Annexe 6 : La
vertu n'est pas le souverain bien
Que la vertu (comme nous rendant
digne d'être heureux), soit la condition suprême de tout ce qui peut nous
paraître désirable, partant de toute recherche du bonheur et aussi du bien suprême, c'est ce qui a été prouvé
dans l'analytique. Mais elle n'est pas encore pour cela le bien complet et
parfait, comme objet de la faculté de désirer d'êtres raisonnables et finis,
car pour être telle, elle devrait être accompagnée du bonheur et cela non
seulement aux yeux intéressés de la personne qui se prend elle-même pour but,
mais même au jugement d'une raison impartiale, qui considère la vertu en
général dans le monde comme une fin en soi. Car avoir besoin du bonheur, en
être digne et cependant ne pas y participer, c'est ce qui ne peut pas du tout
s'accorder avec le vouloir parfait d'un être raisonnable qui aurait en même
temps la toute puissance, si nous essayons seulement de nous représenter un tel
être. En tant que la vertu et le bonheur constituent ensemble la possession du
souverain bien dans une personne et qu'en outre le bonheur est tout à fait
exactement proportionné à la
moralité (ce qui est la valeur de la personne et la rend digne d'être heureuse),
ils constituent le souverain bien
d'un monde possible, ce qui veut dire le bien entier et complet, dans lequel la
vertu est cependant toujours comme condition, le bien suprême, parce qu'il n'y
a pas de condition au dessus d'elle, parce que le bonheur est toujours une
chose à la vérité agréable pour celui qui la possède, qui toutefois par elle
seule n'est pas bonne absolument et à tous égards, mais suppose en tout temps,
comme condition, la conduite morale conforme à la loi.
E. Kant, Critique de la Raison
Pratique, trad. F. Picavet,
Bibliothèque de Philosophie Contemporaine, éd. PUF 1960, 1ère
Partie, Livre II, ch. 2, p. 119-120.