RETOUR : Cours de J. Morne

 

Cours de Jacqueline Morne sur La Vie heureuse de Sénèque.
Annexe 6


Annexe 6 : La vertu n'est pas le souverain bien

 

Que la vertu (comme nous rendant digne d'être heureux), soit la condition suprême de tout ce qui peut nous paraître désirable, partant de toute recherche du bonheur et aussi du bien suprême, c'est ce qui a été prouvé dans l'analytique. Mais elle n'est pas encore pour cela le bien complet et parfait, comme objet de la faculté de désirer d'êtres raisonnables et finis, car pour être telle, elle devrait être accompagnée du bonheur et cela non seulement aux yeux intéressés de la personne qui se prend elle-même pour but, mais même au jugement d'une raison impartiale, qui considère la vertu en général dans le monde comme une fin en soi. Car avoir besoin du bonheur, en être digne et cependant ne pas y participer, c'est ce qui ne peut pas du tout s'accorder avec le vouloir parfait d'un être raisonnable qui aurait en même temps la toute puissance, si nous essayons seulement de nous représenter un tel être. En tant que la vertu et le bonheur constituent ensemble la possession du souverain bien dans une personne et qu'en outre le bonheur est tout à fait exactement proportionné à la moralité (ce qui est la valeur de la personne et la rend digne d'être heureuse), ils constituent le souverain bien d'un monde possible, ce qui veut dire le bien entier et complet, dans lequel la vertu est cependant toujours comme condition, le bien suprême, parce qu'il n'y a pas de condition au dessus d'elle, parce que le bonheur est toujours une chose à la vérité agréable pour celui qui la possède, qui toutefois par elle seule n'est pas bonne absolument et à tous égards, mais suppose en tout temps, comme condition, la conduite morale conforme à la loi.

 

E. Kant, Critique de la Raison Pratique, trad. F. Picavet, Bibliothèque de Philosophie Contemporaine, éd. PUF 1960, 1ère Partie, Livre II, ch. 2, p. 119-120.