Marie-Claude Frangne : Le Temps brisé Marie-Claude Frangne (1958-2019) était professeur de Lettres.
Un livre des poèmes de Marie-Claude Frangne, édité hors commerce, est disponible. L'ouvrage de 136 pages est intitulé Le Temps brisé et autres poèmes. Il reprend le texte ici publié en ligne, complété par cinq autres recueils : Amer, Envol le vent, Manque de sérieux, Scories, Jubilation le vent. On peut l'obtenir gracieusement en s'adressant à Pierre-Henry Frangne Voir, sur ce site, la lecture de ce recueil par André Hélard. Mis en ligne le 2 avril 2020. © : Pierre-Henry Frangne SOMMAIRE du recueil : LE TEMPS BRISÉExergueJe voudrais une poésie immobile Non, je n'ai jamais su qu'errer Ma parole labile s'éparpille dans le bruissement de l'univers, inutile Non, les voix ne chantent pas Discordent Alors le monde se tait Autrui impénétrable Ma bouche inquiète échoue perd inaudibles cris Mots heurtés du silence Mur d'angoisse ô grande muraille Défaille roc Mots morts de ma mémoire Jaillirez-vous dans le vacarme ? Ô mots, sondeurs obscurs du plus secret, par lesquels je dérive en des profondeurs qui m'effraient, Quelle langue me fera vivre au cœur des choses ? Ah ! Qu'un vent pur m'arrache à la cérémonie futile ! 1994 MythologiesPlateauUne main noire se tend Elle a le visage du temps La dureté du sang La vanité du vent Son doigt noueux désigne Un horizon qui se résigne À n'être plus qu'un point parmi le vide Tant le néant l'aspire Et la main noire même disparaît À son tour engloutie Dans le monde confus et roulant Ma mémoire alors se fragmente Et perd ses traces Non, plus un signe Dans ce présent mobile un lent jour perce Franchirai-je le seuil ? 1994 Noirs les bateauxNoirs les bateaux battent à mes tympans leur rythme lent et sourd heurte mon sang et sonne dans mon cœur la mélopée qui vire Les images qu'ils charrient glissent sous mes yeux fermés Et la cadence va et se déroule le long charroi et se démaille l'habit tissé Un seul tient le fil serré sans fin Le cœur en cage s'affole entre les terres et son désir s'échappe aux trois cercueils de verre Noirs les bateaux battent à mes tympans leur rythme lent et sourd heurte mon sang Comme un songe et qui me hanteAlors elle naît et me regarde de ses yeux fous — le cercle blanc autour de son iris et le venin — Elle tend la main vers moi et je m'avance lentement De sa main dégoutte une pluie de larmes au goût de fer Alors je suis dans l'en-dehors Je marche dans le creux de ma douleur pour en savoir la saveur Je sens la colère de l'impuissance éclater Mais ma colère n'a pas de nom Comment pourrai-je l'endurer ? La nuit longue a duré Un flot de paroles vient mourir Comme c'est étrange À mesurer sa haine La bulle s'efface qui me cernait Et je pèse lourd Les pieds bien en appui sur la terre août 1994 Tu-Non-DitQuand je dormais encore dans la tombe de son corps tu t'effaçais déjà vers l'autre seuil le heurt de ma naissance infusa la présence de ton nom dans la prison de mon sang La patrie de ton corps est le mien car je vins dans l'effroi Aboli tu roulas pour moi un linceul plus lourd que le poids de ta vie le baptême de la même eau létale appareilla mon cri à ton creux secret sans oubli tissu de mes plis Doux mort amer au baiser pervers dix ans je dormis vivante comme Antigone mourut pour un mot payant le prix de la terre pour porter le chant haut de la folie de son frère — dix ans je suspendis le don maudit Tu te tais sans cesser jamais de bruire au silence je rêve encore les yeux ouverts dans ton champ et tu peuples ma voix de mirages étranges aux cernes mauves qui creusent ta trace enfuie dans l'écume de mes larmes Nul nautonier n'aborde jamais aux rivages de mon île Barre d'exil mon île ô mon désir en exil Mon cœur seul bat trop fort mars 2001 En un si lent sommeilEn un si lent sommeil de moi lovée je dormais autrefois coupée de moi j'errai un si long temps un long silence sans ponctuation dans mon absence J'appartenais alors au monde de la caverne suspendue à des ombres et tout était effroi livrée à la roue des émotions je tournoyais au gré de mes fantômes mes yeux étaient morts et ma bouche sans mots Un homme me fit passer dans le courant il déplia mes mains liées Je vins au dur dépouillement et à descendre sans appui plus au cœur du puits profond pour voir plus loin que les ténèbres plus au cœur de la présence Enfin je naquis nue levée sur le sable fuyant je sus le prix des larmes de ma déréliction les grandes mains du vent me baptisèrent et mon ivresse me délivra avril 2001
