Mots et les choses. Les individus ne
sont pas des marionnettes. L. Boltanski, dans De la critique, met en
vidence la plasticit des personnes .
3
– Les ralits collectives s'imposent aux individus mais en mme
temps elles sont tisses par des millions d'actes individuels J.-P.
Sartre, Critique de la raison dialectique.
a) Rflchir sur ce que signifie tre vraiment soi-
mme suppose d'apporter quelques clarifications sur la notion d'identit
personnelle; L'identit
personnelle recouvre d'une part l'unit de soi dans le temps, la permanence
soi (mme ici renvoie au latin idem, tre reconnu comme la mme
personne au del de tous les changements que la personne peut subir ou
produire), d'autre part l'unicit, la singularit (mme ici renvoie au
latin ipse et signifie cette personne-l
et pas une autre, diffrente des autres personnes). On peut chercher
retrouver ou conqurir son unit et son unicit; b) L'identit
personnelle peut tre pense sous la forme d'un moi substantiel, qui est
l'essence de la personne ou tre pense comme un moi en perptuelle construction
de soi. c) L'identit
personnelle peut difficilement tre autre chose qu'une singularit plurielle. d) La reconnaissance
de soi est la fois un processus intersubjectif et un travail de
rappropriation personnelle de soi. |
1
– Certes sont indniables la fabrication sociale de l'individu comme la
dictature du On : Nous nous
rjouissons comme On se rjouit, nous lisons, nous voyons et nous
jugeons de la littrature et de l'art comme On voit et on juge ; []
nous nous indignons de ce dont On s'indigne. Le On [] prescrit le mode
d'tre de la quotidiennet Heidegger, tre et temps.
2
– Mais cela n'exclut pas la possibilit d'tre soi-mme car notre
identit personnelle n'est pas tant une ralit auto-suffisante qu'une
construction dans un processus permanent de rappropriation de soi : Le soi
exprimer dans l'uvre, loin d'tre donn dans la personne de l'artiste est un
soi qui rsulte de l'uvre V. Descombes, Le Mme et l'autre
*B.
Lahire, La Culture des individus
*Bergson,
Les Deux sources de la morale et de la religion
3 – la lumire des analyses prcdentes, on
examinera si la distinction moi intime authentique/moi social, factice est
pertinente, si l'expression je est un autre a du sens, si croire
que pour tre vraiment soi-mme il faudrait vivre en dehors de toute socit, n'est
pas une faon de penser dpourvue de sens.
Axe C - Si penser, sur un plan logique et ontologique, l'individu comme une entit spare du groupe est strile et aportique, il est par contre pertinent de penser, sur un plan empirique, les relations sociales comme l'interaction d'individualits distinctes.
1 – Si la coopration entre les individus au
sein de leur socit est un impratif vital, elle prend la forme de l'entraide comme
de la rivalit, de l'amiti comme de l'inimiti ; s'y manifestent
aussi bien l'gosme que l'altruisme
a)
Vivre en socit, c'est ncessairement cooprer car la fonction premire de
toute socit, c'est d'tre une unit de survie comme dit Elias.
Hume, aprs Platon, rappelle le triple avantage de la vie en socit.
→ Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?
b)
Par consquent un individu est en permanence inscrit dans des rapports sociaux,
tissant sans cesse des relations avec d'autres individus qui sont pour lui des
complices, des allis, des amis mais aussi des obstacles, des ennemis, etc.
L'ambivalence
des relations entre les individus d'une socit est ainsi quasi constante pour
deux raisons :
*
L'une est que l'tat de dpendance de tout individu vis--vis des autres,
suscite un sentiment de gratitude. On a conscience qu'on ne serait rien, que
l'on ne pourrait rien sans les autres : chaque individu peroit les autres
comme des complices, des allis, des amis (de cette amiti fonde sur l'utilit
dont parle Aristote). Mais cette dpendance est aussi alinante, place chacun
comme dbiteur des autres. Chaque individu peroit les autres comme ceux qui
exercent un contrle sur lui, qui demandent des
comptes, qui obligent se comporter de telle ou telle manire. L'homme
est un animal sociable qui dteste ses semblables , Delacroix, Journal,
(car il dteste leur emprise sur lui).
*
L'autre raison des sentiments ambivalents que chaque individu ressent vis--vis
des autres est que personne ne peut jamais vraiment savoir si la coopration
est synonyme d'entraide, d'attention mutuelle ou d'instrumentalisation. Chaque
individu se sait capable de motivations gostes ou altruistes quand il entre
en relation avec d'autres individus. Il sait qu'il peut chercher profiter
d'une coopration, d'une action collective sans vouloir rien donner en change,
il sait qu'il peut se sacrifier pour la russite d'une entreprise collective
Il peut faire preuve d'oubli de soi, de dvouement. Et chacun sait que les
autres individus sont dans le mme cas. Ainsi Pascal remarque dans les Penses
455 (1670) Le moi se fait centre de tout, il est incommode aux autres.
Mais Rousseau, dans La Profession de foi du Vicaire savoyard, souligne
que la gnrosit est une valeur universellement dfendue : chacun sait
qu'il peut et doit faire confiance aux autres sinon la coopration sociale est
impossible alors mme qu'elle est absolument ncessaire. Toutefois chacun sait
aussi qu'il a de bonnes raisons d'tre dfiant car il sait que la manipulation,
la trahison, l'exploitation existent.
Chaque
individu peut donc osciller vis--vis des autres entre sympathie et antipathie.
c)
Donc les relations qu'un individu tisse avec les autres peuvent se drouler
sous le signe de
*
la reconnaissance mutuelle du je et du tu, chacun ayant un statut gal dans
l'interaction (comme c'est le cas dans l'interlocution je/tu)
*
sous le signe de la coopration du nous, chaque individu s'associe d'autres
dans un but commun
*
sous le signe de la dfiance entre nous et eux, la dissymtrie des pronoms
symbolisant l'appartenance slective de l'individu tel groupe mais pas tel
autre
*
Ainsi chaque individu se peroit comme un moi complice de certains autres
individus, oppos certains autres, pouvant se rver sans les autres mais
sachant qu'il est toujours avec les autres.
d)
On a soutenu que tout individu est sociable par ncessit, mais il peut l'tre
aussi par plaisir.
*
Tout individu recherche la compagnie des autres et plus particulirement
d'autres choisis. L'tre de chacun est un-tre-ensemble dit
Levinas dans Autrement qu'tre. Bien des relations sociales ont pour but
de tisser un cocon chaleureux. Chacun y aspire, on le mesure la dtresse
ressentie quand l'individu se sent solitaire alors mme qu'il participe toute
une srie d'interactions sociales.
*
Certains, comme Schopenhauer, se moquent de cette sociabilit illusoire, y
aspirer est un signe de faiblesse. L'individu devrait s'en tenir des
relations aux autres purement instrumentales sans se leurrer sur
l'instrumentalisation mutuelle ; et l'individu devrait savoir s'en tenir
l : Le principal signe auquel on reconnat un homme ayant quelque
noblesse de caractre est le menu plaisir qu'il prend dans la compagnie
d'autrui Schopenhauer, Aphorismes.
e)
Quelle que soit la qualit des relations entre les individus quand ils
cooprent, on notera que toute coopration est l'occasion pour chaque individu
de se comparer, se mesurer aux autres.
*
Cette comparaison sociale permanente est inhrente la vie sociale comme l'a
remarqu (pour le dplorer) Rousseau dans Discours sur l'origine des
fondements de l'ingalit :
elle engendre aussi bien vanit, qu'envie, humiliation que gratification ou
approbation.
* Elle
permet un individu de prendre confiance, de ressentir l'estime de soi ou bien
elle le dstabilise.
* Cette
comparaison sociale est flatteuse ou dsavantageuse. C'est un jeu d'ego, entre
egos, mais un jeu trs srieux dans lequel les individus ne sont jamais entre
gaux, galit.
*
L'enjeu pour chaque individu est de taille : sa place dans la hirarchie
sociale avec les avantages ou les inconvnients associs cette place. Le dfi
est alors de ne surtout pas tomber (ou de ne pas rester) au bas de l'chelle
sociale.
*
Cette course la distinction, cette rivalit constante est, pour un individu,
socialement vitale (il en va de sa place , de sa visibilit, de sa
reconnaissance) et est psychologiquement la fois
stimulante et extnuante.
*
Elle a un certain nombre d'effets positifs, ceux nots par Kant dans Ide
d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique.
→ Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?
