RETOUR : Articles

 

Pierre Campion

Le voyage impossible. Version revue et augmentée d'un texte paru d'abord dans Analyses et réflexions sur Homère, L'Odyssée, ouvrage collectif sous la dir. de J.-P. Fenaux, Ellipses, 1992.

© : Pierre Campion.

Mis en ligne le 22 avril 2001

 


LE VOYAGE IMPOSSIBLE

Le personnage d'Ulysse selon Jankélévitch et d'après Homère

Habituellement, dans les récits de voyage, le voyageur va à la découverte de l'autre et de l'ailleurs, quels que soient la conception et le traitement, plus ou moins classiques, de cet autre et de cet ailleurs. Mais, dans L’Odyssée, Ulysse revient chez lui : à partir d'Ogygie (une île du bout du monde, qu'Hermès lui-même visite rarement) et, de plus loin, à partir de Troie (la terre étrangère où les Grecs avaient porté la guerre), le voyage ramène Ulysse à ce qu'il connaît déjà : sa famille et sa patrie[1]. On va donc ici de l'extérieur au familier, en passant par une quantité d'expériences de l'altérité (magie, rencontres de monstres, lieux infernaux, dangers mortels, etc.). Comme dans tous les récits de voyage, il y a donc de l'étrange dans L’Odyssée, mais l'étrange n'y est pas placé au terme du voyage.

Voici donc, sous des formulations diverses, le paradoxe qui nous intéresse ici : Pourquoi, apparemment, l'étrange est-il placé le long du voyage et à son point de départ et non à son terme ? Pourquoi le récit d'Homère adopte-t-il le schéma du retour, c'est-à-dire le schéma inverse de celui des récits de voyage, et cela dans le poème qui est, par excellence, un récit de voyage ? Pourquoi faut-il passer par ailleurs, c'est-à-dire par où l'on n'était pas venu et par ce que l'on n'avait jamais vu, pour revenir chez soi[2] ? En somme, n'est-ce pas l'idée du retour elle-même qui ferait problème ?

Pour répondre à ces questions, nous aimerions partir d'une intuition et des analyses de Vladimir Jankélévitch[3].

Imaginer un vingt-cinquième chant de L’Odyssée

Dans son livre sur la nostalgie, le philosophe Jankélévitch a une idée subtile mais bien étrange, celle d'écrire, « à [sa] manière, le vingt-cinquième chant de l’Odyssée — celui qui n'existe pas » (p. 358). Sa fiction repose sur l'idée suivante : après la joie du retour à Ithaque, Ulysse est saisi par une sorte de dégoût et par le silence :

Ulysse antique, une fois de retour, n'a plus rien à souhaiter. Mais Ulysse moderne commence à s'ennuyer dès qu'il est auprès de sa Pénélope, dans cette maison à laquelle son cœur depuis si longtemps aspirait. […] Plutôt que de raconter ses aventures, Ulysse reste silencieux ; il les garde pour lui, les aventures, il refuse à Pénélope la confidence d'un si grand secret. À quoi le Vagabond pense-t-il ? Il n'est pas difficile de le deviner. Le Vagabond pense à Calypso la toute divine, dans sa grotte marine, il pense à Circé l'enchanteresse, dont la voix est si belle et les festins si somptueux auprès de la soupe rustique de l'épouse ; il pense à Nausicaa, la toute gracieuse, et aux jeux sur la grève […] (p. 359).

Bref, « à peine rentré, Ulysse est, dans son cœur, déjà reparti ». Que se passe-t-il, ou plutôt que s'est-il donc passé ? Ceci, dans l'imagination de Jankélévitch et suivant son analyse.

