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Robert Nédélec : Quatre poèmes.

Robert Nédélec est né à Saint-Pol-de Léon, le 23 mai 1946. Il a partagé sa vie entre la Bretagne et la Provence, et réside aujourd'hui dans un village au nord d'Aix-en-Provence.

Ces poèmes sont extraits du recueil Contre-jour paru aux éditions de L'Arrière-Pays (2007). Nous remercions vivement les éditions de L'Arrière-Pays de nous avoir autorisés à reprendre ces pages ici.

Mis en ligne le 8 octobre 2007.

© : Robert Nédélec et les éditions de L'Arrière-Pays


L'autre

C'est, pour commencer, l'empreinte boueuse d'un pas sur la blancheur du chemin, puis, ignorant ses repères d'ombre, quelqu'un qui s'avance dans l'allée

 

Et cherche des yeux ce qu'on ne voit pas – quelqu'un que l'on guette longtemps, de derrière ses rideaux, et pense un instant connaître mieux que soi quand il se tient pourtant

 

À distance raisonnable et ne sait rien de ce que l'on entasse pêle-mêle dans sa maison. On lui a sans doute soufflé autrefois, en manière de baptême, que c'est le matin dès lors

 

Que l'on a forcé un vantail, et il a cru à cette fable. C'est donc le matin maintenant puisque ses mains saignent, et il feint d'accrocher des boules brillantes aux branches

 

Bien qu'il n'y ait plus, et depuis longtemps, le moindre arbre dans le jardin, il tend des guirlandes aux grilles et dessine de très loin des motifs de givre aux carreaux.

 

C'est donc le matin si l'on prête foi à ses manigances, et peut-être l'espèrent-ils encore, ceux qui dans la place suivent du doigt les lignes du grimoire, ânonnent en chœur

 

Et mettent à plat l'énigme, mais il ne dit pas un mot avant de détourner le regard ou de rebrousser chemin car il pressent comme chacun

 

Que l'on ment au moins autant qu'on respire quand le monde s'amenuise et que l'on s'imagine plus d'un pourtant de part et d'autre de la vitre.

 

 

 

 

 

La chute

Les cavaliers sans parole audible ni foi qui haranguent pourtant les foules et mènent boire les troupeaux, un rien suffit souvent à les renverser

L'image d'un chien dont, laisse rompue, les yeux se révulsent, et qui se précipite, à leur approche, hors de l'enceinte de sa cour, un clapotis de déferlante

 

Au bord d'une flaque, un semblant d'ombre ou de clarté inattendue, et l'on constate sans surprise qu'ils ne remuent plus qu'à peine après la chute,

Et l'on constate aussi que leurs montures poursuivent seules alors jusqu'aux rives promises, mais que l'on en oublie vite la peur, l'écume tiède et les frissons.

 

Des femmes aux crinières ternies, préparées depuis le début à de telles tâches, désagrafent bientôt les armures avant d'abandonner dans l'herbe

Du bas-côté, le sable douteux ou la boue, les dépouilles méconnaissables dont chacun emprunte les traits – mais le ciel s'étend si près

 

Que l'on ne sait pas encore, et ne soupçonne la réalité de sa mort qu'au lent durcissement des lèvres quand le soleil bleuit entre les branches, à tel nuage de vapeur

Qui se dissout à ras de terre, et quelquefois, les bêtes n'allant plus qu'au pas désormais, au lointain claquement tranquille, de sabots ou de fers, sur le bitume.

 

 

 

 

 

 

 

Il y a les ciels soulevés, et cela dont on croit découvrir témoignage en soi et sur terre, fragments de lumière, espaces sans ombre, et, plus proches peut-être, bien que rien ne soit

 

Vraiment mesuré, ces traces de pas dans la couche de poussière qui recouvre le carreau de l'enclos définitif. Il y a, tombé d'on ne sait quel invisible rameau, le bouton qui s'est fané

 

Avant même de s'ouvrir, et le visage tôt flétri, annonciateur de naissances, au cœur de la chambre ou comme plaqué sur le vernis terne des meubles, et quand on longe

 

À, semble-t-il, jamais n'arriver au bout de sa promenade inutile, les eaux grises du canal, cette tache claire au milieu, ou cette ligne de partage, qui ne sont qu'illusions d'optique

 

Sans doute, mais convoquent autant ses peurs de miracle que ses espoirs de noyade. On se borne cependant à aller droit devant soi, dans les feuilles mortes parfois, le sable,

 

Quand la mer s'avance, promet ou menace, ou la terre pardonnée, et prépare, le regard loin devant, la merveille de sa chute, rêvant donc encore d'un bel effondrement,

 

D'âme et corps ensemble, et qu'il n'y ait jamais personne pour prendre la main inerte et faire semblant – rêvant d'elle encore, qui ne fut qu'apparence, et n'oubliant rien.

 

 

 

 

… Rêvant d'elle encore et qu'elles durent très longtemps,

Quand on s'épie et se surprend à proférer à pleine bouche et dessiner à mains changeantes,

Sur la moire bleue de ses songes, ses beaux mensonges silencieux,

Les quelques heures brèves où l'on glisse à terre, et qu'elles n'en finissent pas, celles où l'on se tord,

Fou de reflets et de male douceur,

Près de l'étrangère dont on avait cru qu'il serait facile de reprendre corps dans l'image,

 

Rêvant qu'il est encore à naître, le tremblement

Élémentaire, et que va surgir, puisqu'on ne sait plus au fond de quelle chair ni à quelle fin

On jette son encre, le désir bientôt

De remettre à vif la vile apparence, réinventant pour soi seul la caresse, et pour elle par conséquent

Dont le nom s'efface, usant patiemment sa vie à attendre le moment

Où le soleil lâchera du lest et s'envasera, rompant ainsi le frêle équilibre entre ciel et cendres.

 

Robert Nédélec
Contre-jour, éd. de L'Arrière-Pays,
pp. 34-35, 38, 39-40, 41.

 

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