*
Mais cette course la distinction a certains effets pervers : elle pousse
produire les signes extrieurs d'une comptence, d'un statut
qu'on n'a pas afin d'avoir une meilleure position sociale. La Bruyre par
exemple dans les Caractres, dnonce cette politique des apparences,
cette grandeur factice : Dans toutes les professions,
chacun affecte une mine et un extrieur pour paratre ce qu'il veut qu'on croie ;
les hommes ne vivraient pas longtemps en socit s'ils n'taient pas les dupes
les uns des autres. (87).
2
– tre en socit (au double sens du terme) consiste ncessairement
jouer tel et tel rle, en jouer ou en tre le jouet. Les relations
interpersonnelles peuvent donc se placer sous le signe de la neutralit du jeu
de rle, de la manipulation, de l'hypocrisie, de la recherche plus ou moins
illusoire de l'authenticit
*Goffman,
La Mise en scne de la vie quotidienne
a) Toutes les interactions sociales suivent des rgles trs prcises qui prsident leur bon droulement.
*
Comme on l'a vu, ci-dessus (en Axe B I 3), E. Goffman propose de penser ces
interactions l'aide de la mtaphore du thtre. Chaque individu inscrit dans
un rapport social est comme l'acteur d'un rle dont le texte est fix
collectivement (par les institutions, les croyances, les valeurs du groupe).
* Chaque
individu se trouve dans de multiples interactions sociales et a donc de
multiples rles jouer (mme si dans son existence il y a bien des rles qu'il
ne jouera pas); chaque rle est corrl d'autres rles.
b) Chaque
individu a des partenaires dans cette mini-pice que constitue chaque
interaction sociale. Plusieurs solutions s'offrent lui :
*
Il peut jouer son rle avec application de telle sorte que l'interaction
sociale fonctionne bien, tout en ayant conscience que c'est un rle qui, dans
d'autres configurations sociales, aurait t diffrent (dans les socits
occidentales, jouer le rle de pre au XIXe et au XXIe n'est pas jouer le mme
rle). Il attend des autres cette mme neutralit efficace.
*
Il peut s'identifier totalement son rle et perdre de vue que c'est un rle,
il attend des autres le mme investissement et leur reprochera leur manque de
srieux si ce n'est pas le cas. L'individu se croit authentique et veut que les
autres le soient. Si les autres affichent sereinement qu'il s'agit d'un rle
jouer, il les taxera d'hypocrite, de tricheur manquant de sincrit.
*
Un individu conscient que toute interaction sociale est un jeu de rle peut
profiter d'un partenaire naf pour le manipuler.
3
– Les relations sociales ont de multiples buts mais elles ont toujours
aussi pour enjeu la reconnaissance des individus les uns par les autres : du
respect au mpris, en passant par l'hospitalit, l'indiffrence, l'exclusion,
la solidarit
a)
L'aspiration d'un individu la reconnaissance est particulirement essentielle
dans les socits dmocratiques dans lesquelles l'galit ne consiste pas
seulement dans l'galit formelle mais aussi dans le fait que chaque individu
est considr comme ayant autant de valeur que n'importe quel autre.
→ Chapitre : La justice est la premire vertu des institutions sociales
b)
Et dans toute socit, l'exclusion sociale est la hantise des individus car
elle quivaut leur mort sociale, symbolique, psychologique mme si ce n'est
pas immdiatement la mort physique (celle-ci peut survenir assez vite, si
l'individu ne rintgre aucun groupe). Pour la raison symtriquement inverse,
chaque individu aspire tre inscrit dans un rseau de sociabilit.
Tous
les sociologues s'accordent voir dans Facebook un nouveau mode de
reconnaissance (pas le seul, pas forcment le plus enrichissant)
car c'est un lieu d'expression de convivialit. Il s'agit de s'exposer pour
exister aux yeux des autres.
c)
Par consquent, tout individu est particulirement sensible aux signes qui
expriment qu'il a bien une place dans les interactions sociales. L'indiffrence
des autres ou le mpris est une des formes les plus violentes de ngation de
soi, bien plus que la haine qui prouve qu'on compte encore, mme ngativement.
d)
Si le besoin de reconnaissance est tellement essentiel, la reconnaissance des
uns pour les autres ne s'effectue souvent que dans le cercle restreint de
l'entre soi .
La
reconnaissance des autres qui sont vraiment autres est d'autant
moins immdiate que leur altrit est le signe qu'ils ne rentrent pas dans les
interactions sociales dont on a besoin.
e)
Par consquent, si l'exigence de justice est si forte, c'est qu'elle se situe
au niveau de ce qui est d chacun indpendamment des facteurs de sympathie,
d'antipathie, d'empathie, de compassion, d'indiffrence. Un individu ne peut
exiger qu'un autre l'aime, fasse attention lui, l'accueille avec chaleur mais
il peut exiger que l'autre respecte la rpartition juste de ce qui est d
chacun.
4
– Les moralistes franais font une peinture minutieuse des
comportements des individus en socit.
1 – Recensement de quelques mcanismes sociaux
et/ou psychologiques gnrateurs d'une action collective, d'une transformation
sociale ou favorisant l'mergence d'un phnomne social.
a)
Mettre l'accent sur ces mcanismes psycho-sociologiques sous-tendant les
comportements individuels pour expliquer l'mergence d'un phnomne social,
c'est s'inscrire dans cette perspective ontologique du fait social qui est
celle de l'individualisme et du constructivisme. C'est refuser la thse holiste
qui attribue une ralit spcifique aux faits sociaux (pour les holistes, les
faits sociaux ne rsultent pas des actions individuelles mais leur prexistent)
et c'est refuser l'ide que les structures sociales ont objectivement une
logique interne dont les individus ne sont que les excutants leur insu.
b)
Par exemple, le phnomne social de la panique bancaire ou de la pnurie de
ptrole, rsulte de la convergence de milliers de dcisions individuelles de ne
plus faire confiance aux banques ou de stocker du ptrole. Cette convergence
est rendue possible parce qu'au mme moment une opinion se diffuse (l'opinion
selon laquelle les banques sont au bord de la faillite ou selon laquelle le
ptrole va manquer) et parat tout fait plausible. Que cette opinion
corresponde ou pas la ralit n'a pas d'importance, ce qui compte c'est que
les individus croient qu'elle correspond la ralit. Pour y croire il faut
que trois conditions soient remplies :
-
les individus croient que celui qui est la source de cette opinion fait
autorit, est comptent
-
ils croient galement que celui qui est la source de cette opinion est
honnte, ne ment pas
-
ce qu'il dit est plausible.
Alors
ce qu'il annonce va impliquer que ceux qui reoivent l'information vont agir
d'une certaine manire :
-
retirer leur argent des banques
-
stocker du ptrole.
Et
ceci d'autant plus aisment quentre en scne un autre mcanisme psychosocial :
la croyance chez les individus que le nombre d'individus qui accomplit une
action est le signe de la valeur probable de cette action et le signal qu'il
faut que soi-mme aussi l'accomplisse. Du mme coup, la prdiction va s'avrer
vraie : ces multiples comportements individuels semblables provoquent une
panique bancaire ou une pnurie de ptrole. Ceci est le mcanisme que Robert
Merton a appel, le mcanisme de la prdiction cratrice :
il a suffit de prdire X (dans un contexte o sont remplies les trois
conditions requises pour qu'une opinion se diffuse), pour que X arrive.
c)
On peut dcrire un autre mcanisme par lequel des actions individuelles
produisent un phnomne collectif : le mcanisme de l'effet de
seuil ou de l'effet de cascade (Mark Granovetter).
Il rend assez bien compte du phnomne de la rsistance franaise
l'occupation allemande, en 1940. Compte tenu de l'tat de choc de la population
franaise (dfaite, armistice, crdit accord Ptain), compte-tenu de la
terreur exerce par l'occupant (dportation, torture, mise mort),
les premires marques de rsistance l'occupant, taient individuelles,
clandestines, sous la forme de tracts, de graffitis sur les murs. Mais certains
osant, d'autres osent aussi, cela fait tache d'huile. Du mme coup, la
rsistance changeait de nature, car la conscience du nombre faisait imaginer
d'autres formes de rsistance (renseignement, sabotage, rsistance arme) amplifiant encore ses chances de succs.
d)
Voici la mise en vidence de deux mcanismes par lesquels une action collective,
une situation collective se produit partir d'actions individuelles. Le choix
du terme mcanisme n'est pas neutre et est un parti pris
pistmologique.