Cette tristesse de l'Ulysse moderne vient d'une désillusion, et cette désillusion révèle qu'il y a eu une illusion. Laquelle ? Tout au long de son voyage, et notamment dans l'île de Calypso, Ulysse songe douloureusement à sa patrie, à son épouse, à son fils, comme en atteste d'ailleurs le texte d'Homère :

Mais Ulysse le généreux n'était pas dans la grotte,

il pleurait sur le promontoire où il passait ses jours,

le cœur brisé de larmes, de soupirs et de tristesse.[4]

Cette douleur porte évidemment un nom, celui de la nostalgie, c'est-à-dire, étymologiquement, le nom du mal du retour. Mais la nostalgie est une maladie, et une maladie complexe qui suppose une certaine disposition de l'imagination. Cette disposition, Jankélévitch la décrit longuement et avec la subtilité qu'il mettait dans toutes ses descriptions. Voici l'idée qui anime ces analyses :

La forme élémentaire de la nostalgie, à la fois la plus simple et la plus optimiste, est celle où le retour est capable de compenser exhaustivement l'aller. Au degré zéro de la nostalgie le rapatriement annulerait « sans reste » (restlos) l'expatriement, comme le débarquement d'Ulysse à Ithaque annule, dix ans après, l'embarquement : pas de résidu incompensable, pas de moindre je-ne-sais-quoi ; la liquidation de l'exil ne laisse ni regret ni rancœur ; ni arrière-pensées, ni arrière-goût, ni arrière-scrupules. Et de fait si la nostalgie était un simple manque, un besoin ou un tropisme, le retour boucherait le vide de l'absence ; le déséquilibre, après satisfaction, ferait place à l'équilibre, l'instabilité et l'inquiétude à l'immobilité, la tension au repos. L'Odyssée est le récit de ce retour qui devrait être la cure infaillible de la nostalgie. L'Odyssée raconte la convalescence d'Ulysse en vingt-quatre chants (p. 349).

En somme, la structure imaginaire qui gouverne la nostalgie est centrée sur le thème du retour, et là nous sommes bien au principe du récit homérique. Mais, suivant Jankélévitch, cette structure est pathologique : la conscience nostalgique est illusionnée. En effet, le retour ne saurait avoir cet effet de compensation exacte que le nostalgique suppose : là où il imagine que sont encore les êtres et les choses tels qu'il les a connus, il y a désormais d'autres êtres et d'autres choses. En un mot, comme l'affirme dès le début la thèse centrale du livre de Jankélévitch,

l'irréversible n'est pas un caractère du temps parmi d'autres caractères, il est la temporalité même du temps ; et le verbe « être » est pris ici au sens « ontologique » et non pas au sens copulatif : c'est-à-dire que l'irréversible définit le tout et l'essence de la temporalité, et la temporalité seule ; en d'autres termes il n'y a pas de temporalité qui ne soit irréversible, et pas d'irréversibilité pure qui ne soit temporelle. […] Le temps est irréversible de la même manière que l'homme est libre : essentiellement et totalement (p. 7).

L'illusion d'Ulysse consisterait donc à croire qu'un certain déplacement dans l'espace (le retour) peut constituer déplacement dans le temps et lui restituer le temps passé, tel qu'il fut vécu.

Mais il y a pire. La nostalgie revêt en fait une forme plus complexe et plus aliénante encore :

La nostalgie est irrationnelle parce qu'elle est disproportionnée avec sa cause ; parce qu'en vérité elle n'a pas de « cause » ; parce que son objet justifierait aussi bien le sentiment contraire ; parce qu'elle est elle-même la cause de sa propre cause ; parce qu'enfin elle est à la fois la cause et l'effet. […] D'un mot : il n'est pas nécessaire que le nostalgique ait été ceci ou cela, il suffit qu'il ait été en général, et qu'ayant été il ait bien entendu, selon l'occasion, vécu, aimé et souffert, comme tout ce qui existe. L'objet de la nostalgie, ce n'est pas tel ou tel passé, mais c'est bien plutôt le fait du passé, autrement dit la passéité, laquelle est avec le passé dans le même rapport que la temporalité avec le temps. C'est par rapport au seul fait de la passéité du passé, et en relation avec la conscience d'aujourd'hui, que le charme inexprimable des choses révolues a un sens (pp. 352 et 357).

Autrement dit, l'illusion suivant laquelle le passé pourrait être intégralement restitué à celui qui l'a vécu a encore un effet propre, et à elle seule, c'est de parer ce passé de quelque chose qu'il n'eut jamais objectivement mais qui le rend infiniment séduisant et désirable, et qui se formulerait ainsi : il existe, là-bas, des êtres et des choses, une patrie et une part de moi-même, qui échappent au temps et que le retour peut me procurer.

