RETOUR : Chroniques de littérature, par Anne Coudreuse

Anne Coudreuse : Des lettres pour dire l'être qu'était Hervé Guibert.
© : Anne Coudreuse.

Mis en ligne le 13 janvier 2023.


Des lettres pour dire l'être qu'était Hervé Guibert

Arnaud Genon, Fous d'Hervé. Correspondance autour d'Hervé Guibert,
Presses universitaires de Lyon, coll. « Autofictions, etc. », 2022

Auteur d'une thèse sur l'œuvre d'Hervé Guibert, Arnaud Genon a rassemblé des lettres écrites par ceux qu'il fascine encore, trente ans après sa mort.

Un projet personnel pour faire entendre plusieurs voix

Hervé Guibert, écrivain, photographe, vidéaste ayant fait de sa vie (et de sa mort du Sida en 1991) la matière de ses livres, suscitait de son vivant une réelle fascination, au-delà du milieu homosexuel directement concerné par son œuvre. Trente ans après sa disparition, cette fascination demeure et Arnaud Genon, spécialiste de cet écrivain hors normes, nous propose ici d'aborder son œuvre d'une manière inédite. Hanté par ce personnage séduisant et subversif, le chercheur a adressé une lettre à vingt-quatre proches ou admirateurs et admiratrices d'Hervé Guibert : son épouse Christine, son premier amant, évoqué dans Mes Parents (1986), Philippe Mezescaze, qui a raconté cette histoire de son point de vue dans Deux garçons (Mercure de France, 2014), le photographe Bernard Faucon, les journalistes Claire Devarrieux et Brigitte Ollier, les écrivains Claire Legendre, Mathieu Simonet, Laurent Herrou, Christophe Donner, Arthur Dreyfus, Alexandre Lacroix, René de Ceccatty, etc. Dans ses lettres, Arnaud Genon expose sa démarche et interroge ses correspondants sur des points précis. Toutes et tous ont répondu de manière personnelle et dans un style qui leur est propre, faisant émerger un portrait kaléidoscopique d'un auteur et d'une œuvre à nuls autres pareil et livrant dans un même mouvement des sources inédites aux études guibertiennes.

Un ensemble un peu décevant

Le résultat reste assez plat et anecdotique, tant il peut être difficile de parler de ce/ceux qu'on aime. Chacun y va de sa petite histoire, de son petit fantasme, de son petit souvenir de lecture ou d'écriture, et l'ensemble ne décolle pas vraiment, sans doute parce que les références extérieures sont très répétitives, et réduites aux magnifiques mais très connus Fragments d'un discours amoureux (1977) de Roland Barthes. Seul le texte de René de Ceccatty sur Vous m'avez fait former des fantômes (1987) prend de la hauteur et présente un intérêt universitaire véritable, en multipliant les références, et en proposant une contextualisation et une réflexion passionnantes sur le monde littéraire d'alors, comparé à l'édition d'aujourd'hui. On peut regretter un certain nombre de fautes, coquilles ou autres, qui déparent ce qui se présente comme un hommage à celui qui avait fait de l'écriture le centre de sa vie.

Arnaud Genon écrit à Christine Guibert : « Je t'ai rencontrée la première fois en 2002 ou 2003. C'était à la galerie Agathe Gaillard. » Philippe Mezescaze conclut sa lettre ainsi : « Je ne nous vois pas tels des écrivains, les certitudes qui nous concernent sont autre part, et portent un autre nom, c'est le secret qui nous unis. Mais puisque tu le demandes, Hervé est un écrivain, bien sûr, et moi à cause de lui peut-être et grâce à d'autres, un écrivain de hasard. » Laurent Herrou évoque des écrivains « connus : pour leurs corps. Pour leur sexe, son utilisation à l'aulne de l'écriture ».

 

Le lecteur a parfois l'impression pénible que Guibert sert de prétexte à des considérations narcissiques et exaltées dans lesquelles il ne se reconnaîtrait pas. Mais ce volume intéressera sans doute ceux que passionne son œuvre-vie, par les échos qu'ils y trouveront dans la vie des autres.

Anne Coudreuse