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Nathalie Riou : le lai de la vie de la mort de René Char (figure de René Char).

Les « figures » mises en ligne sur ce site ne sont pas des études ou des articles mais des essais personnels et libres.

Texte mis en ligne le 3 mai 2009.

© : Nathalie Riou.

Auteur d'une thèse sur René Char soutenue le 24 juin 2008 à l'université de Nantes et reçue avec la mention Très honorable, Nathalie Riou est professeur agrégée de Lettres modernes.
Elle a publié deux recueils de poésie : Brise, éd. Encres vives, 2001 et Éclats de jusant, Éditinter, 2003.Ê

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le lai de la vie de la mort de René Char

cher sachem

vous ai-je volé

si ce fut avec trois de vos plumes

 

 

soir de juin mil neuf cent sept

sans étoiles un enfant naît

qui pourrait savoir ? - nul ne sait

la mère couvrait une sœur

morte que le père en sueurs

- qui des deux fut le seul amant -

perdrait reverrait dans onze ans

où sont les gémeaux ? – nul ne sait

un soir que les eaux de la Sorgue

luttant contre de lourdes orgues

déroulaient leurs longs cheveux verts

emportant les mille mains d'hier

- neume des morts anfractueux -

et les poings du frère haineux

des chemineaux les pieds dans l'eau

donnèrent leur main sans anneau

qu'est-ce qu'un transfert ? - nul ne sait

souvent le poète écrit peu

et à peu mais c'est en tous lieux

sous les paupières sur la peau

sur le sexe surtout sous l'eau

et aux absents intensément

Char écrivit violemment

le mot feu aux beaux yeux d'Eluard

qui ouvrirent un sémaphore

où des hommes aux yeux bandés

touchaient aux seins de la nuit nés

quelle heure sonne le poète ? - nul ne sait

un homme nu tenant une arme

glace comme une allée de charmes

dévastée seul le chant du cœur

donne à la nudité chaleur

la parole du réfractaire

sang à la tempe ouvre la terre

disant sous la botte en cuir noir

le cri de la mésange noire

quel mot fait la paix ? - nul ne sait

il est midi vide est le trône

les clameurs ont fait la couronne

mais le roi s'est habillé d'ombre

et se perd dans la nuit qui tombe

il meurt au fur et à mesure

que grandit la dure brûlure

qui – ni antre ni crèche – brûle

l'air magique où le vide est nul

tout va en regard baiser trille

le roi est mort la nuit brille

qu'est-ce qu'un regard ? - nul ne sait

il fait ce jour un temps de mort

à ne mettre un vivant dehors

            René Char commande un taxi

qui va de l'aube de Paris

aux eaux terribles de la Sorgue

au poète qui a la bogue

de la nuit toute sa vie

ouverte comme un cri de tigre

que sera la mort ? – nul ne sait

 

 

 

Ce Ç lai È dit un peu la vie de René Char. Son père avait épousé en premières noces Julia Rouget, qui mourra un an plus tard de tuberculose. Il épouse alors la jeune sœur, Marie-Thérèse Rouget : ils auront quatre enfants, dont le dernier, René Char, né le 14 juin 1907. Les autres faits sont connus des lecteurs du poète : la mort du père en 1918, l'élargissement de la vie auprès des Matinaux de la Sorgue (le vers en italiques est extrait d'un poème de Char, Ç Le Visage nuptial È), les premières armes poétiques parmi les surréalistes, la Résistance, les grands recueils d'après-guerre qui déjouent la consécration… Moins connu est l'épisode rapporté par Greilsamer dans sa biographie, L'Éclair au front : Char a plus de quatre-vingts ans quand, lors d'un séjour à Paris auprès de sa femme, Marie-Claude de Saint-Seine, comme il se lasse probablement de la ville, il fait signe à un taxi au carrefour de l'Odéon pour aller à… l'Isle-sur-la-Sorgue.

Nathalie Riou

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