Christian
Hibon, Dix,
les trophées, suivi de Avant toute chose,
Éditions
Pierre Mainard, 2019, 10 €
Il y a des poètes qui ne s'accommoderont jamais
de la réalité, du moins celle qui s'enferme à double tour dans son principe, le
« peu de réalité » comme la disqualifiait André Breton dans des
textes célèbres. Christian Hibon est de ceux-là. Il
sait qu'il y a d'autres réalités, celles qui naissent de l'imaginaire et
viennent se greffer sur la vie banale pour la subvertir ou la mettre en
dérangement, déposant « des fragments de lave sur l'escalier de la
forêt ». Il est probable que vous ne le connaissiez pas encore. C'est que,
même s'il écrit depuis plus de quarante-cinq ans, il n'a jamais été tenté par
la surenchère médiatique et les glapissements d'estrade. S'il s'affuble de
galons, ce sont des « galons d'avoine ». La poésie, comme il la vit,
la lit, l'écrit – pour paraphraser ce cher Alain Jouffroy – suffit
à exalter sa vie. Hormis Conte brûlé
qu'il a publié jadis aux éditions de La Clef d'Argent et qu'un
éditeur serait bien avisé de rééditer, ses écrits se résument à une dizaine de
plaquettes qu'il diffuse lui-même à quelques amis, une sorte de circulation
secrète.
C'est dire si l'initiative des éditions Mainard,
à qui nous devons la publication de textes essentiels de poètes tels que Pierre
Peuchmaurd ou Thierry Metz pour n'en citer que deux,
vient à point pour sortir d'un trop grand silence la poésie de Christian Hibon, avec son dernier livre : Dix, les trophées.
Vous avez bien lu : c'est bien de fées dont il s'agit, de femmes-fées, autrement
dit des incarnations de l'imaginaire qui viennent hanter le réel et qui disposent
sur les choses d'un pouvoir poétique et érotique. Elles apparaissent et
disparaissent sans prévenir au détour de son écriture et
leur fixer rendez-vous s'avère souvent aléatoire. Leur lieu de prédilection est
la forêt, mais pas seulement. Lire Hibon c'est
accepter le merveilleux, s'abandonner à un rêve éveillé en regardant
« derrière l'œil », en fermant « le monde pour y voir plus
clair ». C'est que « ce grand somnambule des lisières » écrit
avec un « crayon taillé dans l'os même de la nuit ».
Laissons-lui parole :
Elle
serre la main de tous les arbres dans les parcs à peine ouverts. La rosée la
couronne et l'herbe pousse à chacun de ses pas : c'est une marelle sans
avenir et bruissante d'insectes.
Certains
trafiquants de fontaines n'osent la regarder, puisque c'est elle qui distribue
les cygnes autrement sauvages. Le gravier tombe de sa poche, et les allées
s'inventent.
Parfois,
des serres s'érigent, et de ces verrières vertigineuses s'annoncent des plantes
inconnues qu'elle nomme quand les oiseaux se taisent.
La deuxième partie du livre s'intitule
« Avant toute chose ». Les textes qui la composent sont des sortes de
légendes personnelles, au ton parfois autobiographique, qui ne sont pas sans
rappeler, dans l'esprit s'entend, LesIlluminations d'Arthur
Rimbaud. En voici un extrait :
Le
sentier retient son souffle. L'aube se lève, fraîchement épouillée de ses
étoiles. Des enseignes s'allument à l'intérieur des arbres. Il me faut calmer
la rosée foudroyante, demander à la terre si nous ne sommes pas trop lourds ce matin. J'ai cru comprendre que les nomades avaient
la légèreté de tous les mondes. J'avance encore, plus loin qu'encore, obsédé
par la halte du silence. J'espère les mots discrets, comme des nids sans
oiseau, une couronne de paille ou d'herbe sur la tête qui me ressemble.
Maintenant tout doit disparaître, la fin de ce poème, et la vie comme seul
talisman.