LA FONTAINE EN ÉTÉ
Entièrement récrites et augmentées de nouvelles études et d'un essai,
les études qui sont en ligne sur ce site ont été reprises en volume :
Se rafraîchir à La Fontaine. L'animalité de l'homme dans les Fables, Rennes, éd. Ennoïa, juillet 2004.
Voir à ce sujet la page nouvelle sur La Fontaine.
LE LOUP ET L'AGNEAU La raison du plus fort est toujours la meilleure ; Fables, I, X. L'attaque est mordante. Pour longtemps, elle grava dans le vers français une constatation en effet scandaleuse. Mais c'est tout le distique qui est provocant : que cette sentence-là soit prononçable selon la souveraineté de l'alexandrin, qu'elle revête ainsi une valeur de vérité, et que, concédant, par l'octosyllabe qui suit, seulement quatre syllabes de silence à l'étonnement du lecteur, le fabuliste se fasse fort de lui en démontrer immédiatement la validité. Ou plutôt de la « montrer ». Car il y a bien là une raison, mais de celles qui ne sauraient ni fonder, ni régler, ni conclure un raisonnement : celle-ci se fait voir, sur une scène imaginaire qui emprunte à l'évidence de la réalité son mode indiscutable d'irrationalité et de persuasion, et qui ne retire sa preuve que de la puissance de la narration. Au coup de force du loup, qui est celui de sa nature, répond celui de la fable, qui est aussi dans sa nature. Un agneau à la mamelle qui boit dans un ruisseau, un loup raisonneur et procédurier qui joue le plaideur, le procureur et le juge puis l'exécuteur, voilà bien des étrangetés. Ce texte est dénonciateur, mais non polémique ; lucide, mais fasciné. De même que Le Massacre des Innocents de Pieter Bruegel à Vienne, et ses nombreuses copies, élèvent un moment absolu de la violence en monuments de la peinture, Le Loup et l'Agneau déploie en cette occasion l'éloquence de l'un et les brutalités de l'autre selon un festival des formes du vers français. Ponge aimait notre fabuliste* : Pierre Campion
* Francis Ponge, « Pages bis » dans Proèmes, uvres complètes, Gallimard, Bibl. de la Pléiade, I, 1999, p. 214.
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