Thierry Horguelin

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Laurent Albarracin : Alphabétiques, de Thierry Horguelin.
© : Laurent Albarracin.

Mis en ligne le 17 juin 2015.

Sur ce site, voir aussi notamment un texte de Laurent Albarracin, De l'image.
Aller à la page où Laurent Albarracin présente ses «  petites activités éditoriales ».


Un précis de narratologie lettriste

Thierry Horguelin
Alphabétiques
mis en images par Mathieu Labaye
Éditions L'herbe qui tremble, 2015

On connaît (ou non) l'espièglerie à sang froid de Thierry Horguelin, à cause de son blog ou de la sémillante rubrique des jeux qu'il tient dans le journal Le Bathyscaphe. On devine vaguement qu'il aime les voyages, les marges du bon goût et rien tant que d'être insituable : Montréalais de Liège ou Liégeois de Montréal ? Cinéphile lettré ou lettré cinéphile ? Voici avec ces Alphabétiques un drôle d'exercice oulipien où l'auteur s'adonne sans retenue mais avec style au plaisir de la lettre et de la contrainte à des fins de liberté pure.

Alphabétiques est donc un abécédaire où chaque lettre commande l'écriture d'un texte avec cette contrainte que tous les mots employés auront la même initiale : « Arnaqueur avéré aux antécédents ambigus, aux allures aristocratiques, anciennement antiquaire à Ankara, ayant accumulé aux Açores, année après année, ardoises astronomiques, aujourd'hui armateur appointé à Abidjan, Arsène Anglemont, alias amiral Arthur Appleby, a accosté aux aurores à Antibes. » Avec la lettre A cela semble assez facile, mais essayez donc de composer un récit avec les lettres X, Y ou Z. Exercices de style de haut vol, non seulement parce que la contrainte formelle est scrupuleusement et superbement respectée, mais parce qu'encore c'est la même histoire qui est à chaque fois racontée : comme du point de vue narratif de la lettre, si l'on peut dire, en une sorte de focalisation interne à la langue, ce qui ne manque pas de colorer le récit d'une saveur toute spéciale selon la lettre élue. Comme si pour une fois enfin dans la littérature, c'étaient les mots qui avaient l'initiative dans la conduite du récit et qu'ils étaient le vrai regard de la langue porté sur celui-là. Qu'au fond, les mots étaient les véritables personnages de toute histoire. Dès lors, aucun énoncé ne serait plus banal ni conventionnel en littérature puisque aucune marquise ne sortirait plus à cinq heures sans que le mot « marquise », par ses sonorités mêmes, ne marque ces cinq heures à sa guise, aussi nécessairement qu'une pendule un peu fantasque indiquant la sortie du mot sur son seuil (sous sa marquise, précisément).

Quoi qu'il en soit, et même si cela n'est nullement l'intention première de l'auteur, il n'empêche qu'il opère une re-motivation des mots, ne serait-ce que parce qu'il joue avec eux et qu'il mène son récit par le petit bout de la lettre. Sur un canevas des plus simples – en gros la rencontre de personnes des deux sexes qui vire assez vite à l'affrontement par l'intrusion inopinée et bagarreuse d'un tiers masculin – Horguelin brode un parfait hommage aux inventeurs oulipiens. Perec et Queneau dans un même bateau, c'est l'esprit de sérieux qui tombe à l'eau et le plaisir de la langue qui s'en trouve rasséréné. Horguelin s'amuse et il nous épate.

Laurent Albarracin

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