Annexe 4 : Ce
qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous
Il y a ce qui dépend de nous, il
y a ce qui ne dépend pas de nous. Dépendent de nous l'opinion, la tendance, le
désir, l'aversion, en un mot toutes nos œuvres propres ; ne dépendent pas
de nous le corps, la richesse, les témoignages de considération, les hautes
charges, en un mot toutes les choses qui ne sont pas nos œuvres propres. Les
choses qui dépendent de nous sont naturellement libres, sans empêchement, sans
entrave ; celles qui ne dépendent pas de nous sont fragiles, serves,
facilement empêchées, propres à autrui. Rappelle-toi donc ceci : si tu
prends pour libres les choses naturellement serves, pour propres à toi-même les
choses propres à autrui, tu connaîtras l'entrave, l'affliction, le trouble, tu
accuseras dieux et hommes ; mais si tu prends pour tien seulement ce qui
est tien, pour propre à autrui ce qui est, de fait, propre à autrui, personne
ne te contraindra jamais ni ne t'empêchera, tu n'adresseras à personne
accusation ni reproche, ni ne feras absolument rien contre ton gré, personne ne
te nuira ; tu n'auras pas d'ennemi ; car tu ne souffriras aucun
dommage. Toi donc qui poursuis de si grands biens, rappelle-toi qu'il faut,
pour les saisir, te remuer sans compter, renoncer complètement à certaines
choses, et en différer d'autres pour le moment. Si, à ces biens, tu veux
joindre la puissance et la richesse, tu risques d'abord de manquer même
celles-ci, pour avoir poursuivi ceux-là, et de toute façon tu manqueras
assurément les biens qui seuls procurent liberté et bonheur. Aussi, à propos de
toute idée pénible, prends soin de dire aussitôt : « Tu es une idée,
et non pas exactement ce que tu représentes. » Ensuite, examine-la,
éprouve-la, examine-la selon les règles que tu possèdes, et surtout selon la
première, à savoir : concerne-t-elle les choses qui dépendent de nous ou celles
qui ne dépendent pas de nous ? Et si elle concerne l'une des choses qui ne
dépendent pas de nous, que la réponse soit prête : « Voilà qui n'est
rien pour moi. »
Épictète, Manuel I, traduction J. Pépin, dans Les Stoïciens, éd. Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1962, p. 1110.