Le
mcanisme est plus qu'un processus et moins qu'une loi.
Un
processus est une succession d'vnements. Dcrire un processus, c'est reprer
que Z a suivi Y qui a suivi X. Un mcanisme c'est une succession plus une
causalit. Dcrire un mcanisme, c'est indiquer non seulement que Z a suivi Y,
mais que Y est la cause de Z.
On
serait en prsence d'une loi de l'action collective si on pouvait donner ces
relations de causalit, un caractre ncessaire et donc prdictif. Jon Elster
dans Psychologie sociale et politique, affirme que ces divers
mcanismes psycho-sociaux sont plus que des descriptions a posteriori de cas
dtermins, puisqu'ils peuvent servir de modles d'autres cas non encore
rencontrs mais ils ne permettent en aucun cas de prdire et contrler les vnements
sociaux. Ce ne sont pas des lois.
2
– Les acteurs sociaux peuvent tenter de mettre en place une socit plus
juste ( La justice est la premire vertu des institutions sociales
axe C II) et une socit meilleure (Quelle valeur accorder aux valeurs de la
socit ? Axe B III / Axe C) ; les membres d'une socit dmocratique
peuvent intervenir dans le processus de dcision politique (Une socit
peut-elle se passer d'tat ? Axe C III 3) ; les acteurs sociaux font
l'histoire de leur socit (Pas de socit sans histoire Axe C).
3
– Chacun qui s'engage conjointement avec d'autres devient un sujet
pluriel M. Gilbert, Marcher ensemble.
→ Chapitre : L'ontologie du fait social
a)
On ne traite pas ici de l'mergence d'un phnomne collectif partir
d'actions individuelles, mais plus spcifiquement d'une action collective.
On remarque que toute action collective est un phnomne collectif (exemple la
Rsistance franaise sous l'occupation allemande). Tout phnomne collectif
n'est pas une action collective au sens fort (par exemple, un retrait d'argent
de la banque, par une masse d'pargnants. Cela peut l'tre toutefois, si c'est
un mot d'ordre politique. Par exemple, c'est un mot d'ordre de certains groupes
d'extrme-gauche en Grce, dbut 2012).
b)
On ne se situe pas dans la perspective selon laquelle l'action collective mane
automatiquement des structures sociales (ce que pensait Marx par exemple :
selon lui la Rvolution franaise est la consquence ncessaire de la
contradiction entre les forces productives capitalistes en essor et les
rapports juridiques et politiques de la production conomique et sociale
convenant la fodalit et son conomie des propritaires terriens).
c)
On fait de l'action collective la rsultante des actions individuelles.
Margaret Gilbert dans Marcher ensemble, a prcis ce qu'il faut entendre
par rsultante . Elle montre que cela ne peut tre la
juxtaposition d'actions individuelles. Quand des personnes dcident de sortir
dans la rue et sont au mme moment dans la rue, cela ne fait pas cette action
collective qu'on appelle manifestation. Cela le devient si, d'une part, toutes
les personnes sortent dans la rue avec cette intention, qui est la fois leur
intention individuelle et une intention collective ; et si, d'autre part,
elles s'engagent conjointement faire ce que requiert cette action collective.
Dans ces conditions, ces individus conjuguent leur je ensemble, ce qui produit
nous, un sujet pluriel.
d)
On peut se demander sur quelles bases s'effectue l'engagement conjoint ?
Plusieurs modles d'explication ont t forgs par les philosophes et les
sociologues :
*
le sens du moment opportun voire l'opportunisme (Machiavel)
*
la recherche de la scurit (Hobbes)
*
la volont de forger le bien commun (Rousseau)
*
la logique du don et du contre don (Godbout)
*
la logique du cot/avantage (formalise dans la thorie des jeux)
e)
L'conomiste Mancur Olson,
dans Logique de l'action collective (1965), utilise les outils de
sa discipline, ici la thorie du choix rationnel, pour montrer que l'action
collective ne va pas de soi. En fait elle plonge les individus dans un
paradoxe : tous ont intrt ce qu'elle existe parce qu'elle
gnre des retombes positives (hausse de salaire, rduction du temps de travail) mais personne n'est prt participer parce
qu'elle est coteuse en temps, en nergie, en risque.
f)
Accepter de devenir un sujet pluriel ne va pas de soi non plus car cela donne
l'individu engag dire nous, la responsabilit de s'y tenir (tant qu'il ne se
dmet pas).
Axe D - Si penser, sur un plan logique et ontologique, qu'un soi-disant face--face entre l'individu et la socit est strile et aportique, il est par contre pertinent d'analyser, sur un plan existentiel, la faon dont chaque individu fait l'exprience de la/sa socit (mme si au sens strict cette formulation est peu pertinente).
a) On laisse de ct ici la question ontologique de
la nature du tout social auquel l'individu se confronte. Ceci a t trait
dans le cours : Ontologie du fait social b)
On examine comment un individu ressent l'exprience de devoir vivre en
socit, comme de vivre dans telle socit. c)
Les jugements de valeur qu'il porte et les comportements que ceux-ci
induisent, rvlent la proximit ou l'cart avec ce qu'il considre tre son
panouissement individuel au sein de la socit, en admettant que celui-ci
soit possible. |
a) Ces divers comportements possibles tmoignent de
la faon dont un individu value ce qu'il peut/doit attendre de la socit. b) Le critre
d'valuation est la possibilit ou non pour l'individu de s'panouir par,
grce , malgr, contre la socit. c) S'panouir
signifie ici, mtaphoriquement, dvelopper librement ses possibilits. Ceci
peut prendre de multiples formes en fonction de ce que l'individu juge bon
pour lui. |
1 – Tout individu est conduit se positionner
par rapport la dimension collective de son existence : il peut se penser et
se vouloir un individu insr dans un collectif, ou bien manifester un refus du
collectif, ou encore se servir du groupe pour satisfaire ses intrts, ou
encore se mettre au service du groupe quoi qu'il en soit, les ralits
existentielles et sociales sont troitement imbriques.
a)
L'individu peut se sentir profondment sociable, aimer la vie en socit. Il se
sent dans son lment en socit, peut aimer le spectacle de la vie en socit,
peut chercher y briller, ou tout simplement s'y raliser. Il conoit ses
rapports la vie en socit dans une synergie positive, il veille se forger
un capital social, en tirer parti. Cela peut prendre la figure du jeu, il
vivra ses rapports la socit sur le mode ludique, dans tous les cas il se
sent adapt socialement.
b)
L'individu tout au contraire peut souffrir de la vie en socit, s'y sentir par
principe opprim, ne voir dans la vie sociale que les contraintes qui blessent
son individualit. Il n'aspire qu' fuir sinon la vie en socit c'est
impossible, mais la vie de socit, se retirer au maximum du plus grand
nombre d'interactions sociales. Il souhaite ne plus rpondre la demande
sociale, a un souci d'indpendance et de solitude. Il
serait adepte de la maxime pour vivre heureux, vivons cach . Il
vivra son rapport la socit sur le mode conflictuel. Nietzsche dans les Fragments
posthumes n'invite ni cultiver son jardin (Voltaire), ni se replier sur
une petite socit d'amis (picure), mais se forger un espace mental soi o
dvelopper sa singularit propre, dans une franche horreur du collectif
et une irrpressible allergie la solidarit et l'altruisme . Nietzsche
invite refuser d'obtemprer toute injonction sociale et voit dans
l'intgration sociale la dsintgration de l'individu. Quelques dizaines
d'annes auparavant, dans Mon cur mis nu, XV, Baudelaire crit :
La croyance au progrs est une doctrine de paresseux, une doctrine de
Belges. C'est l'individu qui compte sur ses voisins pour faire sa besogne. Il
ne peut y avoir de progrs (vrai, c'est--dire moral) que dans l'individu et
par l'individu lui-mme. Mais le monde est fait de gens qui ne peuvent penser
qu'en commun, en bandes. Ainsi les socits belges. Il y aussi des gens qui ne
peuvent s'amuser en troupe. Le hros s'amuse tout seul. Quant Oscar
Wilde, il revendique d'chapper la ralit sociale de la macro socit, en
faisant de sa vie une uvre d'art, en rejoignant la petite socit des dandys. Ceux
qui veulent chapper la vie sociale peuvent prendre une autre voie que celle
de l'art : celle de l'amour ou de l'amiti. Allan Bloom dans L'Amour et
l'amiti, prsente ces expriences comme des relations qui placent
les amants ou les amis dans une sphre spare du reste de la
communaut .
