LA FONTAINE EN ÉTÉ
Entièrement récrites et augmentées de nouvelles études et d'un essai,
les études qui sont en ligne sur ce site ont été reprises en volume :
Se rafraîchir à La Fontaine. L'animalité de l'homme dans les Fables, Rennes, éd. Ennoïa, juillet 2004.
Voir à ce sujet la page nouvelle sur La Fontaine.
LE MILAN ET LE ROSSIGNOL Après que le Milan, manifeste voleur, Fables, IX, [XVIII]. Parmi les huit Fables nouvelles publiées ensemble en 1671, celle-ci, qui ne porte pas de numéro dans le livre IX où elle prit place par la suite. Ici le genre prend des libertés. D'un côté, retour à des sources antérieures à Ésope et à Phèdre, et à un proverbe qui « remonte au moins à Caton l'Ancien* » ; de l'autre, priorité au plaisir et même à une espèce d'ivresse, légère, et qui ne perde pas de vue les réalités. Quelque chose de plus familier, d'éclaté en instants brillants, lesquels tendraient à arrêter l'attention, n'était la brutalité qui réveille certains vers. Ainsi la suggestion de ce village bruegélien au tout début du printemps (bientôt la soudure, on n'a presque plus rien, à grands cris les enfants gardent contre le rapace les dernières ressources : quelque nichée de lapins, les poules prêtes à pondre
) ; l'expression insolite de « manifeste voleur » (une voix, dans le tableau : ne se cache pas ce voleur-là) ; « les mains » du prédateur ; et cette ouverture sur le monde fascinant des histoires : le nom de Térée, le désir violent de ce roi, l'univers des métamorphoses
Et la première parole, au sixième vers
Elle survient sans prévenir ; sa syntaxe suspend notre sens grammatical, tant que nous n'avons pas reconnu la locution « aussi bien », et qu'elle annonçait une justification supplémentaire : le rossignol a déjà parlé, argumenté. Brillantes aussi, mais brutales, les reparties du rapace : « Qui, Térée ? », et, plus loin, dans le mouvement d'un alexandrin, qui ne tolère à l'hémistiche aucune pause : Ainsi la fable avoue-t-elle ici ses limites, et celles du genre : la sorte de plaisir qu'elle donne, et que l'homme désire la parole de la fantaisie, à condition qu'il ait déjà le pain. Mais justement il appartient à la fable de tracer ces limites. Sans sa liberté, nous ne saurions pas la nature seconde mais bien réelle de sa nécessité. Pierre Campion |