Alain Roussel : Note de lecture sur le livre de Frédéric Jacques Temple, La Chasse infinie. Mis en ligne le 14 mai 2020. Ce texte est paru d'abord dans la revue Europe de mai 2020. © : Alain Roussel. Frédéric Jacques Temple, La Chasse infinie et autres poèmes, Poésie/Gallimard, 2020. La plus
belle note que l'on puisse écrire sur le recueil de Frédéric Jacques Temple, La
Chasse infinie et autres poèmes, l'a déjà été : c'est la préface,
signée de Claude Leroy. Disons-le sans ambages : c'est magnifique ! Pourtant,
cette préface ne ferme rien. Elle est au contraire très ouverte. C'est une invitation
à voyager dans l'œuvre elle-même, foisonnante, en nous donnant quelques bagages
et une carte routière pour mieux s'orienter, sans exclure la possibilité d'inventer
son propre chemin. Il appartient au lecteur de choisir son itinéraire, selon
son tempérament qu'il est préférable ici d'avoir fougueux, et d'entrer en
résonance. L'activité culturelle de Frédéric Jacques Temple est multiforme, à l'image de son appétit pantagruélique de vivre. Il a écrit des poèmes, des récits, des romans, des essais, des préfaces, des articles, entretenu des correspondances prestigieuses, notamment avec Henry Miller, sans oublier ses traductions et ses émissions à la radio et à la télévision – il dirigea les services de la Radiodiffusion Française (puis O.R.T.F. et FR3) pour le Languedoc-Roussillon. Le livre publié dans la collection Poésie/Gallimard rassemble la plupart de ses poèmes, et c'est ce recueil qui nous intéresse plus particulièrement ici. L'impression
qui domine à la lecture est celle d'un album. Les poèmes ont été écrits,
parfois en décalage, au gré de circonstances privilégiées, souvent en rapport
avec des lieux et des personnes, et mis en réserve. Certains ont fait l'objet
de livres d'artistes, l'auteur affectionnant tout particulièrement ce compagnonnage
amical et fécond. Au fil du temps, ils seront repris en publications plus
étoffées, avec des ajouts, chez Brémond, Granit, Obsidiane entre autres, puis
avec des modifications au fil des éditions successives. Rien n'est figé chez
Temple. Il complète et réorganise inlassablement ses écrits selon une architecture
géographique liée intimement à ses nombreux voyages et déplacements. Si écrire
c'est voyager, ce n'est pourtant pas la route de l'imaginaire qu'il choisira,
hormis dans quelques rares poèmes tel Merry-go-round qui est une
sorte d'hommage à Cendrars. Pour lui, voyager c'est écrire, et écrire c'est
« changer la piste en chemin ». Tout voyage est un poème
– d'ailleurs tout peut devenir poème chez Temple – qu'il ne reste plus qu'à
concrétiser dans les mots. Les lieux visités deviennent
des évocations ou des célébrations et s'inscrivent dans une mythologie intime,
avec son panthéon d'amis. C'est sans doute pour cette raison qu'il préfère
dédier ses poèmes à tel ou tel, plutôt que de les dater : la mémoire peut
ainsi faire renaître l'émotion des moments partagés. Le subjectif a ainsi toute
sa place dans le réel. C'est même une dimension du réel. Le texte du monde est
là, mais on peut le réécrire, sans cependant effacer le filigrane. Frédéric
Jacques Temple porte une attention toute particulière à la nature. Il a un sens
aigu de la description, non pas en prosateur mais en poète, ce qui implique
l'image, mais l'image juste, accordée à la réalité du visible. Cet amoureux de
la vie, qui cherche à l'appréhender par tous les sens, ne pouvait s'accommoder
des abstractions qui parlent plus à l'esprit qu'au corps, d'où l'attirance pour
le détail. Il ne nomme pas les animaux et les plantes, ou rarement, selon leur
genre, mais selon leur espèce. Pour ne citer qu'un exemple, l'oiseau, animal
fétiche, symbole du voyage, est souvent décliné selon ses véritables noms, grive,
perdreau, rouge-gorge, pluvier, geai, pélican, corneille, balbuzard, tourterelle,
mésange, rossignol, et j'en passe. Inlassablement,
ce « guetteur de signes » parcourt l'espace, dans le lointain ou la
proximité, en périple – avec un clin d'œil, en poète méditerranéen, à
Ulysse – ou en parage. Il se définit lui-même comme un « arbre
voyageur », donnant ainsi à comprendre que partout il emporte ses racines.
« Relié », nous dit le préfacier, et c'est ce qu'il est en effet, d'abord
au territoire languedocien qui l'a vu naître, même si c'est surtout par la
mémoire, tant ces paysages ont été dévastés depuis par l'urbanisme touristique.
C'est dans cette proximité avec les lieux de l'enfance qu'il trouve ses accents
les plus touchants comme dans cet extrait de « Saisons » : Ô l'aubier
de l'été, source de ma
naissance. Je suis l'augure des
couleuvres ondulant de chaleur en lisière
des ronces rétives. Le parfum
vert des térébinthes coule sur la
vaste blancheur du linge
flottant dans le ciel immobile. Et
l'ivresse des mouches. De la
maison sur la rocaille grise une lande
s'étire vers les confins de la terre
où les corneilles vaguent, effrangées par
l'averse d'automne. Ce soir
l'embellie remplira nos verres d'un vin si
clair que nous lirons nos âmes dans ses
reflets. Le rire des amis déjouera la
cadence des horloges. S'il y a
un panthéisme chez Frédéric Jacques Temple, il vient du fond de la terre et
remonte à la surface. C'est ainsi qu'il ouvre La Chasse infinie qui
donne le titre à l'ensemble du recueil publié par Gallimard. Il sait bien que
« l'homme des cavernes palpite en nous ». Il sait aussi que, s'il y a
une proie à cette chasse, c'est la vie, dans l'éveil de tous le sens, sans
cesse trouvée et perdue, et retrouvée, dans une quête insensée et joyeuse, parfois
mélancolique, dont on voudrait qu'elle n'ait pas de fin. Alain
Roussel |