Le malheur de l'homme nostalgique est donc double : d'une part, la souffrance, bien réelle, qu'il éprouve dans le moment et dans le lieu de son regret est l'effet d'une disposition imaginaire et non du manque de quelque réalité objective que ce soit ; d'autre part, il doit s'attendre à une nouvelle souffrance, toute différente, celle de la découverte de la réalité. Bien heureux encore, suggère Jankélévitch, si cette épreuve de la réalité lui apprend quelque chose et lui évite de supposer à nouveau que ce qu'il a connu dans son voyage est à son tour à désirer, de manière nostalgique !

 

Telle est donc la fiction que construit l'analyse de Jankélévitch. Bien entendu, justement, il faut comprendre qu'il a supposé cette fiction d'un vingt-cinquième chant de L'Odyssée en vue de sa propre analyse de la nostalgie et que son personnage d'Ulysse est bien, comme il le dit lui-même et comme on l'a vu, un « Ulysse moderne ». C'est pourquoi il faut maintenant se demander si cet Ulysse-là a quelque chose à voir avec le personnage et le récit d'Homère et si ce quelque chose a trait aux questions que nous posions plus haut.

Le thème du retour

Nous aimerions souligner d'abord le fait que les analyses de Jankélévitch attirent l'attention précisément sur le thème du retour (nostos), qui est le principe même du récit homérique et présentent cette idée du retour comme problématique. Selon les remarques que nous formulions en introduction, L'Odyssée n'est pas un récit de voyage comme un autre, et le génie d'Homère consiste peut-être déjà dans l'idée, peut-être trop évidente pour être assez remarquée, selon laquelle le problème du retour (le retour comme problème) méritait une épopée, si on peut dire, et une épopée qui fût le pendant de l'autre, celle de l'Iliade, elle si manifestement et si immédiatement épique.

Certes, le texte d'Homère désigne explicitement les obstacles qui empêchent longtemps le retour d'Ulysse. Dès le début du chant I, le poète rappelle que tous les autres chefs des Grecs, du moins ceux qui ne sont pas morts, sont rentrés chez eux (I, v. 11-13). Dans le même passage, le poème désigne les deux raisons pour lesquelles le seul Ulysse est encore loin des siens : Calypso le retient et essaie de lui faire oublier Ithaque (I, v. 55-57). D'autre part, il est en butte à l'hostilité de Poséidon pour avoir crevé l'œil du Cyclope (I, v. 20 et 68-75). Sans doute ces obstacles sont-ils puissants, puisqu'il ne faut pas moins d'un complot chez les dieux, en l'absence de Poséidon, pour tenter de les surmonter : Hermès se rendra auprès de la nymphe pour lui signifier la volonté de Zeus (chant V) suivant laquelle elle doit relâcher Ulysse. Pendant ce temps, Athéna se rend à Ithaque pour déterminer Télémaque à rechercher son père et d'abord à prendre courage et conscience de ses responsabilités. Le récit de ce qui se passe à Ithaque occupera presque entièrement les quatre premiers chants de l'épopée.

Mais justement il faut faire ici deux remarques. D'une part, la nymphe accepte facilement de libérer Ulysse et elle lui accorde même toute la protection qui est en son pouvoir, ce qui laisse penser que cet obstacle n'était pas si décisif. Mais, d'autre part, la démarche même d'Athéna et les difficultés qu'elle rencontre, la longueur des opérations auxquelles se livre Télémaque et l'aide que la déesse doit lui apporter, tout cela surprend et suggère un autre type d'obstacles au retour d'Ulysse, et bien plus difficiles à lever.

Que se passe-t-il à Ithaque ?

Reprenons l'idée de Jankélévitch.

Pendant que le héros pleure dans l'île de Calypso, des prétendants se sont manifestés près de Pénélope, ses biens sont mis au pillage et son fils ne tient pas le rang qu'il devrait remplir. Pire, presque tout le monde croit qu'il est mort et Athéna peut même dire, non sans intention peut-être, que

[…] nul n'a gardé le souvenir d'Ulysse

chez ceux qu'il gouvernait avec la tendresse d'un père ! (V, 11-12)

En somme, le temps a fait son œuvre et Ulysse regrette un lieu et des êtres qui déjà ne sont plus tels que son désir nostalgique se les représente[5].