Le MinotaureTout se retrempe au rameau primitif : pas jusqu'à la source Acte I Aleph Dans la longue résonance de la langue maternelle le grand subterfuge des mots il n'y a pas d'issue possible je ne peux pas ne pas être mais ne suis pas née encore Car dans ce songe au cou de taureau je suis le monstre immolé du palais de Minos Je suis le monstre exilé du palais de mon père et mon énigme est double n'étant pas de mon père mais seule fille de ma mère sœur de trois soeurs les trois filles de mon père sont plus belles encore Dans le palais de la double hache on me nourrit de chair humaine de sept en sept mensonges Ils croient que je les mange je ne rumine que l'encens de Cnossos et la rosée de lait mêlée au miel Je suis trop seule dans le souterrain peuplé de nuées où s'emporte le sabot du cheval noir Ils veulent que je dorme mais dans mes sentiers je sais attendre les voyageurs En vérité je les guette mais encore aucun n'a trouvé l'omphale de mon cœur ni sa colombe Ils ne savent pas la danse des grues sur les lignes du ciel Ils écoutent leurs sirènes et s'égarent Il ne sera pas un intrus celui qui fera face à l'épreuve il cueillera mon trésor Mais l'homme est prompt à sacrifier le plus cher sans apprendre à voir mon souffle seul au deuil a tissé la toile Ma forteresse est habile et ma loge invisible mais non pas inviolable j'ai peur des désirs Dans le fruit d'or d'une fille du feu dort une lame plus fine qu'un fil de flamme sa larme blesse Je suis le taureau solaire mais qui m'a trahie sur l'autel flamboyant et hideux ? La chimère est sur moi et son mufle glace mon cœur Ses cheveux sifflent la vieille vocératrice au regard de basilic me fixe et boit mon sang Chargée d'un crime que je n'ai pas commis je m'avance seule jusqu'au désert du labyrinthe de ma folie La faute écrase si bien que le monde extérieur disparaît plus d'Autre Je reste seule dissoute éparpillée dans le néant de l'en-dehors à moi-même extérieure néant dans le néant Acte II Le sang Et quand le sang reflue les sphynges ne dorment jamais leurs griffes sur ma poitrine dans le grand questionnement Je veux rester dans le silence autiste de mes tourments expier voilée Être à paraître j'hésite au seuil dans le baiser de la peur Assise dans ma colère j'expire la longue gestation n'a pas de fin L'échelle peut bien jaillir du ciel la cohorte inquiète de mon orgueil dit non le jeu des contredits de leur tension en force l'unité La peau douce de mes errances sur encore tant de violences J'entends infiniment le ruisselet tourner dans le corset qui l'enserre De son or rouissant les blessures il tavelle les nervures de mes veines Je n'ose toucher la houle empesée du ballet terrestre Mon âme flotte à la lisière dépareillée et muette Mon corps sans apesanteur se tasse sur la terre Mon moi pleure ses moitiés qui se frôlent et s'appellent La lumière blesse des yeux accoutumés à l'obscurité Je crains la confiance des hommes et la disparition des dieux l'humaine condition Je crains ma vérité sous le regard des hommes le flux de la folie m'habite Livrée révélée j'ai toujours été avant même d'être née Et quand le fil d'Ariane semble se nouer un vertige brise le mouvement vers Il faudrait savoir tenir le nombre d'or de la cadence Il faudrait fuir la versatile humanité rester rivée au signe de fixité Le grand vœu de mort me dit à jamais du jardin dévasté des asphodèles Ne me regardez pas je suis trop nue dans ma douleur Je veux rester cachée loin du courant mais il m'aspire et je n'ai plus de forces pour résister J'ai beau hurler mes cris se fracassent sur le blanc minéral