RETOUR : Coups de cœur

Marie-Hélène Prouteau : En découdre, d'Isabelle Lévesque.

© : Marie-Hélène Prouteau.

Texte mis en ligne le 12 mai 2021.

Levesque Isabelle Lévesque, En découdre, Éditions L'Herbe qui tremble, 2021.


Isabelle Lévesque a publié plus d'une vingtaine de recueils. Elle écrit des articles pour La Nouvelle Quinzaine Littéraire, Terres de femmes, Europe, Diérèse… Elle s'inscrit dans un certain espace poétique jalonné par Pierre Dhainaut, Thierry Metz, cité en exergue de ce recueil et quelques autres. Il y a une ardeur qui parcourt tous les recueils d'Isabelle Lévesque, à l'image de cet autre titre insolite « Voltige ! ». Une ardeur dont l'énergie de la formulation poétique est la marque singulière.

C'est l'expression consacrée « en découdre » qui fournit à Isabelle Lévesque le titre de son dernier recueil et qui l'inscrit dans le motif récurrent de la lutte et de la confrontation nées d'un paysage de neige. Paysage ainsi déréalisé flottant dans une sorte de conte ou de rêverie éveillée. « La salve vive des baisers d'avril » : de telles images animent la page d'une effervescence à laquelle les gravures de la couverture et du frontispice de Fabrice Rebeyrolle font écho. « Morsure noire » sont les mots de la poète saluant en post-scriptum le travail du graveur : « Une morsure noire, accrue, traverse comme une flèche le territoire nu de la neige […] en découdre pour ne pas rompre. »

Car, singulièrement, chez la poète, si la neige et l'hiver sont bien synonymes de vie en « attente » - le mot revient souvent -, ce temps en suspens est riche de forces vives mobilisées en creux qui s'apparentent à l'inconnu : «  Il manque un signe au ciel », écrit-elle par trois fois. Il n'est pas étonnant que cet élan vitaliste s'énonce fréquemment à l'impératif et à l'infinitif, ces modes qui enjoignent : « Traverser le givre, le blanc face au ciel ». La vitesse verbale qui emporte ces poèmes correspond chez Isabelle Lévesque à une manière de capter au vol ce quelque chose libérant une énergie. Il s'agit de saisir cette énergie dans ces mouvements ascensionnels, boules lancées, chant visant « l'ascension ». Comme dans ces signes brouillés par la neige, statue, bouleau, corde accrochée à l'arbre, pas d'un animal. Même si les aspects visuels dominent, la dimension sonore se manifeste dans les références au chant et dans le cri qui désarçonne le lecteur : « “i” du cri/ dans la douceur d'un arbre ». Véritable abstraction minimaliste.

Isabelle Lévesque a partie liée avec les forces antagoniques, celles qui habitent son univers mental, hiver/printemps, blanc/noir, nuit/jour, début/fin, tu/moi, un/deux, silence/cri. Dualité du mouvement entre ce qui, de la vie, se défait, se disperse et ce qui, de l'autre, se relance, se regénère. De quoi se jouer, comme par magie, des tourments et des meurtrissures évoquées dans l'exergue à Apollinaire, adaptés par elle au registre de la lutte :

« Toi blessé, toi

- corps défendant » 

Ce tu non nommé brouille les repères. Est-ce celui de l'être aimé, le tu de la poète, de l'enfant qu'elle fut ? On ne le saura. Le chiffre « 2 » atteste par moments l'existence d'un couple, mais le chiffre « 1 » vivement revendiqué pointe une contre-lyrique de l'amour. Il s'agit là d'une sorte de détournement du lyrisme amoureux médiéval dont témoignent aussi les références aux « lais » et aux « chevaliers », familières à Isabelle Lévesque.

L'écriture poétique suit la pente libre du rêve qui opère selon la logique du déplacement : ainsi, en un beau glissement de sens, l'on passe de la statue couverte de neige devenue « femme devinée » à la « parole de neige » effacée à jamais.

Évoquées en brusques asyndètes et voltes soudaines, ces tensions vitales laissent la vie bouger dans les mots. L'affrontement du noir sur la neige n'est-il pas emblématique d'un autre, celui du stylo sur la page blanche ?

La force des mots qui jamais ne renoncent suffira-t-elle :

«  Maigre consolation, les mots,

rouges ou noirs

dressent le blanc contre

la graine pâle d'une promesse » ?

 

Trajet poétique de feu et de passion, rappelant celui du graveur sur sa plaque sensible et qui n'est pas éloigné de la transgression, du défi : « Je te disais/ veux-tu dérober le feu ? »

La craie, référence au temps de l'enfance cher à la poète, si présente dans Ossature du silence remplace à la fin du recueil la neige, subtil déplacement de la blancheur initiale. Au final de ce chant de la vie dénudée s'invente une renaissance :

« Obstinément je trace, plume

et sacrifice de craie,

le solstice de la vie »

Marie-Hélène Prouteau

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