RETOUR : Images de la poésie

 

Laurent Albarracin : Recension d'Olivier Rolin, À y regarder de près.
© : Laurent Albarracin.

Mis en ligne le 16 novembre 2015.

Sur ce site, voir aussi notamment un texte de Laurent Albarracin, De l'image.
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Olivier Rolin
À y regarder de près
Gravures d'Érik Desmazières
Seuil/Fiction & Cie, 2015

Qu'est-ce que la préciosité en littérature ? Peut-être la croyance en ce que la précision de l'expression touche à la qualité intrinsèque des choses. Et pas seulement qu'elle y touche de l'extérieur, en s'appliquant à elle avec méticulosité depuis son domaine propre, mais qu'elle a sa racine dans la structure même de ce qui est, et comme émanant de la matière. C'est l'idée que la richesse de la langue reproduit, retrouve la complexité du réel et notamment des moindres choses dès lors qu'elles sont « regardées de près ».

Olivier Rolin, dans ce livre bellement illustré de gravures d'Érik Desmazières, élit quelques objets pour en donner une description aussi délicate qu'amusante, faisant jouer tous les registres de la langue pour parvenir à une exactitude de l'expression qui soit, si c'est possible, l'expression même de la chose, une exactitude qui sourd en quelque sorte de la chose observée, pour atteindre alors à une vérité qui soit verte comme disait Ponge à propos du pré. Avec Ponge et dans son sillage, Rolin partage quelques objets de prédilection. Voici, pour son cas : l'artichaut, l'asperge, l'huître, l'os de seiche, l'oursin, la cétoine, la girolle, la mouche, la noix, la patate germée, la plume, la pomme de pin, le galet.

Les ressources de la langue, ce sont en particulier celles d'un lexique savant, naturaliste, scientifique au sens où l'on pratiquait jadis les sciences naturelles, qui connote le livre du côté de l'histoire naturelle et de la leçon de choses des livres scolaires – impression que les eaux-fortes du graveur renforcent. Il y a presque du Jean-Henri Fabre (d'ailleurs cité) dans l'écriture de Rolin, une précision d'entomologiste bien qu'elle s'attache la plupart du temps à des objets inanimés mais c'est comme si l'écriture étudiait les mĻurs morphologiques, osons cela, des objets observés et décrits. Il y a l'idée en effet que la forme d'une chose est presque un comportement, pas seulement une apparence qu'elle revêt mais aussi une cohésion qu'elle se donne, des raisons qu'elle adopte, un tout où les parties s'imbriquent tellement qu'elles se justifient l'une l'autre. Ainsi la noix est-elle entièrement close sur son être de noix : « Quelque chose d'obtus […] lèvres serrées, faisant la moue, paupières soudées. Butée. » Et toute chose est ainsi confortée en soi par ses aspects. Toute chose, au-delà d'être, persévère.

La langue est le moyen d'observer finement et congrûment une chose grâce à la précision d'un vocabulaire qui dans sa variété et ses nuances mime la variation infinie qui s'offre à nous quand on veut bien la regarder au plus près, à ras d'elle, à hauteur de ses intimes différences. Mais c'est aussi que la langue permet le recours à l'étymologie pour voir bien la chose. Car l'étymologie (l'étymologie rêveuse, disons) n'est rien d'autre que la présence de la langue dans la chose et inversement. C'est au moins le cas de l'artichaut : « Il y a d'abord son nom : comme celui du cornichon, avec quoi il n'entretient pourtant aucune parenté, ni botanique, ni gustative, ni philologique, il a quelque chose d'exagéré et, par là, de comique. […] L'artichaut fait l'important, il la ramène, il se pousse du col. » Et quand l'étymologie fait défaut, la langue est encore présente comme chose dans la chose. Ainsi de la pomme de pin qui littéralement éclate de langues : « Elle tire la langue, c'est la première chose qui frappe. La, ou plutôt les langues, une foule de langues. Elle multiplie, elle hystérise la puérile insolence. Elle est une botte, un bouquet, un tourbillon, une furie de langues tirées. »

Autre recours dont Olivier Rolin ne se prive pas, la peinture. Plusieurs peintres sont ainsi conviés en appui à sa description-démonstration, et en particulier les peintres de natures mortes. Car l'écrivain a l'Ļil et le verbe pour voir et nommer toutes les irisations, les teintes et autres valeurs chromatiques qui moirent telle surface ou matière, de l'huître ou de la girolle. Le plaisir érotique n'est jamais loin de qui se régale ainsi de couleurs, de lisérés suggestifs, de tant de frou-frous visuels. Tout se passe comme si le désir de voir chez Rolin se transformait de soi-même en soulèvement de lingeries et que la chose prenait plaisir à cacher/montrer ses dessous. Plaisir de la langue et plaisir charnel partagent assez de volupté pour échanger leurs traits respectifs. La métaphore est le lieu privilégié où cette porosité entre les sens (les significations et leur sensualité) s'effectue, par la vertu propre au trope qui est bien un passage des mots et de leurs sens par le prisme de l'équivoque. Mais la métaphore n'est jamais vulgaire ni outrée, elle n'outrepasse pas ses droits ni ne contrefait son objet, elle s'y conforme et elle est ce qui parie sur un isomorphisme des choses et des mots. L'image est juste chez Rolin parce qu'elle évite le cliché et établit des ressemblances sur la base d'un équilibre des valeurs sémantiques parfaitement mesurées ainsi que sur la foi d'une observation aussi scrupuleuse qu'élégante. Ce qui n'exclut pas l'humour, l'humour qui est l'ironie du sort fait(e) aux mots. Le mot précis, le mot juste, est le mot dont l'à-propos quelquefois le dépasse, le mot qui ne croit pas si bien dire.

Laurent Albarracin

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