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Philippe Simiot : Une vocation tardive

Philippe Simiot a d'abord continué la trilogie romanesque de son père Bernard Simiot, laquelle comportait Ces messieurs de Saint-Malo (1983), Le Temps des Carbec (1986) et Rendez-vous à la malouinière (1989). Ë ce titre, il a publié Carbec mon empereur (1999) et Carbec l'Américain (2002).
Dans le prolongement de cette série, il a développé l'un de ses personnages dans Le Banquier et le perroquet (2006). Son dernier roman publié, Une partie de Zanzibar (2010) appartient plutôt au registre des histoires de familles.
Tous ces romans sont publiés aux éditions Albin Michel.

Comme celle de son père, son œuvre mêle les destins particuliers aux événements de l'Histoire.

Le texte ci-dessous est issu d'une intervention présentée dans le cours de littérature française à l'UTL (université du temps libre) du Pays de Dinan.

Mis en ligne le 18 mars 2015.

© : Philippe Simiot


Une vocation tardive

Bernard Simiot mon père est mort en 1996 au moment où je terminais une carrière d'ingénieur, quarante ans passés dans l'industrie aéronautique et spatiale. Quelque temps avant sa mort, mon père m'a remis un manuscrit, la première partie de son dernier roman Carbec, mon Empereur qui dans son idée devait en comporter deux. La première se situait en France, à Paris et à Saint-Malo, après la défaite de Waterloo ; la seconde en Amérique où une poignée de demi-solde restés fidèles à Napoléon s'imaginaient le faire évader de Sainte-Hélène puis le faire empereur du Texas et du Mexique. Conscient qu'il n'aurait plus les forces de documenter et d'écrire la partie américaine de ce roman, mon père avait mis au net la première partie qu'il pensait pouvoir être publiée seule. « Je l'ai mise au propre, tu verras ce que tu peux en faire » m'avait-il précisé. Cependant son éditeur estima qu'une suite était indispensable et me suggéra d'entreprendre cette tâche. Je ne me sentais ni l'imagination ni le don d'écriture qui faisaient le talent de Bernard Simiot, et tenter de m'en approcher me semblait ridicule. Premier lecteur de ses manuscrits depuis vingt ans et parfois confident de ses projets, j'avais quelque idée du monde étrange pétri de culture, de souvenirs personnels et de rêves d'où surgissaient comme par magie les personnages qu'il me racontait et j'étais conscient que ce monde m'était inaccessible.

Je remuais cependant ces idées et je me remémorais comment cinquante ans plus tôt avait été scellée mon orientation professionnelle. Ayant manifesté timidement le désir d'être journaliste, d'écrire des livres, on m'en dissuada incontinent. J'avais la chance d'être bon en maths, je gagnerais mieux ma vie avec un métier d'ingénieur. Et mon père m'eut vite convaincu avec une argumentation sans appel : à vingt ans, on n'a rien à dire, ou alors il faut s'appeler Rimbaud, si c'était le cas ça se saurait, ça ne l'était pas, Dieu merci ! avait-il ajouté. Profite donc de ces années pour faire Polytechnique, me dit mon père qui ne doutait de rien et proclamait ne rien comprendre aux mathématiques, tu pourras ensuite choisir une situation qui te laisse beaucoup de loisirs, ingénieur des Tabacs par exemple comme l'était Marcel Prévost qui au début du siècle trouvait ainsi le temps d'écrire des romans et d'entrer à l'Académie française ! Je ne mesurai pas à l'époque la part de l'ironie et de la jalousie dans ce discours et me laissai facilement séduire par cette perspective douillette. Hélas, ou heureusement peut-être, je ne fus pas reçu au concours de l'X mais à celui de l'aéronautique et de l'espace. Dès lors je me passionnai pour Concorde, les engins balistiques, Ariane, gagnai bien ma vie et dans ce monde technique, logique, intransigeant, oubliai vite mes velléités littéraires même si, hormis les premières années, j'ai passé beaucoup plus de temps à écrire des rapports, des programmes, des synthèses, qu'à faire des mathématiques et si j'y ai trouvé un plaisir certain.

Peut-être ces souvenirs réveillèrent-ils les anciennes velléités sans pour autant me donner l'audace, ou l'inconscience, de m'engager dans l'aventure. D'ailleurs que raconter ? Je ne connaissais rien de la vie des soldats de Napoléon en Amérique après Waterloo, ni comment ils avaient essayé de réaliser leur folle idée. Mais mon père m'avait laissé son héros, François Carbec. Il était là devant moi, bien campé sur son socle avec sa famille, ses enfants, ses amours, et il ne demandait qu'à partir pour les Amériques. Ce fut lui qui m'emmena. Je le connaissais bien, c'était un Malouin. Il m'entraîna dans les bibliothèques et les archives, à Philadelphie, en Louisiane, sur le Mississippi, au Texas, me raconta ses aventures, me fit rencontrer ses amis, se confia à moi, me dit ses rêves, ses chagrins. Quand je rentrai en France, j'étais gonflé du désir de raconter le François Carbec qui en Amérique était devenu mon amiÉ et mon personnage. C'est ainsi que j'écrivis la seconde partie de Carbec, mon Empereur. Non sans difficultés, avec le sentiment de faire de la confection là où mon père faisait du sur mesure, on n'entendait plus la petite musique particulière à son écriture, je déchirais beaucoup de papier, n'avançais pas vite, mais j'y trouvai une vraie jouissance. Lorsque j'eus en main le livre que nous avions écrit à nous deux, je sus que mon père m'avait transmis le flambeau et que j'allais continuer.

J'ai continué. Trois volumes ont suivi, Carbec l'Américain, Le Banquier et le perroquet, Une partie de zanzibar. Mais depuis deux ans je suis en panne : des ébauches vite abandonnées. Mauvais choix de sujets ? Mauvais angle d'attaque ? Fatigue ou paresse ? Vieillissement ? Je m'interroge sur le mystère de la création littéraire pour tenter d'en comprendre les mécanismes et peut-être d'en retrouver le chemin. Le genre de littérature auquel j'aspire est le plus classique, le plus traditionnel, celui des romans du XIXe siècle, loin des inventions du Nouveau roman et des ambiguïtés sur le statut du narrateur. Par le truchement d'une histoire ayant un commencement et une fin, j'ai pour ambition d'exposer quelques aspects de la complexité du monde, des destinées, des sentiments, des idées, des philosophies. L'émission et la perception de ces signaux me semblent exiger la création d'un monde propre au roman, un monde isolé du tumulte, un monde où une musique particulière se substitue au bruit de la vie, un monde enfanté dans les profondeurs du réel ou de l'imaginaire ; un monde heuristique propre à accueillir, à faire grandir et à dévoiler l'obsession de l'auteur, une histoire d'amour, une philosophie de l'existence, un personnage, l'Histoire, des souvenirs d'enfance, un drame bourgeois ou un songe délirant ; un monde dans lequel seront complices et intimes le lecteur et l'auteur. Il est des écrivains qui par la grâce de leur style ont réussi de roman en roman à reproduire à chaque fois le monde nécessaire. Ceux-là sont les créateurs d'un univers auquel ils s'identifient.

Philippe Simiot

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