Emmanuel Caroux
Le Pouce en incartade
Éditions L'une & l'autre,
2015
39 p., 7,50 €
Le Pouce en incartade : le titre interpelle,
intrigue, interroge. Il a quelque chose de malicieux, d'effronté et de décalé
qui arrête et donne envie d'aller voir. Quel est donc cet écart dans les mots qu'on
nous promet comme un farniente impromptu, qui invite à faire une pause hors des
flots continus du langage courant, celui-là même qui est oublieux de sa propre
étrangeté ? Embarquons donc avec nous quelques instants cette mince
plaquette qui paraît faire de l'autostop.
Du
décalage dans l'usage des mots, il y en a ici à foison et il est comme on
aime : léger, subtil, d'autant plus déroutant que le poème a l'apparence
de la simplicité, de la vignette poétique. Les poèmes sont des sizains délicats,
d'une syntaxe transparente et sage et d'une construction apparemment
accueillante :
Bienvenue au hameau
des confins de rosée
dont l'énigme suscite
pour une caresse exacte
la vie sur pilotis
avant d'être échalas
Sous la douceur des mots, le sens
échappe. On voit qu'il n'y a nul besoin de violence, de ruptures syntaxique ou
lexicale pour créer de l'étrangeté et de l'insaisissable. Il suffit de laisser
les mots aller librement, de les faire s'engendrer dans on ne sait quelle
fertilité sonore qui les explose comme autant de bijoux tombant en
poudre :
Animal suscité
soleil inexprimable
sans divulguer le cÏur
à mon tour d'exhumer
l'exquis parfum de rage
issu de l'amadou
S'agirait-il d'une sorte
d'écriture automatique où toute l'initiative est cédée aux mots pour qu'ils
mènent la barque du sens vers des rivages d'images ? Il se pourrait bien.
Et les mots de se tenir les uns dans les autres en embuscade. Car il se
pourrait bien aussi que tout cela ne fût pas aussi inoffensif et vain :
Au tamis plus souvent
qu'à dilater les ombres
le pouce en incartade
d'angéliques rougeurs
je quête ma trempée
parmi les coquillages
Rappelons qu'une trempée est une
volée de coups. Elle est ici administrée par les mots eux-mêmes. Et le sens du titre
s'en éclaire peut-être. Il ne s'agirait pas seulement dans ces poèmes de
conduire les mots aux mots par un capricieux chemin de fantaisie, ni non plus de
construire de parfaites petites machines d'inanité sonore ; mais il y a
que derrière la joliesse raffinée des poèmes se rencontrent parfois l'injure et
la blessure des mots, l'écart de conduite qu'ils sont. Qu'à bricoler des poèmes
il arrive qu'on se coupe le doigt.
Alors,
poésie parnassienne où les grâces et l'afféterie du style suffisent ? Ou
poésie moins formaliste et plus exposée au danger qu'il n'y paraît ? Les « angéliques
rougeurs » – où la honte et l'innocence semblent se livrer combat et
colorer le poème d'un rose suranné – laissent planer le doute.
Laurent Albarracin