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Pierre Campion, en collaboration avec Yvon Logéat

Point de vue : Enseigner les lettres aujourd'hui.

Ouest France, 15 juin 2000

© Yvon Logéat, Pierre Campion et Ouest France.


 

Point de vue par Yvon Logéat [1] et Pierre Campion[2]

Enseigner les lettres aujourd’hui

Dans la polémique qui sévit à propos de l’enseignement, une vive discussion se développe à propos des lettres. Des personnalités et des autorités s’émeuvent : on assassine la littérature.

Or rien dans les nouveaux programmes ne laisse supposer l’abandon de la littérature, de l’étude des textes complets, ni de la capacité à en écrire, au contraire. Mais la nostalgie est de retour : qu’il était beau autrefois, l’enseignement du patrimoine littéraire !

Mais que lisions-nous donc, vers les années 50, dans des établissements de bonne tenue ? Le plus souvent, des morceaux choisis, un peu d’histoire littéraire. La lecture des œuvres intégrales était strictement contrôlée, voire interdite, sauf initiative de tel professeur. En dépit de tous les préjugés, le niveau des lectures et des connaissances actuellement demandé, en français, à un élève de 1ère ou à un étudiant en Licence, est plus élevé qu’alors.

Notre discipline, comme les autres, rencontre les problèmes du moment : le désintérêt de beaucoup de jeunes, leur diversité, et ce qu’on appelle leur inculture. Mais elle est la seule à porter ensemble des missions aussi différentes et importantes : enseignement de la langue, de la littérature, de la culture, initiation à une forme de l’expérience artistique, formation à la réflexion et à la citoyenneté. Si, entre ces missions, elle s’est souvent dispersée, elle les articule mieux maintenant, car on a cherché à les mettre en continuité entre la sixième et la terminale à travers des programmes précis et progressifs.

Sortons donc des vaines querelles et tentons de formuler quelques exigences, très générales.

1 — Appliquer les nouveaux programmes. Les professeurs ne sont pas seuls au monde : ils doivent adhérer à ce que veut explicitement la nation.

2 — Réfléchir à la spécificité de notre discipline. Elle doit être précisée, à tous les niveaux (établissements, formation, inspection…), avec les autres disciplines, notamment la Philosophie, l’Histoire et Géographie et les Langues. Cela exigera de chacun un travail pratique et théorique important et que soient inscrites dans nos services concertation et formation continue.

3 — Stimuler l’invention des élèves. Sans la confiance en l’avenir, il n’y a pas d’enseignement. Peu à peu, il faut faire sentir aux élèves leurs propres capacités créatrices : rien de ce qui a été écrit n’a été compris une fois pour toutes, chaque œuvre réserve des sens encore inédits. Au surplus, la littérature ne nous appartient pas : elle ne dépend que de l’invention des écrivains. C’est dans ces champs de possibles que professeurs et élèves doivent inscrire leur réflexion. Si tous les élèves ne sont pas à égalité devant les difficultés des œuvres, si tous n’ont pas le goût de l’étude des textes, tous sont capables d’effort et d’inventions, si on leur fait sentir les enjeux personnels, culturels et professionnels de leur formation.

4 — Ne pas se bercer d’illusions. La solution ne réside pas seulement dans des techniques d’enseignement mais dans l’implication personnelle. D’autre part, si on attend pour agir d’avoir tous les moyens budgétaires, on n’aura plus pour limite que l’enseignement individuel, qui serait, si on pouvait l’appliquer, la pire des solutions.

Au fond, nous devons aimer assez la littérature et la langue française et croire assez à l’avenir, le nôtre et celui de nos élèves, pour faire la dépense nécessaire de savoir et de réflexion, d’invention et d’énergie. Ne regrettons pas un passé imaginaire et, sans attendre des lendemains chimériques, travaillons maintenant avec les élèves tels qu’ils sont : leur culture dépend aussi de nous.


NOTES

[1] Professeur de lettres au lycée Sévigné de Cesson-Sévigné (35).

[2] Professeur de lettres en retraite.

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