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Laurent Albarracin : Corps du délit où se cache le temps, de Luis Mizón.
© : Laurent Albarracin.

Mis en ligne le 28 novembre 2014.

Sur ce site, voir aussi un texte de Laurent Albarracin, De l'image.
Aller à la page où Laurent Albarracin présente ses «  petites activités éditoriales ».


Luis Mizón
Corps du délit où se cache le temps
Éditions Æncrages & Co, 2014
Dessins de Philippe Hélénon

Depuis plus de trente ans qu'il publie – d'abord des poèmes traduits de l'espagnol (Chili), maintenant directement en franŤais – Luis Mizón ne s'est jamais départi de son goût pour l'onirisme et pour l'image poétique. Celle-ci, puisqu'elle résulte d'une vision, est d'abord chez lui allègement, transmutation de la matière en lumière, ce qui n'empêche nullement la gravité et la mélancolie :

 

pierres ailées

poursuivies par les remords

pierres

tellement légères

qui volent de porc en porc

comme des petits porcs ailés de pierre ponce

voltigeant entre les porcs couronnés

de marguerites

les taureaux de la mer

et les tigres domestiques

qui me lèchent les doigts.

 

Cet onirisme assumé qui permet de domestiquer les tigres et d'adoucir les aspérités du monde, de les fondre en une seule coulée rêveuse, de travailler les choses vers plus de ductilité, semble bien lui offrir une piste d'évasion, un moyen de voir la réalité selon son désir, selon le lyrisme qui est le sien. Il est déréalisation, faŤon de rendre le monde habitable; mais en même temps il est maintien au sein de la réalité du caractère frappant, étranger, incompréhensible du réel appréhendé. Ainsi « les dunes gardent l'insolence du soleil » comme si le réel poétiquement gaufré, plié selon le souhait profond du poète, rendait le monde et indolent et douloureux, résolu et irrésolu. Sans doute le tort de l'image poétique est de pouvoir tout dire et tout tordre, de changer la donne à peu de frais, mais quelque chose se conserve en elle, alors même qu'elle a apparemment tout pouvoir, de son impuissance et de la sourde mélancolie qui l'anime :

 

mon âme musicienne

se penche à la fenêtre

d'une tour en flammes

entre le visible et l'invisible

elle peut tout voir

elle ne peut rien toucher.

Laurent Albarracin

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