RETOUR : Coups de cœur

Marie-Hélène Prouteau : Fiction fragile du désir de Gilles Plazy.

© : Marie-Hélène Prouteau.

Texte mis en ligne le 20 juillet 2020.

Plazy Gilles Plazy, Fiction fragile du désir, Éditions Tarabuste, 2019.


Gilles Plazy et ses poèmes-blocs surréalistes

Gilles Plazy est plasticien, écrivain et poète. Il a collaboré à divers journaux Combat, Le Quotidien de Paris, entre autres, et à France Culture. Il a publié une soixantaine d'ouvrages portant sur Cézanne, Picasso, Julien Gracq, la photographie. Il mène également une activité d'éditeur avec La Sirène étoilée, où il a notamment publié les poètes Guénane, Daniel Kay, Alain Le Beuze et ses propres textes poétiques. Dont le recueil Ciel renversé. Cette écriture poétique s'illustre dans son dernier recueil Fiction fragile du désir publié aux Éditions Tarabuste. Sont repris et fondus ici des textes antérieurs avec ajout de textes inédits ou parus en livres d'artiste.

Ce recueil se présente comme une petite somme en six parties : « Et l'œil en lumière danse », « Alice l'œil ébloui », « Dur onyx dans la nuit », « Soleil androgyne », « Entre pierre et vent », « Ariane danse ailée ». Chaque partie est constituée sur le même modèle : douze poèmes-blocs faits chacun d'un unique paragraphe d'une vingtaine de lignes.

Composition fort élaborée qui allie la forme travaillée rigoureusement des collages surréalistes et en même temps la liberté de poèmes sans aucune ponctuation. Avec l'épigraphe citant deux poètes, Maurice Blanchard et Jean-Pierre Duprey, le ton est donné : en ce recueil passe l'allant du surréalisme qui a beaucoup marqué Gilles Plazy.

Dans ces pages Gilles Plazy a pour compagnons quatre figures d'expression germanique : Rainer Maria Rilke et ses Élégies de Duino, Nelly Sachs, poète juive dévastée par la tragédie de la Shoah, la mystique Hildegarde von Bingen et Paul Celan déjà évoqué dans Ciel renversé, poète juif écrivant dans la langue des bourreaux de sa mère, si important aux yeux de Gilles Plazy. Autre compagnon, Nietszche et un certain esprit de légèreté présent dans les titres et les poèmes sur la musique et la danse. Plus loin, c'est René Char et La Parole en archipel qui sont convoqués dans des images à forte charge poétique :

« Chansons précieuses sous les paupières jeunes filles oiseaux en flammes pourpre enneigée dans la nuit des boulevards les chiens de lune larguent les amarres de la déréliction lettera amorosa lettera amorosa ».

On le voit, dans cette sorte de promenade intérieure, le « désir » du poète, sa recherche portent sur les élans visionnaires, le monde des métamorphoses, les mystères de l'alchimie et la transmutation des couleurs et des matières. Ainsi est-il attiré par la figure de Nicolas Flamel, l'alchimiste qui officiait près de la tour Saint-Jacques. « Ariane le fil rouge du rite orphique », « le combat solaire » se déploient à côté des chimères de Gérard de Nerval et de « l'enfant éperdu en souci de lumière dans le jardin d'Orphée ». Mélusine croise le dieu égyptien Horus, Pythagore ou Eurydice.

Une des forces du recueil tient précisément à cet art du collage qui saisit puissamment le jeu des analogies entre ces différents éléments. Le souvenir personnel du poète — une promenade sur une île d'Écosse « dans l'eau sombre des lochs mots dans l'ombre du passé gaélique » — se fond avec l'évocation de Paul Celan, le poète à la mémoire enténébrée par la Shoah :

« mots de pierre grise et de bruyère dormante dans la lumière atlantique mots de brûlante intime allégresse mots qui se lèvent dans une poussière sauvage graine graine pour l'arbre à paroles sur le méridien en ardente connexion du soleil et de l'oiseau »

Évocation émouvante du séjour finistérien de Celan en 1961 et de sa « Matière de Bretagne » faite des poèmes écrits à Trébabu. Au cœur de ce passage se tient ce « méridien » si cher au poète roumain naturalisé français. Arc de cercle imaginaire qui, par delà l'irrémédiable blessure, relie les mondes en poésie.

Sous le signe de la Déesse blanche, Eurydice, Ophélie, Méduse sous d'autres cieux, les rêves éveillés de Gilles Plazy dessinent un univers onirique de totale liberté qui revisite les mythologies dans un même souffle. Son écriture poétique a partie liée avec une création verbale qui le fait pétrir de ses mains la substance des choses topaze, gemme, granit pour en faire l'or des mots. Nulle emphase pourtant. Il avance dans les méandres du texte, à syllabes mesurées, maîtrisées en un flux apollinien. Une sorte d'art magique.

Marie-Hélène Prouteau

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