Quoi
qu'il en soit, l'individu peut viser une sorte de
dconditionnement , revendiquant un itinraire personnel sans se
fondre dans un destin collectif, refusant toute allgeance, refusant d'abdiquer
sa singularit, visant une libert souveraine.
c)
Mais si l'individu rfractaire au social, antisocial, ne parvient pas trouver
une issue, il pourra dire comme Emerson, dans Socit et solitude, la
fois The individual is
the world et la solitude est impraticable et la socit
fatale . C'est que soulignait dj Chamfort dans Maximes et penses : Les flaux physiques
et les calamits de la nature humaine ont rendu la socit ncessaire. La
socit a ajout aux malheurs de la nature. Les inconvnients de la socit ont
amen la ncessit du gouvernement et le gouvernement
a ajout aux malheurs de la socit. Voil l'histoire de la nature humaine.
Dans ce cas, on vivra donc son rapport la socit sur le mode tragique.
d)
L'individu peut tre dsocialis, ne pas parvenir trouver sa place en
socit, quelle qu'elle soit, il vivra son rapport la socit sur le mode de
l'inadaptation, fera l'objet d'une exclusion ou d'une politique de rinsertion.
e)
L'individu peut tre (ou vouloir tre) un dviant au sens durkheimien du terme,
avoir un rapport d'opposition aux normes sociales. Il peut alors tre mis au
ban de la socit, faire l'objet d'une politique d'exclusion ou de rinsertion.
f)
L'individu peut tre parfaitement socialis, intgr mais avoir plus ou moins
de surface sociale comme dit Julia Kristeva dans trangers
nous mmes : Quand on a peu ou pas de surface sociale ,
on ne compte pas, vos paroles, fussent-elles fascinantes, n'auront donc pas de
suite, ne provoquant aucune amlioration de votre image. On ne vous coutera
que distant, amus et on vous abandonnera pour passer aux choses srieuses.
g)
Un individu pour s'assurer et assurer les autres de sa bonne insertion sociale
peut cultiver un conformisme, montrer en toutes circonstances sa complte
adquation aux pr-requis de sa socit. On assiste
alors une dilution du je dans le On , la promotion de
Monsieur-tout-le-monde .
h)
Tout en tant insrs socialement, certains peuvent au
contraire cultiver un anticonformisme ou un esprit critique et rsistant aux
ides reues et la doxa. Et ceci, sur le mode authentique ou ironique ou
cynique.
i)
Un individu peut aussi chercher se diffrencier des autres tout en visant
l'insertion sociale, puisque pour se diffrencier, par dfinition, il a besoin
de parvenir se comparer aux autres. Ainsi le dsir de diffrenciation est une
tendance qui fdre de nombreux individus dans la socit chinoise
contemporaine. Il consiste dans le culte de soi (en chinois: wei wo Zhoyi).
Il se manifeste notamment par une recherche d'excentricit vestimentaire et
ceci pour faire contrepoint au costume Mao que tous devaient
porter pendant la rvolution culturelle.
j)
L'individu peut chercher la fois participer la vie sociale et se
dsengager. Prenons quelques positions qui s'affichent dans ce sens :
*Montaigne
cultive ce subtil dosage : Il faut [] n'pouser rien que soi. C'est
dire : le reste soit nous, mais non pas joint et coll de faon qu'on ne
le puisse dprendre sans nous corcher et arracher ensemble quelque pice du
ntre. La plus grande chose du monde, c'est de savoir tre soi. Je ne me
soucie pas tant quel je sois chez autrui comme je me soucie quel je sois en
moi-mme. Je veux tre riche par moi, non par emprunt. Chacun regarde devant
soi ; moi, je regarde dedans moi ; je n'ai affaire qu' moi, je me
considre sans cesse, je me contrle, je me gote. Nature nous a trenns d'une
large facult nous entretenir part, et nous y appelle souvent pour nous
apprendre que nous nous devons en partie la socit, mais en la meilleure
partie nous. Celui qui va en la presse [= la socit], il faut qu'il
gauchisse, qu'il serre ses coudes, qu'il recule ou qu'il avance, voire qu'il
quitte le droit chemin, selon ce qu'il rencontre ; qu'il vive non tant
selon soi mais selon autrui, non selon ce qu'il se propose, mais selon ce qu'on
lui propose, selon le temps, selon les hommes, selon les affaires. Mon opinion
est qu'il faut se prter autrui et ne se donner qu' soi-mme. Les
Essais.
*Camus
dans un recueil de nouvelles, L'Exil et le royaume, invite tre la
fois solitaire et solidaire . Pour lui, il s'agit de trouver la
bonne distance et d'avoir un rapport ngoci et matris la socit.
*Schopenhauer
(Parerga und Paralipomena 1851,
II, chap.31, 400, 1880) : Par une froide journe d'hiver,
un troupeau de porcs-pics s'tait mis en groupe
serr pour se garantir mutuellement contre la gele par leur propre chaleur.
Mais tout aussitt ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les
fit s'loigner les uns des autres. Quand le besoin de se chauffer les eut
rapprochs de nouveau, le mme inconvnient se renouvela, de faon qu'ils
taient ballots de a et de l entre les deux souffrances, jusqu' ce qu'ils
eussent fini par trouver une distance moyenne qui leur rendt la situation
supportable. Ainsi, le besoin de socit, n du vide et de la monotonie de leur
propre intrieur, pousse les hommes les uns vers les autres; mais leurs
nombreuses qualits repoussantes et leurs insupportables dfauts les dispersent
de nouveau. La distance moyenne qu'ils finissent par dcouvrir et laquelle la
vie en commun devient possible, c'est la politesse et les belles
manires .
*Schopenhauer
(Aphorismes sur la sagesse dans la vie, posth. 1880) : Nous pouvons aussi comparer
la socit un feu auquel le sage se chauffe distance convenable, mais sans
y porter la main, comme le fou qui, aprs s'tre brl, fuit dans la froide
solitude et gmit de ce que le feu brle.
k)
L'individu peut se sentir comme une partie du tout qu'est le collectif dans
lequel il s'insre, tre un membre du corps social. Platon, dans La Rpublique,
affirme qu'il doit accepter le primat de la cit idale. Par consquent, tout
ce qui favorise l'existence individualise, proprit des biens, des femmes,
des enfants est condamn.
l)
Il peut se sentir comme un tout et considrer la socit comme gravitant autour
de lui, comme un ensemble de biens, de ressources, de services dans lequel il
puise selon ses besoins et ses gots.
m)
On observe dans les socits hyper modernes, un nouveau type d'individus que
les sociologues qualifient de solitaires et grgaires la fois.
n)
Un individu peut entretenir avec la socit des rapports d'intrt, calculant
sa participation la vie sociale en terme de cots et d'avantages.
o)
Un individu peut vouloir se rendre utile la socit, contribuer son bon
fonctionnement, son progrs. Il peut aller jusqu' se sacrifier.
p)
Pour certains individus, la russite sociale et la russite personnelle sont
une seule et mme chose. P. Bourdieu rsume ainsi, dans Mditations
pascaliennes, leur sentiment : misre de l'homme sans mission
ni conscration sociale . Pour russir socialement, plusieurs facteurs se
conjuguent. Mais il faut ct d'un capital conomique, cultiver ce que
Bourdieu appelle le capital social, c'est--dire des relations sociales, des
rseaux, des relations utiles et la capacit et la volont de les activer, afin
d'obtenir les informations, les services, les recommandations ncessaires.
q)
Pour certains individus, russir sa vie est dissocie, plus ou moins
radicalement, de russir dans la vie. La course aux honneurs et aux richesses,
la recherche du pouvoir ne sont pas alors considres comme des voies suivre
pour s'accomplir dans l'existence.
r)
Dans les socits contemporaines, l'individu peut rver avoir son quart
d'heure de clbrit Andy Warhol. Hugues Royer, dans La Socit des
people (2011), remarque :
La socit des people n'est pas uniquement un club rserv aux
clbrits. C'est un fait social total : il faut s'exposer pour exister.
Le phnomne n'est pas nouveau. Simplement, il n'a cess de s'acclrer depuis
une dizaine d'annes jusqu' se cristalliser et s'imposer comme un modle. La
notorit est devenue l'alpha et l'omga d'une existence accomplie []. Elle
n'engendre plus que des Narcisse.
