Alain Roussel : Compte rendu du livre de Lionel Bourg, Et des chansons pour les
sirènes. © : Alain Roussel.
Lionel Bourg, Et des chansons pour les sirènes, Éditions Le Réalgar, 2019, 6 €. Il a la voix éraillée, rocailleuse, Lionel
Bourg, charriant sable fin, écume et galets, au fil de tous ses livres, qu'il
parle de lui, d'un poète ou d'un peintre avec, dans des rugissements de vagues
claquant contre les rochers de la vie, je ne sais quoi d'une tendresse
infinie : c'est ainsi que chez lui le cri devient chant et qu'il vous
prend aux tripes. Toute sa jeunesse, révoltée, porte l'empreinte indélébile de
la mère, à la fois tyrannique et initiatrice, qu'il aime et qu'il déteste, mais
comme on aime. C'est d'elle qu'il tient son « bilinguisme », comme il
dit : cette façon qu'elle avait de proférer insanités et autres vocables
vulgaires, puis soudain de réciter des poèmes à la belle langue classique
appris à l'école. Et elle chantait, tous ces refrains entendus à la radio,
« du Gaston Couté, des paillardes et des bluettes, du Mac Orlan, du
Brassens ». De tout cela on ne se remet pas. Une telle éducation fait de
vous un voyou ou un voyant, au sens de la poésie. Rimbaud en sait quelque
chose. C'est dans cette dernière voie que s'engagera Lionel Bourg. Il entrera
dans la littérature par effraction, se réappropriant la langue « bourgeoise »
par l'imitation des tournures pour mieux la détourner, réintroduisant les
grands bannis de l'Éducation nationale, les Lautréamont, Laforgue, Corbière, au
grand dam des professeurs qui finiront par lâcher prise, et lorgnant vers des
éditeurs « incongrus » : Seghers, Guy Lévis Mano, Corti,
Pauvert, Rougerie, Chambelland… Dans son dernier livre, Et des chansons pour les sirènes, Lionel Bourg rappelle ces
éléments autobiographiques qui éclairent son écriture et lui ont insufflé son
style et son rythme. Comment en effet ne pas penser à sa mère quand il évoque
le chant des sirènes ? Sans doute aurait-il voulu parfois se boucher les
oreilles, il ne l'a pas fait. Il a écouté, maugréant, s'insurgeant, une
certaine musique s'insinuant peu à peu en lui pour ne plus le quitter. Et cela
lui revient, avec toute son enfance et son adolescence, ce quelque chose, là,
dans la gorge, qu'il faut cracher avec des mots : Martèlement timide, vacarme, brouhaha, bruit mélancolique mais heureux
de la pluie dans le langage, délices, frisson du sens et, froissés,
déchiquetés, lambeaux de cette étoffe des corps dont Antonin Artaud
s'enveloppait afin que parlent, et hurlent, ses organes et ses nerfs, râle
éperdu qui se prolonge alors même que le désir s'éteint, rien ne tarit le flux
d'éloquence ou de balbutiements mourant et ressuscitant sur l'arène. » La langue l'entraîne. Il navigue au fil des
phrases par de labyrinthiques détours reliant différents espaces d'émotion,
avec Joyce pour compagnon d'odyssée. Les sirènes ne sont pas des muses : des barmaids… Miss douce, Miss Kennedy,
grasses comme des Rubens ou les Vénus de Lespugue, de Grimaldi, de Willendorf,
serveuses, boniches, pochardes, maquerelles ou midinettes, entraîneuses
arrimées à leur bar, qui guignent le client… Son voyage l'entraîne du côté
de Castellane où « Breton composa la principale partie des
Vases
communicants », du col des Lèques et ses fossiles de siréniens, de
Moustiers-Sainte-Marie. Il poursuit sa rêverie dans l'œuvre de Giono, grand
admirateur d'Homère. Le livre a beau
être court : il est superbe. Alain Roussel |