Laurent Albarracin
Compte rendu du livre Savoir de guerre de Christophe Van Rossom
© : Laurent Albarracin.
Mis en ligne le 8 août 2009.
Sur ce site, voir aussi un texte de Laurent Albarracin, De l'image.
Christophe
Van Rossom
Savoir de guerre
Éditions
William Blake and Co, 2008
Un « savoir de guerre » – ou un butin d'art, c'est ce
que rapporte Christophe Van Rossom dans un livre
publié aux éditions William Blake and Co. Livre plein de virulence froide, de sereine
véhémence, d'imprécations brèves et sans détour. Mais aussi livre rempli
d'heureuse assurance, de totale et réjouissante audace, de la plus pure
confiance dans les pouvoirs de la poésie, livre rempli de cette « bonté
seconde » dont Jean-Paul Michel – l'éditeur et sans doute ici le
père spirituel – nous parle dans ses propres textes. Livre de guerre et
de poésie (une sorte de bref traité de philosophie poétique et d'insoumission
lettrée) o l'auteur déclare les hostilités en langage de simple fidélité aux
valeurs les plus hautes de la grande littérature. Dans une époque aussi
bassement molle que la nôtre, il est plaisant de voir un écrivain aiguiser ses
armes avec un aussi manifeste plaisir et une ambition qui ne concède rien dans
sa jouissive érection d'un style comme rempart à la médiocrité. On pourrait, et
on aurait tort, se gausser de quelqu'un qui paraît mépriser le commun au nom du
singulier. Ce serait ne pas voir combien l'attaque portée contre le vil, le
vulgaire, est avant tout un appel, un fouettage,
une manière de fustiger pour éveiller, bref un hymne guerrier à la vie. Il y a
là comme un vitalisme du poétique, un retour à l'énergie de la lettre, une
croyance en une justice inhérente au verbe approprié qui sont chose rare
aujourd'hui. Si guerre il y a contre l'époque, dans cette écriture, elle ne se
pare d'aucune bien-pensance idéologique, fût-elle
même catastrophiste, car ce qu'elle oppose au vague de l'époque est avant tout
la clairvoyance d'une manière d'art, une lucidité de style. Van Rossom cultive la marge, l'élégance et le frisson pour
réévaluer les positions o la vie vivante se terre et se refonde. Il prend le
monde à contre-pied pour lui rebrousser le poil. La cruauté et l'ironie qu'il
manie avec dextérité servent d'abord une salubre mise en danger des choses, des
valeurs morales qu'il manipule. Aucun nihilisme chez ce moraliste invétéré mais
ce qui serait son contraire et qu'on pourrait appeler un affirmatisme,
o la déclaration d'un programme philosophique et poétique suffit à sa réalisation,
un peu comme un menu qui serait rédigé avec tellement d'art qu'il mettrait
l'eau à la bouche et comblerait la faim de son lecteur d'un seul et même coup !
Ceci dit sans ironie aucune puisque cela semble bien être l'une des visées de
cette écriture, confondre un propos poétique et son ambition. Ce qui interroge
et séduit c'est en effet que l'énonciation des enjeux moraux, existentiels associés
au fait poétique tient lieu de contenu du poème et permet de les rendre
effectifs, de les réaliser dès leur intention de principe en quelque sorte. Art
poétique et Traité de guerre ne font qu'un chez Van Rossom.
Il n'hésite pas à convoquer toute une armada d'auteurs en appui à son
offensive. La référence à la Bibliothèque est en effet constante, nourrissante,
comme un soutien logistique, et l'écriture avance en rangs serrés o le poids
des lettres fait bélier. Chez lui la métaphore guerrière n'est pas qu'une
métaphore, elle est une guerre, un combat livré contre l'atonie générale.
Laurent Albarracin
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