2
– Tout individu est conduit se positionner par rapport au jeu social :
il peut matriser les rgles du jeu social ou pas ; vouloir jouer le jeu
ou ne pas le jouer ; y tre apte ou inapte ; chercher s'y
distinguer ou pas ; le mpriser ou trouver la bonne distance tout en tant
insrer socialement
a)
J'ai dj explicit (en C I 2) comment un individu pouvait ressentir les autres
individus dans les interactions sociales codes dont il fait l'exprience :
comme des partenaires de jeu, des bons ou mauvais joueurs, des tricheurs Ici,
je veux dplacer l'accent sur le jeu social quelles que soient les interactions
concrtes, particulires dans lesquelles chaque individu singulier est engag
avec d'autres individus singuliers. On va examiner ici comment le fait que la
vie en socit est un vaste jeu social, peut tre apprci et comment cette
situation constitutive de la vie en socit peut tre exploite.
b)
Un individu peut avoir bien compris que ces rles sont des conventions, que les
rgles qui prsident telle interaction sont constitutives (et non
rgulatrices), il sait alors que jouer tel rle est la fois absolument
impratif si on veut que l'interaction sociale fonctionne bien mais il sait
aussi que ce pourrait tre un tout autre rle dans une autre socit. Par
consquent, il prend son rle au srieux mais avec une certaine distance; il
n'est pas le jouet du rle qu'il joue. Il peut mme refuser de s'identifier au
rle qu'il joue tout en assumant de le jouer ou mme en estimant que c'est le
meilleur rle jouer. C'est le cas du pote Ren Char, rsistant au nazisme et
qui ne veut pas tre assimil au capitaine Alexandre (son nom de rsistant dans
la clandestinit), Je veux n'oublier jamais qu'on m'a contraint
devenir un personnage simplificateur qui se dsintresse de quiconque, ne se
ligue pas avec lui pour abattre les chiens de l'enfer (Billet
Francis Curel).
c)
Dans ce contexte de lucidit sur le fait que la vie sociale est un jeu social,
on peut jouer de son rle et pas seulement jouer son rle. C'est--dire, on
peut exploiter pleinement toutes les ressources de ce rle. Ce peut tre dans
le but de bien russir sa prestation. Mais ce peut tre aussi dans le but de
manipuler tel ou tel partenaire de l'interaction sociale en cours.
d)
Un individu peut savoir tout cela mais ne pas s'empcher de croire que ce
serait mieux que la vie sociale ne soit pas une vaste scne de thtre. Il
disqualifie alors ces jeux de rles en parlant de comdie sociale, d'hypocrisie
sociale. Il aspire une sorte de puret, d'authenticit Et si, de surcrot,
il croit que chacun possde un moi intime, authentique, que le moi social
touffe, il jouera son rle comme s'il tait condamn porter un masque.
e)
Toutefois un individu peut ne pas du tout avoir compris la mise en scne
de la vie quotidienne et croire que son rle n'est pas un rle mais la
seule bonne manire d'agir, dcoulant d'une sorte d'essence de la relation
sociale en question. Il verra dans le jeu de rle des autres une forme de
dissimulation.
f)
Un individu peut refuser de jouer le rle que son inscription dans tel rapport
social lui fixe, non pas par souci de puret, d'authenticit mais parce qu'il
voudrait redfinir les rles autrement.
g)
Ou bien, plus radicalement, un individu peut refuser les codes sociaux non pas
parce qu'ils ne sont pas authentiques, mais parce qu'ils occultent, qu'ils sont
de pure convention et se font passer pour naturels. Diogne, le cynique de
l'Antiquit, affiche son mpris pour cette mauvaise foi.
h)
Une autre attitude encore consiste se retirer le plus possible du jeu social
mais sans dpit, ni acrimonie. Sans non plus aspirer un autre jeu social, ni
croire qu'une socit idale s'en passerait. Se retirer le plus possible du jeu
social en toute indpendance. C'est ce que recommande La Bruyre : Se
faire valoir par des choses qui ne dpendent pas des autres, mais de soi seul,
maxime inestimable, utile aux faibles, aux vertueux, ceux qui ont de
l'esprit, qu'elle rend matre de leur fortune ou de leur repos Caractres.
Dans cette mme logique, les stociens, eux, recommandent de ne pas se retirer
du jeu social, de bien remplir ses rles mais sans leur
accorder aucune importance. Snque, dans De la vie heureuse, explique
que la seule chose qui compte est de prserver une totale disponibilit
l'essentiel: la recherche philosophique de la vrit et de la sagesse.
3
– Tout individu formule des attentes vis--vis de la socit en fonction
de ce que signifie pour lui bien vivre en socit.
* Terestchenko, Un si fragile vernis d'humanit
→ Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?
→ Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ?
→ Chapitre : La justice est la premire vertu des institutions sociales
→ Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?
4
– Exit, Voice, Loyalty : par ces trois
postures, A. Hirschman rsume les attitudes qu'un individu peut adopter vis--vis de sa socit, en
fonction des jugements de valeur qu'il porte sur elle.
→ Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ?
→ Chapitre : La justice est la premire vertu des institutions sociales
→ Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?
a)
S'il juge sa socit avec gratitude parce qu'il sait qu'il ne serait rien sans
elle, il adoptera une attitude de loyaut, c'est--dire, il n'entreprendra rien
qui puisse lui nuire. Et ce, mme si certains fonctionnements de la socit lui
dplaisent, mme si la socit se comporte de faon injuste son gard. La
seule solution est d'essayer de la rformer sans la remettre en cause. C'est la
solution que Platon prconise dans Criton, une
fidlit qui peut certes s'accompagner de quelques critiques mais dans la
lgalit.
b)
Cette mme attitude de loyaut prend la forme de l'adhsion, du soutien, de la
dfense chez un individu qui se sent en profond accord avec sa socit :
les valeurs de sa socit sont ses valeurs.
c)
La loyaut d'un individu vis--vis de sa socit s'explique galement par le
souci de dfendre ce qui est en place, par conformisme, traditionalisme
d)
Par contre, un dsaccord partiel ou total avec les valeurs et les lois de sa
socit peut se traduire par une attitude de protestation (Voice) (du moins si
on est tranger l'argument de Socrate, donn dans le Criton,
du devoir de gratitude envers sa socit). Les attitudes de protestation
peuvent prendre de nombreuses formes, de la rvolte sauvage la
contestation politique ou la dsobissance civique, de la rsistance
individuelle la participation une opposition collective. Cette protestation
peut prendre une forme modeste mais essentielle que Primo Levi, dans Si
c'est un homme, appelle refuser notre consentement . Cela
suppose une disposition d'esprit particulire que Terestchenko
analyse dans Un si fragile vernis d'humanit : la capacit de penser par soi-mme et de rsister
l'autorit, n'obir qu'en son me et conscience et non pas parce que les
autorits le demandent.
e)
Le dsaccord partiel ou total d'un individu avec sa socit peut se manifester
autrement que par la protestation : par la dfection, le fait de s'en
aller (exit).
*
S'en aller rellement, physiquement, quitter sa socit, partir ailleurs pour
fonder une autre socit comme ce fut le cas des migrants protestants
europens partis en Amrique au XVIIIe sicle ou bien pour s'installer dans une
autre socit comme l'ont fait de nombreux juifs allemands fuyant le nazisme et
s'intgrant la socit amricaine, argentine ou allant vivre en Palestine. Hirschmann explique la quasi absence de communistes
amricains par le fait que serait reste dans les murs cette attitude des
premiers migrants : quand l o on est ne convient pas, on va voir
ailleurs.
*
Pratiquer la dfection par un dsintrt pour les questions collectives.
→ Chapitre : Quelle valeur accorder
aux valeurs de la socit ?
(B
III les renonants )
a) Est aborde ici une rflexion sur la
libert individuelle, celle qui consiste pour un individu ne pas
tre empch de faire ce qu'il veut ; la question de la libert
politique de participer aux affaires publiques ne sera aborde
qu'indirectement. Et ne sera pas aborde du tout la question de l'oppression
de la socit civile par l'tat (cela a t trait dans le cours : Une
socit peut-elle se passer d'tat ?). b) Est aborde ici
une rflexion sur la libert individuelle en laissant de ct les questions
mtaphysiques du destin, de la prdestination ou du dterminisme. c)
Libre s'est forg sur le latin liber qui dsigne la condition de l'homme qui n'est pas
esclave (servus) ;
tre libre c'est d'abord ne pas tre esclave ou prisonnier, c'est un statut
social et politique garanti par un ensemble de droits et de devoirs. Mais
tre libre pour un individu dsigne aussi l'absence de contrainte sur soi ;
cela peut signifier ne dpendre que de soi (les stociens), ou bien tre
autonome (tre l'auteur de ses penses et de ses actes), avoir le pouvoir de
s'autodterminer, ou bien encore ne pas tre assujetti des forces
extrieures/intrieures parce qu'on en connat et en matrise l'influence. d) Il s'agit ici de
dterminer si l'individu peut, dans son existence ncessairement sociale.
tre libre ou pas, tre plus ou moins libre. |
1 – Certes dans la mesure o toute socit est
ncessairement rpressive, dans la mesure o toute vie collective est
ncessairement contraignante et dans la mesure o l'identit personnelle n'est
jamais une ralit auto-suffisante, il semble que les individus ne puissent
jamais tre vraiment libres.
