Laurent Albarracin : Marie Huot, Récits librement inspirés de ma
vie d'oiseau.
© : Laurent Albarracin.
Mis en ligne le 29 novembre 2009.
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Marie
Huot
Récits librement inspirés de ma
vie d'oiseau
Éditions
Le Temps qu'il fait, 2009
« Les
hommes ont oublié ce qu'un nom recèle d'histoire et de futur »
Marie Huot
La voix de Marie Huot est à la fois élégiaque et follement rêveuse. Il
vaudrait d'ailleurs certes mieux plutôt parler des voix de ce poète, puisque tout le recueil se présente comme une
captation de voix diverses, distinctes, subtiles, hâtivement entendues et qui
perdurent doucement dans leur singularité propre. Voix distinguées, donc, qui
sont celles d'êtres anciens, plus ou moins fantastiques, souvent au bord de
l'absence, et qui s'avancent pour une parade de la discrétion. Les voici qui
défilent dans la chambre intérieure, dans un théâtre intime et infime : l'habitante, la sommeilleuse, la riveraine,
la craintive, le disparu, la liée, le muet, le brigand, le guetteur, la
demoiselle, l'appliquée, la fille, le fils du sherpa, la légère, la lingère,
Adam, l'alouette, le ventriloque, la cantabile, la femme-saumon, l'impromptu,
la secrète, l'arc-boutée, l'homme du chantier, la quémandeuse, Marina,
l'exilée, l'apprenti carillonneur, la vierge au pied-serpent, la passante, le
dompteur d'ours, Icare, la fleur d'épine. Toutes ces voix et tous ces
portraits furtifs s'accordent bien évidemment avec celle qui donne l'unité de
ton du livre, la voix profonde du poète, celle également qui apparaît en
contrepoint (en italique et en bas de page à gauche dans le texte) et comme en
réparation à toutes ces voix blessées et appelantes. La voix d'ensemble est posée
comme un regret suspendu, avec une légèreté qui a sa gravité dans l'éloignement
des êtres et des choses. Dans l'éloignement des noms, aussi bien, tant cette
poésie d'une grande simplicité paraît relever avant tout d'un mélancolique
attachement aux noms, et d'abord aux noms évocateurs des personnes, comme si tous
les personnages convoqués transportaient avec eux et malgré eux les contes et
les mythes auxquels ils font songer par le pur mystère de leurs noms, ainsi
qu'une laine accrochée à leurs vêtements, ainsi qu'une boue à leurs souliers :
« Au bas de ma robe bleue
Il y a mon soulier fin ma pantoufle de vair
Et mon autre pied qui est un serpent
D'un oratoire de montagne je suis la vierge au
pied-serpent
À l'abri des larrons et des ours
Dans ma cabane perchée
Je suis de l'amour pris dans du lichen
Du mirage à pèlerins
De la douceur en jupe d'eau
Où les agneaux viennent boire »
À l'évocation de ces êtres (dont
plusieurs appartiennent manifestement à la mythologie sinon à la généalogie
familiale), de ces noms fabuleux, tout semble partir en lambeaux – en
lambeaux de sonorités et de temps – et tristement se déchirer dans la
douceur. La poésie de Marie Huot sait admirablement
nous faire entendre la disparition comme une présence rêveuse, effilochée, nuageuse,
comme un calme démembrement. Elle sait dire combien ce qui meurt advient
aussitôt dans le fantomatique, combien ce qui est perdu est moins devenu absent
que passé à l'errance, à l'égarement. Les morts continuent de vivre dans les
limbes de la mémoire et de l'imaginaire, où ils rôdent et acquièrent comme
jamais auparavant cette force d'évocation et de songe qui les fait s'incarner
en des voix infiniment prégnantes. Comme si tout ce qui n'est plus était
désormais tout entier chant, voix et désir – poésie.
Laurent Albarracin
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