RETOUR : Coups de cœur

Alain Roussel : Compte rendu du livre de Christian Hibon, Dix, les trophées, suivi de Avant toute chose..
Mis en ligne le 13 septembre 2019.

© : Alain Roussel.


« Que la nuit s'ouvre comme un vieux livre »

Christian Hibon,
Dix, les trophées, suivi de Avant toute chose,
Éditions Pierre Mainard, 2019, 10 €

Il y a des poètes qui ne s'accommoderont jamais de la réalité, du moins celle qui s'enferme à double tour dans son principe, le « peu de réalité » comme la disqualifiait André Breton dans des textes célèbres. Christian Hibon est de ceux-là. Il sait qu'il y a d'autres réalités, celles qui naissent de l'imaginaire et viennent se greffer sur la vie banale pour la subvertir ou la mettre en dérangement, déposant « des fragments de lave sur l'escalier de la forêt ». Il est probable que vous ne le connaissiez pas encore. C'est que, même s'il écrit depuis plus de quarante-cinq ans, il n'a jamais été tenté par la surenchère médiatique et les glapissements d'estrade. S'il s'affuble de galons, ce sont des « galons d'avoine ». La poésie, comme il la vit, la lit, l'écrit – pour paraphraser ce cher Alain Jouffroy – suffit à exalter sa vie. Hormis Conte brûlé qu'il a publié jadis aux éditions de La Clef d'Argent et qu'un éditeur serait bien avisé de rééditer, ses écrits se résument à une dizaine de plaquettes qu'il diffuse lui-même à quelques amis, une sorte de circulation secrète.

C'est dire si l'initiative des éditions Mainard, à qui nous devons la publication de textes essentiels de poètes tels que Pierre Peuchmaurd ou Thierry Metz pour n'en citer que deux, vient à point pour sortir d'un trop grand silence la poésie de Christian Hibon, avec son dernier livre : Dix, les trophées. Vous avez bien lu : c'est bien de fées dont il s'agit, de femmes-fées, autrement dit des incarnations de l'imaginaire qui viennent hanter le réel et qui disposent sur les choses d'un pouvoir poétique et érotique. Elles apparaissent et disparaissent sans prévenir au détour de son écriture et leur fixer rendez-vous s'avère souvent aléatoire. Leur lieu de prédilection est la forêt, mais pas seulement. Lire Hibon c'est accepter le merveilleux, s'abandonner à un rêve éveillé en regardant « derrière l'œil », en fermant « le monde pour y voir plus clair ». C'est que « ce grand somnambule des lisières » écrit avec un « crayon taillé dans l'os même de la nuit ».

Laissons-lui parole :

 

Elle serre la main de tous les arbres dans les parcs à peine ouverts. La rosée la couronne et l'herbe pousse à chacun de ses pas : c'est une marelle sans avenir et bruissante d'insectes.

Certains trafiquants de fontaines n'osent la regarder, puisque c'est elle qui distribue les cygnes autrement sauvages. Le gravier tombe de sa poche, et les allées s'inventent.

Parfois, des serres s'érigent, et de ces verrières vertigineuses s'annoncent des plantes inconnues qu'elle nomme quand les oiseaux se taisent.

 

La deuxième partie du livre s'intitule « Avant toute chose ». Les textes qui la composent sont des sortes de légendes personnelles, au ton parfois autobiographique, qui ne sont pas sans rappeler, dans l'esprit s'entend, Les Illuminations d'Arthur Rimbaud. En voici un extrait :

 

Le sentier retient son souffle. L'aube se lève, fraîchement épouillée de ses étoiles. Des enseignes s'allument à l'intérieur des arbres. Il me faut calmer la rosée foudroyante, demander à la terre si nous ne sommes pas trop lourds ce matin. J'ai cru comprendre que les nomades avaient la légèreté de tous les mondes. J'avance encore, plus loin qu'encore, obsédé par la halte du silence. J'espère les mots discrets, comme des nids sans oiseau, une couronne de paille ou d'herbe sur la tête qui me ressemble. Maintenant tout doit disparaître, la fin de ce poème, et la vie comme seul talisman.

Alain Roussel

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