*Freud,
Malaise dans la culture
*Elias,
La Civilisation des murs
a)
Toute socit est ncessairement rpressive, toute vie collective
ncessairement contraignante.
*
Rprimer signifie ne pas laisser exprimer, empcher de se manifester.
*
Effectivement, toute socit rprime (ou fait en sorte que n'accdent pas
l'expression) les comportements individuels qui nuisent au fonctionnement
social. commencer par les pulsions par dfinition a-sociales
(Freud recense essentiellement les pulsions sexuelles et les pulsions
d'agressivit et montre que le surmoi est bien le signe que la socit
intervient dans les trfonds de la construction psychique de chacun). N. Elias
montre, dans La Civilisation des murs, que la vie en socit
passe par une canalisation de la brutalit, de la sauvagerie
bouillonnant en chaque individu. La socialisation est un douloureux
apprentissage de la frustration.
*
La socit rprime galement tout comportement individuel jug inappropri aux
attentes sociales. En effet, le problme de toute socit est de faire vivre
ensemble des individus dont les intrts peuvent tre conflictuels. Elle doit
mettre en place des rgles de vie commune qui censurent, punissent les
comportements individuels qui ne les suivent pas. La vie en socit est faite
d'interdits qui briment l'expression personnelle.
*
Hobbes dans le Lviathan, montre que laisser chacun la libert
d'exercer son droit naturel, est tout simplement incompatible avec la vie en
socit. L'individu doit accepter de renoncer sa libert. C'est le premier
article du contrat social selon Hobbes.
*
Et ceci vaut pour toute socit ; sous cet angle, elles sont toutes
galement rpressives. Max Stirner, dans L'Unique et sa proprit,
souligne que toute socit, mme librale, a tendance voir dans l'individu et
sa puissance vitale, son ennemi. Toutes font donc preuve d'un autoritarisme
destructeur de l'individu. D'o ce constat accablant fait par Somerset Maugham
: Dans sa lutte contre l'individu, la socit dispose de trois armes, la
loi, l'opinion publique et la conscience. Cela commence dans les
familles et l'cole que sont les institutions de socialisation. Socialiser un
enfant, c'est d'abord et avant tout lui apprendre obir, c'est exercer sans
cesse une pression sur sa spontanit et sa volont. Et cela se renforce par
l'appareil lgislatif et judiciaire, qui rgle les comportements de chacun. L'individu
insr dans la socit s'est pli aux normes, mais l'alination est son
comble par le fait qu'il les a intriorises et faites siennes. Il est habit
par un corps tranger.
*
cette rpression insidieuse mais particulirement alinante, s'ajoutent les
pressions sociales constantes et ouvertes pour que l'individu reste dans la
norme. La socit empche un individu de vivre comme il le souhaite si ce qu'il
souhaite est contraire aux lois et aux murs en vigueur. Les vives controverses
qui traversent la socit franaise contemporaine sur le mariage homosexuel et
l'homoparentalit, sur l'euthanasie, sur l'hyginisme en tmoignent. Une
socit qui se pose comme la source et le principe de toute valeur n'est pas du
tout dispose reconnatre aux individus le droit d'invoquer d'autres normes
que celles qui sont en vigueur.
*
Et si on adopte comme Durkheim une conception holiste du fait social, on
soulignera que ce qui caractrise tout fait social est qu'il s'impose
avec extriorit et coercition aux individus .
→ Chapitre : L'ontologie du fait social
b)
Tout individu vivant en socit voit son moi intime touff ou mme supplant
par le moi social: l'homme n'est que ce qu'on le fait tre dit
Itard dans ses Mmoires sur Victor de l'Aveyron (Cf. B I). Plutt que de
dire qu'une socit forme les individus qui s'intgrent elle, il faudrait
dire qu'elle les formate . Les individus sont dpossds
d'eux-mmes.
c)
Cette exprience de l'alination et de la contrainte est constitutive de la vie
de l'individu en socit. Chacun le sent bien, du moins s'il ne partage pas
cette conception holiste de sa place dans la socit selon laquelle l'individu
vit non pas par et pour soi, mais par et pour la socit, en parcelle
dpendante du tout, en non-individu. C'est pourquoi rien de plus naturel que de
rver des hommes sans socit.
→ Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?
C'est
pourquoi rien de plus frquent que d'entendre dire que la nature, la
mer, le ciel sont les derniers espaces de libert .
2
– Nanmoins aucun de ses arguments n'est totalement convaincant et encore
moins la conclusion qui en est tire.
a)
En fait, on voudrait montrer que l'individu en socit connat l'exprience de
certaines formes de libert, condition qu'il se libre de toute une srie de
faons errones de penser :
*
Ce n'est pas vivre en socit qui est alinant, c'est mal comprendre ce que
signifie tre libre qui est alinant. Comme dit Elias, dans La Socit des individus,
l'habitus social des individus est en quelques sorte la terre
nourricire sur laquelle se dveloppent les caractres personnels par
lesquels l'individu s'panouit comme individu. Ainsi l'individu est un sujet
social et non un strict effet-de-structures . Par consquent en
tant que sujet, l'individu s'autodtermine (cf. B II 1 et 2). La varit des
comportements individuels issus du mme moule social est la preuve empirique d'une
libert individuelle. Les innovations dans les murs, les sciences, les arts,
en sont la preuve galement. Que certains exercent une pense critique,
s'affrontent aux prjugs, refusent l'argument d'autorit est galement la
preuve d'une libert individuelle toujours possible; c'est ce que montre avec
force M. Terestchenko dans Un si fragile vernis
d'humanit.
* L'ide selon laquelle pour tre vraiment soi-mme et
ne pas se voir empcher de manifester librement sa vritable personnalit, il
faudrait vivre en dehors de la socit est absurde, (cf. B III, ci-dessus).
→ Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?
*
Associer socialisation de l'individu et alination de l'individu est galement
absurde. Premirement Freud montre bien, dans Malaise dans la culture,
que le processus de canalisation des pulsions n'est pas tant synonyme de
rpression que de libration, compte tenu du caractre mortifre pour
l'individu lui-mme de ses pulsions non canalises. Deuximement, l'individu
n'est tout simplement rien sans la socialisation. Les rgles sociales
n'touffent pas l'individu mais l'instituent (au sens tymologique, lui
permettent de tenir debout).
*En
imaginant une situation d'absence complte de contraintes sociales, l'individu
connatrait-il la libert ? M. Tournier, dans Vendredi ou les limbes du
pacifique, veut montrer que Robinson voit sa libert (qu'il se rjouissait
de vivre pleinement) dissoute du fait mme d'tre priv de vie sociale.
→ Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?
b)
Cette perception errone de la socit comme purement rpressive s'accompagne
d'une perception tout aussi errone de la nature comme lieu idal de la libert
:
*
C'est oublier que la nature est un milieu hostile l'individu qui ne peut
vivre seul dans la nature (et a fortiori tre libre)
→ Chapitre : Les hommes vivent-ils naturellement en socit ?
*
Ainsi vivre en socit libre l'individu de la peur qu'engendre sa fragilit
constitutive ( nos fragilits nues dit Shakespeare dans Macbeth), car c'est par la
coopration au sein de la socit que l'individu peut se protger de la nature
et la mettre son service.