La terre est aride les nuits sans sommeil les mots sans couleur Mon âme est malade du dédale les ailes de ses mains s'effacent la cire ne prend pas Le soleil est trop haut pour le char de mes jours l'envol est perdu La masse du pardon est trop lourde et qu'aurais-je à pardonner Avant vous j'ai peur de moi et me frappe Acte III L'eau Le singulier et le vénérable palpitent dans l'exact et le juste de midi Si je sors un jour du champ des pleurs me baigner dans le fleuve d'huile lenteur et silence aucun murmure Mais les réminiscences ? Le beurre du temps engourdit la conscience entée sur une branche pourrie D'infectes mélancolies poursuivies par des nuées de mouches sur le versant du mal L'Inflexible saura couper le fil L'éveil est loin et l'olivier L'antre ne cesse jamais de se replier Dans ce grand flux tous les temps suspendus en un seul point de profondeur jusqu'au nadir Écrire la mise à mort où le taureau n'est pas celui que l'on croit Ma langue hors du sillon qui peut l'entendre ? leurs rires me foudroient Dans la chambre secrète je demeure la rive se dérobe le chaos n'a pas fui Chronos enchaîné réclame ses enfants nouveau-nés du triple mur d'airain les Titans se soulèvent Alors je dois faire le deuil de ma naissance accepter les traces et savoir l'étymon de la double origine Je suis lasse de n'avoir jamais été naïve parmi l'artificieuse humanité Creuser les songes pour en trouver le suc et le grand écart Il faut ôter les vêtements humides et ensevelir l'urne noire aux ondes écumantes Laisser flotter les cheveux du charbon ne plus les laver ne plus les peigner Pour accomplir le rite du grand passage les yeux fermés la tête inclinée vers la terre Et aller plus loin glisser vers l'ouest au point où s'endort le soleil du soir dans la barque profonde de l'Ankou sereine à l'étreinte fatale Acte IV L'entrée dans le mouvement
Le fil se perd et je trouve l'or Brûlée de tabac et de vin mon esprit devient vent de fumée vie souffle caresse La douceur est dans nos fils et la plus grande tu la sais Quand la clameur a fini de s'élever l'arène se tait Je dois porter l'estocade au leurre du beau taureau blanc et j'ai peur du taureau de mes peurs la danse attendue comble l'instant Je voudrais n'être ni d'un homme ni d'une femme inhumaine dans la tour écartée Savoir avant lui qui je suis car j'ai goûté le grain de la grenade et le pavot Juste des frôlements du sens à l'œuvre dans la conversion inachevable La source perdue mais non tarie je veux marcher devant de peur qu'Orphée ne se retourne Oui moissonner les épis occultés répandus à la surface de la terre Regagner le pli commun manger à la table parmi les vivants La paix gagne sous le cyprès le don de la peau Et je sens battre à peine un cœur qui de la première brèche saigne Que la profusion des lys et du gloriosa l'accueille au Verseau et lui donne son nom Acte V Épiphanie
Mes mots n'osent pas affronter la colère de la Fille du Soleil fille de Crète Pasiphaé Et le bain de Minos Que l'on me baigne aussi dans le jade liquide et le sang du soleil invaincu Voici que l'on tresse mes longs cheveux je suis pourtant encore dans l'ombre Astrée ma sœur permets que mes pas suivent l'auréole de lumière remontant à la source et chassent le sacrifice indu dans l'enceinte maçonnée Qu'Ariane et sa couronne suppléent le monde obscur Car sept et sept dans le miroir sont la sagesse céleste L'esprit obscurci par la poussière crée à ton image l'œil du reflet Je capte à ton toucher le cœur de ma présence dans l'ondoyante durée de l'être De forme en forme il me délivre à la surface des eaux L'onction me lustre je suis fille de mon père non plus difforme Je suis l'offrande à l'ombilic de chair en éternel retour L'Arche d'Alliance dans l'Arbre du monde le poisson du pêcheur la roue immobile la crypte au zénith le lotus et le thé le rayon de pluie l'oreille pérégrine la conque spiralée l'hélice du dragon sur le sable féconde et mobile l'odeur de la terre Et l'hermétique différence s'insinue les huit trigrammes ni ronds ni carrés inscrits sur la