RETOUR : Coups de cœur

Alain Roussel : note sur le livre de Howard McCord Poèmes chamaniques.

Mis en ligne le 20 mars 2022.

© : Alain Roussel.

Ce texte a d'abord été publié dans la revue Europe, n° de mars 2022.

 Howard McCord,  Poèmes chamaniques, édition établie et présentée par Cécile A. Holdban et Thierry Gillybœuf, illustrations de Cécile A. Holdban, éditions de La Part Commune, 2021.

 

L'écrivain américain Howard McCord est surtout connu en France pour L'Homme qui marchait sur la Lune et En marchant vers l'extrême. Sa poésie l'est moins, et c'est donc à une véritable découverte que nous invitent les Éditions de La Part Commune avec Poèmes chamaniques, dans une présentation et une traduction de Cécile A. Holdban – qui a par ailleurs illustré le livre – et de Thierry Gillybœuf. Toute tentative pour situer cette poésie s'avère rapidement infructueuse. On ne peut l'inscrire dans un courant tel que la Beat Generation ou l'Objectivisme initié par William Carlos Williams et Louis Zukofsky, ni l'apparenter à Hart Crane, qu'il admire pourtant. Si l'on peut rattacher les romans de McCord au « Nature writing », ses poèmes semblent toutefois échapper à toute localisation littéraire : ils sont insituables, comme d'ailleurs l'est l'écrivain lui-même.

Celui qui se présente lui-même comme « fournisseur en charmes et malédictions efficaces » est né à El Paso, au Texas, près de la frontière mexicaine, « au milieu du désert de Chihuahua, au milieu de kilomètres et de kilomètres de désert dans toutes les directions, et de chaînes de montagnes surgissant comme des archipels », dit-il dans une interview. Cette nature sauvage qui l'émerveille, qu'il considère comme sacrée, a forgé son tempérament, et s'il devait revendiquer une identité, ce serait plutôt celle d'un Indien – « l'Apache est mon maître » –, mais sans tribu, loin de la frénésie urbaine, avide des grands espaces d'Amérique ou d'ailleurs qu'il parcourt en marchant, avec la conscience d'être unique, que tout homme est unique, « le dernier de notre genre ».

Les Poèmes chamaniques rassemblent à l'évidence des poèmes écrits sur une longue période – d'où la diversité des thèmes –, au fil de l'inspiration du moment sans jamais la forcer et en divers lieux, souvent montagneux et désertiques comme ceux de son adolescence. De ce fait, on pourrait croire qu'il va évoquer les grands espaces, qui sont en effet bien présents en filigrane, mais son regard se porte plus volontiers vers les particularités du territoire qu'il arpente en marcheur aguerri, accrochant ainsi l'immensité et sa vacuité à des éléments immédiats et proches, tels une pierre, un arbre, une araignée, un serpent ou le vol d'un oiseau. Ils n'en sont pas moins énigmatiques, et Howard McCord sait que « La totalité des mystères est retenue/comme la musique dans l'écorce blanche du pin. » Il y a une langue cachée dans les choses, et il faut apprendre à la connaître, non par le sens mais par la sensation, aligner le langage sur des perceptions en retrouvant une innocence première née d'un contact direct avec la nature sauvage – son côté chamane : le cœur avant l'intelligence. La poésie consiste essentiellement, pour McCord, à accueillir en toute simplicité les êtres et les choses dans les mots, à s'effacer pour leur laisser la parole :

 

Un poème est une ronce,

un appel d'air,

un cri dans la nuit

poussé par l'humble gorge

d'une taupe

capturée par une chouette

silencieuse en plein vol.

 

Sa longue expérience des déserts, si propices aux mirages, l'amène dans certains poèmes à émettre un doute, avec l'humour qui s'impose, sur la réalité de la réalité. Et si le monde n'existait pas ? Chicago, les sauterelles, tout ça n'existe pas. Seuls quelques arbres existent, « mais ils sont si profondément/cachés dans les bois/qu'il est peu probable/qu'on en découvre un/de nos jours. », écrit-il dans le poème « Ontologie ». « Un rêve non rêvé », dit-il, telle pourrait être la nature véritable de l'univers, un rêve qui n'est pas un rêve et une réalité qui n'est pas la réalité, et un chaos plutôt qu'un cosmos :

 

Il n'y a pas d'ordre.

Ni dans les roseaux

ni dans le silex

ni dans la maison du soleil

ni dans le lapin

ni dans les bénédictions des bonnes manières.

Je vous dis qu'il n'y a que

les mythes de l'enfance.

 

la géométrie

 

rien de plus.

 

Des Poèmes chamaniques, il émane un art de vivre et même une certaine forme de sagesse qu'on a presque envie de qualifier de taoïste – il aurait pu être à sa manière un compagnon de Li Po. Cet amoureux de la solitude, que « la Muse a rendu fou depuis longtemps » et qui possède parmi d'autres armes un sens affûté de l'ironie et de la satire, aime les plaisirs simples : un feu de bois mort, un repas sommaire, la prière du vent, le silence, danser autour d'un chêne, contempler des étoiles à travers le sapin, identifier une fleur si c'est la saison… Howard McCord est comme ce « moineau qui ne construit pas de nid/mais allume des feux/de brindilles, de paille et de ficelle ».

Alain Roussel

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