*
De mme, si on retient les analyses de Hobbes, c'est la condition que le
droit positif issu du contrat social se substitue au droit naturel, que
l'individu est libr de cette peur permanente et alinante d'une guerre de
tous contre tous (en l'tat de nature).
c)
Refuser de considrer que l'individu en socit est alin va mme de soi si on
partage une conception individualiste ou constructiviste de l'ontologie du fait
social. Dans Les Lois sociales, esquisse d'une sociologie (1898), G. Tarde affirme, contre
Durkheim : C'est parce que toute construction sociale a pour matriaux
et pour tous plans, des apports individuels que je ne saurais admettre le
caractre de contrainte souveraine, dominatrice de l'individu, qui a t
considr comme l'attribut essentiel et propre de la ralit sociale.
d)
Au terme de ces analyses, on pourrait faire valoir que cette
contre-argumentation (D II 2) a certes une cohrence mais qui n'entame pas
totalement la cohrence de l'argumentation en faveur de l'alination
irrmdiable de l'individu en socit. Alors on pourra avancer, en affichant un
parti pris moral et politique assum, que dfendre la thse de l'alination
radicale a des consquences prjudiciables :
*
invoquer l'alination de l'individu dans et par la socit n'est-ce pas lui
ter toute responsabilit puisqu'il n'est que ce que la socit le fait tre ?
Que vaut cette rponse la question qui la faute ? :
c'est la faute la socit ? N'est-ce pas la meilleure faon de
s'entretenir dans la passivit et l'irresponsabilit ?
*
toutes les socits des plus totalitaires aux plus librales sont mises alors
sur le mme plan. Puisque, quoi qu'il en soit, la socit est alinante;
accorder quelques liberts politiques ou pas devient un
dtail ; le simple bon sens ressent toute l'absurdit d'une
telle conclusion.
*
et si l'individu en socit n'est que cette infime partie produite par et pour
le tout, les socits humaines ne se distinguent pas des socits animales. L
encore le simple bon sens ressent combien une telle quivalence ne correspond
aucune ralit.
3
– D'autant que les individus peuvent mettre en place des procdures de
libration, en n'oubliant pas que : toute socit humaine est un
ensemble d'tres libres Bergson, Les Deux sources de la morale et de
la religion.
a)
Rfuter l'ide que les individus sont ncessairement empchs d'tre libres
parce qu'ils vivent en socit, ce n'est videmment
pas affirmer que les individus sont effectivement libres quand ils vivent en
socit. Mais c'est dfendre la thse selon laquelle, s'ils sont plus ou moins
alins ou opprims, ils peuvent se librer et contribuer forger une socit
moins rpressive. Nous n'examinerons pas en D II 3, si l'individu est
libre en vivant en socit (cela a t l'objet de D II 1 /2) mais si un
individu peut tre plus libre dans sa socit.
b)
Pour gagner en libert individuelle, on peut tenter de promouvoir une socit
dont le fonctionnement est plus propice l'mancipation de ses membres que le
contraire :
*
cela suppose de se librer l'esprit d'une mtaphore qui parat au premier abord
judicieuse mais qui s'avre prjudiciable : celle de la socit comme corps
social.
*
cela suppose de poser la/le politique comme orchestration et amplification de
la libert individuelle. Les individus qui font socit s'associent et sont
effectivement membres d'un collectif mais en aucun cas la manire des
cellules d'un organisme, du fait de leur capacit de rflexion, de leur
capacit de symbolisation, de leur marge d'initiative. Comme le rappelle M.
Gauchet, dans La Condition politique, une socit humaine est une
socit de personnes, d'tres dots d'une disposition d'eux-mmes qui interdit
de jamais les rduire une partie d'un tout. [] Si la socit tait un
organisme, il n'y aurait qu' tablir l'anatomie, la physiologie et la
pathologie du corps social selon une logique interne inscrite dans sa
gntique. Or une socit a se faire tre et dcider de ce qu'elle doit
tre. [] Qu'est-ce qui rend possible ce mode d'tre ? La politique. Il
reprsente cette structure, qui assure sa cohrence tout en la laissant ouverte
la rflexion et l'action de ses membres. La politique est ce qui donne une
certaine puissance aux hommes sur le monde commun qui les transcende. On
pourrait ajouter que les lieux communs sur l'alination de l'individu par la
socit constituent une auto-alination, occultant les capacits individuelles
et collectives d'auto-transformation. Pour s'en convaincre, il faut bien saisir
que la normativit biologique et la normativit sociale ne sont pas
comparables.
c)
Pour gagner en libert individuelle, il faut galement viter de prendre pour
alination venant de la socit ce qui relve de la servitude volontaire. Comme
le dit Kant, dans Qu'est-ce que les Lumires ? : Par paresse et
lchet, les hommes restent volontiers mineurs toute leur vie. Ainsi il
ne s'agit pas de nier les oppressions objectives qui psent sut les individus,
mais de souligner que les individus ont la ressource de refuser leur
consentement. La premire tape sur le chemin de la servitude volontaire est de
croire que s'intgrer une socit revient subir l'ordre social comme une
puissance indpendante et fatale. Pour gagner en libert individuelle, il faut
galement distinguer l'obissance par contrainte et l'obissance par
consentement, comme nous l'ont fait comprendre les thoriciens du contrat social
: obir des lois qu'on a contribu forger ou qu'on assume est une forme de
libert.
d)
Une fois ces clarifications faites, les individus peuvent se persuader de
prendre leur destin en main individuellement et collectivement, afin de
construire une socit qui leur garantit les liberts politiques et est ouverte
la reconnaissance des droits nouveaux. C'est donc aux individus de forger une
socit qui cultive l'esprit de libert, mette la disposition de ses membres
ses potentialits mancipatrices. Et d'ailleurs une socit ne
fonctionne-t-elle pas mieux ainsi ? La libert individuelle loin d'tre
l'ennemi de la socit peut tre un atout majeur pour la vie en socit !
On peut penser galement la figure du tratre, du pitre, de l'intgriste, de l'hrtique, de l'artiste officiel ou de l'artiste maudit, de l'intellectuel engag, du dissident
→ Chapitre : Peut-on concevoir une socit humaine sans art ?
→ Chapitre : Une socit a-t-elle besoin de philosophes ?
Axe A – La rponse holiste la question de savoir quelle est la nature du fait social.
* E. Durkheim, Les Rgles de la mthode sociologique / Sociologie et philosophie
* R. Aron, Les tapes de la pense sociologique chap Durkheim
1 – Dans Les Rgles de la mthode sociologique, Durkheim dfinit les faits sociaux comme des manires d'agir, de penser, et de sentir extrieures l'individu et qui sont doues d'un pouvoir de coercition en vertu duquel elles s'imposent lui .
2 – Les faits sociaux ne diffrent pas seulement en qualit des faits psychiques, ils ont un autre substrat [] les tats de la conscience collective sont d'une autre nature que le tats de la conscience individuelle. Les Rgles de la mthode sociologique,
* A. Comte, Recueil de textes
* R. Aron, Les tapes de la pense sociologique, Chapitre Comte
* C. Lvi-Strauss, Anthropologie structurale
* M. Gilbert, Marcher ensemble
Axe B – Autre rponse la question de savoir quelle est la nature du fait social : l'individualisme ontologique.
*G. Tarde, crits de psychologie
* G. Simmel, Philosophie de l'argent
* M. Weber, conomie et socit
Axe C – La rponse constructiviste la question de savoir quelle est la nature du fait social s'efforce de dpasser ces antinomies en affirmant la ralit la fois symbolique et objective du social.
* E. Goffmann, Les Rites d'interaction
1 – Pour l'interactionnisme symbolique, le comportement humain n'est pas une simple raction l'environnement mais un processus interactif de construction de cet environnement.
2 – Quelques illustrations d'une ontologie interactionniste du fait social.
*N. Elias, La Socit des individus
1 – Les phnomnes sociaux sont des phnomnes d'interdpendance qui sont tout autre chose qu'une interaction de substances .
2 – Ainsi, par exemple, l'existence de cette institution sociale qu'est l'tat ne tire son objectivit que d'un ensemble de reprsentations partages.
1 – J'emploierai l'expression fait social pour dsigner tout fait impliquant l'intentionnalit collective.
2 – Les faits institutionnels [une sous-classe des faits sociaux] n'existent qu' l'intrieur de systme de rgles constitutives.
→ Chapitre : L'individu : un je de socit
→ Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?
Axe D – Par consquent l'tude des phnomnes sociaux relvera du holisme pistmologique, de l'individualisme pistmologique ou constructivisme selon qu'on dfendra un holisme ontologique, un individualisme ontologique ou le constructivisme.
→ Chapitre : Nature et socit sont-elles au mme titre objet de science ?
Axe E – La question du dterminisme social s'claire diffremment selon la perspective holiste, individualiste, constructiviste.
→ Chapitre : L'individu : un je de socit
Axe A – La question peut signifier : l'tat originaire de l'homme peut-il tre pens sans relations sociales ?
