J'ai de la peine à renoncer aux images Il faut que le soc me traverse Il faut que le temps m'ensemence Philippe Jaccottet, Poésie, p. 137. Dans ce bref poème, une poétique ou, plus précisément, une critique de l'image poétique, mais qui ne vaut que pour le poète lui-même. Le mouvement est paradoxal. Car comment la critique implicite des images et l'indication explicite de la difficulté du poète à y renoncer peuvent-elles se développer ensuite dans des images ? D'abord elles valent preuve, immédiate, de cette difficulté, ici non résolue : au moment même où le devoir s'imposerait comme jamais de renoncer aux images, « il faut » donc que j'écrive celles-ci ; « il faut » revêtant alors un sens ironique. Enfin ces métaphores valent comme l'expression d'une résolution, celle de s'offrir avec endurance à la durée du monde. « Il faut » : je le dois, je m'y engage. Cependant tout cela, ce sont ces images qui le disent. Et peut-être et en tout cas en ce poème il n'y a que des images pour le dire, fussent-elles aussi peu spectaculaires, aussi ingrates que possible. Encore celles-ci ont-elles une manière bien remarquable d'être modestes : l'une offre l'éclat d'un versoir cet éclat un peu mat qui signale toute limite dans Jaccottet , et l'autre, qui comprend la première, nous frappe comme une formule de présocratique. L'ironie est la marque d'une certaine aporie, celle qui saisit le poète en présence des choses et aussi du poème des choses. Les choses comme leur poème ne se peuvent regarder que par le biais de nos représentations. Pierre Campion
* Notons que cette métaphore du soc comme miroir fonctionne par le biais d'une métonymie. Nous ne voyons le soc engagé dans le sol de l'être que par le versoir brillant matériellement et fonctionnellement boulonné sur lui.
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