Annexe 9

LES RAPPORTS DE L’ÂME ET DU CORPS SELON PLATON

Aussi longtemps nous aurons notre corps, aussi longtemps que notre âme sera pétrie avec une telle malfaisance, jamais nous ne posséderons comme il faut l’objet que nous désirons ; et nous déclarons que c’est la vérité ! Le corps en effet occupe de mille façons notre activité, à propos de l’obligation de l’entretenir, sans compter que si les maladies surviennent, elles sont des entraves à notre chasse au réel. D’un autre côté, voici des amours, des désirs, des craintes, des simulacres de toute sorte, des billevesées sans nombre : de tout cela il nous emplit si bien que, à en parler franchement, il ne fait naître en nous la pensée réelle de rien. En effet, guerres, dissensions, batailles, rien d’autre ne nous vaut tout cela que le corps et les désirs de celui-ci ; car c’est à cause de la possession des richesses que se produisent toutes les guerres, et, si nous sommes obligés de posséder des richesses, c’est à cause du corps, esclaves prêts à le servir ! C’est de lui encore que, à cause de tout cela, procède notre paresse à philosopher ; mais, ce qui est le comble absolument, nous arrive-t-il même d’avoir, de sa part, quelque répit et de nous tourner vers l’examen réfléchi de quelque question, alors, tombant à son tour inopinément en plein dans nos recherches, il y produit tumulte et perturbation, nous étourdissant au point de nous rendre incapables de percevoir le vrai. Eh bien ! c’est, au contraire, pour nous chose prouvée que, si nous devons jamais avoir une pure connaissance de quoi que ce soit, il faut nous séparer de lui, et, avec l’âme elle-même, contempler les choses en elles-mêmes. C’est à ce moment-là, semble-t-il, que nous appartiendra ce que nous désirons, ce dont nous déclarons être amoureux : la pensée, c’est-à-dire, tel est le sens de l’argument, quand nous aurons trépassé, mais non pendant que nous vivons ! S’il n’est pas possible en effet de rien connaître de façon pure, avec le concours du corps, de deux choses l’une : ou bien d’aucune manière il ne nous est possible d’acquérir la connaissance, ou bien ce l’est pour nous une fois trépassés ; car c’est alors que l’âme existera en elle-même et par elle-même, à part du corps, mais non point auparavant ! En outre, pendant que nous vivons, le moyen, semble-t-il, d’être le plus près de la connaissance, c’est d’avoir le moins possible commerce avec le corps, pas davantage de nous associer à lui à moins de radicale nécessité, pas davantage de nous laisser contaminer par la nature de celui-ci, mais au contraire de nous en purifier, jusqu’au jour où la Divinité en personne nous en aura déliés.

PLATON, Phédon, 66 b - 67 a

 

– Eh bien, considère encore la question sous le jour que voici : lorsque sont unis ensemble âme et corps, à l’un la nature prescrit d’être esclave et soumis à une autorité, à l’autre d’exercer l’autorité et d’avoir la maîtrise ; cette fois, sous ce rapport, est-ce, à ton avis, à ce qui est divin que ressemble l’âme ? est-ce à ce qui est mortel ? Mais peut-être n’est-ce pas ton avis que ce qui est divin soit, de nature, fait pour exercer l’autorité et la direction ? ce qui est mortel pour être soumis à l’autorité et pour être esclave ?

– C’est bien mon avis.

– Mais auquel des deux l’âme ressemble-t-elle donc ?

– C’est trop clair Socrate : l’âme ressemble à ce qui est divin, le corps à ce qui est mortel !

– Dès lors, poursuivit Socrate, examine, Cébès, si le résultat de tout ce que nous avons dit n’est pas pour nous ce qui suit : ce qui ressemble le plus à ce qui est divin, impérissable, intelligible, qui possède l’unicité de la forme, qui est indissoluble, qui toujours garde, identiquement avec soi, les mêmes rapports, c’est l’âme ; ce qui, d’autre part, ressemble  plus à ce qui est humain, mortel, non intelligible, qui a multiplicité de la forme, qui est sujet à dissolution, qui jamais ne garde avec soi-même les mêmes rapports, c’est, à son tour, le corps.

PLATON, Phédon, 79 a - b