1 – Rousseau, dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalit parmi les hommes, affirme que deux principes dfinissent l'homme naturel : la piti et l'amour de soi sans qu'il soit ncessaire d'y faire entrer celui de la sociabilit .
*Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalit parmi les hommes.
2 – Hume, dans le Trait de la nature humaine, explique que la sympathie est naturelle, et en disant qu'elle ne suffit pas produire l'existence sociale, il suggre qu'elle peut se manifester dans des petits groupes infra sociaux
3 – Une certaine tradition occidentale forge le mythe du bon sauvage et croit l'existence d'un individu pr-social.
4 – Quand on assimile la vritable socit une socit du contrat social, alors, logiquement, la socit repose sur un acte de volont qui n'a rien d'immdiat. Ce qui est immdiat (naturel au sens de spontan), est pr-social. Dans cette perspective contractualiste il existe une multitude parse prcdent la socit.
1 – Vivre en socit est une ralit premire pour les hommes ; sans elle , ils ne pourraient tout simplement pas vivre : ce qui donne naissance la socit, c'est l'impuissance o se trouve l'individu se suffire lui-mmePlaton, La Rpublique, II.
2 – Aussi loin qu'on descende sur l'chelle de l'volution, on n'arrive pas dceler l'existence d'un individu biologique totalement non social S. Moscovici, Pour une anthropologie fondamentale.
3 – La sociabilit des hommes ne procde pas d'une association choisie mais d'une interdpendance objective et ncessaire. Les hommes sont ncessairement inclus dans la socit N. Elias, La Socit des individus.
Axe B – La question peut signifier : les hommes vivent-ils spontanment de bon gr (avec naturel) en socit ?
1 – l'homme est naturellement pour l'homme le plus utile et le plus prcieux des biens Cicron, Des Biens et des maux.
2 – Pufendorf, dans De jure naturae et gentium, considre que c'est sur la conformit d'une mme nature que s'appuie la bienveillance humaine . L'homme aurait un penchant inn la bienveillance et la concorde, un penchant inn faire socit.
3 – Voltaire ironiquement souligne Tous les hommes vivent en socit ; peut-on en infrer qu'ils n'y ont jamais vcu autrefois ? N'est-ce pas comme si on concluait que si les taureaux ont aujourd'hui des cornes c'est parce qu'ils n'en avaient pas toujours eues ? L'homme en gnral a toujours t ce qu'il est [] il a toujours eu le mme instinct qui le porte s'aimer dans soi -mme, dans la compagne de son plaisir, dans ses enfants. [] Nous n'tions pas faits pour vivre la manire des ours Essai sur les murs.
1 – Pour Rousseau, la sociabilit depuis qu'elle a commenc se manifester, n'est pas heureuse car c'est l'exprience de la perte d'authenticit et c'est l'exprience de l'ingalit ; alors spontanment nous n'avons pas envie de vivre en socit.
*Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalit parmi les hommes.
2 – La plupart des hommes considrent que vivre en socit est une source permanente de contraintes et de contrarits au point d'aspirer parfois fuir la socit.
→ Chapitre : L'individu : un je de socit
1 – La cause finale, le but, le dessein que poursuivent les hommes, eux qui par nature aiment la libert et l'empire exerc sur autrui, lorsqu'ils se sont impos les restrictions au sein desquelles on les voit vivre en rpubliques, c'est le souci de pourvoir leur propre prservation et de vivre plus heureusement par ce moyen : autrement dit de s'arracher ce misrable tat de guerre qui est, je l'ai montr, la consquence ncessaire des passions naturelles des hommes, quand il n'existe pas de pouvoir visible pour les tenir en respect Hobbes, Lviathan.
2 – Rousseau fait remarquer que si on prend un autre critre d 'valuation de l'tat de nature que les avantages plaisants qu'il procure, celui-ci est largement infrieur l'tat social qui seul permet l'homme de ne pas rester un animal stupide et born : Quoiqu'il se prive dans cet tat [tat civil] de plusieurs avantages qu'il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses facults se dveloppent, ses ides s'tendent, ses sentiments s'ennoblissent, son me tout entire s'lve tel point [] Du contrat social, I, VIII.
*Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalit parmi les hommes.
3 – Remercions donc la nature pour cette humeur peu conciliante, pour la vanit rivalisant dans l'envie, pour l'apptit insatiable de possession et de domination. Sans cela toutes les dispositions naturelles excellentes de l'humanit seraient touffes dans un ternel sommeil Kant, Ide d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique.
Axe C – La question peut signifier : les hommes vivent-ils en socit parce que c'est dans leur nature (essence) ?
1 – Certes le cas des enfants sauvages montre que certains ont pu survivre en dehors de la socit ; mais sont-ils reprsentatifs de la condition humaine ?
2 – Dans la fiction de M. Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique qui se veut une exprience de pense, Robinson Cruso reconstruit une vie sociale sur son le dserte, sous peine de perdre son humanit.
1 – Pour Aristote, Ce que chaque chose est une fois que sa gense est compltement acheve c'est cela [qui est ] la nature de la chose . Or la cit est la communaut la plus minente de toutes , la plus acheve. Donc la cit fait partie des chose naturelles et l'homme est par nature un animal politique Politiques.
*Aristote, Politiques
2 – Rousseau, dans le Contrat social, dcrit les bienfaits de l'tat social bienfaits trs suprieurs l'existence mene dans l'tat de nature : Ce passage de l'tat de nature l'tat civil produit en l'homme un changement trs remarquable en substituant la justice l'instinct et en donnant ses actions la moralit qui leur manquait auparavant. [] Quoiqu'il se prive dans cet tat de plusieurs avantages qu'il tient de la nature, il en gagne de si grands Du Contrat social, livre I chap. VIII.
3 – Kant juge, dans Ide d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique, que ce n'est pas en restant dans l'inertie et la satisfaction passive caractristiques de l'tat originaire que l'homme dveloppera ses talents et sa moralit. Ce n'est que par le jeu de l'insociable sociabilit et par l'ducation au sein de la socit, qu'il pourra tmoigner de cette noblesse et de cette dignit dont la nature a dot sa nature.
→ Chapitre : Pas de socit sans histoire
Axe D – La question peut signifier : les homme vivent-ils ncessairement en socit ?
1 – Car les hommes l'tat de nature se sentent bien et n'prouvent pas la ncessit de changer d'tat.
2 – L'tat social est le fruit de certaines circonstances qui auraient pu ne pas se produire.
*Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'ingalit parmi les hommes.
1 – Cette ncessit de second degr concernant la vie en socit peut prendre la forme d'une construction certes, mais qui ne pouvait pas ne pas tre : L'ordre social si peu naturel qu'il soit, doit son existence une particularit de la nature humaine N. Elias, La Socit des individus.
2 – Cette ncessit de second degr concernant la vie en socit peut prendre la forme de la rgle de la prohibition de l'inceste que C. Levi Strauss, dans Anthropologie structurale, considre comme une ncessit naturelle la vie sociale, incarnant le passage de la nature la culture.
→ Chapitre : Pas de socit sans histoire
→ Chapitre : Quelle valeur accorder aux valeurs de la socit ?
→ Chapitre : La justice est la premire vertu des institutions sociales
Axe E – La question peut signifier : les hommes vivent-ils sans artifice en socit ?
1 – Les objets sociaux ne sont pas des entits qui existent de manire indpendante comme une plante ou une molcule d'ADN, ils sont toujours constitus par de actes sociaux J. Searle, La Construction de la ralit sociale.
→ Chapitre : L'ontologie du fait social
→ Chapitre : Peut-on concevoir une socit humaine sans art ?
2 – Les faits institutionnels (une catgorie des faits sociaux) sont le produit de dispositifs symboliques J. Searle, La Construction de la ralit sociale.
→ Chapitre : L'ontologie du fait social
1 – Hume explique dans le Trait de la nature humaine que c'est par l'institution de la rgle qui vise la stabilit des possessions que cette passion [de l'intrt personnel] se contraint . Le remde ne provient pas de la nature mais de l'artifice.
2 – Le contractualisme est un artificialisme.
→ Chapitre : Une socit peut-elle se passer d'tat ?
1 – L'universalit du phnomne de la socit n'empche pas son polymorphisme.
→ Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?
→ Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?
2 – Conventionnel peut rimer avec relativisme culturel : avantages/ inconvnients.
→ Chapitre : Une socit peut-elle s'identifier sa culture ?
→ Chapitre : Comparer les socits est-il judicieux ?
Christine Février