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Article de Pascal Le Bert publié dans la revue Les Cahiers pédagogiques (n° 434, « L'actualité du monde et la classe », juin 2005).

Pascal Le Bert est professeur de Lettres au lycée Charles de Gaulle à Vannes.

Nous le remercions de nous permettre de publier cet article.

Texte mis en ligne le 28 septembre 2006.

© : Pascal Le Bert.


UNE PÉDAGOGIE DE PROJET EN CLASSE DE PREMIÈRE AUTOUR DE LA THÉMATIQUE « JUSTICE-PRISON »

Les Instructions officielles des programmes du lycée insistent, en préambule, sur la double mission qui est assignée à l'enseignant de lettres : transmission des connaissances et éducation à la citoyenneté.

L'obligation peut paraître d'autant plus comme une gageure que l'on aborde la classe de première : comment concilier la préparation aux épreuves du baccalauréat, apporter les outils d'une culture générale et proposer aux élèves une vraie réflexion sur le monde qui les entoure, sur la société dans laquelle ils vivent ?

Mais, face aux objets d'étude (« la poésie », « mouvement littéraire compris entre le XVIe et le XVIIIe », « Convaincre, persuader, délibérer : les formes de l'apologue »), une question domine toutes les autres : « Dans les conditions d'une année d'examen, comment susciter l'envie ?… »

Une séquence de réflexion sur la justice et le milieu carcéral

Pour répondre à l'ensemble des enjeux posés, un projet de réflexion a ainsi été bâti, au lycée Charles de Gaulle de Vannes, autour de la thématique « justice-prison ». Le travail s'étend sur quatre mois (de janvier à avril) et rassemble trois objets d'étude :

- Etude d'un mouvement littéraire et culturel européen : « Le mouvement des philosophes au XVIIIème siècle »

Séquence : « Écraser l'infâme » ou Voltaire « l'avocat de tous les pendus et de tous les roués » : Les engagements judiciaires de Voltaire : L'affaire Calas, Sirven, du chevalier de La Barre.

 Étude d'une œuvre complète : Le Traité sur la tolérance

- Démontrer, convaincre, persuader, délibérer : les formes de l'apologue

Séquence : « Des Mots et des murs »

Groupement de textes : extraits d'œuvres de Tahar Ben Jelloun, Jean Genet, Albert Jacquard et texte d'introduction à Paroles de détenus

Œuvre complète : Le Dernier jour d'un condamné, Victor Hugo

- Le Biographique :

L'Adversaire, Emmanuel Carrère

Lire, écrire, analyser, rencontrer, débattre

L'originalité du projet réside dans la manière de croiser l'étude des textes avec un déplacement au tribunal correctionnel de la ville et la réception d'acteurs de la justice et de la pénitentiaire : éducateurs du SPIP intervenant en détention, un avocat, un substitut du procureur, un juge du TGI.

Denis Seznec, petit-fils de Guillaume Seznec et Odile Marécaux, innocente dans l'affaire d'Outreau, sont également venus en classe pour prolonger le regard porté sur la justice.

Par ailleurs, parmi quatre-vingts à cent livres proposés, les élèves sont invités à emprunter un ouvrage (en lecture cursive) sur la vie en détention, sur l'histoire d'un grand procès ou sur une figure du crime.

À ces différentes occasions, des travaux d'écriture (à côté des devoirs types préparant aux E.A.F.) leur sont demandés : article de presse rendant compte d'un témoignage ou critique littéraire.

Et puis, point d'orgue du projet : chaque année, un échange est mis en place entre des détenus et les élèves. Ainsi, depuis le lancement de l'opération en 2002, des courriers ont été adressés dans les maisons d'arrêt (ou centres de détention) de Rennes, Saint-Malo, Nantes, Laval, Lorient et Vannes…

Des cours plus vivants, ouverts sur le monde

Au total, l'ensemble des activités permettent une plus grande adhésion des élèves aux réflexions proposées. Devant l'enjeu des questions posées, les travaux d'écriture donnent lieu à des productions d'un réel intérêt, mêlant à la fois expression de soi et distanciation critique. La lecture cursive, aussi, mise en résonance avec l'analyse et la lecture formelles des textes et des ouvrages au programme, joue pleinement sa fonction d'incitation à lire : nul élève ne rechigne à venir prendre un ouvrage parmi ceux qui lui sont proposés et, surtout, il n'est pas rare qu'un livre en appelle un autre (sur les affaires Papin, Seznec ou Ranucci par exemple).

« Rendre les cours de français vivants et intéressants, donner aux élèves le goût de la lecture et enfin, les ouvrir au monde qui les entoure » : ces propos ne renvoient pas obligatoirement à un horizon lointain et inaccessible. Chacune de ces exigences, l'année de préparation aux E.A.F, peut être approchée pour peu que l'on ne craigne pas d'ouvrir les portes de la salle de cours et de faire entrer la vie du dehors, la gravité des enjeux sociaux entre les murs (parfois confinés) de la classe…

Pascal Le Bert,
enseignant de lettres au lycée Charles de Gaulle de Vannes

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