pierre blanche de Delphes qu'enlacent les anneaux du serpent Transverbérée alors je nais dans la chaleur des mains de lumière vibrante et sonore Les portes de jaspe s'ouvrent et le fracas est assourdissant Les Corybantes se déchaînent je peux passer au travers des cris de ma mère et du nom de mon père Myste j'ai reçu le baptême du feu et du sang Sous l'égide Janus me confie le chemin Que flamboie dans mon poing l'épée barbare de la langue natale je suis le chevalier de lumière qui porte la guerre dans le flanc de vos monstres de chair Cette douleur aiguë à mon pied droit Avant l'été je suis dans le jardin du monde Ma garde tombe Que vienne le jour dans le plein chant de l'amour et la Paix conciliée pour bercer le cœur d'Ennemi et connaître dès moi-même mon semblable ConfinsQuand le gelQuand le gel aura durci mes larmes Je me ferai statue de sel Ô vieux monde vermoulu
Quand la nature aura repris vigueur Je goûterai le bruit du vent sur mon visage Caché dans les orages
Quand l'été asséchera la terre et l'herbe J'aspirerai l'ambre des fleurs Penchée sur leur corolle À l'automne mûr et resplendissant Je scellerai mes paupières : Tant de beauté que fige la mort ! avril 1994 Être làQu'importe l'objet de ma foi je veux croire Je vous envie, frères réconfortés un temps unis temps d'oubli — moi, je suis dans l'aride et l'amer, la sèche solitude J'ai tant tenté de croire tant d'efforts pour voir s'évanouir des apparences sans mystère
Mais qu'importe ma souffrance si quelqu'un quelque part compatit je la tiens — moi, je vis dans des chaînes immatérielles indissolubles
Moi la mort m'est égale car le jour je la vis et la nuit je la vois Pas une âme où boire Et le jour enjambe la nuit sur un désordre où flotte l'écorce grossière des amours inconciliées Intense la contraction de mon âme mal faite à qui le bruit ne sait suffire À tant verser son attention mon cœur limbe à limbe s'est évidé en fragments d'images disloquées : sous les visages il n'y avait rien
Ma voix se fausse dans le silence et cherche en vain les harmoniques enfuies Mon instrument désaccordé ne baigne plus dans l'infusion des sons De la première absence les mots dénaturés se perdent La mort a envahi mon âme Des larmes de sel y ont durci en colonnes muettes espace rétréci infiniment Les cristaux étincellent et m'aveuglent — pièce amère où se cogne et se terre ma conscience tandis que tinte l'ironique écho de l'originelle discordance 1994 Quand le visageQuand le visage est nu il faut partir
Quand le mal a retrait du visage toute la douceur sociale il faut partir
Quand l'épreuve a défait les liens pour mettre à nu sur la face la douleur il faut partir
Quand la douleur a traqué le regard fait éclater les rides sur la peau lisse sécher les joues durcir la bouche il faut partir
Quand sur le corps jusqu'au fond de l'âme la douleur a imprimé son masque il faut partir
Quand la douleur ne fait plus se rencontrer qu'un soi-même contourné soi-même douleur non plus soi-même il faut partir
Quand la seule force n'est plus qu'en l'atonie pour ne pas plus briser le dernier soi tendu soi-même douleur non plus soi-même il faut partir 1994 Telle un héronTelle un héron claquant du bec avide, et frappant l'eau du lac, ainsi je suis en mon chemin vers les régions de l'obscur Ô transparence aimée je pleure en vain l'écho de ta clarté ton pur visage s'efface la nuit le nimbe
Je reste seule, mais pas en paix, perplexe, dans la mue de l'inexorable mise à nu
Je reste seule claquant du bec sur d'évanescents poissons d'argent évanouis dans l'eau noire mars 2000 Comme le chant de l'ombreComme le chant de l'ombre le champ de l'indicible le champ de l'impossible mot de l'impossible monde de l'impossible moi au monde jusqu'au vertige où je vacille liée et déliée liée déliée
juste le chant de l'ombre février 2001 L'arc briséÀ monsieur André Bellossi L'arc brisé de mes deux mains Son équanime attention l'a retendu leur nœud souffrant se mire à présent en ces ailes déployées mai 1998 Le sommeil huile mes pasLe sommeil huile mes pas
Il a encore hurlé le cri
