ILS ONT ÉCRIT (2)
VALÉRY Hugo est un milliardaire. Ce n'est pas un prince. *** Ce qu'Hugo imaginait devoir le grandir démesurément et le mettre au rang des dieux, ne le rend que ridicule. Mauvaises pensées et autres, dans uvres II, Pléiade, 1960, pp. 804 et 893-894. MALLARMÉ Hugo, dans sa tâche mystérieuse, rabattit toute la prose, philosophie, éloquence, histoire au vers, et, comme il était le vers personnellement, il confisqua chez qui pense, discourt ou narre, presque le droit à s'énoncer. Monument en ce désert, avec le silence loin ; dans une crypte, la divinité ainsi d'une majestueuse idée inconsciente, à savoir que la forme appelée vers est simplement elle-même la littérature ; que vers il y a sitôt que s'accentue la diction, rythme dès que style. Le vers, je crois, avec respect attendit que le géant qui l'identifiait à sa main tenace et plus ferme toujours de forgeron, vînt à manquer ; pour, lui, se rompre. Toute la langue, ajustée à la métrique, y recouvrant ses coupes vitales, s'évade, selon une libre disjonction aux mille éléments simples ; et, je l'indiquerai, pas sans similitude avec la multiplicité des cris d'une orchestration, qui reste verbale. Crise de vers, dans uvres complètes, Pléiade, 1945, pp. 360-361. MALLARMÉ, encore Nous assistons, en ce moment, à un spectacle vraiment extraordinaire, unique, dans toute l'histoire de la poésie : chaque poète allant, dans son coin, jouer sur une flûte, bien à lui, les airs qu'il lui plaît ; pour la première fois, depuis le commencement, les poëtes ne chantent plus au lutrin. Jusqu'ici, n'est-ce pas, il fallait, pour s'accompagner, les grandes orgues du mètre officiel. Eh bien ! on en a trop joué, et on s'en est lassé. En mourant, le grand Hugo, j'en suis bien sûr, était persuadé qu'il avait enterré toute poésie pour un siècle ; et pourtant, Paul Verlaine avait déjà écrit Sagesse ; on peut pardonner cette illusion à celui qui a tant accompli de miracles, mais il comptait sans l'éternel instinct, la perpétuelle et inéluctable poussée lyrique. Surtout manqua cette notion indubitable : que, dans une société sans stabilité, sans unité, il ne peut se créer d'art stable, d'art définif. De cette organisation sociale inachevée, qui explique en même temps l'inquiétude des esprits, naît l'inexpliqué besoin d'individualité dont les manifestations littéraires présentes sont le reflet direct. Sur l'évolution littéraire, réponse à l'enquête du journaliste Jules Huret (1891), dans uvres complètes, Pléiade, 1945, pp. 866-867. VALÉRY, à nouveau Dans Racine, l'ornement perpétuel semble tiré du discours et c'est là le moyen et le secret de sa prodigieuse continuité, tandis que chez les modernes, l'ornement rompt le discours. Tel quel, dans uvres II, Pléiade, 1960, pp. 635. et VALÉRY toujours [1935, cinquantenaire de la mort de Hugo : à lire en entier] On prétend que Victor Hugo est mort, et qu'il l'est depuis cinquante ans
Mais un observateur impartial en douterait. Hier encore, on s'attaquait à lui comme à un simple vivant. On essayait de l'exterminer. C'est là une grande preuve d'existence. Mais enfin, je veux bien qu'il soit mort : toutefois je m'assure qu'il ne l'est pas au point qu'on le dit et qu'on veut qu'il le soit. « Victor Hugo créateur par la forme », Variété, dans uvres I, Pléiade, 1957, pp. 583-590. |