Cela est si vrai qu'il ne faut pas moins de quatre chants et la mission d'Athéna, l’activité et l'habileté qui la caractérisent, pour mettre en mouvement le fils d'Ulysse et créer les conditions de son retour. Ce n'est pas seulement qu'il s'agit de préparer le terrain : si nous suivons encore Jankélévitch, nous dirons non seulement que la nostalgie d'Ulysse s'adresse à un objet illusoire mais aussi que le principal obstacle au retour du héros consiste justement dans le fait qu'il ne lui est pas possible de retrouver la patrie qu'il a quittée, du moins dans l'ordre humain des choses. En effet, le retour est impossible tant que l'état ancien n'a pas été rétabli, au moins en son principe, c'est-à-dire tant que les prétendants n'ont pas été dénoncés par Télémaque, tant que Pénélope n'a pas été remise à sa place par l'autorité masculine de son fils (I, v. 346-364) et tant que celui-ci n'a pas reconnu en son cœur la présence, quelque part dans le monde, de son père et son autorité. En somme, pour qu'Ulysse puisse revenir chez lui, il faut d'abord qu'on l'y attende, qu'on y souhaite sa présence, que l'ordre humain du désir y ait été réinstitué : en tête de L'Odyssée, les démarches de Télémaque signifieraient d'abord que l'île d'Ithaque est redevenue un lieu réel, actif pour ainsi dire, et que ce lieu a réellement besoin d'Ulysse.

Mais pour rétablir en l'état ce qui fut, il ne fallait pas moins qu'un décret divin, celui du maître des dieux, exécuté par une déesse. Encore faut-il préciser que les dieux doivent user en l'occurrence de toute leur autorité, de la ruse et des déguisements, et que le succès de leur action reste problématique puisque ce retour sera le sujet même du récit épique et le ressort de l'intérêt.

L'ailleurs, l'autre

Si nous poursuivons encore la réflexion sur l'Ulysse ancien à la lumière des suggestions de Jankélévitch, nous proposerons encore une interprétation du texte d’Homère.

Classiquement, le récit de voyage, nous l'avons dit, raconte plutôt la découverte de l'inconnu[6]. Mais L'Odyssée redevient un récit de voyage si nous supposons que l'altérité vers laquelle s'avance le héros n'est rien d'autre que son propre passé. Une fois que le temps a fait son œuvre, il n'y a rien qui nous soit plus inaccessible que le passé. Dans ces conditions, la puissante poésie d'Homère et l'idée épique de son poème pourraient, entre autres formulations, s'exprimer ainsi : Ulysse est le héros qui tenta et obtint réellement, non sans que les dieux l’aient permis, l'aient voulu, l'aient élu pour cela et l'y aient puissamment aidé, ce que les hommes peuvent rêver mais non réaliser, c'est-à-dire le retour dans leur passé et la réintégration dans la patrie. Dans ces conditions, les aventures que nous raconte le texte à partir du chant V, et notamment celles qui mènent le héros aux lieux et aux êtres étranges qu’il visite et rencontre dans les chants V à XIII, tout cela aurait valeur d'épreuves initiatrices à la véritable étrangeté, celle d'un lieu originaire et d'un moi premier[7].

On comprend maintenant pourquoi Ulysse ne revient pas chez lui par où il était passé : il n'y a pas de chemin connu pour revenir chez soi et sur son propre passé. Pour atteindre à ce qui, entre temps, est devenu l'Autre de soi-même, il faut faire exactement comme si l’on partait pour l'Étranger et comme si l’on entrait dans l'imprévisibilité d'une action. Autrement dit, L'Odyssée raconte une conquête, comme L'Iliade ; et cette conquête, sans constituer une guerre à proprement parler, met en jeu des actions de guerre, surtout à la fin du parcours, contre les prétendants. Dix années de ruse et de violences là encore, mais pour la découverte et pour la prise de possession de soi-même. On peut reconnaître ici la profonde ambiguïté qui anime aussi l'intuition de Freud : d'une part, la vérité de l'homme se confond avec son origine et, en quelque sorte, nous devons remonter toute notre histoire si nous voulons nous connaître et vivre en accord avec nous-mêmes ; d'autre part, la connaissance de soi et le bonheur demandent une invention et une action patientes mais d'une certaine manière héroïques.

