Mis en ligne le 28 mars 2010.
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Mathieu Brosseau
Et même dans la disparition ditions
Wigwam, 2010
Et même dans la disparition est un texte adressé. Adressé à « l'ange », et
donc au lecteur, dont l'innocence est aussitôt mise à mal, sujette à interrogation
et prise à partie. Car le vocatif, ce mode de l'adresse, n'érige ici aucune
transcendance, aucune distance insurmontable, mais au contraire la réduit (par
le choix du tu plutôt que du vous) et comme l'abîme dans et par une
convivialité presque canaille sinon vulgaire (par l'élision du tu en t' : « t'es partant ? », « t'es
d'accord ? »).
Pour traiter le sujet de ce court
texte (12 pages, le format de la collection Wigwam) – la disparition –, par définition fuyant et même d'une essence évaporée, l'auteur se plaît
à le différer, à le donner dans le temps seul de sa venue improbable, à
l'évacuer dans un hors-champ, à le reculer dans une fin illimitée qui a lieu
dès le début du texte. Il brouille ainsi les pistes du déroulement du récit, comme
si la prémonition dont il est question s'était déjà accomplie et abolie, comme
si l'annonce de cet avènement se faisait déjà sur les cendres de cet avènement,
en une sorte de post-apocalypse, ou de révélation par le néant.
Le propos semble en permanence
contaminé par son commentaire ironique et provocateur qui se substitue à lui.
Il oscille entre un souvenir et un avenir, entre l'appel au livre à produire et
le renvoi aux phrases déjà formulées (« seul le silence de l'action dit le
nom de l'action »), ce qui a pour effet de le boucler à double tour sur
son obscurité. Il circule entre la recherche d'un point central et son
déportement dans des à-côtés perturbateurs, entre l'absence et la densité,
entre le corps, la matière (le sang, les pierres) et l'autoréférence
distanciée. Tout cela provoque une instabilité du statut même de cette parole :
est-elle une parole du monde ? du sujet
parlant ? du livre en train de naître ? Tout
cela à la fois sans doute, ou rien que l'écart entre tout cela. Parole qui
s'interroge certes, mais surtout qui surplombe de manière hautaine,
dominatrice, narquoise presque son interrogation.
Les perspectives à la Blanchot
sont par ailleurs évidentes : il y a là une volonté de faire advenir
l'apparition de la disparition, une tentative d'introduire de la dialectique
dans l'évanouissement, avec l'idée finale d'une disparition de la disparition
dans l'impossible.
« Oui, il y a une absence au
fond du noir où s'allument les failles. On déploie ses ailes, blanche
envergure, là dans le vanishing point, centre où l'arrêt ressemble au
sacrifice de notre histoire. »
Il s'agit de promettre et de toujours décevoir cette
promesse, dans un jeu qui déplace son but vers son approche – possible et
impossible, âpre et lumineuse, remise à plus tard et jouée dans cet ajournement.
La manière qu'a l'auteur de tirer
brutalement le lecteur par la manche, de lui fourrer le nez dans la complexité,
de le prendre à témoin de quelque chose qui ne lui sera pourtant jamais donnée parce
qu'elle échappera toujours à l'entendement, cette manière si particulière de
Mathieu Brosseau communique au lecteur un curieux
sentiment de tranquille perplexité et d'assurance inquiète qui n'est pas le
moindre intérêt de ce texte.