Sans lampe et folle peut-être comment le reconnaître dans sa nuit bave d'épine rage râle grave il a sorti ses armes
Mon bouclier de brume je n'ai que lui pour l'envelopper dans mon amour mars 2001
LiensToujours à ta lèvreToujours à ta lèvre suspendue Laisse-moi déshabiller ton cœur Pour reposer sur ton âme
Bouche close Qui m'a ravie Bouche déclose Pures délices Bouche lisse et molle Bouche dure En sa morsure Sois la voie Vers mon bien-aimé
Son souffle expire En ma poitrine Mais ne s'atteignent Que deux corps étrangers juillet 1994 Comme cette sourceComme cette source choit de haut sur le rocher D'une myriade de perlettes éclaboussé Ainsi penchée sur ton image J'assemble en vain le miroir décomposé De tes évanouissants reflets
Que ne suis-je cette onde fluide au pur son cristallin Rajeunissant sa transparence unie Intacte entièreté Emportée par le lit de la terre Et abîmée sur le plein minéral PapillonsPetits papillons blancs Posés frémissants doux Battant Vol suspendu Comme des mains pouces joints Comme des mains palpitent pâlissent embrumées de lumière Mains déployées tout empennées au gros œil fixe en sceau Voici ces grands cils qui voltigent dont la pluie sèche résonne sur mon genou
Ainsi semblable à ces danseurs ailés l'imprudent dormeur à mon humeur se ploie Sur la courbe de son corps je dessine Et défile, en longs papillons dociles pareils à des soldats agiles, son aérienne dépouille que le vent noue Ses mains renversées gisent sous sa joue Les ailes de ses paupières tremblent que l'ombre dépoudre Mais un vertige soudain l'agite et brise mes images : sa main étonne mon genou juillet 1994 Au fil de flotsAu fil de flots défaites pelotes je file de l'eau
Mon aiguillée ruisselle d'ondines hilares nées d'une vague de mon esprit penché sur un métier
Je brode un flot de fil de mots de jours doubles vient ma rivière faisceaux de fils entrelacés mais de la chaîne et de la trame à la lisière de mon ourlet d'ondes marines en Gobelins de nid d'abeilles en point de Rhodes sur la mousseline de mes ondines je perds le fil au fil du temps au fil des jours mai 2001 L'enfant chantDans mon livre d'heures dort nouvelle éclose la coupe charnelle que j'entends battre bercée par le silence C'est l'enfant sang
Un frisson tiède son souffle verse la mesure incante un nouveau charme la double note de sa musique emplit l'espace les ondes du monde autour s'arrondissent C'est l'enfant chant
Un ciel tremble dans son cri frêle il entre dans l'instant l'enluminure de nos désirs écrit son texte seul il entrelace les fils il noue point par point le tapis de son rêve pour tisser la longue couture de son nom C'est l'enfant temps
Délié de nous tout doux dort l'enfant do dort l'enfant chant mars 2000 La pivoineNon Suspends ton geste Et admire comme elle semble dormir Lovée encore dans sa sève secrète La perle non ronde Aux joues de porphyre
Combien de fois Ne l'as-tu pas crue éclose Son printemps est une longue attente
Quand enfin À l'appel de ton vœu Elle s'ouvre De ton œil indiscret Surprends Les lourds pétales Tout ourlés de rosée T'offrir la luisance De leur cœur délivré Tendu sur la tige Que balance le bourdon
Tout l'art est dans son accueil Alors Seulement Cueille-la L'amoureuse pivoine mai 2001 Le loupPour mon petit loup et pour Arnaud Il a remis son loup son loup du téléphone qui encapuchonne jusqu'à son âme et voici les paroles fortuites et tous les détails le temps se fige le temps s'allonge le temps n'est plus
Le hâbleur sa présence même s'estompe pur organe vocal pure mise en œuvre de purs esprits — croient-ils — d'aimants amis purs sièges de pures idées Ils portent tous leur loup leur loup qui les encapuchonne dans leur discours et miracle : dans ce corps à corps sans corps l'accord se trouve l'accord se noue la vie bat (plus) dense et dansent leurs rires tonitruants se lance l'image du moi idéal magie des mots le moi au mieux Comme ils sont élevés ces animaux des mots qui se livrent sans se voir à ce présent toujours coulant du moi des mots
