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Pierre Campion : Pendre l'air, brûler ses vaisseaux

Mis en ligne le 4 mars 2024.
© : Pierre Campion.

 Daniel Morvan, Quitter la terre, éd. Le Temps qu'il fait, 2024.


Prendre l'air, brûler ses vaisseaux

« Quitter la terre », écrit Daniel Morvan : « la ferme veut dire se taire/ la ferme dit terre-toi ». Quitter le monde des champs, de leurs bornes et de leurs peines, — non sans certains retours de flamme. (Tout autre est celui qui règne dans la dernière section du livre, Le jeu des étoiles, venu d'un deuil cruel.)

C'est rompre un lien d'attache au sol, celui qui faisait dans le peuple ancien des campagnes une forme très modeste de la noblesse : car on était de ses champs, de ses clôtures et de son paysage comme les Liancourt étaient de la Rochefoucauld et comme les Bourbons étaient du Bourbonnais et réciproquement.

C'est, de manière non conforme, honorer ses père et mère, elle comme quelqu'un qui a cru en son fils, qui l'a suivi et encouragé, qui a d'avance accepté pour lui une vie hors de leur monde, lui comme un personnage fort de sa propre histoire et rugueux, exigeant à l'égard de son fils, comme un Père quoi…

C'est poursuivre des études qui ne seront jamais celles de ses voisins et conscrits, de son milieu de pensée et de sa classe et dont chaque étape va redéfinir les possibilités d'un nouvel avenir hors sol.

C'est essayer son intelligence aux exigences d'un haut niveau, c'est passer un concours difficile, c'est éprouver des déceptions à l'École normale supérieure tant désirée, c'est abandonner la préparation de l'agrégation, c'est bifurquer — comme certains de ses camarades — vers le journalisme. C'est, au sein d'une rédaction locale dans une grande métropole, persister dans une profession de discernement, de plume et d'humilité, soumise au quotidien de la réalité.

Puis la retraite venue, c'est renouer avec des ambitions oubliées de Littérature, écrire des romans. Puis c'est rédiger un livre hors catégories, dans une écriture bien à soi, comme par une espèce de totalisation de soi-même : dans des textes courts qui ont quelque chose sans l'être exactement de la prose poétique (ne pas se prendre pour Rimbaud, se rappeler « Char Bonnefoy Ponge Jaccottet »), dans une diction claire qui se refuse aux provocations gratuites, dans des images qui surprennent mais ne vaticinent pas.

Bref, respecter les réalités de sa propre vie (c'est la déontologie du journaliste), toucher, émouvoir, impliquer la communauté humaine (c'est l'inspiration du lyrisme), reprendre à nouveaux frais la tâche infinie de se connaître et d'assumer son destin (c'est la leçon des philosophies anciennes, branches de l'éthique).

Pierre Campion

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