Il n'y avait sans doute rien pour solliciter plus puissamment l'imagination de l'auditeur ancien et du lecteur moderne que la réalisation d'un des désirs les plus profonds et cependant les plus aliénants de l'humanité. Mais justement on ne pourrait pas dire pour autant que la poésie de cette épopée soit propre à nous entretenir dans les illusions aliénantes de la nostalgie : son ambiguïté particulière, et certainement l’un des traits de sa valeur, ce serait plutôt de représenter, poétiquement mais exactement, ce que sont le passé et l'origine, c'est-à-dire comme des objets imaginaires, hors de portée des hommes et comme l'une des formes de l'altérité elle-même, puisque seul un héros y a atteint[8]. Comme il y a une seule guerre de Troie, il y a une seule Odyssée, et cela suffit à attester la valeur de l'héroïsme et de notre passé, et la réalité, elle bien présente, du désir que nous en avons, mais en maintenant cette valeur et ce désir à la distance nécessaire que doivent prendre les très grandes vérités de l'humanité.

Pierre Campion


NOTES

[1] Quand nous prenons le récit du voyage, au chant V, Ulysse est à Ogygie chez Calypso. C'est de là qu'il part pour rentrer à Ithaque. Ensuite, à partir du chant IX et jusqu'au chant XII, la narration d'Ulysse lui-même, par un retour en arrière, couvre les épisodes qui vont du départ de Troie à l'arrivée dans l'île de Calypso. Il n'est pas indifférent que le poète commence le récit du voyage tout près de sa fin et cependant en un lieu éloigné d'Ithaque et du monde connu, et très étrange. Il n'est pas indifférent non plus que le voyageur doive refaire  chez Alcinoos, en pensée et par sa narration, tout le trajet qui l'avait amené chez Calypso, et cela à la veille de rentrer à Ithaque. Ulysse vient bien d'ailleurs et rentre chez lui.

[2] L'Iliade raconte l'expédition des Grecs et la guerre de Troie : elle ne décrit pas l'itinéraire de l'aller, ce n'est pas un récit de voyage.

[3] Vladimir Jankélévitch, L'Irréversible et la nostalgie, Flammarion, 1976, réédité dans la collection Champs. Nous suivrons cette édition pour toutes les citations.

[4] L'Odyssée, V, v. 81-83, trad. de Ph. Jaccottet, éd. de La Découverte, 1992. Nous citerons le texte dans cette traduction. Sur le thème de la tristesse nostalgique d'Ulysse, voir aussi le chant I, v. 57-59.

[5] Au chant XIII (v. 187-249), Ulysse, parvenu à Ithaque, ne reconnaît pas sa patrie. En effet, Athéna « l'avait enveloppé d'un brouillard pour qu'il demeurât invisible, qu'elle pût tout lui expliquer et que sa femme, ses amis, son peuple fussent dupes jusqu'à ce qu'il châtiât tous les excès des prétendants ». Par un effet curieux mais peut-être significatif, ce brouillard n'empêche pas Ulysse de voir les choses mais seulement de les reconnaître.

[6] Télémaque, lui, quitte son île, il va chez Nestor (chant III) et chez Ménélas (IV) ; il découvre le monde, il se forme. Telle est la forme habituelle du voyage.

[7] Pour rentrer chez soi, il faut même passer par les limites du monde où s'ouvre le pays des Morts (chant XI).

[8] Nous suggérons de définir l'altérité comme ce qui existe réellement, mais seulement en tant que la limite de l'humanité et de concevoir cette limite comme l'espèce de trait sans épaisseur qui ne détermine nul au-delà mais la seule frontière humainement envisageable de l'humanité. Ce faisant, nous nous inspirons de l'œuvre poétique de Philippe Jaccottet, le traducteur de L'Odyssée.


RETOUR : Articles