Quand il en sort il est tout autre mais son regard est encore sous le loup et nous nous sommes couchés et depuis longtemps endormis OiseauxPour Alain et Isabelle J'ai vu partir les longs oiseaux aux hommes levés dans leurs ailes retrouvées Leur flanc rond ouvrait un pan du lourd tissu liquide La ville répondait à la danse des sirènes une à une détachée J'ai vu les traits des longs oiseaux La trace amuïe de leur sillage claironnait l'en allée de la geste océane
Vous étiez où ils chantent
Si loin du vôtre Ô voyageurs Je l'ai senti frémir pour dégager sa chaîne Dans le silence de ces jours longs Mon œil de sang en pleure encore Son vol plié dans l'effort il s'ancrait dans les terres si loin de moi qu'à peine j'imagine son nouveau port
L'heure de tant d'heures déchirées dans le noir a passé Notre petit marché reste rivé à son canal Asile pillé par l'espace sans mesure il a emmuré le mien coque d'exil
Les bateaux glissent réconciliés Les arbres au ciel ressemblent à des estampes
La mer tremblée de nos rêves et ses îles suspendues déploieront-elles à notre gré l'espoir d'un autre voir ? juillet 1999-juillet 2000 Sous le silenceSous le silence lisse de ses paupières dort mon petit garçon
Très doux son cou s'élance tête renversée joues d'amande bombées Je voudrais les caresser
— Mais l'éveiller ?
Bras pliés en arrière intensément il est présent
Par quel miracle un songe étrange a transformé mon diablotin rieur en corps pensif tout rond et tiède les yeux enclos sur son mystère ? mai 1994 Près du silenceLa chaste imageLa chaste image Des rêves d'hiver S'efface Sa trace se perd Dans un nuage Blanc et vert 1996 Printemps à peineBouffées de parme à terre
De grandes silhouettes brunes s'élancent nues Vigueur de leur collerette verte
Des gouttes de fraîcheur se pressent Pâques 2000 Sur un filSur un fil deux feuilles d'or
À terre la pesanteur de la chair
Un filet d'eau dans le lointain Que la chaleur écrase 1998 L'étéChu de l'abîme le bloc obscur traverse la terre sèche
Des milliers de phalènes s'élancent Là-haut un paphio berce son unique tige mars 1999 Dans le carmelDans le carmel des jours l'empan de ma colère ne fait pas long feu Mage noirMage noir de la marge de la chair et de la trace tu m'effraies rivée à ta dérive
la bête ne sait jamais se taire 7 juillet 2001 JoursSur le bristol vernaculaire des jours Dans la sandale de mon calendrier Et les bateaux de l'hiver De l'enveloppe de peau que reste-t-il ? 7 juillet 2001 MélancolieLa fraîche mélancolie au nez pressé sur le carreau cache ses secrets volés 7 juillet 2001 BourgeonBourgeon le mot s'ouvre souffle et vent 26 juillet 2001 Et le tempsEt le temps s'est mué en éclats d'instants réveillés de sutures incertaines
il libère le silence dans la porosité de l'être 6 décembre 2001 Si l'essenceSi l'essence est pure mouvance et l'apparaître toujours décevant où prendre appui ? FinaleIncantationHabitante des jardins je bois l'été où le grand Pan bouillonne dans le souffle incréé de la terre
Je veux le ciel à portée de main — que la lumière déferle
Je veux les odeurs chavirées de la terre incendiée que l'eau du soir intaille dans la célébration rituelle du culte unique tard dans les jardins quand peu échappe la pesanteur quand à la douceur de l'étale la peau défaille quand les aromates et les parfums s'exhalent des seins de la terre
Je veux le rideau lourd du désir dans l'ombreuse chevelure flottée du bouleau la lente puissance du grand triangle troublant l'aérien ramage de sa dryade Que la chair s'exalte hors du tumulte et de la poussière des hommes dans la torsion du soir et l'oraison glorieuse des corps avides
Je veux l'extase devant le grand tableau vivant du ciel et les images du feu mouvant quand flambe la jubilation du jour fuyant la bacchanale de la lumière quand la nuit verse à peine du premier jet de ses doigts d'encre la coulée lente de l'ambre gris pour n'être plus les bras fermés sur le rire fou irrépressible du grand Pan qu'une vibration à l'unisson dans l'univers pour n'être plus qu'une effusion de tous les sens de l'univers 6 juillet 2001 |