Annexe 3

LA CONSTRUCTION DE LA DÉFINITION DE LA RHÉTORIQUE

(Entretien avec Gorgias)

 

 

 

 

QUESTION

 

 

RÉPONSE

 

 

1

 

«  Quel est l’art que tu connais ? » 449 a

 

 

« La rhétorique » 449 a

 

2

 

 

«  Mais la rhétorique, sur quoi porte-t-elle ? » 449 e

 

«  Sur les discours » 449 e

 

 

3

 

 

« Quels discours ? » 449 e

 

« Sur quels objets portent les discours dont la rhétorique se sert ? »  451 d

 

 

«  Sur les plus importantes des choses humaines » 451 d

« Les discours qui ont le pouvoir de convaincre dans n’importe quelle réunion de citoyens »  452 e

 

4

 

 

« Quel est le genre de conviction dont la rhétorique est l’art, et sur quoi porte-t-il ? »  454 a

 

 

«  Cette conviction porte sur toutes les questions où il faut savoir ce qui est juste ou injuste »  454 b

 

5

 

 

« Existe-t-il une chose que tu appelles savoir et une autre que tu appelles croire ? »  454 c

 

« Il existe deux formes de conviction, l’une qui permet de croire sans savoir et l’autre qui fait connaître » 454 e

 

 

6

 

 

« De ces deux formes de conviction, quelle est celle que la rhétorique exerce ? »  454 e

 

« C’est une conviction qui tient à la croyance »  454 e

 

 

 

BILAN

 

 

«  La rhétorique est productive de conviction, elle fait croire que le juste et l’injuste sont ceci et cela, mais elle ne les fait pas connaître » 455 a

 

 

 

Ce patient travail de définition met en place tous les éléments sur lesquels Socrate construit sa critique de la rhétorique : « Parce qu’elle fait croire et non savoir, elle n’a aucun besoin de savoir ce que sont les choses dont elle parle. Simplement, elle a découvert un procédé qui sert à convaincre » (459 b-c). Elle se trouve définie comme une technique de manipulation des apparences. Il s’agit bien de faire croire que ce qui est dit est vrai, sans que ni l’orateur ni son auditeur n’aient connaissance du vrai. Non seulement l’ignorance n’est pas un handicap, mais elle pourrait même devenir un avantage : « L’orateur qui ne connaît pas ce dont il parle convaincra mieux que le connaisseur, s’il s’adresse à des gens qui n’en connaissent pas plus que lui » (459 b).

La rhétorique n’est donc pas définie par son objet – celui-ci importe peu –, mais par un formidable pouvoir, puisqu’il est « le principe du commandement que chaque individu, dans sa propre cité, exerce sur autrui » (452 d) ; un pouvoir qui repose sur une appréciable économie de moyens : « Il n’y a aucun art à apprendre, si ce n’est un seul, la rhétorique, et on n’est pas moins fort qu’un spécialiste » (459 c).

On voit tout le parti que la politique, le commerce, le conditionnement idéologique peuvent tirer de ces techniques de communication : le pouvoir de la rhétorique se joue sur les mots, et sur la capacité qu’ont les mots de créer une réalité factice, de simuler le vrai. Il engage le politique sur le chemin de la démagogie.

 

Mais en même temps qu’il dévoile le pouvoir de la rhétorique, Socrate fournit les clés pour le déjouer, car ce pouvoir a ses limites : l’orateur ne convainc que « ceux qui n’en connaissent pas plus que lui » (459 b). La rhétorique est d’autant plus puissante qu’elle s’adresse à des ignorants. Et l’on en tire une conclusion : la meilleure façon de résister à la manipulation, c’est le savoir. S’il était besoin de justifier la nécessité d’apprendre – au delà du désir de savoir et de comprendre –, on pourrait dire qu’elle a un enjeu essentiel : la libération de toutes les formes démagogiques de manipulation, de conditionnement et donc d’aliénation.